American Crime, c’est quoi ? C’est une série qui s’attache à nous montrer les conséquences d’un meurtre sur la famille de la victime mais aussi sur les coupables et les complices, qu’ils le soient malgré eux ou non. Le pitch parait donc très simple, mais après l’avoir regardé, une certaine originalité se dégage de cette histoire pourtant banale. La série, créée par John Ridley (qui a gagné un Oscar pour son scénario de 12 Years A Slave en 2014), possède en effet de bonnes qualités techniques et narratives. On peut cependant observer une certaine confusion qui nous amène à douter sur le déroulement à long terme.
Une pudeur technique et narrative
Le premier élément qui saute aux yeux, c’est cette forme de pudeur, présente autant sur le fond que sur la forme. Il y a notamment un travail assez important sur le son : il n’est pas toujours synchronisé, mais est, au contraire, parfois décalé. Lorsque la mère de la victime parle, c’est souvent entre deux scènes, dans un moment de suspens, comme si le temps s’était arrêté. C’est par ailleurs la seule source d’émotions réelle, celle où l’on ne voit pas forcément le visage de celle qui parle mais où l’on peut ressentir sa peine. Ces petits moments de voix-off, très courts, sont extrêmement pertinents puisqu’il n’y a aucun narrateur : c’est juste un moyen de pouvoir entrer dans la peine de ces personnages mais sans trop s’immiscer.
Mon deuxième exemple est celui de la première scène de l’épisode. Celui-ci débute par un policier qui prend un appel de détresse. L’échange est écrit à l’écran. Puis, silence, et un téléphone sonne : celui d’un homme qui nous est encore inconnu. Le policier laisse un message puis lorsque l’homme finit par répondre, nous n’entendons plus rien. Pourtant, un homme est en train d’annoncer à un autre homme que son fils est peut-être mort et qu’il doit venir l’identifier. Pas de pleurs, pas de cris, rien. On ne s’attarde pas sur la réaction de ce père qui prend l’avion et identifie la victime comme étant bien son fils. Fils dont on ne voit aucune image. Non, aucun plan ne montre ni le corps du jeune homme à la morgue, ni sa femme (qui s’est faite agressée sexuellement) à l’hôpital. On la devine de loin, en arrière-plan dans une scène, mais ça s’arrête là.
Cette pudeur, qui se dégage donc à la fois techniquement (de par les usages du son) et du point de vue narratif (la façon dont les acteurs sont dirigés, et leur jeu, excellent) sont bienvenus dans une époque où la sur-dramatisation est de mise. Néanmoins, les instants où l’on peut enfin percevoir leur peine sont parfois gênants et sans aucune émotion. Attention, ce n’est pas parce que c’est mal fait, mais ce choix m’a personnellement déroutée.
Je pense notamment au moment où le père, Russ, est dans la salle de bain après avoir vu son fils mort. C’est une scène tellement brute et tellement brutale que l’on ne ressent aucune émotion. On regarde ce personnages déchiré, mais on ne fait rien d’autre. Est-ce à cause de l’acteur ? Je ne sais pas... Peut-être certains d’entres vous auront trouvé ce moment déchirant, mais ce n’est pas mon cas. J’étais presque mal à l’aise et je voulais que ça se termine. A vrai dire, je pense que c’était voulu. Le spectateur est pour une fois témoin et juste témoin. Il n’est pas intégré dans l’histoire mais est juste présent avec ces personnages, presque malgré lui.
Des personnages que nous voyons de loin
Tout ceci m’amène à mon deuxième point : les personnages. Je n’ai pas beaucoup regardé de séries, et plus particulièrement de pilots, qui n’essayaient pas à tout prix de nous faire aimer ses personnages. C’est le cas pour American Crime, qui nous en présente plusieurs, mais que l’on voit de loin. Sans les détester, nous ne ressentons aucune empathie particulière pour eux. Le seul pour lequel j’ai ressenti quelque chose est Russ Skokie, le père du jeune homme assassiné.
La mère, Barb, nous apparait comme étant froide. Mais, comme beaucoup de choses dans l’épisode, elle n’est pas stéréotypée. Elle est juste comme cela : nous voyons qu’elle ressent énormément de peine, mais elle reste toujours de marbre, très sobre. Felicity Huffman joue très bien mais encore une fois, ce moment où elle sort de la voiture et où elle se dispute avec Russ, son ex-mari, est gênant. Ce n’est pas quelque chose à laquelle j’aime assister dans la vie et c’est aussi le cas dans cette série. John Ridley (qui a écrit et réalisé l’épisode) arrive donc parfaitement à transmettre ce réalisme émotionnel, non dans les actes des personnages, mais au contraire dans ce qu’ils ne font pas ou ne disent pas, d’où la présence continuelle de cette pudeur.
Les autres personnages, quant à eux, nous apparaissent comme tout sauf des personnages. En effet, ils ne correspondent pas réellement à la définition d'un personnage et on comprend pourquoi vers la fin de l’épisode. Au cours de ces quarante minutes, nous pouvons nous dire que c’est un pilot qui fait son boulot : il nous expose, nous montre et nous présente ses différents personnages, ses différentes familles. Mais ce n’est pas cela du tout. L’épisode en lui-même résout le meurtre, ce n’est donc pas un thriller (ce dont on pourrait éventuellement douter) mais bel et bien un drame. Cela explique aussi l’omniscience comme point de vue adopté, cette manière très lointaine de nous présenter les protagonistes. Il y a Hector, cet hispanique appartenant à un gang, il y a cette famille, hispanique elle aussi, composée d’un père, de son fils et de sa fille. Tony, le fils, est peut-être celui qui attise un peu notre compassion, mais parce qu’il est impliqué malgré lui. Et puis il y a le présumé coupable, ce jeune Noir en couple avec une Blanche, tous deux drogués. Tous ces personnages et ces histoires s’entrecroisent, et alors que l’on pourrait penser que l’on suivra leurs évolutions au long de cette saison, que la police ne fait pas grand chose comme le pense Barb, la fin nous contredit : nous serions presque cette police, à suivre les actes de ces trois/quatre personnages, tous impliqués de près ou de loin dans l’affaire Skokie.
Contrairement à ce qu’en pensent d’autres personnes, la série n’est pas clichée : elle prend appui sur des clichés pour justement montrer que ce ne sont pas toujours des clichés. Les crimes racistes existent réellement, autant que le racisme ordinaire, représenté par Barb, convaincue que son fils a été assassiné par un clandestin, un hispanique, un sans-papiers. Et pour ceux qui ont douté au cours de l’épisode, — ce qui est légitime — John Ridley nuance son propos, car la toute fin nous apprend que la victime trempait dans des affaires illégales, de drogues notamment. Et pourtant, il était Blanc, riche, heureux et semblait parfait. Le possible stéréotype du Blanc est donc écarté. Pour le reste, il s’agira de montrer comment l’affaire évolue, d’un point judiciaire surtout et de se concentrer sur la façon dont les familles vivent ce drame et ce procès. Cela ne veut pas dire que John Ridley prend parti. Au contraire, il prend les stéréotypes pour les détruire juste après et il est surtout engagé contre les meurtres, plus que contre des types de personnes.
Un projet ambitieux
Avec d’excellentes qualités et un fond intéressant, cette série se révèle être très ambitieuse. Il se passe énormément de choses durant ce pilot, qui résout à lui tout seul toute l’intrigue. Alors, ce n’est pas forcément plus mal qu’autre chose, mais il va falloir la tenir, la saison ! Et je ne peux qu’espérer que les scénaristes auront plein de choses à dire, parce que je suis assez confuse et je pense être en droit de l’être. L’intensité de l’épisode, nécessaire au vu du nombre d’événements couverts, se partage en même temps avec le calme et la pudeur dégagée par les personnages. L’ensemble est plutôt oppressant et parfois même agaçant, car on ne sait pas à qui nous devons nous attacher, comme si chacun des personnages allait de toute façon nous décevoir ou faire quelque chose de mauvais.
Cependant, malgré une certaine confusion, l’ambition reste bienvenue : la réalisation est très soignée et même bonne. Le montage était particulièrement travaillé avec des moments très fragmentés (cf. interrogatoire de Tony), et rend un ensemble précis, sans parasites : tout est utile. Certains plans sont très intéressants, et je pense notamment à beaucoup de dialogues où la caméra reste fixée sur la personne concernée sans que l’on voit celle qui lui parle (cf. échange entre Hector et le policier à l’hôpital).
Mention spéciale aux dernières minutes de l’épisode, très réussies et en toute sobriété.
Ce premier épisode de American Crime est donc extrêmement intriguant, autant pour ses failles que pour ses qualités. Le traitement des personnages est très inhabituel malgré un pilot d’apparence classique, ce qui me fait penser que la série jouera sans cesse sur les apparences. Dans tous les cas, ce pilot aura réussi à attiser ma curiosité, et c’est avec doute mais envie, que je serai à l’heure pour la suite.
Ce que j'ai aimé :
- La réalisation.
- Les acteurs.
- La pudeur.
Ce que je n'ai pas aimé :
- Trop d'événements couverts.
- Le doute quant au long terme.
Note : 14/20
PS : Sympa ABC, de faire la promo de Revenge pendant l’épisode !