« It might be the end of an era » annonçait Benedict Cumberbatch en octobre dernier, présentant la quatrième saison de Sherlock comme une conclusion logique à l’ensemble de la série. Si, à en juger par les réactions contrastées qu’il a suscitées, The Final Problem n’est sans doute pas le final espéré par une grande partie du public, il représente à sa façon une conclusion à l'image de la série. Divertissant, foutraque, attachant, énervant... Welcome to the final review !
Jumping the shark through a second floor window
« It’s not a game anymore » nous martèle-t-on depuis le début de la saison. Le temps de l’innocence est terminé, les conséquences sont réelles désormais ! Mary est morte, Sherlock est redevenu un être faillible qui craint la mort et un troisième enfant Holmes est dans la nature, prêt à semer le chaos. Mais au petit jeu des conséquences, The Final Problem peine à prendre de l'ampleur, la faute à un script qui souffle en permanence le chaud et le froid.
La séquence chez Mycroft au début de l’épisode synthétise parfaitement ce problème de ton. Traversant un véritable cauchemar éveillé au sein duquel ses peintures pleurent des larmes de sang et des petites filles fantomatiques traversent les couloirs, Mycroft se retrouve aux prises avec un clown meurtrier. Il s'avère en définitive que tout cela n'est qu'un canular savamment orchestré par Sherlock. Soit. Bien que voir Sherlock piéger son frère puisse être amusant, on se questionne tout de même sur l’intérêt d’une séquence aussi longue et d’un stratagème aussi complexe alors que la série souhaite nous faire comprendre que les enjeux n’ont jamais été aussi importants et que les personnages sont désormais réellement en danger.
Quand tu t'es gouré de série mais que t'essayes de faire illusion.
Tout l’épisode semble se construire sur ce même schéma, artificieux et tape-à-l’œil, dans lequel les scénaristes Steven Moffat et Mark Gatiss, pourtant showrunners de la série depuis ses débuts, alignent les péripéties à la manière d’un cadavre exquis, ne cessant de créer des situations de plus en plus tortueuses sans vraiment songer à la façon dont les personnages parviendront à s’en sortir. L’épisode précédent s’achevait avec Eurus tirant sur Watson ? C’était un tranquillisant ! Une grenade au milieu de l’appartement ? Un saut du deuxième étage d’un immeuble et les personnages s’en sortent sans le moindre bobo ! Il faut infiltrer la prison la mieux gardée du monde ? Détournons un bateau et enfilons quelques postiches, ça fera illusion ! Heureusement, la seconde moitié de l'épisode propose de beaux moments de tension servis par trois acteurs au sommet de leur talent, mais cela n'efface pas pour autant la grossiereté des procédés narratifs développés auparavant.
Non. Juste... Non.
Un tel scénario de bouts de ficelle détonne radicalement au sein d’une série qui, à ses débuts, voulait faire l’apanage de la logique et de l’esprit de déduction. Certes, Sherlock n’a jamais été d’une rigueur implacable, se permettant souvent quelques fantaisies pour l’esbroufe. Mais dans une saison qui se veut dramatique, l’accumulation de simulacres finit par annuler tout esprit de sérieux. En ce sens, Eurus est une nemesis particulièrement décevante.
L’agitée du bocal
Vous l’avez déjà vu, n’est-ce pas ? Non ? Mais si, je vous assure ! Vous l’avez déjà vu, ce méchant enfermé dans sa prison dont le plan vous semble un poil trop tarabiscoté pour réellement fonctionner, reposant sur énormément de facteurs imprévisibles, mais sur lequel vous acceptez de fermer les yeux pour le plaisir de voir vos héros se faire malmener. Bien sûr que oui, vous l'avez vu, il était même particulièrement à la mode ces dernières années !
Sadako à Arkham.
Mycroft annonce ainsi la couleur en début d’épisode. Eurus est brillante, « an era-defining genius beyond Newton ». The Lying Detective nous avait convaincu des exceptionnelles capacités de la sœur Holmes, bien que son plan ne paraisse pas tout à fait clair. Malheureusement, The Final Problem décide d’emprunter le chemin le plus conventionnel : plus qu’une surdouée, Eurus est surtout une magicienne, capable de manipuler son entourage selon son bon vouloir sans que ses méthodes ne soient clairement explicitées. Il est tout à fait possible qu’Eurus soit une artiste de la manipulation, mais le faire dire par des personnages ne rend pas pour autant cela crédible. Pire encore, Eurus incarne un défaut récurrent dans la fiction : l’incapacité des scénaristes à écrire un personnage intelligent sans rendre tout son entourage stupide.
Que ce soit le personnel de la prison, Mycroft ou même Sherlock, le combat contre Eurus ne met clairement pas en avant les capacités intellectuelles des protagonistes. L’absence de vitre et le simulacre de la petite fille dans l’avion, par exemple, questionnent davantage sur les capacités de Sherlock que sur le génie de sa sœur. De même, les dilemmes moraux et traquenards qui sont proposés aux héros sont en définitive plutôt basiques, reposant plus sur une logistique improbable et sur le lien émotionnel que nous avons développé à l’égard des personnages, que sur un véritable duel psychologique.
Moi j'ai besoin d'amouuuuur !
En définitive, le personnage d’Eurus semble bien trop exigeant pour être crédible au sein d’un unique épisode. La sociopathe qui met ses frères à l’épreuve fonctionne, notamment grâce au jeu d’une Sian Brooke toujours impeccable, bien que le personnage perde sacrément en nuances et en attrait par rapport à ce qui pouvait être entrevu la semaine dernière. Le revirement final en petite fille apeurée est parfaitement porté par l’actrice, mais nettement moins par le scénario qui brûle allègrement les étapes pour pouvoir délivrer son propos.
Sherlock Holmes attaque encore une fois l’Orient-Express
En 1974, Nicolas Meyer publie La Solution à 7%, un roman dans lequel Sherlock Holmes se retrouve en cure de désintoxication à Vienne auprès de Sigmund Freud. En 1976, le film est adapté par Herbert Ross, étrangement renommé Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express en France. Il s’agit d’une œuvre particulièrement importante dans la construction du mythe de Sherlock Holmes puisque, comme l’a déclaré Nicolas Meyer, « The Seven-Per-Cent Solution is not a Sherlock Holmes movie. It’s a movie about Sherlock Holmes ».
Ça c'est de l'affiche !
En se réappropriant les éléments contenus dans les écrits de Conan Doyle et en les repensant dans la perspective d’une étude psychanalytique du personnage, Nicolas Meyer a, en quelque sorte, ouvert la boîte de Pandore de l’écriture moderne de Sherlock Holmes, explorant de nouvelles failles du personnage tout en le soumettant au joug de l’analyse psychanalytique. The Final Problem propose une approche similaire, puisque quasiment toutes les caractéristiques du personnage que nous connaissons depuis le pilote de la série sont ici ré-explorées par le biais d’un trauma originel. Tandis que certains héros ont, depuis leur création, été pensés par le biais d’un événement déclencheur (Batman), il est toujours moins aisé de créer a posteriori une justification aux faits et actes d’un personnage, en particulier quand celui-ci est l’objet d’une mythologie aussi prolifique (citons, par exemple, Hannibal Lecter ou James Bond, qui s’y sont cassés les dents).
Qui n'est jamais allé lire un bon livre dans un cimetière ?
Steven Moffat et Mark Gatiss ont conscience de ce danger, déjà gentiment moqué au détour d’une réplique de The Abominable Bride (« Oh, Watson. Nothing made me. I made me ! »), alors qu’ils avaient clairement en tête l’arc de la saison 4. L’exploration du trauma d’enfance divise énormément, aujourd’hui souvent considéré comme un cliché. Il y a un peu de ça dans The Final Problem, mais reconnaissons aux scénaristes qu’à défaut d’être toujours des plus subtiles, leur approche est pertinente et propose une conclusion parfaite aux éléments développés tout au long de la série. L’attirance de Sherlock pour les jeux et énigmes, son refus de laisser un mystère irrésolu, le lien irréductible qui l’unit à Watson et son besoin irrépressible de le sauver se justifient totalement à travers le personnage de Redbeard. Une réussite, en défintive, qui apporte une dimension particulière au Sherlock Holmes de Benedict Cumberbatch en lui créant sa propre mythologie. Cependant, si le personnage de Sherlock est joliment mis au centre de ce final, difficile d'en dire autant de tous les personnages de la série.
Please, make use of your friends, Sherlock !
Autour de Sherlock, les autres personnages peinent à exister. Watson est en définitive plutôt transparent dans cet épisode, tour à tour spectateur et demoiselle en détresse au sein du plan d'Eurus. Mycroft dispose d'un peu plus de développement, mais il est difficile de voir en lui le génie que la série nous a souvent présenté, en particulier lorsqu'il accepte de laisser les deux plus grands criminels de la planète en tête à tête durant cinq minutes, sans surveillance.
Mark Gatiss découvrant les vidéos de la fête de fin de tournage.
Le cas le plus intéressant reste toutefois celui de Molly Hooper. De tous les pièges concoctés par Eurus, celui impliquant Molly est sans nul doute le plus audacieux et pervers. Personnage souvent maltraité par Sherlock (et les scénaristes), la solitude et la souffrance de Molly Hooper deviennent ici un instrument pour faire prendre conscience à Sherlock du fardeau que peuvent représenter les émotions. La scène est émotionnellement chargée et met parfaitement en perspective le chemin parcouru par Sherlock depuis le début de la série. Dommage que The Final Problem ne revienne pas lors de sa conclusion sur cette séquence, pour offrir une conclusion plus satisfaisante à Molly. Il est d’ailleurs intéressant de noter que depuis la sortie de l’épisode, Moffat s’est exprimé sur le personnage de Molly dans une interview à Entertainment Weekly :
« The question is: Did Sherlock survive that scene? She probably had a drink and went and shagged someone, I dunno. Molly was fine. »
Une réponse qui tombe sous le sens (Sherlock nous raconte l’histoire de Sherlock Holmes), mais qui révèle l’un des principaux défauts de la série, déjà présent avec la mort de Mary en début de saison, et désormais explicité par Steven Moffat lui-même : les personnages secondaires ne sont que des instruments au service de l’évolution de Sherlock. Ils n'ont pas d'existence à part entière et n'intéressent pas les scénaristes. Louise Brealey, interprète de Molly Hooper, a depuis manifesté sur les réseaux sociaux son désaccord avec Steven Moffat concernant le personnage de Molly.
Car finalement, au sein d’un épisode foutraque qui se permet beaucoup de digressions et de simulacres, offrir une conclusion satisfaisante à un personnage n’aurait-il pas été possible ?
Un dernier coup d'archet
Vous l’avez compris, The Final Problem est un épisode qui marquera la série, mais peut-être pas pour les bonnes raisons. Si Benedict Cumberbatch parlait de la fin d’une ère avec cet épisode, il est possible à présent de distinguer deux périodes distinctes dans la série. Tout d’abord l’innocence des débuts, les saisons 1 et 2, âge d’or durant lequel la série se concentrait principalement sur les réécritures de Conan Doyle et l’exploration de son univers. Puis l’âge de la transgression, de la désacralisation, des saisons 3 et 4 durant lesquelles Moffat et Gatiss ont tenté de prendre à revers le phénomène Sherlock en se jouant du mythe qu’ils avaient créé et en explorant de nouvelles perspectives, tentant d’apporter leur propre pierre à l’édifice, aboutissant au personnage d’Eurus dans ce final.
Our Baker Street Boys.
Je fais malheureusement partie du public qui a nettement moins adhéré à la direction qu’a pris la série depuis la saison 3. Les enquêtes ont quasiment disparu, réduites à peau de chagrin dans cette quatrième saison, au profit d’arcs narratifs plus ou moins convaincants. Que retenir, en définitive, du retour de Moriarty qui atténuait considérablement les enjeux émotionnels du final de la saison 3 et qui a gangréné un pourtant prometteur épisode de Noël ? La série aura au moins eu la bonté de ne pas faire revenir le personnage en vie, mais la finalité de cette intrigue semble en définitive bien vaine par rapport à l'interminable teasing qui a été orchestré autour.
C’est alors que dans un montage final, après réception d’un autre DVD de Mary (combien en a t-elle fait ? Le mystère reste entier), la série nous adresse un dernier pied de nez : « Who you really are, it doesn’t matter. It’s all about the legend, the stories, the adventures ». Comme l'explique Steven Moffat dans son interview pour Entertainment Weekly, les quatre saisons de Sherlock auraient pu s'appeler Sherlock Begins. Il est désormais devenu le détective aguerri, tout aussi porté sur l'humain que sur l'intellect. Il a vaincu Moriarty, prouvé sa valeur à Mycroft, reconquis Watson et retrouvé son passé avec Eurus. Il n'a plus désormais qu'à enfiler sa casquette et aller résoudre des crimes. Enfin.
Holy Sherlock Holmes !
The Final Problem est loin d’être la conclusion parfaite tant attendue. Thématiquement très travaillé, porté par des comédiens toujours inspirés, divertissant et parfois haletant, l’épisode laisse pourtant un goût amer, la sensation que la série s’est égarée en route, trop centrée sur elle-même pour réussir à avoir le recul nécessaire sur ses forces et ses faiblesses. Sherlock nous a toujours offert de belles fulgurances, et la série marquera sans doute durablement l’histoire de la télévision. Mais il manquait dans cette dernière saison la rigueur et l’intelligence de ses débuts. Un peu de contexte, en définitive.
J'ai aimé :
- Un épisode rythmé et divertissant
- Des acteurs toujours impeccables
- Une conclusion cohérente pour le personnage de Sherlock
- Un montage final qui donne l'espoir de voir la série revenir un jour, libérée de ses oripeaux
Je n'ai pas aimé :
- Un épisode foutraque ayant trop recours à des facilités pour faire avancer son récit
- La victoire des artifices et des effets de manche sur l'intellect des personnages
- La suspension d'incrédulité balancée par la fenêtre du premier étage
- Une conclusion à l'image de la saison, décevante
Ma note : 12/20.
Le Coin du Fan :
- La place Rathbone que traversent Sherlock et Watson à la fin de l'épisode est une référence à l'acteur Basil Rathbone qui a interprété le détective dans plus d'une dizaine d'adaptations au cours du XXème siècle. Par ce dernier plan, la série nous fait comprendre que Sherlock est enfin devenu la figure iconique respectée par tous.
- La petite fille dans l'avion est jouée par Honor Kneafsey, déjà apparue dans A Scandal in Belgravia, dans lequel elle venait avec sa sœur consulter Holmes suite au décès de leur grand-père.
- Lestrade dit à son collègue que Sherlock Holmes est un « good man », répondant ainsi à sa réplique du premier épisode, « because Sherlock Holmes is a great man, and I think one day, if we're very, very lucky, he might even be a good one. »
- The Final Problem est un épisode empruntant assez peu aux écrits de Conan Doyle. Le titre provient évidemment de la nouvelle de 1893 dans laquelle l'auteur avait précipité son détective avec le professeur Moriarty dans les chutes de Reichenbach, adaptée dans la deuxième saison de la série. Victor Trevor est un ami d'université de Sherlock apparu dans la nouvelle Le Gloria Scott (1893). Le frère de Moriarty, présenté comme un chef de gare (master station) dans La Vallée de la peur (1915), est ici devenu un directeur de chaîne télévisée (qui se traduit par... master station. Malin). Les trois frères suspendus dans le vide par Eurus sont une référence à la nouvelle Les trois Garridebs (1924). Le nom de la maison familiale des Holmes et la comptine d'Eurus sont inspirés du Rituel des Musgrave (1893). Enfin, le montage final laisse entrevoir le fameux code des Hommes dansants (1903).