Cet épisode en frustrera probablement certains – ceux qui découvrent l’univers du Trône de Fer, notamment – puisque la « grande intrigue » n’y avance quasiment pas. Mais il faut bien se rendre compte que la colonne vertébrale de Game of Thrones, c’est ses personnages. Leurs phases de doutes, leur évolution, la façon dont ils essaient de trouver leur place dans la société où ils se débattent, là est le cœur du récit.
Et c’est particulièrement frappant dans cet épisode-ci. Ygritte nous y donne à voir en effet notre premier aperçu de la culture de ces fameux sauvageons qui font trembler le royaume, qui s’avère paradoxalement être une société plus moderne dans ses valeurs que le monde médiéval des Sept Couronnes : chez les sauvageons, chacun est libre de faire comme il lui plait, les femmes sont les égales des hommes, et leur chef est élu…
En comparaison, hommes et femmes de Westeros sont étouffés par une pression sociale omniprésente…
Qui n'a jamais rêvé d'avoir un Jaime Lannister enchainé à son domicile ?
L’honneur des hommes
"Tellement de serments.
Ils vous font jurer et encore jurer. Défendre le roi, obéir au roi, obéir à votre père. Protéger les innocents, défendre les faibles.
Mais si votre père méprise le roi ? Et si le roi massacre des innocents ?
C'en est trop. Quoi que vous fassiez, vous renoncez à un vœu ou à un autre."
(Jaime Lannister)
Qui est cet homme sans honneur qui donne son titre à l’épisode ? Est-ce Jaime le chevalier assermenté qui assassina jadis son roi ? Theon qui trahit sa famille de coeur au profit de sa famille de sang ? Le Limier qui avoue prendre du plaisir quand il tue ?
Est-ce que Jon et Robb seront déshonorés à vie s’ils « craquent » et renient leurs serments en succombant à l’appel du désir ? Est-ce que le nom de Tywin Lannister sera déshonoré pour la postérité s’il perd cette guerre ?
L’honneur est au cœur de l’idéal viril de Westeros. Mais ce que nous démontre la série avec beaucoup d’habileté, c’est que cet idéal est souvent intenable et conduit à des situations absurdes, voire dramatiques (Ah, si seulement Ned Stark avait été un peu moins honorable et un peu plus pragmatique en saison 1 !).
Jaime Lannister –absolument génial dans cet épisode, et ce n’est qu’un début ! – Jaime, donc, l’a parfaitement compris. Aux yeux de Westeros, il est l’homme le moins honorable du royaume parce qu’il a tué le roi qu’il avait juré de protéger, et qu’il couche avec sa sœur. Et pourtant, comme il l’explique avec son cynisme habituel à Catelyn Stark, de son point de vue ces deux actes réputés infâmes sont parfaitement honorables : le roi qu’il a tué était un fou sanguinaire, et sa sœur est le seul et unique amour de sa vie.
Le Limier aussi l’a compris, à sa façon. Il n’essaie pas d’enrober la chevalerie de beaux idéaux nobles conformes aux contes qui ont bercé l’enfance de Sansa. Non, lui dit-il, il n’est pas un noble héros qui vient au secours des demoiselles en détresse. Il est un tueur, rien d’autre. Comme tous les chevaliers, mais en moins hypocrite.
Cette leçon, Jon finira-t-il par l’apprendre ? Le très droit et honorable bâtard de Lord Stark voit pour la première fois (ENFIN !!) ses convictions remises en cause dans cet épisode, par une Ygritte pleine de vie qui lui pointe du doigt les absurdités du serment de la Garde de Nuit, en le confrontant notamment à son désir et à sa frustration sexuelle. Est-ce que le combat contre les sauvageons est vraiment justifié ? Et son vœu de chasteté ? Je ne sais pas vous, mais j’ai hâte de voir Jon se déniaiser un peu et laisser un peu de côté le balais qui orne son postérieur...
Qui l'eut cru ? Il arrive à Cersei de pleurer...
Le devoir des femmes
"Permets-moi de partager avec toi quelques conseils de femmes en ce jour si spécial.
Plus on aime de gens, plus on est faible. On est obligé de faire des choses pour eux contre son gré. De jouer les imbéciles pour les rendre heureux, pour les protéger.
N'aime rien d'autre que tes enfants. Dans ce monde, les femmes n'ont pas d'autres choix."
(Cersei Lannister)
Game of Thrones décrit un monde dominé par les hommes, comme jadis en Europe, mais elle ne se contente pas de creuser les personnages masculins : elle nous parle aussi des femmes. Des femmes qui pour une fois ne sont ni là pour faire fantasmer le spectateur, ni pour jouer les potiches, ni les faire-valoirs. Des femmes complexes, dont le principal but dans la vie ne se résume pas à trouver l’âme sœur comme dans 99,99% des séries, mais plutôt à se faire une place dans un monde misogyne, où on attend d’elles qu’elles soient des filles obéissantes, des épouses aimantes, et/ou des mères dévouées, et rien d’autre.
A l’exception notable de Catelyn Stark, qui eut la chance d’épouser un homme bien qu’elle finit par aimer, aucune des héroïnes de Game of Thrones ne s’épanouit dans ce modèle. Bien au contraire.
Le modèle « bonne à marier » donne parfois à la longue des femmes névrosées. On se souvient avec effroi de Lysa, la sœur de Catelyn, en saison 1. Et il y a bien sûr et surtout le cas de Cersei, qui aurait aimé naitre homme. Même si elle arrive à obtenir du pouvoir à force d’intrigues, il reste limité par celui de son propre fils le roi, et de son frère la Main. Sa scène avec Sansa est très intéressante puisqu’elle s’apprête à faire subir à la jeune Stark le même destin qu’elle connut à son age ou presque : celui de devenir l’épouse d’un homme qu’elle hait, être condamnée à connaitre pour seul bonheur celui d'avoir des enfants. C’est pour moi en cela que Cersei est impardonnable : comment peut-on accepter de faire subir à quelqu’un les mêmes traumatismes qu’on a connu jadis ?
Mais la magnifique scène avec Tyrion vient tempérer ce portrait et la rendre humaine et émouvante. J’adore que la série ait pris le parti d’en faire une femme pleine de regrets et de doutes, infiniment plus riche et attachante que le personnage du livre.
Cette pauvre Sansa quant à elle a perdu ses illusions d’enfance lors de la tentative de viol de l’épisode précédent. Enfin, pas totalement : elle tente tout de même de raccrocher son sauvetage par le Limier à un idéal de preux chevalier blanc… L’apparition de ses règles (quelque peu tardive vu l’âge de l’actrice, mais bon on mettra ça sur le compte du stress de la vie à la cour) rend sa situation encore plus terrifiante… plus rien n’empêche désormais son mariage avec Joffrey.
Sansa est un personnage terrible mais passionnant, en ce qu’elle dénonce et ironise de façon très dure le lavage de cerveau qu’on fait subir aux petites filles en les élevant dans un monde rose bonbon où les princesses épousent leur prince charmant, sont heureuses et ont beaucoup d’enfants…
Complètement à l’opposé de ces dames de la cour, Arya et Brienne (et Yara Greyjoy, absente de l’épisode) nous montrent une autre voie : celle d'endosser costume et armes et de jouer directement dans la cour des hommes. Il était touchant d’entendre Arya confier à Tywin son admiration pour les sœurs d’Aegon le conquérant, ces guerrières terribles qui chevauchaient des dragons… Arya est un garçon manqué, mais c’est encore une enfant. Elle est maline et pragmatique, mais encore pleine de rêves, malgré les horreurs qu’elle côtoie.
Et pendant ce temps là, Ygritte la sauvageonne proclame bien haut son amour de la liberté, de pouvoir coucher avec qui elle veut et de pouvoir combattre si elle veut… le choc des cultures !
Chez les sauvageons aussi on emballe au coucher du soleil
Le mot de la fin
Vous aurez compris : j’ai adoré cet épisode, parce qu’il place l’humain au cœur du récit et que c’est ce qui me passionne dans Game of Thrones. Oh, je sais bien que l’épisode n’était pas parfait : le cliffhanger était particulièrement loupé, un vrai pétard mouillé auquel on ne croit pas une seule seconde. C’est d’autant plus étonnant que la série nous a habitué à des fins d’épisodes haletantes. Par ailleurs, on ne peut pas dire que du côté de Daenerys ça vole bien haut, et côté Jon c’est beau et intéressant, mais très (trop ?) lent.
Mais les dialogues sont bons, parfois brillants, et les personnages magnifiques. Autant la première saison était celle des Stark, autant cette deuxième saison apparait de plus en plus comme étant celle des Lannister. Tyrion, Cersei, Jaime et Tywin se taillent la part du lion (haha), ils ont presque toutes les meilleures répliques. Eux qu’on aimait haïr en saison 1 (hormis Tyrion, qui a toujours été bigger than life) se révèlent à la longue singulièrement charismatiques et attachants.
Enfin, j’adore les libertés prises par rapport au livre, qui me permettent de ne jamais être totalement en terrain connu et d’avoir l’impression de redécouvrir chaque semaine cette histoire. Vite, la suite !
Note : 16/20 (à cause du cliffhanger moisi)
J’ai aimé
- Jaime, cynique et flamboyant à souhait
- Arya et Tywin, un duo osé (absent du livre) mais qui fonctionne à 200 %
- Tyrion et Cersei, superbement mal à l’aise quand ils se retrouvent à partager un peu d’intimité
- Sansa et Limier, parce que !
- Ygritte la flamboyante
J’ai moins aimé
- Le cliffhanger moisi
- Daenerys qui me raaaaase
chabadabada, chabadabada...
Je tiens à remercier Koss et Anonyme qui ont indirectement nourri cette critique avec leurs avis.