Critique : Watchmen (2019) 1.1

Le 24 octobre 2019 à 11:04  |  ~ 14 minutes de lecture
Damon Lindelof ré-invente Watchmen avec talent, des crevettes et moults idées.
Par Koss

Critique : Watchmen (2019) 1.1

~ 14 minutes de lecture
Damon Lindelof ré-invente Watchmen avec talent, des crevettes et moults idées.
Par Koss

Il faut voir ce pilote jusqu’au bout pour enfin savoir de quoi il en retourne. L’idée apparaît alors en plein jour : Damon Lindelof, showrunner de Watchmen, inverse le propos du comics. Le meurtre du Comédien, mercenaire d’extrême droite, est remplacé par celui du chef de la police et le badge "sourire" devient une insigne de police sur laquelle la même goutte de sang vient de verser.

 

HBO Watchmen

 

Who watches the cops?

 

Damon Lindelof a beaucoup travaillé, probablement dans une volonté de bon élève, celle de bien faire et de ne pas être pris en défaut. Et ça se sent. La série est la suite directe du comics (et non pas celle du film) où Lindelof a poussé les idées jusqu’au maximum. Dans ce nouveau monde où Robert Redford est président depuis trente ans (là où Nixon l’était depuis de longues années dans la bande-dessinée), les flics sont devenus les nouveaux super-héros et doivent désormais porter des masques à la suite d’un événement, la fameuse "Nuit Blanche" dont on ne sait pour l’instant rien. Le livre laissé par Rorschach à la fin du comics Watchmen a inspiré les suprémacistes blancs dans leur lutte contre les racisés et contre le gouvernement en général. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Lindelof reste très fidèle à la vision d’Alan Moore sur ce personnage, profondément raciste, sexiste et homophobe dans le comics, traits que Zack Snyder, réalisateur du film, avait eu tendance à largement gommer dans son adaptation. L’histoire de la série est donc celle d’une lutte entre la police masquée, dans un monde où les super-héros ont presque tous disparu (sauf le Dr. Manhattan et Adrian Veidt – voir dans le Coin du Fan) et les rejetons de Rorschach. Les flics sont d’ailleurs d’une certaine manière les enfants de Silk Spectre et de Nite Owl (le Spectre Soyeux et le Hiboux en VF). Ce qui, bien évidement, pose problème. La police a intégré les justiciers masqués en son sein et se placent de ce fait presque au-dessus des lois, comme en témoigne cette scène de torture menée par Angela Abar sur un terroriste. « Who watches the watchmen ? » demandait Alan Moore dans la bande-dessinée. La réponse de Lindelof, à notre époque de crimes policiers, semble être « Who watches the cops ? »  À noter que dans le comics, les premiers Minutemen étaient des policiers qui portaient des masques pour pouvoir agir en dehors de la loi.

 

Oeufs watchmen

 

Réécriture de l’Histoire et de l’histoire

 

Lindelof avance son discours encore plus loin, en s’appuyant sur le massacre de Tulsa (voir Coin du Fan), là où Moore prenait la guerre du Vietnam comme point de départ pour lancer son récit. Forcément, dans l’Amérique d’aujourd’hui gouvernée par quelqu’un d’extrême droite, le récit sonne terriblement actuel. Et c’est bien la pertinence de ce travail d’adaptation : Lindelof casse Watchmen pour mieux l’intégrer dans notre société contemporaine. C’est d’ailleurs ici que tient toute la pertinence de la toute première scène de ce pilote : le film en noir et blanc sur Bass Reeves. Au début du 20e siècle, il fut l'un des premiers shérifs adjoints noirs des États-Unis. Il est réputé pour avoir effectué pendant sa carrière plus de trois mille arrestations. Ses exploits auraient, dans les années 30, servi d’inspiration (avec un Texas Marshall, John R. Hughes) au feuilleton radiophonique The Lone Ranger. La différence, et elle est de taille, c’est que Bass Reeves est noir et que le Lone Ranger, blanc. Se faisant, Lindelof interroge directement la recréation des œuvres. D’où part une idée ? Comment est-elle peut-être travestie dans un but politique ? Le showrunner montre d’ailleurs à voir une version de Bass Reeves très proche de celle du Juge Masqué, membre fondateur des minutemen et que l’on aperçoit en affiche dans ce pilote. Lindelof boucle la boucle en donnant au personnage interprété par Regina King, un costume assez similaire à celui du juge.

 

Là où Zack Snyder faisait un décalque stricte du comics, jusqu’à en manquer d’âme, Damon Lindelof préfère réadapter l’œuvre pour en faire mieux ressortir la substantifique moelle. Il nous livre de ce fait un excellent pilote, qui devra toutefois être confirmé dans la durée, s'il veut vraiment prendre sa place à côté du matériel d’origine. En attendant, la belle prouesse reste quand même à saluer.

 

J’ai aimé :

  • Don Johnson. L’impeccable interprète de Sonny Crockett dans Deux flics à Miami endosse de nouveaux l’uniforme dans un charme très cowboy-ien. Il reste d’ailleurs assez proche en termes de carrure à celle du Comédien, lui aussi tué en ouverture du comics Watchmen.
  • Le fait d’avoir mis l’action en plein milieu de l’Oklahoma permet de donner un autre visage à l’univers de Watchmen, jusqu’à maintenant très urbain.
  • Regina King. L’interprète d’Angela Abar délivre une très belle performance.
  • Le sentiment de ne jamais être pris pour des imbéciles. Lindelof considère que ses spectateurs ont lu et compris le comics et à partir de là, il avance.

Je n’ai pas aimé :

  • La sensation qu’on est encore parti sur un système de "boîtes à mystère" dont Damon Lindelof est plus que coutumier et dont il n’a, par le passé, pas toujours réussi à se dépêtrer.
  • Des décors parfois un peu vides, bien aidés par un beau travail sur la lumière.

 

Ma note : 16/20

 

Le Coin du Fan (édition super costaude) :

 

  • Le massacre de Tulsa a eu lieu entre le 31 mai et le 1er juin. À l’origine, Dick Rowland, un cireur de chaussures noir âgé de dix-neuf ans, est accusé d’avoir agressé Sarah Page, une téléphoniste blanche de dix-sept ans. Il est mis en prison. Des membres de la communauté afro-américaine vont le chercher à la prison, afin qu’il ne soit pas lynché par les Blancs. Ceux-ci les empêchent d’entrer dans la prison et douze personnes noires et blanches sont tuées. Le reste de la ville s’embrase alors et des milliers de Blancs et Blanches s’en prennent à la population noire (ce qu’on voit dans ce pilote). Les locaux blancs récupèrent des avions pour tirer et lâcher de la dynamite sur la foule (ce qu’on voit aussi dans la série). En 2001, après plusieurs années de controverse, la Commission d'Oklahoma estime qu’entre cent et trois cents personnes, en majorité noires, ont été tuées. Ce fait est très peu connu de l’Histoire américaine, à tel point que la recherche Google a montré un pic après la diffusion de l’épisode (voir ci-dessous). Damon Lindelof a déclaré avoir pris largement appui sur un article publié en 2014, The Case for Reparations, par l’auteur et journaliste afro-américain Ta-Nehisi Coates, qui a notamment écrit plusieurs comics sur Captain American et Black Panther.

 

Tulsa Google

 

  • On voit pendant quelques instants un reportage de CNN sur le Dr. Manhattan qui est, semble-t-il, toujours sur Mars. Le château qu'on voit se faire détruire à l'image ressemble un peu à celui d'Ozymandias :

 

Le Docteur Manhattan sur Mars

 

  • Le pilote fait également la part belle à Adrian Veidt, aka Ozymandias, qui est interprété ici par l’excellent Jeremy Irons. L'épisode montre d’abord une couverture de journal où il est présenté comme étant mort :

 

Ozymandias mort

 

  • On le voit ensuite faire du cheval en Angleterre, se faire servir par ses domestiques (qui sont peut-être des robots) et manger un gâteau aux couleurs de son costume iconique (voir plus bas). Veidt explique qu’il construit une pièce de théâtre en cinq actes appelée Le Fils de l’horloger, ce qui fait référence au Dr. Manhattan dont le père était horloger.

 

Ozymandias

 

  • Sur le bureau de Veidt, on aperçoit une bouteille du parfum Nostalgia, commercialisé par Veidt :

 

Nostalgia

 

  • Le pilote donne à voir une très belle scène de pluie de crevettes du ciel. Dans le comics original, Ozymandias faisait croire à une attaque extraterrestre en faisant exploser une immense pieuvre dans Times Square. Ce stratagème était dénoncé par Rorschach dans son journal. Le film de Zack Snyder avait une fin très différente puisque que c’est le Dr. Manhattan qui était manipulé par Veidt pour faire croire à une attaque de sa part contre la Terre.

 

  • L’intégralité des Minutemen est également montrée à l’écran que ce soit dans des affiches, poster raciste, pubs ou dans la série American Hero Story qui leur est consacrée et qu’on aperçoit à la télévision. On voit ainsi : Capitaine Metropolis, Le Comédien, Le Justicier Masqué, Silhouette, Dollar Bill, Nite Owl et Silk Spectre.

 

  • Dans leur vidéo, les membres masqués de la Septième Cavalerie reprennent presque mot pour mot les écrits de Rorschach à la fin de son journal.

 

  • On croise également brièvement, au détour d’une rue, un homme portant une pancarte « L'avenir est radieux ». Dans le comics, Rorschach avait lui une pancarte « La fin est proche » :

 

The end is near

 

  • Le petit garçon, à la fin des émeutes de Tulsa, enveloppe la petite fille dans une couverture assez proche du drapeau américain, ce qui renvoie également à l’arrivée de Superman sur Terre et son adoption par les Kent. On ne sait pas encore qui est cette petite fille. Par contre, le petit garçon (qui est aussi le vieil homme en chaise roulante à la fin) est appelé Will Reeves dans le générique. Will était le père de Bass Reeves.n

 

  • La police utilise l’avion (ou une des versions de l’avion) du second Nite Owl, appelé Archie.

 

  • Sur le bureau du chef de la police, on trouve Under the Hood, le livre écrit par le premier Nite Owl, tandis qu'Angela boit dans un mug  plutôt chouette :

 

Angela Nite Owl

 

  • Le policier qui se fait attaquer au début de cet épisode conduit un véhicule électrique alimenté par une batterie (on voit le petit indicateur sur le tableau de bord). Dans la bande-dessinée, Dr. Manhattan expliquait au premier Nite Owl que les moteurs à combustion allaient disparaître dans le futur (aka le présent de la série).

 

  • Robert Redford est le Président des États-Unis dans la série. Il l’était déjà dans Doomsday Clock, le comics publié par DC en 2018 et 2019, faisant suite à Watchmen. Les terroristes blancs l’appellent d’ailleurs Sundance-in-Chief, en référence au festival de films de Sundance qu’il a créé. Pendant sa présidence, il a notamment fait interdire définitivement les armes à feu et a accordé les Redfordations. Il s'agit de réparations (sous la forme, par exemple, d'exemption d'impôts) au peuple noir pour l'esclavage et la ségrégation subie. Damon Lindelof reprend ici sans doute  l'ordre de mission du général William Tecumseh Sherman de rembourser les anciens esclaves après la guerre de Sécession, avec 40 hectares et une mule. Robert Redford devait d'ailleurs apparaitre dans la série dans son propre rôle, mais cela n'a pas pu se faire (on ne reste pas à l'abri d'une surprise). On aperçoit égalemment très brièvement les Twin Towers dans un extrait télévisé, qui sont donc encore debout dans cet univers.

 

Robert Redford

 

  • Il s'agit d'ailleurs du dernier mandat de Redford, comme nous l'apprend cette coupure de journal :

 

Dernier mandat de Redford

 

  • On apprend également à la radio que le sénateur Joe Keene souhaite se présenter contre le successeur de Robert Redford à la prochaine  présidentielle. Il s’agit sans doute du fils de John David Keene, le sénateur qui, dans le comics en 1977, fait voter une loi interdisant les super-héros.

 

  • On apprend aussi, dans le récit qu’Angela Abar fait de sa vie, que le Vietnam, annexé à la suite de la victoire des États-Unis dans la guerre du Vietman, est désormais un état américain grâce à la puissance de Dr. Manhattan. Le code de la base secrète d'Angela est d'ailleurs 1985, année de publication du comics.

 

  • La devise de la police dans la série est « Quis Custodiet Ipsos Custodes », locution latine qui peut être traduite par « Who watches the Watchmen? ». On retrouve également une citation similaire laissée par le père du jeune garçon noir à son fils pendant les émeutes de Telsa : « WATCH OVER THIS BOY ».

 

  • Le titre de l'épisode C'est l'été et nous sommes à court de glace est tiré de la comédie musicale Oklahoma que le shérif et sa femme regardent au début de cet épisode. Dans cette pièce, le méchant s'appelle Jud, ce qui est aussi le nom du shérif... De quoi laisser quelques indices sur la véritable moralité de ce personnage.

 

Oui, c'est Hugh Jackman.

 

  • Enfin, HBO a lancé le site internet Peteypedia, du nom du personnage de Dale Petey, qui apparaît plus tard dans la série. On y trouve plusieurs éléments faisant le lien entre la bande-dessinée et la série, notamment un article sur la mort de Veidt, où l'on apprend qu’il faut un très gros contributeur pour les campagnes de Redford, qu’il a largement investi dans les véhicules électriques et que personne à part les milieux complotistes n’a cru ce qui était raconté dans le journal de Rorschach. On trouve également un mémo écrit par Petey sur Laurie Juspeczyck, aka Silk Spectre (qui devrait apparaître dans le prochain épisode). On y apprend qu’elle a continué à exercer son métier de super héroïne après les événements du comics, sous le nom de « La Comédienne », en référence à son père « Le Comédien ».

L'auteur

Commentaires

Avatar elpiolito
elpiolito

Petite question : tu places où le nveau de violence de la série ?

3 réponses
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Avatar OmarKhayyam
OmarKhayyam

Génial ton coin du fan. Il m'a donné envie de relire le comics. (Ce que je vais faire de ce pas du coup)

Par contre, je me demandais. Pour toi c'est quoi ces pluies ? J'arrive pas à faire de liens.

4 réponses
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Avatar Stean
Stean

Merci beaucoup pour ce Coin du Fan, ça m'a permis d'être un peu moins perdu sachant que je n'ai vu que le film de Snyder pour le moment !

2 réponses
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