Histoire et débats : la série TV #6

Le 23 novembre 2010 à 16:15  |  ~ 7 minutes de lecture
Les années 70 furent aux États-unis une époque de paradoxe, ou l'ouverture flirtait avec la censure et ou les brides menaient à la créativité. Bienvenue dans un monde qui va bientôt connaître les stras et les paillettes du disco, la violence du hard rock et les couleurs du reggae.
Par Scarch

Histoire et débats : la série TV #6

~ 7 minutes de lecture
Les années 70 furent aux États-unis une époque de paradoxe, ou l'ouverture flirtait avec la censure et ou les brides menaient à la créativité. Bienvenue dans un monde qui va bientôt connaître les stras et les paillettes du disco, la violence du hard rock et les couleurs du reggae.
Par Scarch

Quand la censure mène à l'ouverture.

En 1968, Richard Nixon devient président des Etats-Unis. En novembre 1969, il fera une déclaration qui marquera un changement dans la liberté d'expression des networks américains. En effet, par l'intermédiaire de toutes les réseaux télévisuels Américaines, la stratégie militaire concernant l'implication du pays dans la guerre du Vietnam est révélée au public et les trois principales chaînes, à savoir l'American Broadcasting Company (ABC), le Columbia Broadcasting System (CBS) et la National Broadcasting Company (NBC) profitent de l'occasion pour laisser libre court à la critique sur les propos du président. Le vice président de l'époque, Spiro Agnew (photo), part alors en croisade contre ces trois compagnies. Nous ouvrons une petite parenthèse ici pour expliquer les tenants de la situation.

A l'arrivée au pouvoir de Richard Nixon, la chaîne la plus critique à l'égard du gouvernement et des institutions était alors nationale et financée par l'Etat; Elle s'appelait NET. Cette chaîne est alors freinée dans son élan par le nouveau président qui lui rappelle que son budget lui est attribué par le gouvernement en place. La voie est donc libre pour les networks privées de se faire une place et de revendiquer leur indépendance. Les trois plus grands réseaux américains prennent donc une position démagogique par rapport à la jeunesse contestataire américaine.

Parenthèse refermée, Spiro Agnew se lance dans une stratégie qui vise à retourner les chaînes locales contre les réseaux nationaux privés en prenant partie pour le fait que les premières ont aussi droit à l'indépendance. En effet, auparavant, les programmes des grands networks étaient vendus aux diffuseurs locaux qui servaient de relai pour une diffusion nationale de ceux-ci. C'est ainsi qu'à partir de septembre 1971, les trois plus grandes chaînes américaines ne disposent plus que de 3 heures par jour (de 20h à 23h) pour diffuser leurs programmes à l'échelle nationale et de manière synchronisée. En ajoutant à cela la pression du congrès pour interdire les publicités sur le tabac, principales sources de revenus des networks, on comprend que les années 70 s'annonçaient comme une période de vache maigre télévisuelle comparée à l'age d'or des années 60. Et pourtant...

 

Pourtant l'un des évènements racontés ci-dessus va venir changer légèrement la donne. Vous voyez lequel? Nous avons parlé de la jeunesse contestataire américaine, et si les grands networks ont commencé à surfer sur la vague de l'anticonformisme, c'est surtout parce que cette jeunesse faisait de plus en plus parler d'elle. Le mouvement hippie tout d'abord, contestataire mais pacifiste, apparut dans les années 60, sera suivi dans le milieu des années 70 par le mouvement punk. Ces révolutionnaires en herbe ont démontré aux grandes chaînes que la jeunesse aussi était à prendre en compte dans l'audimat. On pourrait résumer les évènements précédents de la sorte: Les jeunes se rebellent contre la guerre au Vietnam → Les networks se rendent compte que les jeunes existent → Nixon affaiblit les Networks → Les networks orientent leurs programmes vers les jeunes et les contestataires.

Sans rentrer dans le détail pour l'instant, ces évènements furent très importants pour l'orientation des séries télévisées qui allaient naître dans cette période. En 1975, les Jeffersons puis en 1978, Arnold et Willy sont les premières séries à succès dont les héros sont afro américains. Auparavant, la seule série à inclure un héros de couleur était Julia en 1968, un programme qui durera tout de même 3 ans. Starsky et Hutch, qui débarquent en 1975 parlent, eux, de l'homosexualité de manière explicite pour la première fois dans une fiction télévisuelle, dans l'épisode 52 (Death in a different Place ). A la fin des années 70, le premier personnage de série officiellement gay apparaît dans Dallas en la personne de Kit Mainwaring.

La série télévisée américaine va alors raconter des histoires à messages et mettre le doigt sur les vrais problèmes de la société contemporaine, tout en faisant preuve d'imagination sur les procédés narratifs et créatifs.

 

That' 70s show

 

Nous allons maintenant nous concentrer sur les séries télévisées des années 70. J'ai volontairement omis un titre parmi les séries américaines qui ont commencé à mettre en avant la population afro américaine. Il s'agit de Shaft, une série que vous connaissez surement plus par son générique que par son contenu. John Shaft, le héros de la série est alors interprété par Richard Roundtree, que les fans de Heroes connaissent surement a travers son rôle de Charles Deveaux.

 

Richard Roundtree (fight!) ... ou alors : Richard Roundtree, fils de Roundtou et petit fils de roundouane

On peut dire que l'ouverture raciale s'est faite en douceur avec Shaft. D'abord héros de roman, puis de cinéma, John Shaft n'est pas exactement le même dans la série que dans les autres œuvres où il apparaît. A la base, Shaft est un détective indépendant qui se fait engager par un trafiquant de drogue pour retrouver sa fille. Le personnage n'est donc pas au service de la justice, mais représente une sorte de héros des noirs contre les blancs. Dans la série et dans les films qui suivirent, la démagogie prenant le dessus, Shaft devint un héros au service de la justice représentant les afro américains. C'est pour cette raison qu'en 1973, CBS décida de modifier le scénario originale et de faire de John Shaft un détective indépendant au service de la justice, puis plus tard, dans le film où il est incarné par Samuel L Jackson d'en faire une sorte de stéréotype, un flic noir aux méthodes peu orthodoxes et au sex-appeal infaillible. Petit clin d'œil du film au passage, l'oncle de Shaft est interprété par Richard Roundtree.

 

L'objectif des séries télévisées américaines tend donc peu à peu vers une vision plus moderne, moins étriquée de la réalité. John Shaft n'est d'ailleurs pas le seul afro américain à être représenté en tant que justicier. En 1968, une série apparaît sur le paysage audiovisuel américain (PAA) qui met en scène 3 personnages: un blanc, un noir et une blonde. Même si la femme était déjà représentée auparavant avec les drôles de dames par exemple, la série The mod Squad met sur un pied d'égalité trois personnes de sexes et de races différentes pour infiltrer les milieux de la contre culture californienne. Un an plus tard, le docteur Marcus Welby soigne des maladies réalistes dans une série qui porte son nom et qui ne sera jamais diffusée en France.

Egalité, réalisme, contre culture, maladie, mort, la série télévisée américaine des années 70 est forcée de puiser son imagination dans la réalité. Il existe de nombreux autres exemples de ce bouleversement et nous les traiteront dans la suite de l'article la semaine prochaine.

 

Je vous donne rendez-vous mardi prochain, donc pour la suite d'histoire et débat. En attendant, demain sort le second numéro de la chronique Mais que fait la France, qui se propose d'analyser la construction des séries télévisées à succès.

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