Critique : Mr. Robot 3.02

Le 01 novembre 2017 à 09:31  |  ~ 10 minutes de lecture
Deux thématiques centrales parcourent l’ensemble de la série : contrôle et illusion. Bien souvent, ces thématiques sont croisées. Ce deuxième épisode n’échappe pas à la règle.

Critique : Mr. Robot 3.02

~ 10 minutes de lecture
Deux thématiques centrales parcourent l’ensemble de la série : contrôle et illusion. Bien souvent, ces thématiques sont croisées. Ce deuxième épisode n’échappe pas à la règle.
Par PuckyPotts

On retrouve encore une fois cette semaine Sam Esmail derrière la caméra. Un délicieux rendez-vous tant le bonhomme nous fait découvrir de nouvelles couleurs de sa palette à chaque épisode. Nous étions prévenus, cette saison est un retour aux sources, aux recettes noires de la première saison après les expériences de la deuxième saison, qui nourrissent la narration de cette troisième.

 

 

Elliot aux commandes

 

Une nouvelle sensation… qui fait écho à la première saison. Le réalisateur nous habitue à un usage signifiant de la forme cinématographique. Et l’épisode débute fort sur un hip-hop montage, un gimmick qu’on retrouve particulièrement dans le cinéma de Darren Aronofsky, Requiem for a Dream en étant un très bon exemple. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette scène fonctionne. La musique, New Sensation – un choix du monteur Justin Krohn de INXS – fonctionne parfaitement. Les moments de pause amènent parfaitement les interactions d’Elliot avec le management.

 

Elliot en poste à Evil Corp.

 

Cette forme de montage souligne le côté faux de ce qui est montré à l’écran. Le rythme entraînant symbolise l’enfermement du personnage. Les médicaments, la "vie normale" et l’entrisme à Evil Corp étant autant d’illusions dont Elliot s’entoure. La solitude est toujours présente. Pourtant… Elliot fait tout pour essayer de s’intégrer. De sa manière de s’habiller au visionnage de Dancing with the Stars. Les médicaments ou une vie sociale ne sont peut-être tout simplement pas faits pour lui. Ou serait-ce Mr. Robot qui lui manque cruellement ? C’est ce que laisse entendre cette affiche que l’on voit dans le train pour un film que l’on aimerait bien voir, "Separation Anxiety", avec Will Ferrel et Judi Dench. La maladie d’Elliot est loin d’être guérie, même s’il pense tenir éloigné Mr. Robot pour le moment.

Mince. On n'a pas vu Elliot aussi prolifique depuis longtemps, et c’est une grande épreuve pour lui. Dans cet épisode, plusieurs fois, ses yeux appellent à l’aide. Le quatrième mur est très fragile dans cette série. Que ce soit avec tous les artefacts qui existent dans notre réalité et qui participent à la narration (sites Internet, e-coins, etc.) ou les moments où Elliot interagit directement avec les spectateurs. On sait qu’il s’adresse à nous. Mais notre relation est asymétrique. S’il est capable de s’adresser à nous, nous sommes bien incapables de lui répondre. On en prend particulièrement conscience lors de cet épisode.

 

 

Réformisme et révolution

 

Cet épisode de Mr. Robot touche un sujet forcément très sensible parmi de nombreux militants. Réformisme ou révolution. Je ne vais pas rentrer dans les détails politiques, déjà parce qu’il faudrait consacrer plusieurs articles à cette seule question, et parce que je risquerais de tracer des traits grossiers. Je ne peux en revanche que vous conseiller l’excellent film documentaire Ni Dieu ni Maître - Une histoire de l’anarchisme de Tancrède Ramonet. Jusqu’à maintenant, l’action politique de Mr. Robot et de F. Society pouvait être associée à la propagande par le fait.

 

Elliot et la solitude.

 

Mais la critique dessinée par les auteurs est très intelligente et nuancée : ne pas s’arrêter de répéter que le hack du 5/9 était une terrible erreur. Elliot cherche notre approbation et à se convaincre lui-même. Je suis très biaisé sur ces questions, mais je perçois le message des auteurs de cette façon : lorsqu'Elliot essaie de nous persuader qu’il n’a pas changé, qu’il a juste grandi, cette assertion sonne vraiment faux. Les constants rappels à son enfance dans cet épisode sont autant d’indices. Price, et surtout Whiterose, semblent avoir des kilomètres d’avance. Les auteurs montrent que cette distinction entre réformisme et révolution n’est pas simple et est très floue.

Aujourd’hui, il n’y a plus grand monde pour défendre la propagande par le fait, et c’est rassurant. Je ne crois pas que la violence, au sens large, doit être légitimée. Ce que la série a cherché à développer auparavant, c’est que la violence n’est pas toujours là où elle est désignée spontanément. En sociologie, Max Weber a montré dans Le Savant et le politique que l’État et les agents qui s’y lient détenaient le monopole de la violence légitime. C’est en ce sens que les anarchistes souhaitent la disparation du vecteur de cette violence, c’est-à-dire l’État. Cette violence légitime dans la série est symbolisée par Evil Corp, d’où les actions entreprises par F. Society.

 

 

Contrôle… en façade

 

Parfois, la perte de contrôle, le spectateur se la prend aussi en pleine figure. Johanna semblait maîtriser totalement la situation. Elle avait réussit à innocenter son mari Tyrell du meurtre de Sharon Knowles, en piégeant au passage le mari de la défunte, Scott Knowles, grâce au barman qu’elle avait séduit, Derek. Même barman qu’elle pensait être une variable sous contrôle et qui la suit en voiture. Et dès lors que Mr. Sutherland retourne à la voiture après une tentative d'intimidation et que le montage se suspend pour laisser place à un plan séquence parfaitement maîtrisé, on comprend son erreur. La lenteur de la scène amplifie la tension. Le coup de feu fatal pour la danoise laisse place à Listen To Your Heart de Roxette, un autre choix du monteur. Le décalage de ton de cette scène renforce le choc ressenti. La musique se coupe sur l’ouverture du crâne de Johanna, finissant à tout jamais de déconstruire son image de manipulatrice totale.

 

Johanna dans un talk-show.

 

Difficile de parler d’illusion de contrôle pour les autres personnages après Johanna. Mais la situation devient compliquée pour Darlene. Les soupçons des épisodes précédents sont maintenant complètement confirmés. Elle coopère pleinement avec le FBI. Le problème, c’est qu’Elliot et/ou Mr. Robot s’en aperçoivent. Comme pour Johanna, Darlene a le droit à deux scènes dans cet épisode. Dans la première, elle est montrée maîtrisant la situation. Elle semble pourtant se rapprocher de nouveau de son frère, partageant la désormais célèbre histoire de Kevin McCallister, le bonhomme de neige. Mais Elliot et/ou Mr. Robot comprennent qu’elle essaie de les piéger.

Les scènes avec le FBI suivent le même schéma. D’abord sereins, que ce soit pour manipuler Darlene ou pendant l’autopsie de Johanna, la dernière scène balaye le voile de leur illusion. Elliot et/ou Mr. Robot ont découvert le pot aux roses. Symbole de leur insouciance, la blague de l’agent lorsqu'il joue One Week de Barenaked Ladies, véritable référence méta à l’équipe de la série. Elliot aurait envoyé un mail à Tyrell. Bon, cette scène est riche en easter eggs. Déjà, les pseudonymes utilisés pour les adresses mails sont une référence au film Hackers de Iain Softley. Elliot a utilisé le logiciel de messagerie Thunderbird avec l'extension EnigMail qui permet de chiffrer facilement ses mails. Au passage, jamais un agent du FBI n'aurait ouvert un lien dans un environnement non contrôlé… mais je suppose qu’il faut bien faire avancer l’intrigue aussi. Ce lien existe dans la réalité : on y trouve en jouant un peu avec les données disponibles un autre lien vers cet exploit, l’exploit utilisé pour "hacker" l’écran d’Elliot. L’attention de cette série pour les détails est tout simplement affolante. Bref, je diverge. Le fait est que le FBI n’est pas autant maître de la situation qu’il le pensait. Il y aurait encore une autre construction similaire à évoquer, celle de Price, mais cette critique est déjà beaucoup trop longue.

 

L’épisode surprend par la finesse de ses approches. J’espérais une saison de la maturité. Tant du point de vue de la forme que du fond, Sam Esmail et son équipe sont peut-être bien les seuls à avoir le contrôle total. S’ils prennent plaisir à prendre le contre-pied des saisons précédentes, cela est fait tout en nuances. La saison précédente l’avait montré, la série sait se renouveler. Qui pour prédire la suite de la série ? Le contrôle est une illusion...

 

J’ai aimé :

 

  • Les constructions en miroir des illusions de contrôle des personnages
  • Les dix premières minutes sont une franche réussite

 

Je n’ai pas aimé :

 

 

Ma note : 16/20.

 

 

Le coin du techos :


  • Il y a un vrai reddit caché dans l’épisode, bien drôle à parcourir.
  • On peut également retrouver la trace d’un autre reddit évoquant tout un tas de théories dans le monde de la série.
  • Pour réaliser son premier hack, Elliot utilise un vrai outil d'ingénierie sociale, Social Engineering Tool (SET).
  • Elliot utilise IDA Pro, certainement le désassembleur, un logiciel qui permet de traduire le "langage machine" en "langage assembleur", le plus usité.
  • Elliot utilise également the Rootkit Hunter pour rechercher des logiciels espions sur son ordinateur.
  • Il utilise d’ailleurs la très populaire distribution Linux Mint. L’attention aux détails est impressionnante, c’est bien une version de 2015 qu’Elliot utilise dans l’épisode.

L'auteur

Commentaires

Avatar Philocratie
Philocratie
Il cite Weber dans son article, le fou :D Sinon, j'aime ton sens du détail et de l'hyperlien.

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