18h00. Nous ne sommes pas nombreux à nous installer dans le petit auditorium. A la leçon magistrale, Tom Fontana, en maître de cérémonie, Alain Carrazé. Et c'est parti pour une leçon de scénario bien trop courte, illustrée par des extraits de séries. On (AlanParish et Puck, qui tremble encore d'avoir pu poser une question au maître) vous en livre l'essentiel. Et on lui laisse la parole.
Tom Fontana
« L'art de raconter des histoires, c'est l'art de voler »
Vieilles structures, nouvelles histoires
« L'art de raconter des histoires, c'est l'art de voler. Parce qu'il n'y a aucune situation nouvelle dans les scénarios. Elles sont limitées, ont déjà été racontées. D'ailleurs un livre écrit au siècle dernier, intitulé 36 situations dramatiques recense toutes les situations pouvant donner lieu à un enjeu dramatique. Face à ça, que faire si vous voulez raconter une histoire ? Qu'est-ce qui nous reste ?
Pour moi, il faut se concentrer sur le personnage et le thème.
Par exemple, pourquoi faire une série qui se passe à la Renaissance, comme Borgia ? Ca ne sert à rien vous ne faites pas un lien entre cette époque et notre époque. Si ça ne nous ramène pas à ce qu'on vit aujourd'hui, collectivement et individuellement. »
Le personnage en trois étapes
« On en revient donc à ça, comment raconter ? Le point de départ, pour moi, c'est le personnage. Pour le définir, j'ai un petite check-list « a little mental check-list » :
- Une tête bien faite : qu'est-ce qu'il pense ? Qu'est-ce qu'il a dans la tête ? Quel est son niveau d'étude, ses références culturelles.
- Un coeur qui bat : ses sentiments. En quoi croit-il ? Qu'est-qui le fait rire ? Qu'est-ce qui le fait pleurer ?
- Une entrejambe (ça, c'est nous qui le disons, Tom Fontana a juste précisé « un peu plus bas », ndlr) : avec qui veut-il coucher ?
Ces personnages, on les puise dans notre entourage. Mais une fois qu'on les a décrits, comment les mettre en scène ?
OZ, série créée par Tom Fontana
Emprunt grec
Les thèmes, il faut les exposer sans détours, explicitement, avec des dialogues relevés. Comment faire comprendre au spectateur le thème de l'épisode ? Dans Homicide, on plaçait deux policiers dans une voiture, pour qu'ils se rendent sur le lieu du crime, et ils discutaient du meurtre, de la façon dont ça pouvait entrer en résonance avec leur vie...
Mais dans Oz, qui se déroule dans le milieu carcéral ? J'ai fait deux ans de recherche dans les prisons américaines, et j'ai remarqué que les prisonniers n'étaient jamais honnêtes, ils ne disaient jamais la vérité lorsqu'ils se racontaient. Ils se mentaient entre eux, et surtout me mentaient à moi, qui était assez naïf pour faire une série sur eux. Si les prisonniers ne disent pas la vérité, comment faire apparaître les thèmes ?
La solution, je l'ai volé aux Grecs, et je leur ai emprunté le choeur. Dans Oz, il y a un narrateur, qui remet les situations en perspectives. Je voulais qu'il originaire d'une minorité. Il est noir, et paraplégique, c'est Augustus Hill. Il est différent des autres, y compris dans le visuel, il est placé hors de la brutalité de la prison.
Shakespeare derrière les barreaux
Pour les autres personnages, je suis allé puiser chez Shakespeare. Le personnage de Ryan O'Reilly, par exemple, c'est Iago [le traître d'Othello] : manipulateur hors pair, plein de passion, haut en couleur. C'est ce qui est formidable avec les personnages de Shakespeare, ils sont flamboyants, exubérants.
La troisième personne à voler, c'est Tchekov. Ses personnages sont passionnés, mais l'expriment de façon plus intime, ils intériorisent davantage que chez Shakespeare. C'est le cas, par exemple, dans une scène de Borgia [que nous n'aurons pas la possibilité de voir, car il est impossible d'éteindre les lumières de l'auditorium], où la dynamique entre le père et son fils est intéressante. Le père, devenu pape, a obligé son fils, qui se rêve en chef de guerre et en roi, à devenir cardinal pour lui succéder. »
Homicide, une autre série de Tom Fontana
Inspiration personnelle
« Et après, il ne reste plus qu'à se voler soi-même. J'habitais, quand j'étais gamin, l'Etat de New York, pas loin de la prison d'Attica, quand les émeutes y ont eu lieu. Ca m'a marqué, et je ne comprenais pourquoi les prisonniers se rebellaient. Après tout, ils étaient en prison, c'était normal qu'on les traite mal ! Ce sujet, je l'ai développé dans Oz. Mais je l'ai d'abord abordé dans Homicide, quand les détectives vont enquêter sur l'origine de la mutinerie de la prison de Baltimore. C'est une façon de s'intéresser au sort des prisonniers qu'ils mettent depuis quatre saisons derrière les barreaux. Que deviennent-ils ?
D'ailleurs dans Homicide, j'ai essayé d'être moins manichéen : les flics ne sont pas forcément gentils, ils ne réussissent pas leurs enquêtes à tous les coups. »
Les nouveaux auteurs : « Ils n'ont aucune autre référence que la télévision »
En résumé
« Tout ça pour vous dire, pour faire une bonne série, il faut dire la vérité, traiter les sujets avec honnêteté, trouver les personnages et les thèmes les plus intéressants possibles.
D'ailleurs, à ce sujet, à l'époque où je suis venu présenter le projet Oz, le directeur d'HBO m'a donné le meilleur conseil possible, et c'est d'ailleurs la seule et unique fois que je l'ai entendu dans la bouche d'un directeur de chaîne : « Je m'en fous que les personnages soient sympathiques, du moment qu'ils intéressants ». »
Ca vous a plu hein, vous en voulez encore ?
Tom Fontana y est aussi allé de ses conseils dans la courte séance de questions-réponses qui a suivi. Quelques extraits :
- Peut-on tuer un personnage principal sans perdre le spectateur ?
Oui, car en laissant le spectateur dans la crainte qu'il arrive quelque chose au personnage la semaine suivante, il l'écoute et s'intéresse vraiment à ce qui lui arrive. Et faire mourir des personnages de fiction, ça montre, en prime, la fragilité et la précarité de notre sort. Il n'y a pas de vie éternelle.
- Que pensez-vous de la nouvelle génération d'auteurs ?
- J'ai un peu peur, parce qu'ils n'ont aucun autre bagage, aucune autre référence que la télévision. Alors que les scénaristes de ma génération ont d'abord été des poètes, des écrivains et des dramaturges.
Retrouvez tous les articles sur le festival séries de Deauville :
- En direct de Deauville, jour 1
- Leçon de scénario avec Shawn Ryan
- Leçon de scénario avec Shawn Ryan (suite et fin)
- Interview de Graham Yost
- Les petites phrases qui ont marqué le festival