Après deux premiers épisodes similaires, changement de décors pour ce troisième opus. Alors, la série est-elle toujours aussi prometteuse ?
"At least the wine was good."
Il est un peu tôt à mon goût pour ouvrir et conclure un épisode sur une bataille à l'enjeu certes politiquement crucial, mais diégétiquement peu surprenant : on se doute bien que Matt Smith ne part pas déjà de la série. Et comme c'est presque le seul personnage important qui combat, peu de doute face à sa survie - il esquive d'ailleurs beaucoup trop de flèches pour que sa plot armor ne se voit pas sur la fin...
C'est donc surtout en cela que j'ai trouvé cet épisode légèrement moins passionnant que les deux premiers. De plus, l'écriture de la bataille finale est un peu faible : on ne saisit pas bien pourquoi les forces en présence galéraient pendant des mois/années, s'il suffisait d'une petite ruse pour tout régler. En revanche, on voit à quel point Daemon joue toujours autant en trichant (après avoir plié les règles de la joute en épisode 1, et désobéit lourdemment à son roi en épisode 2, il bafoue ici le principe de drapeau blanc). J'aime toujours autant Daemon et son égo démesuré, qui prend l'aide de son frère comme une preuve de sa faiblesse et le pousse à se surpasser. Cela permet à Matt Smith d'être classe sans dire un mot de l'épisode, et l'hésitation dans son jeu, assez typique de l'acteur, sert bien l'ambiguité du personnage.
Ces séquences comportent donc malgré tout des points d'intérêt pour Daemon, et elles rendent l'épisode impressionnant en termes de budget et de cinématographie. Mais elles restent un peu longues, et masquent un milieu d'épisode qui représente pour le coup une majorité très intéressante et réussie.
"Even I do not exist above tradition and duty." - Viserys
Les ellipses sont vraiment osées dans cette série il faut croire, avec ici déjà le deuxième anniversaire d'un héritier légitime au trône qui vient tout bouleverser. La temporalité de la série est si bien gérée qu'on passe littéralement tout l'épisode à vouloir en apprendre plus sur les évolutions des dynamiques des personnages. Voir notamment comment Alicent et Rhaenyra se comportent désormais, est un petit crève-coeur.
Mais l'épisode est avant tout centré sur le roi Viserys et c'est vraiment fabuleux. Ça fait du bien d'avoir un dirigeant de Westeros légitimement bon et qui n'a simplement pas les épaules pour diriger. On sent constamment le personnage tiraillé entre ses obligations régaliennes et ses convictions personnelles. C'est un homme globalement honorable qui cherche à éviter le conflit et qui écoute tous les gens autour de lui, ce qui, bien sûr, le rend naïf et pas forcément assez fin pour défendre le royaume des fourberies qui sont en train d'éclore après une période de règne calme. Mais cela le rend aussi profondément attachant. Il continue de prendre des décisions qui sont, dans l'ensemble, mauvaises pour le royaume, puisqu'il n'écoute pas tous ses proches conseillers. Il choisit notamment de ne pas déshériter Rhaenyra, ce qui résoudrait tous les problèmes, mais mettrait un terme à sa relation avec sa fille, qu'il aime par-dessus tout et qui lui rappelle Aemma. Sauf que ces conseillers sont tous des pourris avec leurs propres intérêts (sauf Lyonel Strong, que je n'arrive pas à cerner), et il finit quand même par écouter certaines propositions (se remarier, aller aider son frère, etc.), ce qui reste une forme d'affirmation qui fait assez plaisir à voir.
"What is the power of a dragon... next to the power of prophecy." - Viserys
Du reste, il est évident qu'il n'a pas les épaules pour être roi, et c'est tout le but. C'est rappelé constamment depuis le début de la série : par son trône qui le coupe dans le pilote (il a perdu l'usage de son petit doigt suite à cela, on le voit ici ne pas pouvoir s'en servir avec la lance), par ses statuettes de dragon qu'il brise, ou par le symbole du cerf blanc ici, qui est une désillusion douloureuse à regarder. Le cerf blanc est, bien sûr, comme le spectateur, du côté de Rhaenyra, mais la chute semble inévitable : dès l'instant de la série où Viserys mourra (probablement de cause naturelle vu le statu quo pour l'instant assez présent pour le tenir hors de danger), le royaume sera sûrement plongé dans une guerre civile sans merci. Pour l'instant, le royaume ne tient que par la gloire passée des Targaryen qui s'effrite : il est aisé de comprendre qu'en aucune autre circonstance Viserys n'aurait pu tenir le royaume, et il est évident de voir qu'il a toutes les caractéristiques d'un "dernier roi avant que le royaume ne soit plus stable".
Au passage, je comprends de plus en plus pourquoi ils ont évoqué la prophétie de l'hiver dès le premier épisode, et à quel point c'était une belle idée pour être clair sur les intentions de Viserys. En effet, il ne tient pas le trône par plaisir, mais par devoir, ce qui le rend immédiatement sympathique. Et s'il se plie à la tradition familiale, il le fait avant tout par automatisme et pour la paix, en ayant toujours en tête l'avenir du monde qui le travaille énormément. Il rementionne ici la prophétie avec son fils, et à quel point son remarriage vient tout basculer. On comprend alors que ce n'est pas son désir de produire un héritier, mais bien sa pseudo-vision/folie, qui l'a poussé à vouloir un fils, jusqu'à pousser la femme qu'il aimait au bout de ses limites et in fine vers la mort. Il se sentait visiblement débarrassé de ce fardeau avec la satisfaction d'un échec assumé, mais son remarriage vient anéantir toute la paix qu'il avait fait avec lui-même et le replonge dans sa culpabilité. C'est vraiment très intéressant de voir toutes les motivations de ce personnage, à la fois celle que seul lui et le spectateur connait (la vision), mais aussi celles dictées par la tradition et sa famille. Ainsi que bien sûr, celles soufflées à l'oreille par les familles amies et concurrentes...
En attendant, ces premiers épisodes explorent vraiment le point de vue d'un homme de pouvoir bon et honnête dans un monde qui ne l'est pas, et ce n'est pas sans rappeler le pitch initial de Game of Thrones. J'irais même plus loin en disant que le règne de Viserys semble être un "what if Ned Stark avait pu être au pouvoir". Trop bon, Ned n'avait pas voulu jouer le jeu à fond, et Viserys y rechigne beaucoup : heureusement pour Viserys, la période passée depuis Aegon est très courte et constituée d'une dynastie Targaryen pure, ce qui l'a placé au pouvoir sans encombre, sinon il n'aurait pas tenu deux minutes. Et c'est bien parce que le monde du début de la série Game of Thrones partait avec des rivalités familiales beaucoup plus vieilles et plus complexes, que Ned n'a pas fait longue route, alors qu'un homme inadapté au pouvoir comme Viserys se retrouve à régner ici.
Sans avoir la fermeté de Ned ou ce sens de l'honneur démesuré, on retrouve la dimension tragique d'un personnage trop torturé pour une certaine cause personnelle, et trop pur pour le monde qui l'entoure. Je suis fan de ce personnage et de Paddy Considine qui l'incarne à la perfection, dans toute sa fragilité, sa colère et sa bienveillance.
"I may be the Princess of Dragonstone, but I am toothless." - Rhaenyra
Rhaenyra aussi a une trajectoire de plus en plus tragique au fur et à mesure des épisodes et est toujours au top dans celui-ci. J'ai particulièrement apprécié ses scènes avec son chevalier, le passage avec le sanglier notamment, qui démarre par un sublime plan de caméra qui s'enfonce dans la noirceur des bois. Franchement, ce plan, en termes de suspens et de timing, écrase tout ce qu'a produit le cinéma d'épouvante ces dernières années. Bref, cette séquence sanglier et toute la chasse n'est pas sans rappeler à nouveau la première saison de Game of Thrones, où Robert Baratheon se bourrait aussi au vin, et finissait tué par un sanglier.
La série joue avec le spectateur averti, mais Rhaenyra prend tout de même le dessus sans surprise, et se permet ainsi de revenir couverte de sang auprès d'une cour qui la juge encore plus fortement qu'avant, dans une séquence assez jouissive. Les répliques cinglantes du personnage auprès des vieilles mégères de la cour, et sa relation avec Criston Cole sont également de très bons points de l'épisode, qui rappellent qu'elle est pour l'instant spectatrice, détestée par presque tous pour sa simple existance en tant que future reine et en tant que femme.
J'ai hâte de voir l'évolution de Rhaenyra, même si je suis toujours triste à l'idée de devoir compter mes jours avec Milly Alcock tant elle incarne à la perfection le personnage.
"The road ahead is uncertain, but the end is clear." - Otto Hightower
Même si le rythme est moins dense et que la politique est en retrait puisqu'on quitte King's Landing, l'épisode reste une petite bouffée d'air frais qui met à plat le conflit et permet de faire ressortir les personnages. George R. R. Martin était frustré que le budget et l'écriture de la saison 1 de Game of Thrones ne permette pas de mettre en scène une vraie chasse royale, et ici il peut enfin se venger pour mon plus grand plaisir.
Au milieu de toutes les courbettes de la cour, je suis aussi particulièrement fan de voir comment Alicent, qui n'a pas forcément une place aisée, réagit tout au long de l'épisode. Jusqu'à la fin, on ne savait toujours pas trop si elle se sentait forcée ou chanceuse, et la réalité est un entre-deux complexe à appréhender, tout comme son mariage avec le roi.
Il faut attendre la fin de l'épisode pour avoir un premier vrai dialogue entre elle et son mari, et on voit clairement qu'elle essaye de créer du lien sans pour autant renier Rhaenyra, qui reste sa principale honte face à tout ça et qu'elle considère sans doute toujours comme son amie d'enfance. Le fait est qu'elle la connaît encore mieux que quiconque et elle le prouve quand elle explique le raisonnement de celle-ci face au mariage à la fin, ce qui aide Viserys à ouvrir les yeux. Le dialogue avec le roi aboutit pourtant à un non-lieu en termes de sentiments, et dévie au final sur de la politique militaire : Alicent est sans doute la raison pour laquelle Viserys accepte d'aider Daemon, et prouve donc sur deux points que c'est elle qui a le plus d'influence sur le roi.
La réalisation de leur échange est d'ailleurs sensationnelle. C'est juste une scène de dialogue au coin du feu, mais Alicent et Viserys sont placés du même côté de l'écran, à droite, ce qui casse l'effet "champ contre-champ" habituel d'un dialogue : Alicent semble ainsi vouloir se rapprocher à tout prix de Viserys, qui la regarde toujours, mais semble se tenir au plus loin possible d'elle. Progressivement elle s'éloigne de ses intentions initiales en re-parlant de façon plus ouverte et familière, passant de "Your Grace" à "Husband" pour finir par un "Viserys".
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Second of His Name de House of the Dragon n'est pas un épisode parfait à cause de quelques déséquilibres de rythme, mais entre la cinématographie spectaculaire, la réalisation ultra réfléchie et variée, les dialogues très travaillés alternant punchlines et sous-entendus, et un casting principal excellent : par tous les côtés c'est juste riche, avec un niveau de détails rare. Même en termes de décors/accessoires et de costumes, ça fourmille d'anecdotes pleines de sens : j'apprécie par exemple beaucoup toutes les références aux futures familles importantes de Westeros, et j'aime bien le fait que le Crabfeeder ait un masque ressemblant à ceux des Fils de la Harpie qui règnent dans les cités libres 150 ans plus tard. Le souci du symbole dans la série est clairement là, et elle insiste même parfois lourdement dessus (typiquement avec le cerf blanc dans l'épisode).
Tout ça me donne déjà furieusement envie de revoir toute la saison une fois qu'elle sera terminée, car si on se base uniquement sur les trois premiers épisodes, rien n'est laissé au hasard et les foreshadowing doivent également pulluler sans qu'on ne les remarque tous...
En résumé, un troisième épisode qui joue un peu trop vite la carte "grande bataille" pour faire appel aux nostalgiques de la série-mère, mais qui continue de dépeindre un univers familial riche et fascinant, avec une réalisation vraiment à couper le souffle, même (et surtout) dans les moments les plus anodins.
J'ai aimé :
- Un Roi fascinant en personnage phare complexe
- Team Rhaenyra à fond !!!
- Daemon toujours aussi fourbe
- Des acteurs principaux qui excèlent dans leurs registres respectifs
- La réalisation sublime dans des registres pourtant inattendus
- Une vraie cohérence thématique avec les autres épisodes de la saison et avec la série-mère
- Les symboles et le souci du détail
- Un épisode sans politique pourtant bourré d'intrigue et de développement
Je n'ai pas aimé :
- L'affrontement aux Stepstones moins bien écrit, avec peu de suspens
Ma note : 15/20