Le monde de Breaking Bad #2

Le 12 août 2013 à 15:05  |  ~ 36 minutes de lecture
De la physique et un homme. Libre, ou presque. Serie-All continue de décortiquer Breaking Bad rien que pour vous.
Par Scarch

Le monde de Breaking Bad #2

~ 36 minutes de lecture
De la physique et un homme. Libre, ou presque. Serie-All continue de décortiquer Breaking Bad rien que pour vous.
Par Scarch

Si vous n'avez pas lu la première partie de ce dossier, ça se passe ici.

 

Lors de la première partie, nous avons démontré que les éléments sur lesquels la série met l’accent pendant le générique et les crédits n’étaient pas juste un effet de style. Ce constat nous avait amené à déterminer que le brome du générique était lié à Walter White et nous avions également fait un lien entre les noms des protagonistes, les couleurs, le cancer et la méthamphétamine.

Mais, et vous vous en doutiez sûrement, Breaking Bad ce n’est pas que cela. C’est une série qui parle avant tout de l’âme humaine et qui s’attache à explorer tous les niveaux de lecture que le téléspectateur pourrait en tirer.

Nous reprenons donc notre fil rouge avec cette seconde partie, au cours de laquelle nous allons descendre plus profondément encore dans les fondements de Walter White. Si nous avions parlé chimie la dernière fois, il est temps de passer au niveau subatomique, quantique pour être précis, et d’établir un lien entre le Baryum et Walt.

Cette semaine, nous allons donc décortiquer le double maléfique du héros de cette histoire, j’ai nommé Heisenberg. Nous verrons que ce nom n’a pas été choisi au hasard, tout comme les titres des épisodes de la série qui sont souvent une clé pour accéder à un niveau de lecture différent, allant au-delà de l’image, car c’est à cela que tient toute la problématique de Breaking Bad : 

Qu’en est-il de l’âme?

Cependant, avant de commencer, il convient de rappeler que l'intégralité de ce dossier n'a pas et n'aura jamais pour vocation d'énoncer des vérités sur Breaking Bad ou encore d'imposer une manière de regarder la série. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, cet article n'a d'autres buts que de vous proposer des anecdotes ou des axes de lectures relevés par le rédacteur. Ceci simplement dans le but d'échanger ensuite les différents points de vue sur la manière d'aborder cette grande série. Cependant, si vous n'aimez pas les digressions, vous risquez d'être déçu... Vous êtes prévenus !

Ceci étant dit, continuons donc à chercher l’âme de Walter White dans la science, le lyrisme et la mythologie. Réglez vos microscopes et installez-vous devant, Série-All vous fait entrer dans sa machine à rétrécir les séries.

Walter White lorsqu'il est Heisenberg

 

Sommaire de la seconde partie

3/ Breaking Bad et la physique

 

4/ L'homme libre et Breaking Bad

 

3/ Breaking Bad et la physique

 

a/ Heisenberg e(s)t le principe d’incertitude


Heisenberg n’est pas une métaphore (à la limite, une métastase...). C’est ainsi que se nomme Walter White lorsqu’il n’est plus père de famille, professeur ou chimiste mais trafiquant. Jugez plutôt (et vibrez avec nous):

 

 


La classe quand même non ? Cependant, au-delà des punchlines dantesques que provoque ce personnage, son nom n’a pas été choisi par hasard…

Werner Heisenberg est un Physicien Allemand lauréat du prix Nobel pour la création de la mécanique quantique. Stop !

le vrai Werner heisenberg

On s’arrête là pour approfondir encore un peu l’histoire de Breaking Bad. Nous savons Walter White père de famille, professeur, malade et en manque de sensations. Il est également officieusement lauréat d’un prix Nobel pour des recherches sur la radiographie. Officieusement, parce qu’il n’a fait que contribuer au travail de recherche qui sera ensuite « volé » par son assistante de laboratoire (Gretchen) et son ami (Elliott Schwartz). Par conséquent, Walter White est à l’intérieur ce que son double Heisenberg est à l’extérieur : un génie. Si Walter White avait eu le charisme de son double au moment voulu (charisme qui implique tout de même manipulation, double jeu et autre perfidie), le Nobel ne lui aurait pas échappé.

Revenons à nos anions. Et attention, nos neurones n’ont pas fini de souffrir (mais c’est bon pour le cerveau) ! Heisenberg est à l’origine d’une grande découverte dans le monde de la physique en générale et quantique en particulier : le principe d’incertitude.

Pour reprendre la définition de Wikipédia, le principe d’incertitude énonce que, pour une particule massive donnée, on ne peut pas connaître simultanément sa position et sa vitesse.

Ok ? Si vous ne comprenez pas, voici le lien vers l'article en question.

Pour simplifier, en physique quantique si on peut savoir quelle est la position d'un élément, on n’est pas certain de la vitesse à laquelle il se déplace. Inversement, si l’on connait cette vitesse, on n’est pas certain de sa position. Par conséquent, soit on sait où il est parce qu’on veut le savoir sans s’occuper de sa vitesse, soit on sait à quel vitesse il se déplace parce qu’on ne sait plus où il est.

 

Une illustration du principe d'incertitude

 

Difficile à expliquer mais retenons ceci, Werner Heisenberg est à l’origine d’un constat de dualité : vitesse et inconsistance contre matière et immobilité…

 

b/ The cat’s in the bag… and the bag is in the river

 

Pour aller plus loin dans l’illustration de l’aspect quantique des choses et dans le principe d’incertitude, attardons-nous sur les titres des épisodes deux et trois de la première saison. Il y est question d’un chat dans un sac (The cat’s in the bag...), traduit en français par « le choix » ; dans l’épisode suivant, le sac se retrouve dans la rivière (...and the bag is in the river), traduit par « dérapage ».

Les titres de ces épisodes sont inspirés du film Sweet Smell of Success (Le grand chantage) et peut également êre mis en relation avec l'expèrience du chat de Schrodinger. Ils font référence à l'expression anglaise "Let the cat out of the bag" qui signifie révéler un secret.

En l'occurence, il n'est pas question de révéler le secret. Au contraire, il est maintenu et jeté dans la rivière. 

affiche du film Sweet smell of success

 

Relions ces éléments à notre analyse :

Lorsque toute l’attention, y compris la sienne, se porte sur Walter White, parce que son corps a fabriqué un cancer, toute l’attention de son entourage se porte sur Heisenberg, parce qu’il se met à fabriquer de la méthamphétamine. Autrement dit et pour relier tout ce que nous avons constaté dans ce paragraphe,  Walter est dans le sac et ce sac part à la dérive. C'est Heisenberg qui émerge de cet emprisonnement, l'aspect quantique de Walter White qui répondra à l'inconsistance de son alter ego par une détermination à toutes épreuves.

Ainsi, les deuxième et troisième épisode de la première saison sont l'instant de vérité, et après "le choix" et" le dérapage" qui en découle, Heisenberg se voit affublé d'un titre à partir de l'épisode 4 : Cancer Man.

En français, nous avons droit à un "retour aux sources" qui colle davantage à l'épisode lui-même. Après s'être essayé au trafic, Walter White révèle son cancer à sa famille et ceci constitue la véritable naissance de la double vie de Walter. Son cancer n'est plus un problème, il est désormais un prétexte. Du coup tout l'aspect quantique de cette série repose sur cette double vie :

  • Heisenberg, aux yeux de la famille de Walt, devra toujours demeurer invisible en fonction des facultés de Walt pour le cacher. Aux yeux des stups et du cartel, c'est l'inverse : c'est un personnage d'une pesanteur insoutenable qui efface totalement l'autre aspect de sa personnalité, Walter White.
  • Walter White, lui, est tout ce que son entourage ne regarde pas. Un potentiel. Cette vie pleine d'illusion étant devenue insupportable, il continuera de rester une apparence de l'innocence par sa présence et demeurera invisible aux yeux de son autre vie.

 

Walter White face au miroir

Cancer Man, le plus "anti" de tous les héros


L’aspect quantique du nom Heisenberg étant défini, sortons de l’infiniment petit et de ses lois mystiques et revenons au monde physique bien réel.

 

c/ The Green Lantern

 

Dans le chapitre consacré à la chimie, nous avons expliqué l’hommage de la série à Reservoir Dogs, l’utilisation des noms Pinkman et White en hommage aux personnages quasiment homonymes de Quentin Tarantino. Il demeurait cependant un problème avec la couleur verte qui ne correspond pas à Walter White. Je pense que vous l’avez déjà compris, la couleur verte et le Baryum ne sont pas liés à Walter White mais à son double maléfique : Heisenberg. Approfondissons.

Malgré ses découvertes capitales, pendant la Seconde Guerre mondiale, Werner Heisenberg participait à la création de la bombe atomique, mais pas du côté « projet Manhattan » : il étudiait la fission de l’atome et l’énergie forte libérée par celle-ci. Cela fut rendu possible grâce aux travaux d’une femme, Lise Meitner, qui découvrit en 1938 ce que produisait la fission du noyau d’uranium : un noyau de Baryum et un de Krypton. (Heisenberg, l'anti superman?)

Ainsi, l'explosion d'une bombe atomique implique la fission d'un élément (le noyau d'uranium) que l'on bombarde avec un autre élément (un neutron) et cela provoque une réaction en chaîne qui libère non seulement d'autres neutrons (qui vont donc amplifier l'explosion) mais également  un noyau de baryum. N’est-ce pas ce que démontre métaphoriquement Breaking Bad ?

L’explosion que provoque le cancer de Walt dans sa vie implique un traitement par radiogaphie (radiographie par emission de positron, cf épisode 4.08) qui va créer une réaction en chaîne et libérer le baryum, Heisenberg.

En transposant cela à l’environnement du héros : l'explosion de la vie de Walter crée une réaction en chaîne personnifiée par Heisenberg et libère - entre autre problèmes - de la méthamphétamine.

 

Pour aller encore un peu plus loin, voici ce à quoi ressemble le Baryum avant d’être brulé :

 

Sulfate de baryum

 

Vous noterez qu’il est blanc (White).

Voici maintenant la flame qu’il produit :

 

sulfate de baryum pendant la combustion

 

 Vous noterez qu’elle est verte. Rappelez vous le générique, et si cela vous interesse, voici en vidéo ce que donne le sulfate de baryum lorsqu’on le brule :


 

Petites anecdotes amusantes maintenant :

  • Savez-vous ce que l’on met dans une piscine lorsque l’eau devient verte ? Du brome... (qui tue les algues vertes par oxydation).
  • Walter est lié au brome.
  • Skyler est liée au sodium.
  • Heisenberg est lié au Baryum.
  • Le sodium régule le passage de l'eau du sang vers les cellules.
  • Le brome est un oxydant qui désinfecte l'eau. 
  • Citation Wikipedia : Le baryum réagit violemment avec l'eau (NDscarch :cf "the bag is in the river" pour l'eau) en donnant l'hydroxyde de baryum Ba(OH)2, ou baryta hydraté, qui est très toxique et dont les réactions avec les acides sont violentes. Le baryum réagit violemment avec les oxydants.
  • Citation Wikipedia : Le sodium est un élément très réactif ; en particulier il s'oxyde lentement à l'air humide et réagit violemment avec l'eau : il libère une grande quantité d'hydrogène et produit une explosion.

En d'autres terme, Skyler aura toujours une influence sur la vie de Walter, mais pas sur celle d'Heisenberg. Une scène maintenant, importante pour comprendre la détresse de Skyler dans cette histoire :

 

 

Nous vous laissons méditer sur cette séquence avec les éléments que nous venons de détailler. Nous reviendrons plus en détail sur la femme de Walt dans le prochain chapitre.

 

Breaking bad, une métaphore infinie?

Wlater White réfléchit au bord de la piscine

Assurément !

 

d/ You are always the picture of innocence

 

Nous nous approchons lentement mais surement d’un constat… Et si Breaking bad n’était qu’une mise en abîme de Walter White, confronté à son miroir négatif, Heisenberg ?

Reprenons notre fil rouge. A la fin du chapitre sur la chimie, nous parlions de l’interrogation de l’assistante de Walter, Gretchen : qu’en est-il de l’âme ? Nous avons tenté de démontrer par la physique que la réponse de Walter était erronée : il n’y a pas que de la chimie ici… Il y a ce petit quelque chose manquant également à la physique qui lie les êtres, cette attraction qui ressemble à une pesanteur qui emprisonne Walter sans qu’il s’en rende compte… Développons.

Dans le sixième épisode de la seconde saison, Walter, en pleine métamorphose cette fois, retrouve Gretchen…

 

 

Cette vidéo est la conclusion d’une conversation capitale pour comprendre Walter White :

 

Walter: It was my hard work. My research. And you and Elliott made millions of it.

Gretchen: That cannot be how you see it.

Walter: Oh God, that's beautifully done.

Gretchen: You left.

Walter: You are always the picture of innocence.

Gretchen: You left me.

Walter: The picture of innocence. Just sweetness and light.

 

Si vous ne parlez pas anglais, je vous paraphrase ce qu’il se dit : Walter reproche à Gretchen ce qu’elle et son associé ont fait, à savoir utiliser son travail pour obtenir le prix Nobel et gagner des millions. Gretchen ne comprend pas, c’est Walter qui est parti.

Ici, la phrase qui suit est le miroir physique de la phrase sur laquelle nous nous étions arrétés dans le chapitre précédent : “The soul ? There’s nothing but chemistry here.

Walter répond : "You are always the picture of innocence."

Encore une fois il n’y a que de la chimie ici. Nous en avons parlé plus haut, Walter est une image physique de l’innocence, l’apparence de l’innocence reste toujours de la chimie, sans âme.

Nous pouvons tirer trois constats de ce ce que nous avons vu jusqu'à présent :

  • Heisenberg et le cancer naissent des cendres de cette image que lui-même a toujours voulu montrer. The picture of innocence, just sweetness and light. Tout ce que dit Walter ne s’adresse bien évidemment pas à Gretchen mais à lui-même. Ce magistral "Fuck You !" est une manifestation d’Heisenberg envers Walter White.
  • Heisenberg est né de la réaction en chaîne environnementale de Walter White. De grandes capacités dans un océan de naïveté et d’innocence, dont les éléments tentent également de survivre à l’insu du héros de l’histoire. Sa frustration de ne pas être compris, mêlée à sa colère d’avoir perdu tout le pouvoir lié à son cerveau (la gloire et l’argent) transforme cette mer d’huile en tempête dévastatrice dont chaque protagoniste tentera de se protéger à sa manière.
  • Heinsenberg est l’évadé de la prison Walter White, de ce potentiel emprisonné, et au moment du choix entre l’acceptation et la survie de l’égo, au moment où il ne pouvait plus faire marche arrière, il s’est orienté vers le second choix, la colère a triomphé, le dépassement s’est fait dans un sens. Le mauvais ?

Quelle que soit la réponse subjective que cette dernière remarque peut susciter, nous pouvons être sûr d’une chose : il n’y a aucun manichéisme dans cette histoire. Gretchen et Elliot n’ont pas “trompé” Walt : c’est lui qui est parti. Il a fait le choix de privilégier Skyler - plus sécurisante - à Gretchen. Il a choisi l’immobilité, et sa frustration, manifestée par ce Fuck You en fin de vidéo, est davantage causée par sa propre impuissance que par un quelconque sentiment d’avoir été trahi. Au final, le seul ennemi de Walter au début de l’histoire, c’est lui-même, et tous les “ennemis” qu’il sera amené à rencontrer ne seront qu’une image dans le miroir qu’il s’obstine à détruire.

Gretchen Scwartz

Quel bilan pouvons-nous tirer de ces trois premiers chapitres ? Breaking bad nous raconte l’histoire d’un homme qui change brutalement. C’est un tableau représentant tout ce qu’implique une métamorphose. L’arrivée du changement, la métamorphose d’un homme est en action et celui-ci prend un nom de super héros avec le titre du quatrième épisode de la première saison : Cancer Man.

Désormais, nous savons qui est Walter White et son double Heisenberg. Il est temps maintenant de nous intéresser à son développement et à son environnement.

 

4/ L’homme libre et Breaking Bad

 

Toutes les grandes œuvres peuvent se lire d’une myriade de manières différentes. On peut souvent considérer que l’histoire ne traite d’ailleurs que du héros, en imaginant que ceux qui lui donnent la réplique sont en fait un simple aspect de sa personnalité personnifiée. Par extensions, plus le nombre de protagonistes est élevé, plus l’histoire prend de la consistance, tout en n’étant consacré qu’au dépassement d’un seul homme. Dave dans 2001, Anakin dans la saga Starwars, Paul Atréïde dans Dune, Néo dans Matrix, Frodon dans Le Seigneur des Anneaux, Superman ou Batman dans les œuvres éponymes… Vous remarquerez également que le héros à souvent un double opposé. Luke Skywalker, Sam Gamegie, Hal, Clark Kent, Bruce wayne etc… Le dépassement implique donc la transformation d’un homme et les effets de cette transformation sur son environnement.

 

Walter White et le feu

 

De ce coté, Breaking Bad n'invente rien : Cette série inverse les codes du récit messianique qui implique sacrifice au profit des autres et grandeure d'âme. Toutes les manières occidentales  de digresser sur l'homme libre comprennent soit la mort soit la souffrance ainsi que la recherche du bien commun au détriment de celui du héros  mais également le passage d'un état à un autre. Dans la mythologie, on passe de l'aspect humain à divin, en psychologie, on parle d'Oedipe, en alchimie de transformation du métal vile en métal noble, dans les arts martiaux l'élève devient le maitre, au cinéma le héros devient libre...

Quoi qu'il arrive, cette transformation implique d'autres éléments qui vont influencer le dénouement de cette métamorphose.

Breaking bad suit ces règles en s'appropriant totalement les codes du genre. Nous avons détaillé le personnage principal jusqu'à maintenant. L'heure est venu de nous immerger dans son environnement pour continuer notre exploration subjective de la série :

 

a/ Jesse Pinkman / Le référent / L'argon 

 

Jesse Pinkman

 

Jesse est un ancien élève de Walter White, toxicomane, dealer de bas étage et mal dans sa peau. Embarqué malgré lui dans la spirale infernale pour quelques dollars de plus, il s’avérera être un allié précieux de Walter. Participant ou faisant lui-même le sale boulot pour le compte d’Heisenberg, il est l’un des seuls à ne pas craindre ce dernier.

D’une certaine manière, il fait le lien entre Walter et Heisenberg, puisqu’il se charge d’encaisser tout le remord que Walter fuit et qu’Heisenberg ignore. Présent dès le premier épisode, Jesse est, loin devant sa femme et son fils, l’être le plus proche de Walter. Il traversera au cours de la série une douloureuse métamorphose qui l’amènera à prendre du recul sur la situation et à devenir une aide précieuse pour Heisenberg lorsque ce dernier sera confronté à Gus Fring.

Par conséquent, Jesse Pinkman constitue lui aussi un élément déclencheur de la naissance d’Heisenberg. D’abord toxicomane, puis brillant cooker, le lien qui l’unit à Heisenberg est le même que celui que ce dernier entretient avec Gus. Un objectif qu’il faudra surpasser pour s’en libérer. Au point où en est l’histoire actuellement (milieu de 5eme saison), Jesse est devenu un danger passif pour Heisenberg et Walt, après avoir encaissé toutes les leçons qu’il pouvait tirer de cette histoire. Il est une pièce maitresse de l’éventail des possibles qu’a dressée la série au cours de ces cinq dernières années.

Au générique, Aaron Paul, l’interprète de Jesse, est rattaché à l’Argon. Un gaz inerte, sans saveur et inodore. Le nom "argon" signifie « paresseux ». il s'agit du gaz qui permet, emprisonné dans une ampoule électrique, l’incandescence du fil vu qu’il ne subit pas sa chaleur. L’argon sert aussi de conservateur à la viande et d’isolant thermique dans les combinaisons de plongée sous-marines. En gros, la principale qualité de l’argon est la même que celle de Jesse Pinkman: tous deux sont résistants au feu (la souffrance et donc le changement), tous deux sont utilisés pour contenir l’énergie (dans le cas de Jesse, celle d'heisenberg). Pour Walter White, l’argon Jesse Pinkman est le personnage qui empèche Heisenberg d’exploser en entrainant tout sur son passage, celui qui lui permet de canaliser son énergie.

Au delà de ça, l’argon est un gaz conservateur. Si Walter White va être amené à se métamorphoser, Jesse, lui, ne va faire que murir en conservant son humanité. Il servira donc de référent pour mesurer l’ampleur de la transformation de Walt qui passe pour lui de professeur (donc modèle à suivre) à dangereux psychopathe (donc à ne pas suivre, si si).

 

b/ Hank Schrader / Le protecteur / L’azote

 

Hank Schrader

 

Hank, alias Henry Schrader (oui, comme le méchant des Tortues Ninjas) est le mari de la sœur de la femme de Walt : son beau-frère en somme. Agent de la DEA, l’équivalent américain de la brigade des stups, il apparait comme l’archétype du beauf et se révèle finalement être un limier aussi fin que dangereux pour Heisenberg.

Hank est interprété par Dean Norris, qui est également mis en relation avec un gaz : l’azote. En tant que tel, il est un élément avec lequel Walt doit s’accommoder, faute de ne pouvoir ni le détruire, ni le transformer vu que les gaz ne s’oxydent pas entre eux. Il subit également les effets secondaires du cancer/méthamphétamine en tant qu’écran protecteur pour les membres de sa famille, y compris celle de Walt. Cela l’amènera à être à l’origine de scènes totalement épiques lorsqu’il deviendra un danger pour le cartel mexicain de la drogue. Jugez plutôt :

 

 

Lorsque la méthamphétamine est oxydée par le métabolisme humain, elle favorise la production de monoxyde d’azote qui est à la fois un neuro-transmetteur, donc un communiquant, et un régulateur de la mort des cellules du système immunitaire. En gros un protecteur.

Si vous n’avez pas encore regardé, que dis-je, dévoré Breaking Bad, je précise que Hank, agent zélé de la brigade des stups, est également le protecteur aveugle de sa kleptomane de femme interprétée par Betsy Brandt. Il est à la fois le lien entre les stups et le cartel de la drogue pour Walter White (communiquant), et le protecteur de l’ordre public (régulateur) qu’Heisenberg veut berner.

Au point où nous en sommes, Hank est aussi important que Jesse dans les probabilités quant au dénouement de l’histoire. Il est l’aspect héroïque de la série et le public n’a aucun mal à s’identifier à lui. On pourrait même aller jusqu’à dire que la série inverse la tendance pendant son déroulement. Si Walt est dans tous les cœurs tant qu’il apparait comme simplement faible, Hank prend sa place dans l’attachement du téléspectateur quand Heisenberg prend trop le dessus. Pour simplifier, s’il fallait un anti-héros à l’anti-héros, donc un vrai héros, Hank serait le protagoniste vers lequel il faudrait regarder.

 

c/ Skyler / L’équilibre / Le sodium

 

Skyler White

 

Skyler est la femme de Walter White. Au début de la série, elle est plus ou moins femme au foyer. Plus ou moins parce qu’elle avoue écrire des histoires, vendre des objets sur Ebay et autres occupations lucratives. Elle a autant d’emprise sur Walter qu’Heisenberg en aura sur elle. Lorsqu’elle prendra conscience du problème de son mari, elle traversera une longue passe difficile avant d’accepter la nouvelle nature de ce dernier par amour pour ses enfants. Elle apparaît comme capitale dans la transformation de Walter White en Heisenberg, car si l’un l’ennuie et l’autre l’effraie, elle constitue malgré tout l’impulsion dont se servent chacun des deux aspects pour exister.

Ce que Walter White perd, Heisenberg le récupère. La longue métamorphose du personnage principal amène beaucoup de complications dans son couple. Skyler apparaît comme un personnage aux multiples facettes maintenue par le soutien de Hank et le garde-fou Jesse. Elle se mesurera à l’ampleur de la ruse de son mari et ripostera par le chantage. Blessée et déterminée, il devient de plus en plus difficile de déchiffrer ce que cette protagoniste finira par renvoyer comme image à Walt à la fin de cette histoire.

Skyler est associée au sodium dans le générique de la série. Ca ne s’invente pas, je vous cite directement l’article de Wikipedia : « C'est un élément très réactif (...) ce qui force à le conserver dans le pétrole ou sous une atmosphère inerte d'azote ou d'argon. »

De là à penser que Skyler n’explose pas grâce à la présence de Hank (Azote) et Jesse (Argon), il n’y a qu’un pas que nous franchirons sans réfléchir… D’autant plus que le sodium se retrouve principalement dans l’eau du corps et aide à réguler la formation des cellules, et donc à éviter la prolifération des cellules cancéreuses. Skyler est donc nécessaire à Walt et, paradoxalement, Hank lui est nécessaire. Cependant, la vidéo suivante traduit parfaitement le problème que suscite Heisenberg dans sa relation avec Walter. Regardons ensemble ce moment ou Walter White est bien présent, acculé face aux menaces de sa femme et se transforme soudainement en Heisenberg :

 

 

Vous l'aurez compris, Skyler demeure un dilemme perpétuel pour Walt car elle parvient malgré tout à l'influencer. Il résiste, se braque et finit par laisser apparaître Heisenberg. Ce dernier n'a pas la même relation avec Skyler. Il l'aime, mais encore une fois, ce que Walt perd, c'est-à-dire sa confiance en lui, Heisenberg le récupère immédiatement en se servant de la peur. Skyler est constament sur le fil du rasoir, entre la peur et l'admiration.

En plus de tout cela, et bien entendu, le sodium est le principal élément constituant le sel. Skyler donne a Walter le goût et la soif d’avancer. La méthamphétamine que fabrique Heisenberg est bleue comme l’indigo fabriqué avec le sodium et s’appelle Blue Sky... Elle donne une couleur ou une saveur à la transformation de Walter White.

 

d/ Walt Jr et Marie Schrader / Les dommages collatéraux / Tellure et Béryllium.

 

Walt Jr

Walt Jr est le fils de Walter et Skyler. Quant à Marie, elle est la femme de Hank. Ces deux personnages constituent les deux autres métaux du générique, avec le Baryum. Si les métaux subissent l’oxydation des gaz, c’est également le cas de Marie et Walter Jr. Sauf que ces derniers sont souvent protégés par un rempart : Skyler avec son fils et Hank avec sa femme. Ils subissent donc les conséquences des actes de Walter/Heisenberg mais par réaction en chaîne. D’un autre côté, ils constituent une sorte de point d’équilibre permettant à Hank et Skyler de remettre les pieds sur terre quand l’obsession pour Heisenberg est moins forte.

En tant que métaux, et donc masses, ils constituent un centre d’intérêt alternatif, un espoir à protéger absolument. Si l’on se réfère à la masse de ces éléments, le Baryum (traduction : lourd = Heisenberg) est le plus lourd, Le Tellure (traduction : la terre = Walter Jr au générique) le suit de près, loin devant le Béryllium (traduction : le Crystal = Marie Schrader au générique), fragile mais extrêmement résistant à la chaleur.

Marie Schrader

Par dichotomie, nous avons d’un côté le monde de la famille White, où Heisenberg et Walt Jr font quasiment jeu égal dans l’esprit de Skyler, même si Heisenberg est plus effrayant donc plus fascinant. L’arrivée de ce corps massif qu’est l’avatar de son père va profondément isoler Walt Jr qui provoquait auparavant toute l’attention de ses parents de par son handicap. Ne constatant que l’influence de son père, sans savoir d’où elle vient, son jugement s’en trouvera faussé et il se sentira parfois abandonné par cet être inaccessible et d’autres fois attiré par sa folie.

 

D’un autre côté, Marie et Heisenberg, encore une fois, sont les deux parties entre lesquelles le cœur de Hank balance. Marie étant bien moins imposante que le Némésis de l’agent, elle compense le désintérêt pour elle que provoque Heisenberg dans l’esprit de son mari par une fragilité touchante de faiblesse. Tantôt kleptomane, tantôt commère, elle permet à Hank de garder la tête froide.


e/ Crawl space

 

Après l’interrogation sur l’âme, le début de la mise en abîme Heisenberg, nous voici arrivés à la seconde étape de cette torture psychologique que s’impose Walter…

Voici un extrait du onzième épisode de la quatrième saison intitulé Crawl space :

 

 

Quelle scène, n’est-ce pas ? Une représentation cinématographique de la mise en abîme du héros. Cette séquence est la seconde rupture de la série. Heisenberg subit un lourd échec, il est confronté au choix de l’acceptation ou de la persistance. Le rire démoniaque et la mise en scène répondent à ce choix. Puis vient le constat. Walter face à lui-même dans ce crawl space, ce vide sanitaire, au fond du trou. Et la distance parcourue donne le vertige.

Le mot crawl space peut à la fois être compris comme vide sanitaire et comme espace de repli. Arrivé à cet instant de l’histoire, tout ce qui peut réconforter Walter se situe dans l’argent qu’il a pu amasser en oxydant chaque élément de son environnement que nous avons cité dans ce chapitre. Malheureusement, l’argent est aussi volatile que Walter l’était.

Un second choix s’impose à Walter devant l’ampleur du cataclysme qu’Heisenberg a provoqué sur sa vie. Tout est parti en fumée, la douleur est visiblement atroce et encore une fois, il faudra orienter le dépassement : accepter l’échec ou détruire ce qu’il reste de Walter White, c’est-à-dire de ses chaînes familiales, pour libérer complètement Heisenberg.

L’alchimie dont nous parlions au début de ce chapitre continue d’opérer. La matière se transforme et l’homme se détache douloureusement de ses chaînes. La fin de cet épisode semble montrer Walter face à lui-même, face à tout ce qu’il a donné pour se déchainer. Il a forcé tous les éléments de la série, tout son environnement à l’aider à se transformer et nous assistons à son constat, et paradoxalement, il rit. Seul le dénouement nous apprendra si la voie qu’a choisi Walt deviendra un dépassement ou un enfoncement.

 

f/ Heisenberg VS Einstein

 

Pour faire le lien avec le prochain article de ce dossier consacré à Breaking Bad, qui mettra en avant l’aspect mythologique de la série, mettons celle-ci en perspective pour l’intégrer au développement traditionnel du héros, de l’homme libre.

En règle générale, qu’il soit héros ou anti-héros, celui que l’on met en abîme dans une oeuvre artistique est souvent confronté à son propre négatif. Nous l’avons déjà compris, Walter White n’est pas de taille pour affronter Heisenberg. Mais qui peut l’être?

Ceux qui ont suivi Breaking Bad le savent déjà : Gus Fring, le parrain de la mafia locale, pragmatique, charismatique et résolument efficace.

Si nous savons cela, nous pouvons compléter notre lecture parabolique du fil rouge. Dans le cas de Werner Heisenberg, ce dernier était challenger d’une pointure internationale en physique : Albert Einstein. C’est un débat entre ces deux hommes qui a fait dire à Einstein sa célèbre phrase : “Dieu ne joue pas aux dés.” Il était en effet persuadé qu’aucune équation scientifique ne pouvait expliquer la physique quantique, et que par conséquent, seule la physique traditionnelle était digne de foi.

D’une certaine manière, si nous pouvons considérer Albert Einstein comme une pointure en physique, voir comme LA pointure, Werner Heisenberg cherchait à dépasser cet idéal en sortant des sentiers battus de la physique traditionnelle. 

Qui donc est l’Einstein de Breaking Bad ? Vous l’avez déjà compris : Gus Fring, qui est interprété par Giancarlo Esposito, et encore une fois, cela ne s’invente pas, les lettre Es du nom de l’acteur sont associées au tableau périodique des éléments et sont le symbole de... l’Einsteinium.

 

Albert Einstein

Breaking Bad, ce n’est que du détail.

 

Autrement dit, si l’homme libre est bien évidemment confronté à lui-même au final, sa route est parsemée d’ennemis qui lui donneront l’expérience nécessaire à son dépassement. Si Werner Heisenberg avait Albert Einstein, si Luke Skywalker avait Dark Vador, si Néo avait l’agent Smith, alors Walter Heisenberg a Gus Fring. Mais nous reviendrons plus en détail sur ce personnage et ses acolytes dans le prochain article de ce dossier.

 

Conclusion de la seconde partie :

 

Voilà, nous avons fait un petit tour non exhaustif de la série et nous vous avons proposé quelques pistes à suivre pour pénétrer plus profondément encore dans l’univers de Breaking Bad. Cependant, si nous avons fait le tour des petits indices scientifiques que nous trouvons ici ou là dans ce show, nous n’avons pas encore attaqué l’aspect mythologique de l’histoire qui, comme toutes les grandes histoires, s’inscrit comme un miroir réfléchissant de la condition humaine.

Vous pouvez enlever vos gants et ranger vos microscopes, la suite était en fait déjà écrite et nous irons la chercher dans un énorme grimoire : celui de la mythologie humaine. Il sera question d’Oedipe, de l’échelle de Jacob, d’Abel et Caïn, d’Isaac et Ismaël et de plein d’autres choses complètement dingues ! Merci d’avoir lu, et à la semaine prochaine !

Gus Fring

Sources :

Wikipedia

Traité philosophique et expérimentale de matière thérapeutique et expérimental (quel nom pompeux)

Pas mal de documentaires sur la physique quantique, Einstein et Heinsenberg que l'on trouve facilement sur Youtube.

L'auteur

Commentaires

Avatar Gouloudrouioul
Gouloudrouioul
Très très intéressant tout ça. C'est vrai que ça me semble bien trop tenir la route pour que ce ne soit qu'une élucubration de ton esprit fou (même si certaines petites choses restent selon moi un peu tirées par les cheveux). J'espère que cette partie aura le même succès que la première et que les lecteurs ne s'arrêteront pas à sa longueur. C'est un sacré travail d'analyse, franchement je suis impressionné. Chapeau chapeau. Et puis quand ça parle physique quantique, forcément mon cœur bascule <3

Avatar Scarch
Scarch
Merci Gouloudrouioul. C'est normal que tu trouves certaines choses tirées par les cheveux, comme je le précise dans l'intro, même si pour moi tout ça se tient, c'est quand même 100% subjectif. On verra bien si le succès est au rendez-vous, j'espère en tout cas ^^.

Avatar Taoby
Taoby
C'est pas en foutant des smiley dans tes commentaire que tu va y arriver. A part ça, la même que Goulou, trop de choses me semblent bien trop pertinente pour que ce soit tes délires. Bon après y a des trucs... Mais j'aime vraiment ton approche et ta perception. Vivement le 3.

Avatar Fafa
Fafa
Très gros boulot et très intéressant, surtout cette comparaison des personnages avec des éléments chimiques. En tout cas ça réveille mon envie pour la fin de la série.

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