NOPD Blues
Créée par David Simon il y a trois ans, Treme n'a jamais trouvé vraiment son public sur HBO, alignant les scores médiocres malgré le lead-in performant de Game Of Thrones 'an dernier. Estampillée série musicale ou show sur Katrina, la série est bien plus qu'une simple évocation d'un fait divers, c'est une chronique à la fois superbe et élégante sur un monde en reconstruction. Bien plus que le quotidien des survivants, la création de David Simon nous parle de la recherche d'un élément simple que tout musicien connait, à savoir l'harmonie, cet élément fragile qui permet de vivre ensemble.
Après des années passées à Baltimore avec The Wire ou Homicide, David Simon trouve avec Eric Overmyer le parfait partenaire pour parler d'une ville qui a failli disparaître, essayant de se reconstruire malgré l'inertie des pouvoirs publics. Dans Treme, la tragédie n'est pas celle des seules victimes, mais concerne tout ce tissu social que l'ouragan a réduit en miettes, obligeant chaque habitant à repartir à zéro. Plus qu'une simple chronique d'un monde dévasté, ce show est un récit choral qui nous fait partager les espoirs et les désillusions d'un groupe d'habitants qui tentent péniblement de retrouver une vie malgré les stigmates du passé.
Treme parle de rédemption et d'espoir, s'intéressant à la ville après les instants d'héroïsme du jour J, à l'heure où doit s'organiser pour reconstruire totalement des pans entiers de la ville. Plus qu'un simple récit décoratif, David Simon nous fait partager l'âme de la Nouvelle-Orléans, son passé, toute cette richesse culturelle qui a failli disparaître, balayée par les vagues puissantes qui submergeaient les digues une à une. La reconstruction est un processus long et difficile, où le hasard d'une mauvaise rencontre vient abattre les certitudes d'hier, obligeant les hommes à repartir de zéro, avec l'orgueil de ceux qui refusent la misère.
Les instruments sont accordés... Bien, un, deux, trois
Les trois premiers épisodes de la saison trois de Treme avaient laissé un sentiment troublant, celui d'un show cherchant ses repères après une pause un peu trop longue. Récit choral à la dimension d'une grande ville, la série de David Simon se construit depuis le début sur la durée et nécessite une implication du spectateur qui doit faire preuve de patience en montrant une confiance totale dans la qualité des auteurs. Vrai régal, cet épisode quatre marque la fin d'un premier acte d'exposition qui commence à donner du sens à l'intrigue principale, signe annonciateur d'une saison réussie.
Pendant trois épisodes, David Simon nous a dépeint des personnages qui ont cru avoir atteint son objectif, resistant au besoin d'évoluer, avant de constater leur incapacité à se satisfaire d'un bonheur imparfait et frustrant. Ainsi, Antoine Baptiste retrouve sa vie de musicien débauché et ses infidélités, incapable de trouver son bien-être dans un simple rôle de fonctionnaire. Cette quête de l'harmonie entre ses aspirations et ses besoins, cette quête d'une vie sans mauvaise note est le coeur de Treme, trouvant son apogée avec cet épisode quatre qui lance enfin une intrigue principale captivante.
Dans l'univers des séries, je suis habitué à ces shows qui rattrapent à posteriori certaines mauvaises inspirations du scénario, comme Ringer avec l'histoire du viol ou Prison Break et la mort de Sarah. Chez David Simon, le scénario se construit en amont, obligeant le spectateur à attendre que les musiciens s'accordent, que chaque personnage trouve sa place afin que l'intrigue progresse avec fluidité et élégance. Pour opter pour une telle construction, il faut accepter de ne rien laisser au hasard, proposer une structure solide sur laquelle chacun des personnages pourra venir se greffer au fur et à mesure.
De grandes espérances
Treme, c'est avant tout l'histoire d'une communauté, celle de la Nouvelle-Orléans, avec son passé, ses amitiés, ses espoirs et ses désillusions qui servent à rythmer un récit complexe et ambitieux. Mais, au lieu de construire son récit autour d'un groupe en particulier, David Simon veut considérer la ville dans son ensemble, refusant de se limiter à une zone géographique en particulier. L'univers du show est ainsi très diversifié, laissant apparaître un univers complexe où coexiste différentes aspirations et espoirs. Ainsi, Jacques se retrouve obligé de mettre en sourdine son amour pour Janette pour la laisser se focaliser entièrement sur son nouveau restaurant.
L'harmonie apparaît comme un but impossible à atteindre et à faire perdurer, comme dans le cas de Davis et d'Annie qui se perdent petit à petit de vue à cause de leurs ambitions respectives. Si certaines séries nous comptent un univers unidimensionnel où tous les personnages ont des aspirations communes, Treme est un enchevêtrement où le bonheur de l'un entraine le désarroi de l'autre. Le bonheur se compose alors autour de sacrifices et de ses petits instants égoïstes qui mènent à de courts instants de grâce où la vie nous prend par surprise, en donnant un sens inattendu à notre existence.
Partager le quotidien d'une Nouvelle-Orléans qui se reconstruit, ce n'est pas que cela Treme : la série est un des plus beaux récits chorals qui soient, empruntant au roman une conviction dans l'idée que la grande histoire ne peut se prendre son sens qu'au travers des récits plus anecdotiques du quotidien. Comme le cinéaste Robert Altman, mais à l'échelle démesurée d'une série, David Simon nous parle de la vie avec un talent insolent et admirable, composant un récit qui lie une forme proche du naturalisme et une structure empruntée au roman-feuilleton.
Le naturalisme moderne
Si Treme est un récit feuilletonnant qui passe fréquemment d'un point à l'autre de la ville sans transition, il parvient à garder sa cohérence grâce à un fil directeur qui trouve sa force dans son approche journalistique du récit. Arrivé cette saison, le personnage de L.P. Everett est inspiré d'un vrai journaliste qui est devenu célèbre pour avoir mis à jour les scandales liés aux évènements qui ont suivi Katrina. Un personnage qui aura mis du temps à trouver sa place cette saison, l'auteur s'efforçant d'éviter les clichés habituels du journaliste fouineur seul contre tous, lui laissant le temps d'imposer sa singularité.
Depuis Homicide et The Wire, David Simon a toujours défendu l'idée de placer ses histoires dans un contexte le plus crédible possible, le réel venant donner sa richesse à une narration qui gagne en force et en crédibilité. Cette structure rappelle le naturalisme de Zola, sauf que l'auteur de Treme parvient à échapper au piège du militantisme, centrant son intrigue sur les humains avant tout et leur mystère. Circonspect en début de saison, j'ai mis du temps à m'attacher à ce nouveau personnage, préférant les histoires d'Antoine Baptiste et Nelson Hidalgo, personnages déjà familiers dont les actes sont faciles à interpréter.
Au bout de quatre épisodes, David Simon réussit l'exploit d'intégrer enfin ce personnage à la série sans créer de ruptures dans l'univers du show, le laissant naturellement trouver sa place. Au côté de Toni Bernette, il s'impose comme un personnage discret et volontaire, responsable et humain, loin de l'enthousiasme destructeur d'un chasseur de scoops affamé du grand manège de l'information. Everett ne veut pas faire tomber la police de la Nouvelle-Orléans pour sa gloire personnelle, mais juste comprendre les agissements qui ont poussé les forces de l'ordre à agir de manière criminelle envers les plus démunis.
Le ton quasi-documentaire de cette partie du récit la rend d'autant plus immersive, apportant un nouvel éclairage aux évènements qui ont suivi Katrina et engendré un malaise dans la ville. Il n'est pas ici question de parler d'une catastrophe climatique, mais de raconter comment l'être humain réagit face à une situation aussi extrême, en évitant le piège consistant à porter un jugement moral sur les actes de la police. Avec finesse et intelligence, David Simon nous parle d'un monde qui pense tourner la page vers son avenir, mais se retrouve alors brutalement renvoyé à son propre passé suite à des révélations qui apporte un éclairage tragique sur l'histoire de la ville.
En attendant Creighton
Difficile d'évoquer les tourments du passé sans parler de la scène finale qui est simplement l'une des plus bouleversantes qu'il m'ait été donné de voir. Remarquable comme toujours, Melissa Leo parvient à nous jeter en plein désarroi, nous faisant comprendre sans le moindre mot les sentiments que réveillent en elle le visionnage de la pièce de Samuel Beckett, En Attendant Godot. Devant le spectacle pathétique de ces deux hommes, elle comprend que sa croisade n'est qu'un moyen pour elle d'oublier la mort de Creighton, de fuir une réalité qu'elle ne parvient pas à surmonter.
En évoquant sans prévenir le suicide du personnage de John Goodman, David Simon vient changer notre regard sur Toni, sur les raisons de son combat ainsi que ses choix personnels. Brutalement, elle prend conscience de son incapacité à assumer sa propre solitude, à comprendre un suicide toujours aussi vide de sens et à faire la paix avec celui qui a choisi de fuir sous l'effet du désespoir. En se battant pour les autres, elle cherche à masquer un chagrin, une culpabilité parfaitement symbolisée par la façon dont elle passe son doigt sur le fantôme de son alliance.
Mais si cette séquence est vraiment remarquable, elle devient juste grandiose lorsque son regard rejoint celui de sa fille, qui partage totalement son bouleversement. L'art n'est plus alors dans les mots et dans la mise en scène, mais dans la façon dont le spectateur réagit face à une oeuvre qui sait nous éclairer sur notre propre existence. Rien n'est gratuit dans Treme et la moindre scène possède un but, parler cette quête du bonheur qui passe avant tout par un effort terrible : accepter la vérité, celle d'un passé auquel nul ne peut échapper.
L'art comme vecteur pour appréhender et accepter la vérité, une idée forte qui fait partie des thèmes récurrents et majeurs de la série.
La loi et le désordre
Pour finir cette critique un peu excessive pour cet épisode superbe, je voulais parler du rôle des forces de l'ordre dans Treme tant la police se trouvent clairement au centre de cette saison. En effet, dans un monde où chacun cherche le bonheur, les forces de l'ordre sont une nécessité, assurant la sécurité face à la cupidité et à la jalousie qui découle de la coexistence entre la joie des uns et la peine des autres. Leur place est donc centrale et le moindre doute concernant eux ou les pouvoirs publics vient casser les différentes tentatives pour créer cette harmonie qui définit le vivre ensemble.
Le besoin d'ordre de la société se retrouve confronté au chaos régnant dans un monde en pleine reconstruction, où chacun voudrait saisir sa chance au détriment des autres. A l'image du programme NOAH qui rénove les maisons en apparence pour mieux arnaquer les habitants et le gouvernement fédéral, la ville est devenue la proie de profiteurs qui bâtissent leurs richesses sur la misère. Seulement, ces parasites oublient l'être humain ne peut vivre sans espoir d'un lendemain meilleur, générant des tensions qui apparaissent dans les relations avec la police.
Dans le premier épisode de cette saison trois, les forces de l'ordre venaient mater une expression spontanée d'un groupe de musiciens venus pour exprimer leur tristesse par rapport au deuil de l'un des leurs. Une façon de nous montrer les dangers d'un univers où l'ordre prend le pas sur l'improvisation, rompant le tissu social en dispersant ce regroupement spontané et inoffensif. La culture est ainsi, à la fois spontanée et traditionnelle, originale et nourrie d'une multitude d'influences diverses qui forment cet élément abstrait que l'on nomme l'identité d'une ville.
Comme la musique et le jazz en particulier, Treme est une série entre tradition et modernité qui nous montre toute la complexité des mécanismes qui régissent le vivre ensemble. Il en résulte un show remarquable et surprenant, qui confirme dans cet épisode quatre cette impression personnelle qui se transforme peu à peu en conviction : Treme, putain, c'est vraiment le pied.
J'aime :
- la scène finale
- les interprètes remarquables
- Melissa Leo mémorable
- la qualité de l'écriture
- la réalisation impeccable
Je n'aime pas :
- rien
Note : 16 / 20