La série Rectify revient dans une deuxième saison de 10 épisodes que l'on espère aussi réussie que la première.
L'année dernière, il sortait de nulle part, ce bijou télévisuel qui revendiquait sans mal sa singularité ! Déployant un rythme volontairement lent et propice à la contemplation, Ray McKinnon bouleversait alors nos repères. Livré à lui-même, le spectateur se retrouvait ainsi en état d'incertitude morale. Le coupable : Daniel Holden, son embarras, ses vieux démons, sa passivité, mais aussi sa soif de vivre.
Tout concourait à en faire un personnage à la fois touchant et difficile à cerner, ce qui rendait le climat dérangeant à souhait. Innocent ou coupable, en évitant de répondre, la série cultivait avec justesse l'ambiguïté et ce n'est pas le final explosif de la saison 1 qui vient me contredire. C'est donc avec une impatience non dissimulée que je me lance dans cet épisode, sobrement intitulé « Running with the Bull ».
Un retour tout en douceur…
La série reprend là où elle nous avait abandonnées. Sept jours après la libération de notre cher Daniel Holden ; et celui-ci se retrouve dans le coma, le visage salement amoché. Comme si les tensions qui déchirent la ville de Paulie en Géorgie et la méfiance des habitants ne suffisaient pas, un nouveau malheur accable donc la famille recomposée. Les agresseurs rôdent toujours dans la nature : à leur tête, Bobby Dean, le frère de Hannah, la petite amie de Daniel retrouvée violée et assassinée, deux décennies auparavant. Bobby a appliqué « sa justice » sur celui qu'il croit coupable. Justice. Il n'est question que de cela dans cet épisode. Justice et morale.
Le parti pris est intelligent à plus d'un titre puisqu'il permet d'approfondir le propos de la série, tout en enrichissant le plan dramatique. Celui qui représente le mieux cet état des faits n'est autre que J. D. Evermore, le shérif du coin. En effet, il est confronté à un vilain dilemme : il doit choisir entre faire proprement son travail (c'est-à-dire mener honnêtement son enquête et confronter les coupables avec la justice) ou fermer les yeux. Ce dernier cas de figure signifierait manquer aux engagements professionnels, tandis que la première solution impliquerait d'aller au-delà des préjugés et d'interroger une population peu coopérative.
Même s'il y a un grand risque de verser dans la redite, Rectify ne fait pas des interrogations morales son propos. C'est, avant tout, un drame humain qui embrasse les points de vue de ses personnages sans pour autant les juger. À ce jeu, il est clairement gratifiant de voir chaque membre de la troupe évoluer et gagner en profondeur. Quoique Daniel reste durant l'épisode inconscient, ses songes nous en disent plus sur lui, ses états d'âme. Ils ont l'effet d'une thérapie : quitter le cadre étriqué de la prison pour retrouver une forme de liberté mentale, voire spirituelle. La décision est très audacieuse, mais semble en accord avec l'esprit de la série.
La scène finale représente d'ailleurs une étape importante pour Daniel dans le long chemin de la rédemption. Une fois qu'il s'est confronté à ses vieux démons, Kerwin et son voisin adepte de certaines pratiques solitaires (peu orthodoxes), Daniel peut envisager de revenir à la réalité. Les autres protagonistes ne sont pas en reste : à commencer par la mère et la sœur de Daniel, Amantha. Cette dernière me paraît sur le qui-vive. Son agressivité et sa morosité envers Tawney Talbot surprennent, tant sa mauvaise humeur contraste avec la tristesse ambiante. On en arrive à regretter sa « période heureuse » durant la saison 1 : la légèreté de ses apparitions, son optimisme ainsi que sa forte détermination.
Un air de Six Feet Under ?
Comme l'ont reporté certains d'entre vous, l'occasion s'offre à nous de mentionner le thème principal de Rectify : l'emprisonnement. L'emprisonnement de tous ses personnages ! Tous semblent prisonniers de quelque chose : leur conviction (Amantha et l'avocat), leur foi (Tawney et peut-être la mère de Daniel), leur corps (Daniel), leurs préjugés (la famille de la victime), leur passé (Daniel), leurs incertitudes. En parlant d'incertitudes, il serait totalement criminel d'omettre Ted Talbot Jr, le beau-frère de Daniel et le mari de la douce Tawney. L'acteur était pour moi l'une des révélations de l'année dernière tant il réussissait à transcender brillamment son rôle de salopard égoïste et coincé.
À n'en pas douter, l'image malsaine du café au cul (épisode 6) a marqué les esprits et on est en droit de ressentir un minimum de compassion pour Ted Jr. L'humiliation ne doit pas être facile à supporter, ses proches le prennant constamment par surprise. Le reste de la distribution n'a pas à rougir de la comparaison. Aden Young conserve son charisme de strong silent type. (Les fans des Soprano reconnaîtront le clin d'œil.) Donc, rien à ajouter de ce côté-là ! Les acteurs demeurent un atout principal de la série. Ils sont talentueux, appartiennent pour la plupart à la scène indépendante et ne sont pas bancables ce qui apporte de la fraîcheur à l'ensemble. Ça fait du bien de voir de nouvelles têtes. Au passage, que le sourire inquiétant de la mère, après l'arrivée du morveux tout mouillé, ne vous agace guère ! Luther avait aussi de ces scènes dérangeantes où les tueurs souriaient comme des mômes de 3 ans. Leur joie n'est tout compte fait pas communicative.
Étrangement, cet épisode me rappelle Six Feet Under sur plusieurs plans. Sur le plan visuel, d'abord, je ne peux m'empêcher de penser à la saison 5 de la série de HBO et à cette photographie promotionnelle. L'atmosphère sombre et la noirceur qui semble entourer les personnages, la pluie, le côté sérieux, les couleurs froides, etc. L'impression que Rectify abandonne son optimisme et le sentiment d'espoir qui émanaient de certaines scènes contemplatives de la saison 1 sont bien présents, du moins dans le premier quart d'heure à l'hôpital. Quant à l'ambiance onirique qui règne dans ce premier épisode, elle est semblable aux dix premières minutes de « Perfect Circles », l'épisode 1 de la saison 3 de Six Feet Under. (Dix premières minutes exceptionnelles, à mon humble avis.)
McKinnon aurait-il plagié Alan Ball ? Pas du tout. Le traitement et le contexte sont totalement différents. Justement, si métaphoriquement les deux séries se valent, le bébé de Sundance Channel est très minimaliste dans la suggestion de l'émotion. Les musiques semblent un peu mélodramatiques par moment (surtout l'arrivée du petit Bobby chez sa maman) par rapport à la première saison. L'essentiel, c'est que ce n'est jamais mièvre, parfois d'une justesse inouïe. Le propre des grandes séries sans doute. Sinon, la réalisation et l'esthétique sont travaillées. La photographie privilégie les tons sombres tandis que le cadrage est très serré sur le visage des acteurs. Ils attestent sans doute la volonté des scénaristes à changer un peu de registre.
En conclusion, « Running with the Bull » est un bon épisode de reprise. Il remplit facilement son objectif : préparer le terrain pour la saison à venir. Ray McKinnon ne manque pas d'audace pour laisser Daniel inconscient. À ce stade, le récit se dévoile lentement et il reste 9 épisodes pour se prononcer totalement. Nous saurons alors sur la durée si la série confirme son statut de pépite télévisuelle. En tout cas, le retour sur investissement requiert une bonne dose de patience ! J'espère de tout cœur que les scénaristes sauront nous surprendre. Je vous conseille de surveiller avec plus d'attention l'intrigue de George et Trey, les témoins qui avaient vu Daniel poser des fleurs sur le corps d'Hannah. Trey ayant tué George (durant la saison 1) garde toujours le portefeuille de sa victime et l'arme du crime.
J'ai aimé :
- Le retour de Rectify, la surprise de 2013 !
- Un rythme posé.
- Le potentiel des intrigues.
- Les acteurs.
- Une prise de risque.
Je n'ai pas aimé :
- Patienter chaque semaine pour connaître la suite.
Ma note : 15/20.