Les participants :
- Côté français, Anne Landois (co-scénariste d'Engrenages) et Hervé Hadmar, qui pilote Pigalle la Nuit et plus récemment Signature.
- Côté USA, Shawn Ryan (The Shield, The Chicago Code) et Graham Yost (Justified, Boomtown).
Ecriture : « l'argent, c'est du temps ! »
Commençons par enfoncer les portes ouvertes.
Oui, le budget est une part majeure de l'écriture de la série, en France comme aux Etats-Unis. Pourquoi ? « Parce que l'argent c'est du temps », répond Graham Yost. Des exemples ? Ce qui est le plus parlant, c'est le nombre de jours utiles consacrés à chaque épisode, répondent les deux showrunners américains.
« Vous pensez qu'en terme de budget, il y a un monde entre la France et les Etats-Unis ? Mais en réalité, il y a un monde entre HBO et les autres chaînes américaines », martèlent-ils.
Alors que pour Justified ou The Chicago Code, respectivement diffusés par FX et Fox, les épisodes sont bouclés en 7 et 8 jours, HBO produit ses épisodes sur des temps beaucoup plus longs : 20 jours de tournage pour les Sopranos, 20 pour Sex and the City, voire plusieurs mois pour certains épisodes de Band of Brothers, indique Graham Yost.
Un choix de production, donc un choix d'écriture.
Côté français, le budget est aussi inclus dès l'écriture. « Pour Pigalle la Nuit, j'avais en tête le coût dès la conception de la série. Nous avons fait un choix de production, et donc un choix d'écriture », explique Hervé Hadmar.
« Entre tourner dans le vrai Pigalle et reconstruire Pigalle en studio, nous avons fait le premier choix. En clair, ça s'est traduit par l'utilisation de la rue, de la vie de Pigalle. Nous avons filmé sans arrêter les passants, en utilisant des micro-cravates, de longues focales et en envoyant les acteurs jouer leur scène de l'autre côté de la rue. Une fois sur trois, la prise était totalement ratée, avec le bus qui vient s'arrêter entre les acteurs et nous, ou les passants qui reconnaissent l'un des acteurs. Mais une fois sur trois, c'était extraordinaire. L'impression de filmer la vie et le chaos et d'en faire un récit. Cette identité graphique et visuelle est pensée dès l'écriture, et nous n'avons jamais eu de dépassement de budget ou de jours de retard ».
Pigalle, la nuit, produite par Canal+, a été entièrement tournée dans le quartier parisien
L'écriture justement. D'un exercice relativement solitaire, ou en duo, en France, on passe à un travail d'équipe, avec un chef d'orchestre, le showrunner, « responsable de l'intégralité de la série », outre Atlantique.
Exemples : sur Justified, il y a 8 à 9 scénaristes qui travaillent dix heures par jour, du lundi au vendredi, sur chaque épisode. Quand ils sont au maximum 4 sur les séries françaises. « De toute façon, explique Shawn Ryan, c'est un travail très collaboratif, dans lequel le showrunner dirige, mais il y aurait trop à faire pour une seule personne ».
Un processus à géométrie variable
En France comme aux Etats-Unis, les showrunners n'entendent pas laisser la baguette à quelqu'un d'autre : « Je ne crois pas que la création d'une série soit un processus démocratique, il faut un regard particulier qui s'impose pour rallier les autres, et proposer un processus original », affirme Hervé Hadmar. Mais d'un côté comme de l'autre de l'Atlantique, chacun sa recette.
A Pigalle, les choses commencent par une discussion à bâtons rompus, « le plus souvent dans un bon restaurant avec mon coauteur », raconte Hervé Hadmar. « On fantasme sur les saisons, les personnages, les arches (« arcs narratifs »)... Et on passe très vite aux dialogués. De toute façon, comme je réalise, c'est moi qui écrit la dernière version dialoguée ».
« Sur Engrenages, le travail commence par une trame brute, construite comme un rapport de police et livrée par Eric de Barahir, le coauteur, qui est par ailleurs commissaire divisionnaire », raconte Anne Landois. « Une fois cette trame écrite, on réfléchit ensemble à la façon de faire vivre nos personnages à l'intérieur, ça nous donne les axes qui vont leur permettre d'évoluer sur la saison. On passe ensuite à un document plus détaillé, qui permet de passer à la continuité dialoguée de chaque épisode ».
Tournage de The Shield
Sur The Shield, c'est totalement l'inverse. « L'histoire criminelle est la dernière chose que l'on écrivait. On plaçait d'abord les enjeux émotionnels, pour chacun de nos personnages, puis on construisait les événements qui leur permettaient d'en arriver là. C'est quelque chose que j'ai appris en travaillant sur Angel avec Joss Whedon, le créateur de Buffy, the Vampire Slayer », explique Shawn Ryan.
Question de rythme
Et pourquoi, en France, attendons-nous si longtemps entre deux saisons ? L'écriture y est encore une fois pour beaucoup. Les équipes françaises écrivent l'ensemble des six ou huit épisodes d'une saison avant d'entamer le tournage. Les équipes américaines, elles, écrivent en continu pendant le tournage de la série. Alors que les premiers épisodes sont en cours de fabrication, elles planchent sur le milieu de la saison. « Ce qui fait des scénaristes le pivot et les éléments les plus importants de la fabrication d'une série », souligne Graham Yost.
Autre conséquence : « Nous devons attendre le verdict de la diffusion pour savoir si la série sera conduite pour une saison supplémentaire », explique Anne Landois. « Et nous ne commençons à écrire la saison suivante que lorsque nous avons ce feu vert. Ce qui explique, pour Engrenages, que nous n'en soyons qu'à la saison 4, alors que la série a démarré en 2004. Ce qui explique aussi que nos personnages vieillissent plus vite que les vôtres », plaisante-t-elle en s'adressant aux Américains.
La nudité : « une chose inconcevable outre-Atlantique »
Quant à la censure, elle est présente sur les deux rives de l'Océan. Si le câble, et particulièrement HBO, fait office de soupapes et laisse filtrer sans les biper les shit et les fuck côté américain, en France, c'est Canal + qui joue ce rôle. C'est ce qui ressort, en creux, de l'intervention d'Anne Landois, qui insiste sur le fait que « la chaîne n'interdit aucune critique du pouvoir politique ou du pouvoir policier ».
Mais ce qu'ont surtout retenu et ce qui a réjoui les deux Américains, c'est la nudité omniprésente sur les productions françaises, « une chose inconcevable outre-Atlantique, sauf sur Showtime ou HBO ».
Compte-rendu de la table ronde par nos deux reporters : Puck et alanparish.
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