Critique : Sherlock 4.02

Le 05 février 2017 à 11:46  |  ~ 16 minutes de lecture
Maintain eye contact ! Maintain eye contact !
Par Gizmo

Critique : Sherlock 4.02

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Par Gizmo

Steven Moffat prend pour la première fois les commandes du deuxième épisode de la saison, position délicate au sein d'une série qui préfère réserver ses coups d'éclat pour ses introductions et ses conclusions. Mais avec une saison qui a pris le parti de bousculer nos attentes, The Lying Detective parviendra-t-il à rompre la malédiction ?

 

Mrs Hudson avec son gun

Pas mal la nouvelle saison d'Arabesque !

 

 

Coke en stock

 

The Lying Detective est un épisode exigeant, volontairement confus, inutilement alambiqué mais résolument attachant. Comme souvent avec les scripts de Steven Moffat (A Study in PinkA Scandal in Belgravia, His Last Vow), les idées les plus absurdes sont finalement les plus réjouissantes, à l'image de cette Mrs Hudson sortant exaltée de son Aston Martin après une course effrenée dans Londres avec les forces de l'ordre. « Effréné » serait sans doute d'ailleurs le meilleur mot pour décrire cet épisode, en particulier dans sa première partie, le script nous faisant partager la vision du monde d'un Sherlock totalement défoncé, brillamment incarné par un Benedict Cumberbatch jamais aussi bon que lorsqu'on le sort de sa zone de confort. Saluons aussi un Nick Hurran qui nous rappelle qu'une bonne mise en scène se met au service du récit au lieu de lui superposer des artifices vains et inutiles.

 

Sherlock dans la rue

Un rayon de soleil dans la nuit.

 

The Lying Detective nécessite plusieurs visionnages pour pleinement prendre conscience des différents niveaux de lecture qui y sont développés. Dans un épisode sous coke où chaque réplique recèle de multiples sens au sein d'un scénario trompe-l'œil qui ne cesse de malmener son spectateur, la série prend le risque de frôler l'overdose. Bref, si vous acceptez de monter dans ses infernales montagnes russes, cet épisode est une aventure jouissive et incarnée, en apparence moins cérébrale que ses grandes sœurs. Ici, pas de véritable enquête (si on omet la superbe séquence de déduction qu'offre Sherlock Holmes à Faith Smith lors de leur adorable virée nocturne dans Londres), mais un monstre à terrasser.

 

 

Toby or not Toby ?

 

Entre deux tours de montagnes russes, The Lying Detective s'interroge sur l'humanité de ses protagonistes. Au cours des trois précédentes saisons, Sherlock a appris à s'humaniser. Dans une quête désespérée pour récupérer la seule personne susceptible de percevoir cette humanité si particulière, le détective va se confronter à l'ennemi le plus inhumain que la série a eu l'occasion de nous offrir, « the most despicable human being that I have ever encountered ». Contrairement à Jim Moriarty, criminel de conte de fées qui trompait l'ennui, ou Charles Augustus Magnussen, maître chanteur ès emprise psychologique, Culverton Smith est une nemesis beaucoup plus primaire et effroyablement réaliste dans son approche du crime. Il tue par pulsion, par passion, pour voir les corps se désincarner, perdre leur humanité. Aucune motivation, si ce n'est la jouissance de côtoyer la mort, ne dicte ses actes, faisant de lui l'ennemi le plus absolu, le plus pur dans son rapport au mal, de la série à ce jour. Culverton est d'autant plus passionnant qu'il questionne Sherlock Holmes sur sa propre nature, le confronte à ses limites et agit comme un miroir déformant du personnage.

 

Cereal Killer

Un jeu de mots que ne renierait pas Laurent Ruquier.

 

Sherlock, comme Culverton, est victime d'une sévère et mortelle addiction, usant de la drogue pour (faire) oublier ce qu'il est aux yeux des autres, dicté par l'irrépressible besoin de s'afficher dans toute sa différence, de traiter la vie comme un jeu dont il dicte les règles. Culverton agit même physiquement comme une antithèse totale de Sherlock Holmes, petit homme blond replet aux costumes colorés, grotesque poupon inspirant tout autant le dégoût que le rire. Toby Jones incarne à merveille un rôle pourtant complexe, mettant parfois à l'épreuve la crédulité du spectateur dans son modus operandi (on peut être surpris de la facilité avec laquelle il convainc toute une assemblée de se laisser droguer sans rechigner) ainsi que dans son comportement en public (je me serais volontiers passé de la décapitation de la poupée barbie lors de la scène de l'hôpital). Le script souhaite nous faire intégrer la monstruosité du personnage, parfois au détriment d'une subtilité qui aurait pourtant pu rendre les doutes de Sherlock (et du spectateur) encore plus tangibles.

 

 

Chair loque

 

Culverton Smith est d’autant plus intéressant qu’il ne se limite pas à un adversaire psychologique. Le duel qui le confronte à Sherlock s’inscrit dans la chair, le détective étant obligé de se rabaisser physiquement et mentalement pour espérer emporter le combat. The Lying Detective est sans doute l’épisode mettant le plus en exergue les corps des acteurs, comme le prouvent les nombreux gros plan opérés par la réalisation, notamment lorsque Sherlock est au plus bas.

 

Sherlock frappé

Le saviez-vous ? Benedict Cumberbatch est victime d'hétérochromie. Fou.

 

Roué de coups par un Watson aux poings ensanglantés, étouffé par Culverton Smith dans une scène d'une saisissante horreur, Sherlock est un corps meurtri, une loque déformée par les violences qu'elle subit. « This is not a game anymore » , et la série tient à nous le prouver en nous faisant ressentir les coups. Mais face à toute cette violence, l'épisode est traversé par Amanda Abbington, incarnation physique d'un deuil que Watson refuse de faire, apparaissant sporadiquement dans l'angle d'une porte ou sur un siège de voiture. Le cliché est éculé, mais il nous permet de profiter encore un peu de la présence rayonnante d'Amanda Abbington.

 

Mary Watson

Petite Mary, je parle de toi.

 

 

Do you ever look in the mirror and want to see someone else ?

 

Comme énoncé précédemment, The Lying Detective n'est pas un épisode qui mise sur l'intellect, mais sur l'émotion. Mrs Hudson prend à revers Mycroft en lui apprenant que Sherlock n'est pas un être régi par son esprit, mais par ses émotions (« He's not about thinking. Not Sherlock. He's more emotional, isn't he? »). Une séquence surprenante mais qui a posteriori ne semble pas dénuée de logique. Le plan de Sherlock, bien qu'effroyablement manipulateur, fait appel à l'humanité de Watson. Sherlock met sa vie en péril car il est persuadé que Watson est trop bon pour ne pas le sauver. L'idée met encore une fois à l'épreuve la crédulité des spectateurs, mais s'intègre parfaitement dans les thématiques développées par l'épisode et déjà évoquées dans The Sign of Three.

 

Le reflet de Culverton Smith

Un physique qui questionne.

 

The Lying Detective est donc un palais des glaces. Les personnages évoluent prisonniers de leurs propres reflets, détournant le regard lorsqu’ils sont confrontés à la réalité. Watson se cache derrière le fantôme de Mary, refusant de voir l’humanité de Sherlock. Sherlock et Mary montent un scénario se basant sur la vision idéalisée qu’ils ont de Watson sans prendre en considération le fait qu’il est tout aussi faillible que n’importe quel autre être humain. Culverton Smith, enfin, utilise son argent et sa popularité pour camoufler son irrépressible envie de tuer. L’épisode est thématiquement très solide, liant tous les protagonistes de l’intrigue dans ce désir inavouable de se confesser, d’être totalement et entièrement accepté par l’autre sous leur vrai jour.

 

 

Et la tendresse ? ... Bordel !

 

Mais pour un épisode qui mise plus sur l'émotion que sur l'intellect, Steven Moffat peine à insuffler de la vie, de l'authenticité dans son récit. L'idée que Mary puisse demander à Sherlock de mettre sa vie en péril pour « sauver John Watson » en faisant appel au meilleur de lui-même, par exemple, fonctionne sur le papier et est cohérente avec la description qui a été faite de John jusqu'à présent. Cependant, elle convainc nettement moins lorsqu'elle est directement formulée par les personnages, relevant plus du concept et du rouage scénaristique proprement huilé pour servir la mécanique de l'épisode.

 

Mary et John

Pourquoi Mary est-elle déguisée en Kim Jong-un ? Un nouveau mystère à résoudre...

 

De même, les retrouvailles de Sherlock et Watson, ainsi que les adieux de celui-ci au fantôme de sa femme, n'ont pas l'impact émotionnel espéré. D'un côté parce que l'idée du fantôme qu'il faut accepter de laisser partir n'est plus toute neuve, et qu'on conserve cette étrange impression que Mary n'a existé que pour et par le duo principal de la série. De l'autre parce que les bases du conflit qui opposait Sherlock à Watson sont trop bancales pour que leur réconciliation parvienne à pleinement convaincre. Steven Moffat paye les pots cassés, mais en tant que showrunner de la série, il a aussi son rôle à jouer dans la construction globale de la saison. On conserve la sensation tenace que la mort de Mary aurait dû avoir un véritable impact sur la série, pas seulement représenter un enjeu dramatique (efficace, au demeurant) entre Sherlock et Watson. Rajoutons à cela le traitement totalement raté de l'infidélité de Watson, se limitant finalement à un échange de textos, comme si les scénaristes ne savaient pas vraiment sur quel pied danser, n'osant pas aller jusqu'au bout de leur idée par peur de bousculer la moralité de leur personnage.

 

Bill Wiggins

Rien à voir avec mon propos, mais je suis content d'avoir revu Bill Wiggins. Voilà.

 

Certains pourront se réjouir du « retour » d'Irène Adler ; je fais personnellement partie du camp de ceux qui considèrent qu'il n'est pas nécessaire de revenir sur cet élément, en particulier quand il a été traité avec tant de brio et d'intelligence par le passé. Il y a, bien évidemment, toujours la tentation d'en demander un petit peu plus, mais avec seulement trois épisodes par saison, je préfèrerais que Sherlock propose du neuf au lieu de nous rejouer ses vieux tubes. Je ne m'avancerai pas non plus sur la potentielle romance de Mycroft. Non, vraiment pas. Espérons tout de même que les scénaristes parviennent à caser Molly et Mrs Hudson la semaine prochaine.

 

Molly

Molly attendant devant la porte de Moffat qu'on lui donne quelque chose à jouer.


Comme lors de ma critique de l'épisode précédent, je remarque en définitive que l'émotion est toujours complexe à traiter dans Sherlock. La série manque de pureté et de simplicité pour nous donner la satisfaction d'un dénouement émotionnel total, chaque élément de l'intrigue semblant en définitive appartenir à un puzzle plus grand et plus complexe. Ainsi, tandis que nous pensions être arrivés au bout de nos peines, l'épisode nous assène un ultime coup de massue avec la révélation finale. Inutile de tergiverser, ce twist est indéniablement un des plus efficaces et malins que j'ai eu l'occasion de voir à la télévision. Que ce soit dans les quelques pistes qui nous avaient été données auparavant, l'intelligence des choix de réalisation pour mieux nous tromper en nous donnant à voir « in plain sight » ce que notre esprit ne prend pas la peine d'analyser ou bien tout simplement le jeu exemplaire de Siân Brooke dans trois rôles différents, la série prouve qu'elle est encore capable de réserver de véritables surprises et de traiter avec intelligence ses rebondissements. Il ne reste plus qu'à espérer que le jeu en vaille la chandelle...

 

Euros Holmes

Heureuse Eurus.

 

The Lying Detective est un épisode complexe à critiquer. Efficace, survolté, malin, porté par un casting exemplaire, il n'échappe pas cependant à une impression de trop-plein, à l'image d'un Culverton Smith finalement peu exploité, déjà occulté par le twist final nous révélant le véritable cerveau criminel de la saison. L'épisode parvient aisément à briser la malédiction des deuxièmes aventures faiblardes, limitant certaines erreurs commises par son prédécesseur tout en préparant le terrain pour la suite (et fin ?) de la série.

 

J'ai aimé :


  • Une réalisation exemplaire signée Nick Hurran qui parvient à totalement retranscrire la déchéance physique et psychologique de Sherlock
  • Des acteurs excellents, portés par un script fourmillant d'idées
  • Un rebondissement final démentiel, parfaitement préparé

 

Je n'ai pas aimé :


  • L'émotion ne fonctionne finalement qu'à moitié, les rouages du scénario étant par moments trop visibles pour totalement emporter l'adhésion
  • La suspension d'incrédulité parfois poussée trop loin, bien que ce ne soit pas nouveau dans la série
  • Les erreurs de l'épisode précédent pèsent encore sur la série, notamment tout ce qui concerne le personnage de Mary
  • Le personnage de Toby Jones légèrement sous-exploité
  • Le désir des scénaristes de ne parler que de John et Sherlock en permanence, au détriment du reste du casting (coucou Lestrade, bien ou bien ?)

 

Ma note : 15/20. (+1 pour le twist final)

 


Le Coin du Fan :

 

  • Dans le pilot de la série, Sherlock commet une erreur de raisonnement sur Watson en partant du postulat qu'Harry est son frère, alors qu'il s'agit de sa sœur. Watson fait ici la même erreur en présupposant que le troisième enfant Holmes est un garçon.

 

  • Lors de sa crise de folie dans l'appartement, Sherlock récite le monologue d'Henry V de Shakespeare. Steven Moffat et Mark Gatiss s'en étaient inspirés pour la fameuse catchphrase de Sherlock, « The game is afoot ». Un juste retour des choses, en définitive.

 

  • « People always give up after three », selon Sherlock. Pourrait-on découvrir un quatrième enfant Holmes (Sherrinford ?) lors du final ?

 

  • Même si la date n'est jamais mentionnée dans les écrits de Sir Arthur Conan Doyle, les passionnés du canon holmesien ont établi le 6 janvier 1854 comme date de naissance officielle de Sherlock Holmes, bien que l'année fasse encore parfois débat. L'épisode, diffusé le 8 janvier, fait référence à l'anniversaire de Sherlock Holmes. Well done !

 

  • Lors de la scène avec les enfants, Sherlock évoque le cas de l'orang-outan meurtrier, qui ne semble être qu'une pure fabulation de son esprit drogué. Il s'agit en réalité d'une référence à la nouvelle Double assassinat dans la rue Morgue d'Edgar Allan Poe, parue en 1841 et mettant en scène le Chevalier Auguste Dupin, dont Sir Arthur Conan Doyle reconnaît s'être inspiré pour créer le personnage de Sherlock Holmes. Watson compare notamment Sherlock à Dupin dans Une étude en rouge, publié en 1888.

 

  • Eurus signifie « le vent de l’Est » en grec. Lors du final de la saison 3, Sherlock expliquait à Watson que Mycroft lui racontait l'histoire du vent de l'Est dans leur enfance, cette force terrible qui emportait tout sur son passage. Mycroft mettait-il son frère en garde du danger que représentait leur sœur ?

 

 

  • Sherlock aurait-il été contacté par l'équipe de Torchwood ? Une enveloppe avec le logo de la célèbre agence sur la cheminée de Baker Street semblerait nous l'indiquer. Sans doute un petit clin d'œil de Steven Moffat au futur showrunner de Doctor Who, Chris Chibnall, qui a aussi officié sur Torchwood.

 

Torchwood


  • Le personnage de Culverton Smith partage de nombreux points communs avec la célébrité Jimmy Savile, présentateur de télévision britannique qui profitait de ses actions de bénévolat dans les hôpitaux pour commettre des agressions sexuelles. Je vous conseille la lecture de sa page Wikipédia, au risque de perdre toute foi en l'humanité.

 

 

Mrs Hudson veut son spinoff

L'auteur

Commentaires

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Galax
C'est vraiment un plaisir de te lire sur Sherlock Gizmo ! :)

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Galax
Ah et aussi : "People always give up after three, selon Sherlock. Pourrait-on découvrir un quatrième enfant Holmes (Sherrinford ?) lors du final ?" P*tain ça serait dément ! :o Je n'y ai absolument pas pensé. Je pensais que Sherrinford était soit un nom de code, soit qu'elle avait changé de nom, soit que ce n'est que la demi-soeur des frères Holmes (mais puisqu'elle a dit "my parents" c'était invalidé)... Pour les personnages secondaires, on a quand même une Mrs. Hudson pas mal en forme dans l'épisode, qui s'éloigne un peu de son rôle habituel de "landlady". Mais c'est vrai que Lestrade a jamais vraiment eu son moment de gloire (vite fait dans "The Reichenbach Fall"...) alors qu'il connait Holmes depuis plus longtemps que tous les autres. Dans les romans originaux, est-ce qu'il a plus de backstory ? Sinon je comprends ta critique contre Irene Adler sur le papier, mais bon, tu dois reconnaître que dans un épisode qui justement semble s'éloigner de la sempiternelle influence de Moriarty (pour le coup vraiment trop présent dans la série), qui présente au moins un nouvel ennemi charismatique le temps d'un épisode, et qui ne fait qu'utiliser une référence à Adler (même pas de caméo ou quoi) pour appuyer un propos sur un aspect de nos personnages, je pense que la série est encore bieeeen loin de tomber dans la sur-utilisation de the Woman. D'ailleurs pour ma part l'épisode n'annonce pas son retour, du moins pas cette saison. Ce petit callback ne fait qu'un peu exploiter/assumer la décision finale de la fin du 201 qui a été parfois contestée, en nous rappelant que the Woman est vivante quelque part. (même si bon oui c'est vrai, j'avoue que je ne serais clairement pas contre de la revoir en saison 5 ^^)

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Gizmo
Lestrade a le même rôle dans les nouvelles, le bon gars/bon flic, que Sherlock aime bien. Pour le coup, la série est fidèle au personnage, mais le développer un petit peu plus serait intéressant... Et je pense aussi au pauvre Rupert Graves qui n'a jamais eu grand chose à jouer depuis le début de la série. Pour Irène Adler, j'admets que la référence est plutôt bien placée dans cet épisode. Mais combinée à celle du 3x02, cela peut donner une légère impression de fan service. ais je reconnais que c'est purement personnel comme sentiment. Et si elle doit revenir à l'avenir, why not, mais à condition que ce soit cohérent et (très) bien écrit.

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