C'était en quelle année, ça ? Tu as beau fouiller dans tes souvenirs, tu ne t'en rappelles plus. Il y avait le blond là. Ils les faisaient rire. Ça, tu t'en souviens. C'était n'importe quoi, mais c'était la grande époque de la fiction télévisuelle.
Maintenant, lorsque tu expliques ça à tes petits enfants, forcément, ils se marrent. Être contraint par une entreprise privée de regarder une suite de programmes choisis au préalable et entrecoupés de pubs, même à toi, ça te semble absurde. Aujourd’hui, la fragmentation des programmes a atteint son apogée et tout le monde décide de ce qu'il veut regarder. C'est le règne de l'utra-niche comme ils disent.
C'est marrant que tu ne t'en souviennes plus. Tu l'aimais bien ce show. Après, ils en ont fait beaucoup moins des comme ça. Il te semble qu'il y a eu une série dérivée après, mais tu n'en gardes aucun souvenir. Ou plutôt, tu as fait le choix de n'en garder aucun souvenir. C'est ça qui est pratique dans le monde d'aujourd'hui : le stockage virtuel. Fini les longues conversations pour savoir si Sarah Jessica Parker apparaît ou non dans Footloose. Fini les débats interminables sur qui fut le premier ministre entre 2012 et 2014. Maintenant, chaque question a sa réponse : elle se trouve dans la puce qui est implantée dans ton avant-bras. Voilà, il suffit juste de l'effleurer. Comme ça. Transhumanisme qu'ils disent... Toi, tu trouves ça quand même bien pratique. Et soudain, tout te revint.
SUIT UP/LEGENDARY/THE BRO CODE/THE PLAYBOOK/HAVE YOU MET TED/
Le choc est à chaque fois le même. Tu es sûr de ne jamais t'y habituer. L'effet Matrix qu'ils disent, du nom de ce vieux film. Tu fouilles dans tes données encodées et l'épisode se reconstruit peu à peu dans ta mémoire réel. Ah ah, les rires enregistrés. Ça aussi, tu l'avais oublié.
La saison 9 avait été pénible. Surtout vers la fin. C'était marrant cette habitude des producteurs de tirer sur la corde une série / un film qui avait eu un succès. Enfin à l'époque, tu trouvais ça marrant. Depuis, ça c'est empiré... Tu repenses en frissonnant à ce reboot de « Retour Vers le Futur ». La série avait quand même eu de beaux moments. Il y avait dans ce show une propension unique à brouiller les pistes en jouant sur l'échelle du temps. Aujourd'hui, ça ferait rire tout le monde, mais sur ce point la série avait su préserver son charme et...
CARTER BAY/CRAIG THOMAS/
Ils étaient sympa eux. Toujours en interview à rire. A sourire. Assez proches de leurs fans. Les premières saisons étaient directement inspirées de leurs propres vies. Bizarrement, lorsque la série était sortie de cette ornière, la chute avait lentement commencé. Sans doute en saison 4.
STELLA/THE FRONT PORCH/THE LEAP/
Oui, c'était bien en saison 4. Ce qui est marrant, c'est que tu avais toujours cru au rebond. Tu te revois l'expliquant à tes amis dans un bar de l'ancienne Place de la Bastille. La saison 7 avait failli te donner raison et puis c'était parti en sucette. Jusqu'à ces deux derniers épisodes.
YOUR AUNT ROBIN/YOUR MOTHER/
Robin. Effectivement, tu l'avais oublié. Pendant neuf ans, les deux showrunners n'avaient cessé de pointer l'évidence : Robin est la femme parfaite. Et rien de ça n'avait changé. Même après le « And that's how i met you're aunt Robin » à la fin du pilot. Même après la rupture avec Ted. Même après le mariage avec Barney et cette scène dit « du ballon ». C'était comme un running-gag. En pas drôle. Robin. En fait, elle était au centre de tout. C'est elle qui démarrait le pilot. C'est elle qui avait eu les meilleures scènes avec Ted. C'est elle que les fans aimaient. Toi, tu avais toujours préféré Victoria. Pas celle des dernières saisons, coup de poignard ultime dans ton cœur de fan. Non. Celle de la saison 2 et de cet épisode parfait.
DUM ROLL PLEASE/
C'est toujours ce qui t'avais plu avec ce show. Son côté romantique. Tu avais même inventé un mot pour ça : rom-sitcom. Tu conspuais en silence ceux qui regardaient le show pour les blagues. A vrai dire même dans ses meilleurs moments, la série n'avait jamais été hilarante. C'est la finesse de l'écriture des personnages et des situations qui avaient emporté ton adhésion. Ce groupe d'amis assis en demi cercle autour du MacLaren's t'accueillait tous les mardis au sein de leur groupe. Tout pile à l'endroit du quatrième mur.
LAST FOREVER PART 1/
Sur ce point, les deux épisodes avait été une réussite. Quoi de mieux, en effet, pour célébrer la fin de la série que de faire exploser le groupe d'amis ? L'espoir était monté en toi lors de l'avant dernier épisode. Cela promettait une fin doux-amer comme la série avait tellement bien su le faire. Et si, au fond, cette série était celle de la fin d'une amitié ? La relation Ted-Barney-Robin t'avait toujours semblé toxique. Les showrunners l'avait même admis par la bouche de Victoria. Robin partie, cela permettait au groupe de grandir : Ted rencontrait l'amour et Barney devenait père. « How i met your mother » devenait « How i knew Robin » et c'était très bien comme ça.
LAST FOREVER PART 2/
Impossible de remettre la main sur tes sentiments à l'issue de cet épisode. La technologie ne permettait pas ça. Pour 2080 disaient-ils. Il fallait donc que tu le revois. Alors, tu t'es assis et a enclenché la visionneuse interne.
22 minutes après, tu avais compris.
L'épisode était bon. Logique suite du premier, ce final enchaînait les bons moments : Barney devenant père, la scène excellente de la rencontre entre Ted et la mère, la découverte du prénom de la mère, celle-ci en robe de mariée, … Tout très bien géré jusqu’au : « And that kids, how i met your mother » de Ted.
C'est marrant comme la série avait toujours su bien gérer ces fins d'épisodes. Même un épisode très moyen était souvent rattrapé par le col par 4-5 dernières minutes de feu qui sauvaient l'ensemble. Ce final faisait exactement l'inverse. Trois minutes montre en main qui détruisaient neuf ans d'histoire. Peu importe au fond que Ted finissait avec Robin, ce qui était désastreux, c'est que ce choix réduisait au silence le rôle de la mère. Le seul but de son mariage est d'ailleurs de faire revenir Robin au sein du groupe. Comme si tout le voyage n'avait servi à rien et que seul importait Robin. Carter Bays et Craig Thomas nous expliquaient calmement que c'était ça le seul rôle de Tracy : faire grandir Ted et Robin pour qu'ils se remettent ensemble.
Le pire c'est que aussi raté que fut cette fin, elle aurait pu au moins être traité en douceur. Traiter la maladie, puis la mort de la mère aurait pu être une excellente idée. Ici, on la voit 30 secondes à l’hôpital et elle sort du champ. Pas de deuil. Pas d'attachement. Pas d'émotions.
Et c'était ça qui en 2014 t'avait mis hors de toi. La série se trahissait elle-même : elle refusait l'émotion pour aller vers la facilité et faire plaisir aux fans. En proposant une vision flippante de l'amour (Ted et Tracy aiment les mêmes choses et ont un caractère très similaire), le 200ème épisode avait déjà pas mal entamé le crédit de la série. Cette fois-ci, c'était la dernière peltée de terre sur son cadavre.
Craig Thomas et Carter Bays ont tenu le plan jusqu'au bout : la mère n'était qu'une passade et Ted et Robin finissaient ensemble. Ce plan avait dû être décidé vers la fin de la saison deux lorsqu'ils ont tourné la scène supplémentaire des enfants qui se trouve dans cet épisode. Ce que les deux showrunners n'avaient pas prévu par contre, c'est que la série dure aussi longtemps et que CBS leur donne une neuvième saison. Avec du recul, il était pratiquement sûr que le personnage de la mère n'était pas prévu pour apparaître aussi longtemps. La saison 8 et l'apparition du visage de la mère auraient dû clore la série. Le problème pour Bays et Thomas, c'est que Miloti s'est avérée être excellente et que les fans ont commencé à regretter à ne pas l'avoir vu assez.
Le pire dans tout ça, c'est que ce temps, ils l'avaient eu. Ce dernier épisode accélérait à toute vitesse la relation entre Ted et Tracy, comme pour pousser le spectateur à se détacher d'elle, alors que tant de choses restaient à faire. Mais, peut-être après tout que les scénaristes avaient pensé que consacrer plus de temps au covoiturage de Marshall était plus important que de donner du temps d'antenne à la mère ?
Tu éteignis la visionneuse. Tu savais maintenant pourquoi tu ne t'en rappelais plus : tu l'avais volontairement oublié. Rarement un attachement à un objet culturel ne t'avait autant déçu. Même Star Wars 7 ne t'avait pas fait pareil effet.
Tu soupiras. Tes petits enfants jouaient dans la pièce d'à côté et la nuit allait tomber.
Il n'était pas encore trop tard. Pour tout oublier.
Il suffisait juste d'un clic.
C'était en quelle année déjà, ça ?