Critique : WandaVision 1.1

Le 17 janvier 2021 à 12:12  |  ~ 14 minutes de lecture
Le Marvel Cinematic Universe s'empare du petit écran avec un premier lot d'épisodes déroutants qui vaut entièrement qu'on s'y intéresse.
Par Galax

Critique : WandaVision 1.1

~ 14 minutes de lecture
Le Marvel Cinematic Universe s'empare du petit écran avec un premier lot d'épisodes déroutants qui vaut entièrement qu'on s'y intéresse.
Par Galax

 

WandaVision intrigue depuis son annonce, pour son pitch si atypique dans le paysage du Marvel Cinematic Universe. Dans un univers cinématographique aussi lisse où tous les films ne semblent tomber que dans deux ou trois catégories (l'origin-story d'un(e) élu(e), le film de groupe décalé ou les crossovers épiques), voir une mini-série qui sort autant des sentiers battus a au moins le mérite de rendre curieux. Sans aucun contexte, on nous présente le couple Wanda et Vision, déjà atypique dans les films, dans un pitch de sitcom américaine décalée. Les deux premiers épisodes disponibles sont non seulement à des année-lumières en termes d'intérêt et de créativité de la formule Marvel traditionnelle, mais ils sont également déroutants et ultra accrocheurs.

 

Poster WandaVision

 

Disclaimer : cette critique porte sur les deux premiers épisodes. Elle aborde principalement le premier mais décrit quelques scènes du second. Spoiler alert, donc. Mais je n'ai pas décrit le déroulé précis du scénario et j'ai fait en sorte que la critique soit lisible pour toute personne indécise s'intéressant à la série et qui ne l'a pas encore vue.

 

Malaise palpable, plaisir coupable... ?

 

La première chose, c'est qu'on ressent très vite un vrai plaisir coupable à apprécier au premier degré les péripéties humoristiques de cette sitcom. Tout droit calqué sur une version tordue de Ma sorcière bien-aimée, le pitch se traduit immédiatement par des quiproquos amusants entre Wanda et Vision qui tentent de passer pour des humains lambda sans pouvoirs. Difficile de ne pas adhérer à l'ambiance, pour ses répliques exagérées, son ton grotesque et le décalage des aptitudes de science-fiction du duo appliquées à la vie quotidienne du couple américain...

... tout en sachant pertinemment que les choses ne vont pas bien. Pas bien du tout. C'est le contrat avec cette série : le spectateur n'est pas dupe et a parfaitement conscience que le tout est une fausse réalité qui ne durera pas. On retrouve souvent des scènes où une voix inconnue, extérieure à l'image, rappelle à Wanda et au public l'arnaque du monde que l'on suit, et le fait que dans la "vraie vie" une catastrophe est probablement en cours. Je me suis retrouvé constamment tiraillé entre l'envie de prendre de la distance sur ce que je voyais, et l'implication irrésistible des péripéties rétro.

 

Reality Twisted

 

Le résultat est proprement malaisant et fun à la fois. Le jeu d'Olsen et Bettany s'inscrit d'ailleurs totalement dans cet esprit à la fois amusé, décalé, et malsain jusqu'à frôler le glauque par moments.

 

Des sourires de façade masquant un twist... et une société toxique

 

Le malaise n'est pas là que pour faire dire au fan moyen des films Marvel : « C'est marrant mais c'est chelou ahah j'ai hâte de voir ce qu'il se passe. » On l'a compris, il y aura un rebondissement. En attendant, je trouve que WandaVision va plus loin dans ses deux premiers épisodes.

Beaucoup de scènes illustrent cette atmosphère "marrante glauque". Mais certaines délivrent également un certain message, je trouve, sur la société américaine formatée de l'époque. Les scènes où le couple ne se souvient pas de comment ils en sont arrivés là ou pourquoi ils sont ensemble, est assez frappante si on ose faire l'analogie avec un vrai mariage : beaucoup de couples de l'époque se rencontraient, se passaient la bague au doigt illico, et cochaient les étapes une à une de la vie qui était attendue d'eux, par pur réflexe/mimétisme. Ce qui est horrible de mon point de vue de millenial, et devait être terriblement gênant à exprimer.

 

Sourires de façade

 

D'autre part, Wanda et Vision restent atypiques et ne suivent pas ce modèle de la famille traditionnelle. Plusieurs personnages rappellent les "règles" de la trajectoire maritale habituelle, et soulignent que le couple ne les respecte pas. L'amusante voisine Agnès le fait, par exemple. Agnès est un personnage qui, au passage, plaisante souvent sur son malheur d'être avec son mari, le tout de façon anodine. C'est assez drôle. Mais si on lit ce comportement en restant dans le prisme de la série : "une bonne ambiance de façade pour se détourner de la réalité", c'est le signe pour moi d'un vrai mal-être dans son couple. Ce personnage secondaire n'a juste pas assez de place pour s'exprimer autant à l'écran que dans sa vie, et elle comble son vide en aidant immédiatement Wanda à vivre comme elle aimerait.

Ce regard sur la vision du american dream dans un foyer américain n'a rien de révolutionnaire et est même normal pour une série de 2021 basée sur ce contexte. Mais j'ai été surpris de retrouver cette critique partout, de façon si omniprésente et pourtant assez discrète, pas mise au premier plan.

 

Bagues aux doigts

 

Il n'y a pas que sur la vie de couple et la femme-objet que WandaVision traduit le malaise, d'ailleurs. En peu de temps, l'épisode te fait un mini Mad Men et toute la société de consommation y passe. Par exemple, le cœur du premier épisode consiste en un dîner avec le patron de Vision. Dîner où, comme nous le rappelle souvent le patron, tout dérapage social peut signifier licenciement immédiat (!)... Et cela nous est même présenté de façon totalement normale, ou parfois de façon décomplexée, avec ce running-gag de "Wanda l'européenne qui ne connaît pas bien les coutumes".  Tout le quiproquo sur le manque de préparation de Wanda est donc autant appréciable au premier degré qu'en satire de l'époque. Au passage, le pilote ne manque pas de rappeler les origines slaves de Wanda avec le patron M. Hart qui mentionne sa méfiance envers les bolchéviques.

Tout ça n'est pas le propos principal de la série bien sûr, mais il est très satisfaisant de voir qu'elle ne se sert pas juste du contexte afin de faire des blagues faciles et nous divertir en attendant le rebondissement. Elle parvient aussi à traduire le malaise de la société à travers son propre décalage de genre SF/sitcom. La fiction qui projette son ambiance dans le ressenti du spectateur fait le lien avec l'histoire pour forcer un certain regard sur la réalité, c'est quand même sacrément beau, c'est la forme qui rejoint si bien le fond.

 

L'écriture méta 

 

Le dernier point qui m'a bluffé dans ce début de série, c'est sa complicité avec le spectateur : le méta. Il y a tout d'abord ces très bons passages de publicité. Dans le deuxième épisode, c'est pour une montre d'une marque homonyme à "Stryker", un méchant dans le MCU (qui apparaît dans l'univers des X-Men de la Fox qui devraient bientôt être intégrés à l'empire), signe évident de mise en garde. Dans le premier épisode, c'est à la fois plus subtil et plus important : la pub présente un grille-pain dont le minuteur est un voyant rouge qui clignote de plus en plus vite, comme une alarme ou une bombe.

 

Le sens de la couleur

 

C'est l'un des seuls éléments de couleur du pilote, et le premier que l'on voit, il me semble. Ces deux épisodes jouissent d'ailleurs d'un esthétisme très beau (le noir et blanc avec la technologie de nos jours, ça a de la gueule tout de même). La mise en scène très réussie joue très bien sur les codes du format : les séquences d'animation 2D rétro sont par exemple encore un bel hommage au genre et à Ma sorcière bien-aimée notamment. En fait, l'immersion est telle qu'on ne se rend pas compte immédiatement que quelque chose cloche avec ce voyant rouge vif : un regard caméra d'un personnage et un moment d'attente suspect vient nous le rappeler et briser le quatrième mur.

Je me serais bien passé des fins d'épisode en revanche : par deux fois, on nous rappelle un avertissement de type "Wanda, quelque chose ne va pas !", entendu dans une scène précédente. Oui, on a compris qu'il y a anguille sous roche. Probablement une histoire de monde illusoire créé dans l'esprit d'un des personnages (Wanda) pour se protéger, ou fuir la réalité. Beaucoup d'indices vont dans ce sens et ce n'est donc pas surprenant : Wanda qui voit du rouge et du jaune seulement (les couleurs de Vision), par exemple. Ou bien le titre de la série, "WandaVision", assez atypique et faisant plus penser à "Wanda's Vision". Le titre peut dire en fait "le Vision de Wanda", autrement dit le Vision que s'imagine Wanda. Ou encore "la vision de Wanda" : sa vision d'une vie idéale... Le double-sens est assez vaste.

Ces éléments (le titre, la couleur) sont évidents mais sobres. Il était donc inutile de le souligner et de conclure par deux fois ces deux premiers épisodes par un mec qui te sort l'évidence, je trouve. Mais en oubliant cette fin, le reste de cette introduction a su être plus subtil et intéressant à mon sens. Il y a, enfin, cette superbe scène du spectacle de magie dans le second épisode.

 

Spectacle de magie

 

Vision (nom de code : Illusion, wink wink) est en train de bugger et en a oublié ses tours de magie, si bien qu'il ne se rend pas compte qu'il utilise ses vrais pouvoirs pour impressionner son public. Wanda (nom de code : Glamour, wink wink wink) doit alors utiliser ses pouvoirs afin de faire croire à son public que tout est normal. Elle fait donc non pas apparaître des choses extra-ordinaires et ne transforme pas ses pouvoirs en magie, au contraire... elle fait tout l'inverse et fait apparaître cordes, cartons et miroirs. Ceci afin de préserver l'illusion que tout est volontairement maladroit et que "Oups, l'audience a vu ses secrets ! Mince ! C'est que ce doit être de vrais magiciens amateurs qui font des erreurs !" (pas des super-héros infiltrés).

C'est un passage que j'ai trouvé juste génial, non seulement super divertissant et marrant, mais aussi qui résume tout le ton de la série actuellement : Wanda utilise ses pouvoirs pour donner l'impression aux gens du quartier que c'est une apprentie magicienne, tout comme elle utilise ses pouvoirs psychiques pour créer cette sitcom de femme au foyer et donner l'impression à l'audience qu'elle mène une vie normale. Du moins, elle tente...

De façon surprenante, ça s'inscrit aussi très bien sur le propos d'un super-héros, je trouve : de donner l'illusion que tout est facile, normal, que tout le monde peut être un héros et que l'audience crédule y croit par elle-même, avec juste un petit coup de pouce. Le tout dans un esprit plus tordu et personnel que d'ordinaire, car comme la fin de l'épisode 2 nous l'annonce : Wanda est clairement dans le déni et on semble vivre surtout dans sa tête. Quand elle comprend d'ailleurs que l'illusion ne tient plus, la mise en scène change et on débarque une décennie plus tard, en couleur...  un très beau twist qui n'est pas celui auquel je m'attendais (je ne savais pas que la série allait traverser plusieurs époques) et relance encore mon intérêt pour la suite.

Je terminerai par dire que c'est vraiment super de condenser tout l'esprit de la série à l'intérieur d'un petit spectacle de magie, lui-même dans une mise en scène de sitcom, qui constitue la série qu'on regarde. C'est de la double-mise en abyme qui me fait vraiment orgasmer (je suis peut-être facilement impressionnable, on a tous nos kinks, ok ?). Mais ce n'est pas un hasard si c'est dans un passage basé sur la magie qu'on retrouve tout le propos de la série.

Wanda devient en effet une magicienne le temps d'un instant, tandis qu'elle est en temps normal notre sorcière rouge bien-aimée...

~~~

Illusion et Glamour : ce sont les noms de code de Vision et Wanda durant le deuxième épisode, et ils résument peut-être tout le début de la série à ce stade. Ce n'est peut-être pas un projet qui parlera à tout le monde, et il est évident qu'un rebondissement finira par ramener de force les personnages et l'audience à une réalité sans doute plus ennuyante. Mais pour le moment, WandaVision vaut entièrement le coup d'œil : très drôle, finement écrite, dense et plus profonde qu'il n'y paraît. Un premier aperçu totalement fascinant.

 

J'ai aimé :

  • Le ton paradoxal ultra bien géré...
  • ... qui traduit un vrai propos sur l'époque.
  • La multitude de sentiments que véhicule l'épisode : rire, malaise, frayeur, intrigue...
  • Les dialogues savoureux et souvent très drôles au premier degré.
  • L'esthétisme et le jeu autour du format : sur les couleurs, les coupures publicitaires...
  • Le twist de fin de changement d'époque, qui promet encore plus de folies.
  • L'originalité de tout l'ensemble.
  • Les deux épisodes sont tellement denses que j'ai l'impression de ne pas encore avoir tout dit, et j'ai déjà envie de les revoir.
  • La sensation globale que tout est pensé comme une œuvre intense, marquante et cohérente.

Je n'ai pas aimé :

  • Certains passages de rupture du quatrième mur sont trop forcés.
  • Il y a un petit déséquilibre d'intérêt entre Wanda et Vision – les parties avec uniquement ce dernier sont un peu en-dessous (quoique j'aime beaucoup l'idée de montrer un petit comité d'hommes se réunir officiellement pour des patrouilles de sécurité... pour en fait n'échanger que des ragots !).
  • La peur de retomber trop vite dans du "poum poum méchant vs héros" – comme Wanda, je veux encore y croire un instant !

Ma note : 16/20 (pour les deux épisodes) (j'ai déjà envie de mettre plus mais je rehausserai sans doute selon la suite)

L'auteur

Commentaires

Avatar Koss
Koss

Très belle critique. Un de tes meilleures je pense. Notament là-dessus : "beaucoup de couples de l'époque se rencontraient, se passaient la bague au doigt illico, et cochaient les étapes une à une de la vie qui était attendue d'eux, par pur réflexe/mimétisme"

Par contre, je crois que la marque de la montre c'est Strücker (je pense que tu as confondu à cause du U tréma), qui est un méchant d'Hydra et qui avait torturé Pietro le frère de Wanda dans Avengers 2.

La montre en question : https://static1.colliderimages.com/wordpress/wp-content/uploads/2021/01/wandavision-strucker-watches-commercial.png?q=50&fit=crop&w=750&dpr=1.5

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Avatar Mmaginère
Mmaginère


Super critique ! J'ai trouvée la série très sympa, hésitante à la regarder car j'en ai un peu ras-le bol du MCU. Mais ça change et pour moi qui ai adoré Ma Sorcière Bien-Aimée, ça m'a vraiment plu. Effectivement, je pense que le retour à la normale va me donner du désintérêt pour la suite, overdose de super-héros.

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Avatar Altaïr
Altaïr

Super critique, je partage complètement ton ais.

J'ajouterais que j'ai trouvé le "Pour les enfants" récité comme un mantra par les membres de l'association de parent d'élève était absolument géniale et une critique tout à fait juste et intemporelle (on vient de regarder The Undoing où il y a une scène de ce genre mais complètement au premier degré, ça faisait un écho intéressant).

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