Critique : Luther 3.01

Le 14 juillet 2013 à 23:54  |  ~ 8 minutes de lecture
Luther reprend du service pour une troisième saison sombre et bien saignante. Âmes sensibles s’abstenir !
Par Hopper

Critique : Luther 3.01

~ 8 minutes de lecture
Luther reprend du service pour une troisième saison sombre et bien saignante. Âmes sensibles s’abstenir !
Par Hopper

Prenez Sherlock Holmes, ôtez-lui son esprit de déduction et son obsession du détail. Infligez-lui des maux intérieurs qui le rongeront indéfiniment puis mettez à ses côtés une meurtrière manipulatrice et surdouée. Balancez la « faune qui sort la nuit », les « putes, chattes en chaleur, enculés, folles, pédés, pourvoyeurs, camés, le vice et le fric » comme l’entendait Travis Bickle dans Taxi Driver. Laissez remuer l’ensemble et accordez ces deux tempéraments que tout oppose en les piégeant dans la noirceur poisseuse d'un Londres décadent. Et vous obtiendrez Luther, une série policière à la sauce british comme seuls les Anglais savent en faire.


 A en croire Neil Cross et ses sbires, si Luther s’est fait autant attendre, c’est pour la bonne cause. Ces derniers nous promettent « quatre épisodes parfaitement sombres à vous glacer le sang. » Des promesses qui ont été entendues par les fans : ce mardi 2 juillet, le retour du massif Idris Elba a été suivi par 5 millions de fidèles. Cette troisième saison poursuit dans la droite ligne des premières et compte bien nous faire replonger dans la psyché humaine, tout en étoffant son univers.

 

Affiche officielle de la troisième saison de Luther.

 

Domine Dirige Nos

 

C’est sous les notes lancinantes de Paradise Circus, de Massive Attack, que Luther reprend du poil de la bête. Pour deux enquêtes à la fois : la première concerne le meurtre d’une certaine Emily Hammond, retrouvée maquillée et déguisée par un fétichiste dans son appartement, un meurtre lié à une affaire vieille d’une trentaine d’années ; la seconda s’intéresse à l’assassinat d’un troll (oui, vous avez bien lu), Jared Cass. Là où ça se complique c'est que cette dernière affaire n’est qu’un guet-apens pour Luther, qui se retrouve encore une fois dans l’œil du cyclone. Si bien que le grand John, désormais mis sur écoute, doit mettre en sourdine ses habituels écarts juridiques et son impulsivité. Ou pas, car John a bien du mal à ne pas secouer les suspects, notamment au dessus du vide.

Trois arcs narratifs mènent ainsi leur bonhomme de chemin dans cet épisode, sans omettre la romance entre Luther et Mary Day. Une histoire qui devrait faire des jalouses. Alice, tu m’entends ? Tu ne devrais pas tarder à réapparaître...

 

Au début de l'épisode, Luther sort avec un suspect d'un entrepôt en flammes.

 

Luther conserve donc cette atmosphère pesante, et s'enfonce encore plus radicalement dans le registre tragico-horrifique qui faisait son charme, tragique d’abord puisqu’à l’image du canon shakespearien, le show nous présente des destins que l’histoire écrase. Des Hamlet, des Macbeth modernes, psychopathes dérangés, qui commettent la faute tragique (par définition, un trait de personnalité qui conduit à la chute du protagoniste) : ici, l’obsession, la jalousie, la colère ou l’indécision. En effet, ces âmes errantes semblent chercher, contre la violence du plus fort, des raisons de ne pas abdiquer toute qualité humaine. Comment, dans l’abjection extrême, ne pas devenir abject ? Alors que l’absolu théologique n’est d’aucun secours, l’homme est seul, il doit réinventer son humanité. D’ailleurs, ce constat justifie ou du moins atteste la cruauté de l’œuvre qui n’hésite pas à se doter de scènes dérangeantes qui recourent aux ficelles de l’épouvante, de l’horreur viscérale. Que penser de la fameuse scène du mixeur, certes suggestive, mais insoutenable ainsi que celle de la dégustation des crevettes ou encore des apparitions du tueur proches des slashers ?

On est loin du whodunit, l’intérêt de la série tient plus de la confrontation et, étant donné que souvent le meurtrier opère sans véritable mobile, son identité est dévoilée dès le début, un peu à la manière de Columbo.

Ce sont d'autres questions qui sont au cœur de la série : Jusqu’où peut aller l’escapade de la violence ? Jusqu’où Luther peut-il aller pour confondre le meurtrier ? Jusqu’à quel stade pouvons-nous en tant que spectateurs adhérer à cette brutalité  ? Luther entretient chez ses admirateurs un plaisir sadique, presque coupable. Mais certains abandonnent, comme ce spectateur, qui se revendique pourtant comme fan : « Luther ? J’adore, c’est génial, mais c’est trop réaliste et trop glauque, alors je n’ai pas pu aller au-delà de la saison 1. »

Glauque, c’est le mot. La photographie et la réalisation soutiennent ce parti pris et Londres ne se montre pas sous son meilleur jour. Témoin froid, implacable, la capitale anglaise est baignée de couleurs pâles, froides, ternes, sujettes à un traitement sans blanchiment. (Cette technique directement issue du cinéma consiste à blanchir les zones claires de l’image pour augmenter artificiellement le contraste ; David Fincher l’utilise notamment dans ses films). Les plans sont souvent serrés, accentuant le sentiment d'oppression.

 

L'agent Martin Schenk au bord du désespoir.

 

Veni, vidi, vici

 

Des intrigues travaillées, des personnages tourmentés campés par une distribution solide, une esthétique léchée, tous les ingrédients semblent répondre présents. Alors, qu'espérer pour la suite ?

Le retour d’Alice. Je vais me répéter, LA grande réussite de Luther était son ennemie intime, Alice Morgan. Son absence dans la saison 2 a ravalé la série, selon moi, au rang de cop show bien exécuté, sombre à souhait, mais fichtrement classique. À la fois adjudante, antagoniste forte et confidente, la dame prenait de faux airs d’Hannibal Lecter, période Le Silence des agneaux, capable d’attirer notre sympathie ou notre antipathie en un quart de seconde. Une prouesse dont peu d’acteurs peuvent s’enorgueillir.

 

Alice, le point fort de la série Luther.

 

Autre remarque, le rythme de l’épisode. Celui de la saison initiale, assez lent, avait au moins le mérite de permettre au spectateur de mesurer tous les enjeux. Dans ce premier épisode, les scénaristes adoptent la même écriture qu'en seconde saison : on a l’impression d’une narration moins posée, en dents de scie, sans doute en raison du format raccourci en quatre épisodes.

Par contre, l’évolution de la relation entre Luther et son coéquipier, l’agent Ripley, ne laisse augurer que du bon, enfin d’un point de vue dramatique. Les dés sont jetés. Mais on reste perplexes quant aux motivations réelles de Luther quand ce dernier contacte Barnaby et le prévient implicitement. Cette scène minimaliste, d’une banalité presque excessive, fait froid dans le dos. Mention spéciale à la baston entre Justin et John Luther, qui matérialise le climax du conflit. « Il y avait du sang au plafond » restera à jamais gravée dans les annales des répliques cultes.

 

Ken Barnaby et John Luther en pleine discussion.

 

Bilan : tous les personnages semblent désespérés, du tueur fou jusqu’au superintendant Martin Schenk, qui semble au bord du gouffre, comme s'il portait sur ses épaules le poids du monde. Chaque intervenant a une faille, un manque : quelle déception professionnelle fait d’Erin Gray et de son toutou George Stark d’aussi redoutables adversaires ? Le doute s’insinue partout. Il ne reste plus qu’à attendre la suite pour voir quelles méandres suivra Luther. Le compte à rebours est déclenché…


J’ai aimé :

  • un season premiere solide qui renoue avec la noirceur des débuts 
  • des personnages tragiques, tourmentés, à la psychologie travaillée 
  • l’arc narratif sur la mise sous surveillance de Luther et les complications inhérentes 
  • la scène du mixeur, génialissime et pourtant malsaine 
  • la relation entre Ripley et Luther, plus nuancée et plus conflictuelle

 

Je n’ai pas aimé :

  • quelques moments plutôt lents et peu crédibles comme cette femme qui au lieu de s’échapper se réfugie dans le placard 
  • l’absence d’Alice 
  • le format en quatre épisodes qui impose aux scénaristes d’élimer le matériau narratif

 

Ma note : 16 sur 20.

L'auteur

Commentaires

Avatar CaptainFreeFrag
CaptainFreeFrag
Excellente critique, c'est très bien vu pour les références à la tragédie (oh, que j'aime la tragédie !) et l'analyse du personnage d'Alice notamment (la comparaison avec Hannibal Lecter est très pertinente). Ca laisse présager du meilleur pour la suite en tout cas !

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