Dire que Preacher était l’une des nouveautés les plus attendues de cette saison 2015-2016 serait un doux euphémisme. Adapté d’une série de comics culte, signée Garth Ennis et Steve Dillon (Hellblazer) et publiée entre 1995 et 2000, le nouveau show signé AMC (Breaking Bad, Better Call Saul, The Walking Dead...) a finalement déboulé sur les écrans américains, dimanche dernier. Mais alors, le résultat est-il à la hauteur de nos nombreuses attentes ? En cette fin d’année scolaire, quoi de mieux qu’une évaluation pour vérifier si le petit nouveau est bien parti pour devenir un bon ou un mauvais élève ? C’est l’heure de distribuer les points.
Les personnages :
Après avoir visionné le pilot de Preacher, on se dit que l’une des principales forces du show sera sans doute ses personnages. Les téléspectateurs qui auront lu les comics ne seront pas surpris par ce constat, puisqu’ils savent très bien que c’est en grande partie sur eux que repose la qualité de l’histoire originale. S’il était possible d’avoir des doutes quant à la manière dont les différents protagonistes allaient être adaptés, cette première heure passée en leur compagnie a de quoi nous rassurer.
Il y a d’abord notre personnage principal, Jesse Custer. Pasteur dans une petite ville du Texas, dénommée Annville, il s’impose immédiatement comme un personnage complexe au passé trouble. Violent, légèrement porté sur l'alcool, cet homme d'Église fatigué accumule les jurons. Son attitude est tellement contradictoire avec les principes religieux qu'il est censé défendre que l'on en vient régulièrement à se demander s'il a déjà cru en Dieu. Et si c’est le cas, il est clair que le jeune homme traverse une sérieuse crise de foi.
Et ce n’est pas le personnage de Tulip qui va venir changer la donne. Partageant avec Jesse un passé de criminels, la jeune femme revient dans la vie du pasteur et tente de le convaincre de revenir jouer à Bonnie and Clyde avec elle. Dès son apparition à l’écran, Tulip crève l’écran. À bord d'une voiture qui avance à toute berzingue dans un champ de maïs du Kansas, elle combat un homme qu'elle finit par achever sous les yeux de deux gamins exaltés. Badass comme il faut, les scénaristes de la série ont fait fort en rendant ce personnage féminin encore plus cool et percutant que dans les comics.
Pour bien enfoncer le clou, notre pasteur en perte de foi fait également la rencontre de Cassidy, un vampire complètement déjanté. Le personnage tel qu’il nous est présenté dans la série tient toutes ses promesses. Drôle, excessif et farfelu, chacune des apparitions de ce personnage est un pur régal et apporte une bonne dose d’humour noir.
Enfin, ce pilot a également permis de faire la rencontre de Tête de Fion, le fils du shérif. Pourquoi un tel surnom ? Tout simplement parce qu’il a le visage déformé et qu’il ressemble à… une tête de fion. Si les fans des comics savent déjà l’histoire qui se cache derrière ce personnage et ce visage, la série fait le choix de rester plutôt discrète sur ce point, pour le moment. On sait juste qu’il a fait quelque chose de mal qui l’empêche de venir à l’église. Rassurez-vous, pas de spoilers, ici. Sachez juste que son histoire, si elle est traitée comme dans les comics, est une merveille.
Complexes, déjantés, funs, cools, improbables… Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier les personnages de Preacher. En une heure, la série se montre clairement à la hauteur de son modèle et annonce par le biais de ses protagonistes un programme plus que prometteur. Une véritable réussite.
Note : 18/20
Le casting :
Avoir de bons personnages, c’est bien. Mais avoir de bons acteurs pour les incarner, c’est encore mieux. Sur ce point, Preacher fait un quasi sans-faute et son casting se révèle plutôt convaincant. Mention spéciale à Ruth Negga (Agents of SHIELD) et Joseph Gilgun (Misfits). La première interprète le rôle de Tulip et amène au personnage une décontraction et une coolitude quasi parfaite. Elle n’apparaît que très peu dans ce premier épisode, mais pour chacune de ses scènes, l’actrice en impose.
Le deuxième, connu principalement pour avoir interprété le rôle de Rudy dans les saisons 3, 4 et 5 de Misfits, prête ici ses traits au vampire Cassidy, l’un des personnages préférés des lecteurs des comics. Malgré cette pression supplémentaire, l’acteur incarne parfaitement le rôle qui lui a été confié. Mieux encore, on sent qu’il prend plaisir à jouer ce personnage complètement barré et loufoque. Chacune de ses prestations est un régal et on se dit que les directeurs du casting ont eu le nez creux en décidant de l’engager. Si physiquement, Joseph Gilgun n’était peut-être pas le meilleur des choix, le comédien semble avoir parfaitement compris et saisi l’essence même du personnage. Cela devrait suffire à contenter presque tout le monde.
Et Dominic Cooper, dans tout ça ? Celui qui prête ses traits à Jesse Custer, le personnage principal de la série, se retrouve malgré lui écrasé par la prestation de ses deux autres partenaires. Attention, l'interprète de Howard Stark dans Agent Carter fait le job, mais son charisme est un brin inférieur à celui de ses collègues. Maintenant, la question est de savoir si c’est vraiment l’acteur qui est moins convaincant ou si c’est l’écriture de son personnage qui est en cause. Car oui, à sa décharge, les scènes que l’acteur doit interpréter au cours de cet épisode sont aussi moins folichonnes et beaucoup plus sombres que celles de Tulip et Cassidy qui, eux, ont le droit à davantage de scènes d’action ou comiques. Forcément, cela aide à les rendre plus sympathiques et cools aux yeux du public.
Note : 16/20
Le scénario :
S’il y a une chose sur laquelle la série peine à convaincre, c’est bien sur son scénario. Il faut dire que ce premier épisode se contente du minimum pour ce qui est de mettre en place la mythologie de la série. Ces soixante minutes donnent simplement l’occasion aux scénaristes de présenter les différents protagonistes, ainsi que les bases de leur univers. Le souci, c’est que cet épisode est tellement foisonnant que l’on peine à distinguer un véritable fil rouge. Même si elles sont brillamment réussies et efficaces, les différentes présentations se succèdent les unes après les autres, et parfois de manière un peu bordéliques. Si on ajoute à cela des flashbacks permettant d’entrevoir le passé de Jesse, ou encore l’accumulation des lieux (Afrique, Russie, Kansas, Texas…), il est vrai que ce pilot prend parfois des airs de gros fourre-tout. À tel point qu'il serait tout à fait légitime de penser que cela était volontaire. Après tout, Preacher est bien partie pour être une série complètement barrée et les scénaristes ont peut-être juste décidé d'assumer complètement ce grain de folie.
Reste que cela donne une impression parfois étrange et que cet aspect risque fort d’en rebuter plus d’un. Qu’ils se rassurent malgré tout, la série a quand même fait en sorte d’esquisser quelques enjeux au passage, en intégrant à leur histoire deux hommes qui traversent le monde à la poursuite d’une entité mystérieuse venue de très loin dans l’espace. À ce stade, c'est bien la seule chose qui permet d'entrevoir un semblant de mythologie et qui amène des questions. D’autant plus que cette entité qui a fait la rencontre de Jesse mène directement ces individus en direction du Pasteur et de toute sa clique de gentils barjots. Qui sont–ils ? Pourquoi poursuivent-ils cette entité ? Qu’est-ce que cette entité qui est parvenue à offrir à Jesse la faculté de se faire obéir juste par la parole ? Pourquoi traverse-t-elle le monde et cherche-t-elle à prendre possession des hommes d'Église ?
Si ce pilot semble partir dans tous les sens, on sent quand même que la série va s’organiser autour de cette idée de la foi en Dieu et de l’identité. Car s'il y a bien une chose qui semble unir tous les personnages, c'est cette impression d'errance, de fuite constante et, finalement, cette difficulté à trouver sa place dans le monde. Et puis bon, c’est quand même Sam Catlin qui est aux commandes (Breaking Bad). Cela suffit à être un minimum rassuré…
Note : 12/20
La réalisation :
Si le scénario de Preacher peine à convaincre totalement, on peut toujours se consoler avec la réalisation. Sans être révolutionnaire, celle-ci est vraiment efficace. Les paysages texans sont magnifiquement filmés, les décors et les costumes sont soignés, les scènes de combat ou d’affrontement sont rythmées et un soin particulier a été apporté à la lumière. Les transitions aussi fonctionnent bien dans l’ensemble, et certaines d’entre elles sont même de jolies petites trouvailles, comme lorsque Cassidy saute de l’avion et que la scène suivante démarre sur une giclée de ketchup (Cassidy, saut depuis un avion, atterrissage violent, ketchup… vous comprenez le lien ?). Autre exemple : lorsque ce même Cassidy écrasé au sol décide de dévorer une vache pour se redonner des forces et que la scène suivante s’ouvre sur un abattoir.
Le duo Seth Rogen et Evan Goldberg (C'est la Fin !, L'Interview Qui Tue), en charge de la réalisation de ce premier épisode, parvient donc à créer un univers cohérent et une ambiance très prenante. Grâce à ce travail minutieux, les deux compères parviennent à dépasser les faiblesses du scénario pour offrir à leurs spectateurs une jolie démonstration esthétique. Car mine de rien et malgré son côté un peu dingue, Preacher est une série très propre et c’est aussi ce qui contribue à la réussite de cet épisode et à la mise en place de son univers.
Note : 15/20
L’ambiance :
Puisque nous en sommes à évoquer l’univers de la série, il est grand temps d’aborder aussi son ambiance. Il faut dire qu’au même titre que ses personnages, c’est aussi ce qui fait tout le charme de la série.
Dès sa première scène, Preacher annonce la couleur : dans une église en Afrique, un prêtre est en train de prêcher la bonne parole. Et alors qu’il évoque la venue prochaine d’un prophète, la fameuse entité mystérieuse que nous avons déjà évoquée prend possession de son corps. Quelques secondes après, le corps du prêtre explose littéralement et éclabousse de son sang l’ensemble de ses fidèles. Le mouvement de panique qui s'ensuit fait se retourner la croix accrochée au-dessus de la porte. En deux minutes, la série annonce son programme et met à mal la religion.
Ici, la foi est mise en doute, elle est questionnée, écrabouillée, massacrée… À travers le personnage de Jesse, prêtre qui a perdu la foi, mais aussi à travers le comportement des gens qui l'entourent. Une scène située quelques minutes plus tard nous montre ainsi Jesse Custer venant corriger le slogan sur le panneau situé devant son église. Ce dernier a été détourné et affiche « Open your ass and holes to Jesus » là où il devrait être écrit « Open your hearts and souls to Jesus ». Nous apprendrons plus tard que ceci est devenu une habitude.
Il y a quelque chose de très pessimiste dans Preacher : Dieu est silencieux, il n’écoute plus ses fidèles, les gens ne croient plus en rien et la violence semble être devenue le seul moyen d’expression. Sur ce point, la série fait plus que jamais écho à notre propre réalité. À cela près que dans Preacher, ce pessimisme est tourné en dérision et l'obscurité devient lumineuse (la lumière est rarement sombre dans cet épisode). On s’en amuse, on joue avec et surtout on tape là où ça fait mal. La série utilise avec intelligence l’humour noir, le second degré, la violence exacerbée et le gore. Ces éléments lui permettent de « faire passer son message » tout en s’en détachant. Cela donne une série à la fois très intelligente dans le fond et en même temps très fun sur la forme. Un bon compromis qui risque bien de faire ses preuves.
Pour donner un exemple de cette double dimension présente dans la série, reprenons la scène au cours de laquelle Tulip abat un homme devant deux gamins. Choquant, vous dites ? Absolument pas ! Puisque ce sont ces deux mêmes enfants qui, quelques minutes plus tard, vont l’aider à bricoler un bazooka avec des boîtes de conserve. Bienvenue dans le monde de Preacher. Un monde imprévisible où tout est possible.
Vous l’aurez compris, Preacher n’a pas perdu de son irrévérence en passant au format série TV. Alors que les doutes étaient permis après l’adaptation plus ou moins convaincante de The Walking Dead, sur la chaîne AMC, et son côté parfois trop sage, Preacher s’illustre par sa liberté de ton et sa folie qui la rendent tout de suite attachante. La scène au cours de laquelle on apprend via un reportage que Tom Cruise, représentant de l’Église de Scientologie, a explosé après avoir été possédé par notre entité mystérieuse est la preuve de cette liberté. Alors qu’elle pourrait craindre de se mettre certaines personnes à dos (ce qui sera sans doute le cas), la série ose et s’amuse avec les limites. C’est cette liberté qui lui permet d’être à la hauteur des attentes et de se démarquer de certains programmes trop formatés, au même titre que les comics dont elle est adaptée.
Note : 18/20
La bande-son :
Comment terminer cette première évaluation sans aborder la bande originale de cet épisode. Si certaines musiques sont plutôt classiques, d’autres apportent un véritable souffle à l’épisode et participent à la narration. Quel plaisir d'entendre en ouverture le Time of the Preacher de Willie Nelson. Pas de doute : en choisissant Dave Porter pour diriger la partie musicale de la série, la chaîne AMC fait le choix de la qualité. Elle fait aussi appel à un compositeur-maison puisque celui-ci était déjà intervenu sur Breaking Bad.
Les musiques, mélange plutôt bien dosé entre country, rock'n'roll et jazz, font partie intégrante du récit. Au même titre que la réalisation, elles contribuent à poser un cadre et une ambiance tout en participant activement à la caractérisation des personnages. La country pour présenter Jesse et recréer l'ambiance relâchée et décontractée des texans, et le jazz pour illustrer la décontraction et la légèreté de Cassidy.
Finalement, Preacher devient une série aussi agréable à écouter qu'à regarder, et l'on aurait bien tort de s'en plaindre. Seul petit regret : l'absence d'un générique qui, sans doute, aurait pu être chouette avec une telle série.
Note : 16/20
Moyenne générale : 16/20.
Appréciation générale du conseil de classe :
Preacher semble être bien partie pour être une bonne élève. Malgré un scénario un peu brouillon, la série peut compter sur ses personnages loufoques, son casting convaincant, sa réalisation efficace et son ambiance punchy pour s’imposer. Si ce premier épisode n’est pas dénué de défauts, il est surtout très prometteur. En s’entourant en partie de ceux qui ont fait le succès de Breaking Bad (Sam Catlin, Dave Porter, AMC…), la série a fait le choix de la qualité. Avec Preacher, nous détenons peut-être enfin notre série badass de l’année. Ça fait du bien quand on sait à quel point elle fut bien morose. Espérons que la suite soit aussi convaincante et honore ce premier épisode. Certains se souviennent encore de The Walking Dead...
Bravo, Preacher ! Rick Grimes te félicite.