Critique : Watchmen (2019) 1.6

Le 06 décembre 2019 à 14:59  |  ~ 10 minutes de lecture
Un formidable épisode pivot pour cette première saison de Watchmen.
Par Koss

Critique : Watchmen (2019) 1.6

~ 10 minutes de lecture
Un formidable épisode pivot pour cette première saison de Watchmen.
Par Koss

 

C’est le mystère qui titillait les fans de Watchmen depuis le début : qui se cachait donc derrière le masque du Justicier Masqué ? La question, d’apparence anecdotique, portait en elle une haute valeur symbolique : le premier super-héros, celui qui avait lancé tous les autres, restait le seul à conserver son masque. De là, plusieurs théories ont été émises.

Dans le comics, on apprend que le journal New Frontiersman a enquêté sur l’identité du Juge et qu’il a découvert qu’il serait un homme de cirque allemand nommé Rolf Müller, ayant la même physionomie que le Juge et ayant lui aussi disparu au même moment. Le film de Zack Znyder va dans le sens de cette théorie puisque le Juge parle avec un accent allemand. Ozymandias mène aussi l’enquête et semble découvrir que le Comédien a tué le Juge.

Dans le prequel au comics Before Watchmen, l’auteur et dessinateur Darwyn Cook revient lui-aussi sur ce fameux mystère dans son tome consacré aux Minutemen. Dans le dernier chapitre, on apprend que le Comédien découvre que Müller est un ancien nazi, impliqué dans une série de meurtres d’enfants, mais qu’il n’est pas, en revanche, le Juge. Le Comédien tue Müller et décide de faire porter le chapeau au Juge. Nite Owl et Mothman se font avoir par cette ruse et tuent à deux le Juge.

C’est alors que Damon Lindelof entre en scène et propose à son tour une toute nouvelle théorie.

 

La vérité sous le masque

 

La réponse trouvée est géniale. Lindelof revient aux fondamentaux : pourquoi le Juge porte-t-il cette cagoule et cette corde autour du cou ? Et la réponse nous apparaît comme le nez au milieu de la figure : parce que c’est un ancien pendu. Et qui se faisait pendre de la sorte dans les années 30 ? Les Noirs. C’est d’une évidence absolument limpide et bluffante et pourtant, nous n’avons rien vu. Le Juge Masqué, c'est Akecheta dans la saison 2 de Westworld, ce natif américain présent dans presque tous les épisodes de la série, que personne n’a jamais questionné et qui détenait pourtant de nombreuses clefs. Le lecteur de Watchmen et tous ceux qui se sont intéressés à cette question de la véritable identité du Juge n’ont pas trouvé la solution qui était la plus évidente qui soit : le racisme. Lindelof montre que bien au-delà de toutes les turpitudes qui agitent l’Amérique, la question du racisme est celle qui porte en son sein toutes les autres. Elles structurent, de part en part, l’Histoire de ce pays et apparaît même comme point d’origine du mythe de ces néo-dieux américains que sont les super-héros.

 

Le juge masqué et Capitaine Metropolis

 

Parce que la culture américaine fourmille d’exemples d’objets culturels inventés par les Noirs et repris par les Blancs (Elvis en tête), Damon Lindelof et sa bande de co-scénaristes leur rend en quelque sorte justice ici, en montrant que dans son monde, Will Reeves a été à l’origine de tout, là où dans le nôtre, Basse Reeves a été en quelque sorte effacé des tablettes. Dans notre monde en 1947, un journaliste Noir américain, Orrin Cromwell Evans, écrit le premier comic book avec des Noirs comme personnages principaux, dont Lion Noir, un jeune scientifique Afro-américain,doté de super-pouvoirs, travaillant pour l’ONU. Vous pouvez la feuilleter par ici. Cromwell est menacé de mort pour ce projet. Il faudra attendre 1966 (soit trente ans après le premier numéro d’Action Comics, qu’on voit dans cet épisode) pour que Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby inventent Black Panther, le premier super-héros noir. Dans le monde des Watchmen, Will Reeves a porté une cagoule pour protéger à la fois son identité, mais aussi sa position sociale et sa couleur de peau. « Pourquoi porte-t-on des masques ? » demandait Laurie Blake dans le deuxième épisode de la série. Reeves lui apporte ici la plus simple et la plus logique des réponses.

 

À partir d’un tout petit détail du comics Watchmen, Damon Lindelof parvient à tirer une fascinante histoire en parvenant habilement à mêler les deux thématiques qui sous-tendent sa série : la question des masques et celle du racisme. C’est peu dire que c’est brillant.

 

J’ai aimé :

  • L’aspect théâtral de l’ensemble, renforcé par le faux plan séquence continu.
  • Le cirage blanc sur les yeux de Will pour masquer son identité, qui vient fonctionner comme un miroir de la peinture noire utilisée par sa petite fille pour faire de même. Différentes époques et même problème. Plus globalement, l’effet Code Quantum de l’apparition d’Angela à la place de Will vient directement renforcer la question de la transmission de la série.
  • Le signe des cyclopes sous forme de OK qui renvoie directement au même symbole actuellement utilisé par l’extrême-droite américaine. Le scénariste de la série Cord Jefferson a expliqué dans une interview pour SyFy qu’il avait écrit cette scène avant que l’extrême-droite américaine ne fasse de ce geste un symbole.
  • La réécriture de Watchmen par Lindelof, qui vient compléter à merveille le propos d’Alan Moore.
  • La critique de la nostalgie et de son abus actuel par l’industrie du divertissement (Marvel et Star Wars en tête).
  • L’incroyable photographie de Greg Middleton et le jeu sur les couleurs.

Je n’ai pas aimé :

  • Quelques facilités de scénario qui donnent parfois l’illusion d’une histoire trop simpliste.
  • La facilité un peu bébête de la mort du Sheriff, avec cette technologie magique qui risque malheureusement d’être utilisée une nouvelle fois par la suite.

 

Ma note : 17/20

 

Le Coin du Fan :

 

  • En 1999, James Gifford publie un papier : Le destin du Juge Masqué et de Captain Metropolis, où il émet une toute nouvelle théorie sur le destin des deux héros. Selon lui, ils sont les deux seuls membres des Minutemen à mourir hors-case et ils apparaissent bien vivants et heureux dans le premier chapitre de Watchmen (voir case ci-dessous). L’action de cette case est censée se passer le 13 octobre 1985, soit pile l’anniversaire de l’apparition du Juge Masqué en costume lors du braquage de l’épicerie (qu’on voit dans cet épisode). Alan Moore, le scénariste de Watchmen n’a jamais confirmé ou infirmé cette théorie, tandis que Dave Gibbons, son dessinateur (et aussi coproducteur de la série) a indiqué dans une interview que c’était une belle théorie, mais qu’elle était fausse.

 

Une case du premier chapitre de Watchmen

 

  • L’épisode donne à voir la fameuse photo des Minutemen, montrée dans le comics, dans Before Watchmen et dans le film de Snyder :

 

Prise de la photo des Minutemen dans le comics Watchmen

Dans le comics Watchmen (1986)

 

Prise de la photo des Minutemen dans le film Watchmen

Dans le film Watchmen (2009)

 

Prise de la photo des Minutemen dans Before Watchmen

Dans Before Watchmen (2012)

 

Prise de la photo des Minutemen dans la série Watchmen

Dans la série Watchmen (2019)

 

  • Dans cet épisode, un vendeur de journaux lit le numéro 1 d’Action Comics, sorti en 1938 et racontant la première histoire de Superman. À noter que la quatrième de couverture montrée ici n’est pas exactement la même que celle qui existe dans la réalité.

 

  • Le titre de l’épisode, This Extraordinary Being ("Cet être exceptionnel"), vient d’une phrase de l’autobiographie du premier Nite Owl. Dans celle-ci, il expliquait que le Juge Masqué était un être exceptionnel qui avait inspiré tous les autres super-héros. La phrase est la suivante : « This extraordinary being had crashed in through the windows of the supermarket while the robbery was in progress and attacked the man responsible with such intensity and savagery that those not disabled immediately were only too willing to drop their guns and surrender. » C’est cette scène, mais sous un angle différent, qu’on voit dans cet épisode (et aussi quelques épisodes plus tôt dans American Hero Story).

 

  • Dans Peteypedia (le Wikipédia fait par HBO sur la série), on apprend que Nelson Gardner aka Captain Metropolis lègue son immense fortune à Will Reeves dans son testament. Dans le comics, Gardner meut en 1974 dans un accident de voiture. Dans ce texte, il explique qu’il a vu, en se disputant avec lui, Will pour la dernière fois en 1955 et qu’il en a entendu parler, une dernière fois, via un groupe d’amis communs en 1966 : il vivait alors à San Francisco où il tenait un cinéma. Nelson exprime aussi ses regrets sur sa non-prise de position politique de l’époque. Peteypedia confirme, par ailleurs, que Gardneur a été trouvé mort décapité dans sa voiture en 1974 et que sa tête n’a jamais été retrouvée. Ce testament est écrit cinquante ans jour pour jour après le massacre de Tulsa.

 

  • L’officier noir Samuel J. Battle qui met en garde Will contre les cyclopes est une personne qui a vraiment existé. Il s’agit du premier officier de police noir de New York :

 

Samuel Jesse Battle, premier officier noir de la police de New York

 

  • L’homme qui brûle le magasin juif (il s’appelle Fred) explique à Will qu’il souhaite rentrer chez lui pour écouter Amos 'n' Andy. Complètement inconnu en France, il s’agit d’un show radiophonique où deux acteurs blancs se faisaient passer pour des Noirs et racontaient des anecdotes supposément amusantes.

 

  • On voit d’ailleurs dans l’épisode que ce Fred a un entrepôt à New York, nommé Fred and Son. Or, à la même époque, un certain Fred Trump (le père de) avait aussi un entrepôt dans la ville pomme. Hasard ou clin d’œil ?

 

  • Le rassemblement de nazis dont il est question dans cet épisode a bien eu lieu : en 1939, vingt mille New-Yorkais se sont rassemblés à Madison Square Garden. Ce rassemblement était organisé par la Fédération germano-américaine pour critiquer le président Roosevelt et son New Deal, renommé par les nazis-américains, le « Jew Deal » (« Affaire juive »). La Fédération sera interdite à partir de 1941 et dissoute.

 

  • Lors du massacre organisé par les cyclopes dans le cinéma, c’est le film La vie secrète de Walter Mitty qui est projeté (l’original de 1947, pas le remake de et avec Ben Stiller). Ce film raconte l'histoire d'un homme qui s’imagine vivre des fantastiques aventures dans ses rêves. Après son réveil, il vit dans le monde réel une vraie aventure. On peut donc supposer que c’est ce qui va arriver à Angela dans le prochain épisode.

L'auteur

Commentaires

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Altaïr

C'est vrai que c'était un bel épisode.

Par contre je suis étonnée que tu ne parles pas de l'autre transgression de cette épisode - non seulement le 1er superhéros était noir, mais il était bisexuel. C'est sur que le racisme est la principale thématique de l'épisode, avec une iconographie extrêmement forte, mais ça ne me semble pas pour autant anodin pour autant qu'il ait choisi un personnage qui soit en plus LGBT - cela porte d'ailleurs au minimum à 3 les LGBTs parmi les minutemen, avec cap metropolis et la silhouette.

PS : parenthèse, mais je viens de lire l'article "Peteypedia" et il me semble symptomatique des qualités et des défauts de la série. L'article donne un background assez sympa à l'histoire, et tout va bien jusqu'aux derniers paragraphes, où Petey explicite "les intentions derrière Watchmen la série, pour les mous du bulbes qui ne comprennent rien de ce qu'on cherche à leur expliquer" . Et ça gâche tout : "From a historian’s perspective, the discovery of Hooded Justice’s true identity as Mr. Reeves significantly reframes our understanding of the history of masked vigilantes in our country. It forces me to confront my own biases — it never occurred to me consider that Hooded Justice could have been anything other than a white male.
As Athena sprung from the head of Zeus, so did the modern phenomenon of costumed vigilantism from Hooded Justice. For a century, his “secret identity” is the only one that has remained unrevealed, and now, we know why. It seems clear that Mr. Reeves did not hide his face for purposes of showmanship or pageantry, but for his own survival.
I have spent countless hours criticizing American Hero Story: Minutemen for its historical inaccuracies, but it never occurred to me until this moment that the greatest historical inaccuracy of all might be America itself.
This is a memo for another time."

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