De quoi ça parle alors ?
Ca parle tout simplement de deux personnes vouées à illustrer la lutte du bien contre le mal. Ben et Justin. La série, tout au long des deux saisons, nous narrera l’histoire respective de ces deux personnages, sur les grands territoires vierges de l’Amérique de l’Est, durant les années 30.
Justin
Justin vit dans une petite ville, est plutôt aisé et mène une vie tranquille en tant que curé de son église locale. Banal, hm? Oui c’est ce que l’on pourrait penser aux premiers abords. Mais je pense pouvoir affirmer que c’est là le meilleur personnage qu’il m’ait été donné de voir dans une série télé… Il est vraiment, terriblement bien écrit. En fait, cet homme est constamment tiraillé par deux choses totalement opposées : les règles dictées par la religion qui le restreignent mais auxquelles il croit dur comme fer, et sa propre nature, noire et fondamentalement mauvaise. Du coup, il a toujours l’air de brûler intérieurement, sur le point d’exploser, et de tout consumer autour de lui, mais il ne le fait jamais et affiche toujours une attitude faussement gentille. Il est terrifiant. Non sincèrement, à chaque fois qu’on le voit, on sent toute l’absurdité de ce qu’il est, et toute sa colère par rapport à ça, et on a peur, très peur pour les personnages qu’il côtoie, surtout pour sa soeur et pour ce journaliste qui enquête sur son histoire. Il faut dire que l’acteur est excellent, et qu’ils ont particulièrement bien choisi la tête.
Son évolution est des plus intéressantes. Et si au début on peut avoir peur que les scénaristes se contentent de nous montrer sa progression dans l’autorité religieuse locale, le scénario prend très vite une autre tournure et incite Justin à une énorme remise en question. Je n’en dis pas plus pour ne pas vous spoiler, la seule chose à retenir c’est que le périple de ce personnage est assez effrayant et que son évolution est monstrueusement bien retranscrite. C’est peut-être le personnage qui m’a paru le plus instable, le plus dangereux, et le plus menaçant toutes œuvres confondues, avec Tuco dans Breaking Bad, même si le registre est totalement différent.
Ben
Carnivàle c’est avant tout le périple d’un groupe de forain dont le chef se trouve être un nain, Samson. Il obéit aux ordres de la Direction, Direction par ailleurs qu’il dit être le seul autorisé à voir. Un beau jour il tombe avec son convoi de caravane sur Ben, en train de creuser la tombe de sa mère. Difficile de décrire ce personnage, très renfermé, très râleur, qui pourtant recèle une certaine naïveté et gentillesse. Il est dans tous les cas loin d’être transparent et ce sera souvent la pierre angulaire de certaines storylines de la troupe.
On découvre ainsi par ses yeux le cirque Carnivàle, à l’encontre duquel il se montre au premier abord réticent, restant dans son coin, rejetant l’idée de se lier avec ses occupants. Mais il va vite se fondre dans cet univers très particulier. Femme à barbe, voyante, siamoises, homme lézard, prostituée, contorsionniste… C’est à la fois très flippant et malsain, mais on découvre qu’il y a finalement beaucoup de chaleur et d’humanité dans cette troupe. Les personnages sont loin d’être caricaturaux et sont tous formidablement bien posés. Les relations de ce petit groupe de forain constitueront une part importante de la série, et donneront d’ailleurs lieu à des scènes génialissimes, qui atteignent des sommets en matière de drame et de tension.
Si je peux dire qu’il y a une chose que j’ai retenu de la série, ce sont les rêves, et les hallucinations diverses et variées dont est sujet Ben, véritables délires psychédéliques, souvent très dérangeants et flippants, dans lesquels il sera justement amené à rencontrer le père Justin. L’ambiance dans ces cauchemars est extrêmement travaillée que ce soit au niveau de la réalisation, de la symbolique, ou de la tension. Certains rêves m’ont même mis très mal à l’aise, alors que je suis loin d’être facilement ébranlable devant une série ou un film. Ces songes sont une occasion pour étoffer le personnage de Ben, mais surtout pour mettre l’accent sur l’un des nombreux mystères de la série.
Oui, et donc ?
Qu’est ce qui fait de Carnivàle une série exceptionnelle au final ? Sont-ce ses acteurs ? Ses personnages ? Son scénario ? Oui, forcément. Mais la vraie grande force, le pilier central de la série, c’est son ambiance, son atmosphère unique qui fait toute la différence et qui distingue réellement Carnivàle de toutes les autres séries qui ont pu être créées à ce jour. Comme je vous l’ai dit, l’histoire se passe dans les années 30, dans l’Amérique sauvage. Pas de grande ville donc, juste de la saleté, de la crasse, du vent, des portes grinçantes, des paysans bizarres, des hameaux paumés… et du soleil, beaucoup de soleil.
C’est bien sûr l’occasion de teinter le tout d’un ésotérisme propre à cette époque, notamment au travers des personnages de la troupe, comme le Professeur Lodz, l’aveugle voyant, où Sofie, la diseuse de bonne aventure qui communique par pensée avec sa mère. Mais là où l’aspect fantastique est pleinement assumé, c’est avec le pouvoir de Ben : celui de guérir les autres en ôtant la vie des organismes vivants aux alentours. Je ne sais comment, mais le côté irréel est fabuleusement bien traité. C’est assez subtil pour que ça paraisse réaliste, assez bien mis en scène pour qu’on y croit, assez implicite pour être inquiétant. Il y a là un parfait dosage entre surnaturel et réalité qui arrive à la fois à nous faire peur et à nous émerveiller. Avec cela vient une impression qui ne nous quitte pas pendant tout le visionnage : Carnivàle c’est vraiment, vraiment bizarre. C’est pour ça qu’on l’aime, c’est aussi pour ça que certains la déteste.
Le tout est servi par des décors qui sont pour la plupart sublimes, et que ce soit la fête foraine, les villages, les maisons, les ruines, les vieilles voitures et les vieux costumes, tout, absolument tout est reconstitué à la perfection. On s’y croirait. Une certaine lenteur, parfois excessive, il faut l’admettre, rythme les épisodes et permet d’instaurer un certain réalisme aux scènes quotidiennes. On arrive ainsi pleinement à s’imprégner de l’ambiance et à s’attacher aux personnages et à leurs caractères particuliers. Le générique suffirait à vrai dire à décrire l’atmosphère de cette série :
Comme si des personnages complexes et une ambiance de fou furieux ne suffisaient pas, le show se paye en plus le luxe d'être doté d’un scénario en béton armé. Les mystères trouveront tous une explication tôt ou tard dans l’histoire, s’ouvrant souvent sur d’autres questions, qui seront de toute façon toutes résolues à la fin des deux saisons. Le fait est que Carnivàle forme un tout, que c’est une histoire, une vraie, comme un immense film d’une vingtaine d’heures. Toute la série n’est qu’une montée en puissance lente mais conséquente, et il n’y a qu’à la fin que vous pourrez vous rendre compte de sa véritable ampleur.
Alors vous comprendrez toute ma rage quant à l’annulation de la série par HBO (même si, je le répète, ça n’a pas empêché la série de se conclure proprement) Vous comprendrez à quel point j’ai souffert en voyant un tel potentiel étouffé au bout de deux saisons seulement.
HBO, je te hais.