Attention, ce bilan contient des spoilers. Assurez-vous d'avoir vu toute la série avant de lire. Sinon, c'est à vos risques et périls !
Chacun, à son échelle, subit des blessures dans sa vie. Un accident de voiture, une rupture des ligaments ou plus simplement la perte d'un être aimé, on se voit tous confrontés à des épreuves que la vie nous met devant les yeux. Et si chaque blessure a son importance, il y en a certaines qui restent durablement ancrées en nous. Cela pourra sembler quelque peu manichéen mais c'est là que se trouve le test ultime : comment se remet-on d'une épreuve traumatisante ? Choisit-on de se battre, quel que soit le succès potentiel, ou alors sombrons-nous dans nos démons les plus profonds ? C'est ce qui fait notre vie, ce que l'on est. C'est notre histoire.
Jessica Jones est tirée du comics Alias et a été créée par Melissa Rosenberg. C'est le deuxième fruit du deal Marvel/Netflix qui nous a déjà donné Daredevil. La série ne ressemble en rien à ce que le studio a pu produire jusqu'à présent : c'est l'histoire d'une femme qui va chercher à chasser des démons, dont l'allégorie se prénomme Kilgrave, un homme dangereux, mégalomane et malgré tout dramatiquement humain. C'est un récit d'abus, d'amour et d'une galerie de personnages, et de leurs réactions face au Mal absolu. Si vous êtes prêts, plongez avec moi dans le monde sombre et torturé d'une série qui laissera une marque durable dans le monde des super-héros.
Une thématique de l'abus présente tout au long de la série
L’histoire de Jessica Jones, c’est celle d’une survivante d’abus psychologiques et sexuels. Jessica s’est enfin échappée de l’emprise mentale de Kilgrave, mais elle doit désormais se remettre à vivre normalement. Pour elle, cela signifie boire pour paralyser la douleur provenant de ce que l’Homme Pourpre lui a ordonné de faire, et vivre cachée en tant que détective privée, loin de tout super-héroïsme. Durant tout le long de la saison, on suit Jessica en train de traquer Kilgrave et tentant d’empêcher que plus de personnes connaissent le même sort qu’elle.
Lorsque Kilgrave kidnappe une autre victime, la si bien nommée Hope, Jessica fait face à ses démons et part à sa recherche. Elle la retrouve à la fin d’AKA It’s Ladies Night mais Kilgrave a le dernier mot. Ici, Hope joue le rôle de l’allégorie des souffrances passées de Jessica. Malheureusement, comme de nombreux personnages secondaires de la série, Erin Moriarty n’aura que très peu d’occasions de dépasser le simple rôle de procédé scénaristique qui est donné à son personnage. Tout au long de la saison, on verra donc une Jessica tentant de retrouver Kilgrave et de sauver Hope.
Cela aide Jessica Jones que Kilgrave soit un méchant aussi fantastique. David Tennant est absolument orgasmique dans le rôle de l’incarnation du Mal absolu qui trouve encore le moyen de tenter de nous faire adhérer à sa vision du monde. Kilgrave est la représentation de l’abuseur, du misogyne, de celui qui croit savoir ce qui est bon pour les autres, et notamment les femmes. C’est un petit garçon brisé, un homme amoureux d’une femme qui ne l’aime pas. Jusque-là, rien de nouveau. Sauf qu’il a le pouvoir de la rendre amoureuse de lui. Il manipule des gens par la pensée, un pouvoir qui ferait appel aux plus sombres instincts de chacun. Que ferions-nous dans sa situation ? Utiliserions-nous nos pouvoirs pour faire le bien ? Ou céderions-nous à la tentation ? Comment notre vie s’arquerait autour de cette nouvelle composante ? La série ne développe pas vraiment cette thématique, préférant se concentrer sur les face-à-face Kilgrave/Jessica. Et sweet Christmas, que ceux-ci sont géniaux !
Après quelques épisodes où l’on ne faisait qu’apercevoir le grand méchant, Jessica Jones nous offre enfin les premières interactions entre les deux personnages. Ritter et Tennant possèdent une alchimie électrique, tendue et résolument dérangeante. Chaque fois qu’ils se retrouvent dans la même pièce, la qualité augmente de façon exponentielle. Kilgrave dominait Jessica grâce à son pouvoir, mais dépourvu de ce dernier, il est comme un petit garçon à la recherche d’un amour qu’il n’a jamais eu. Tennant magnifie chaque aspect d’un personnage horrible, complexe et sacrément drôle. La fin de leur histoire pourra décevoir certain, mais elle est plus que logique. Kilgrave aura de toute façon gagné, Jessica doit désormais contempler l’amas de corps laissés par son ennemi. De plus, elle doit réapprendre encore une fois à vivre. Parce qu’aussi mauvais que Kilgrave ait pu être, il ne faut pas oublier qu’il faisait partie de la vie de Jessica pendant un bon bout de temps. Et on ne se remet pas à vivre du jour au lendemain comme avant.
Là encore, la série montre des choses très justes, que ce soit dans sa conclusion, ou encore dans le récit des différentes victimes de Kilgrave. C’est rare qu’une série offre aux victimes d’abus la parole, mais c’est ce qu’elle fait, donnant au récit – ainsi qu’à Kilgrave – une dimension supplémentaire. Tout cela fait que l’univers de Jessica Jones est résolument violent. Des épisodes tels qu’AKA The Kumbaya Circle Jerk le sont même trop, les scénaristes n’ayant jamais peur de choquer avec les meurtres et la violence. Ce n’est néanmoins pas le côté le plus intéressant de la série, qui devient nettement plus efficace lorsqu’elle s’intéresse à la psyché du personnage de Jessica, ou plus généralement aux effets qu’a Kilgrave sur ses victimes.
En parlant de vilain, la mère de Trish n’est pas mal non plus dans le genre. Elle a exploité pendant une dizaine d’années son enfant star, et la série ne s’arrête pas au moment de nous montrer les différents types de supplices infligés à cette pauvre Trish. Rebecca De Mornay campe une Dorothy Walker absolument horrible, qui ne recule devant rien pour revenir dans la vie de sa fille. Et heureusement pour Trish, elle a Jessica à ses côtés.
Jessica/Trish, ça c’est de l’amitié !
L’amitié entre Jessica et Trish est une composante que l’équipe créative derrière Jessica Jones maîtrise parfaitement. Deux femmes fortes qui, malgré les épreuves et le caractère parfois tout le temps difficile de Jessica, se font confiance, comptent l’une sur l’autre et traversent les épreuves ensemble. Elles étaient amies avant Kilgrave et, si la donne a pu quelque peu changer après ce qui est arrivé à Jessica, les deux femmes vont rester côte à côte. AKA The Sandwich Saved Me fait d’ailleurs un joli retour sur les liens unissant les deux femmes avant l’arrivée de ce diable de David Tennant. Enfin, les deux femmes ont très peu parlé de leurs hommes respectifs, ce qui est un changement rafraîchissant par rapport à ce que l’on peut observer d’habitude. En général d’ailleurs, les femmes de cette série refusent totalement de se laisser dicter leur conduite par des hommes.
C’est autant dû à Krysten Ritter qu’à l’interprétation de Rachael Taylor. Cette dernière campe une Trish qui refuse de se laisser diriger par qui que ce soit, qui va de l’avant malgré les traumatismes qu’elle a subis, mais qui n’a ni peur ni honte de demander de l’aider à sa meilleure amie. Elle refuse d’ailleurs que cette dernière la laisse de côté, revenant toujours aider, même au risque de sa propre vie. Jessica n’est pas la seule héroïne de la série. Dans les comics, Trish est d’ailleurs l’alter-ego d’Hellcat, une super-héroïne assez importante. Si saison 2 il y a, c’est une voie qui sera sans doute exploitée par les scénaristes de Jessica Jones.
Jessica et Luke, un couple explosant de sensualité
S'il y a bien une chose dont je suis sûr, c'est que Jessica Jones et Luke Cage font une entrée fracassante dans mon top couple. Leur relation est iconique dans Alias (première relation interraciale, scènes de sexe, sexe anal...) et la série fait honneur au matériel source. Le seul défaut de l'histoire, c'est que les scénaristes ont fait tuer Reva Connors (la femme de Luke Cage) des mains de Jessica dans la série. Cela a donné lieu aux seules scènes pas terribles entre les deux personnages, et c'était plus un moyen de créer du conflit qu'autre chose.
Autrement, c'est un sans-faute. Mike Colter et Krysten Ritter possèdent une alchimie tellement réelle qu'on se sent parfois mal à l'aise d'observer leurs interactions. Comme si on était renvoyé directement à notre condition de voyeur. Troublant, mais tellement significatif d'une relation qui a su faire oublier que Luke Cage était principalement dans la série pour préparer son propre show, qui sortira en 2016. C'est également dû à la performance de Mike Colter, en finesse et en retenue alors que son personnage est une véritable montagne de muscles. Leur relation est tellement forte dans AKA Jewel and The Power Man, qu’il est réellement déchirant de voir que Kilgrave était derrière tout cela. AKA Smile n’utilise pas vraiment Luke, et il est frustrant de ne pas avoir une dernière scène entre les deux, même si celle avec Jessica et un Luke endormi vaut son pesant de Kryptonite.
Les scènes de sexe entre les deux jouent d’ailleurs un rôle qui s’étend au-delà du simple « je fais du sexe parce que ça prend du temps d’écran ». C’est un vrai approfondissement des deux personnages ; de la première où chacun se retient et où la gêne est palpable, on passe aux suivantes – lors d’AKA It’s Called Whisky – où Jessica et Luke décident de lâcher les chevaux. Parce qu’ils se font confiance, parce qu’ils veulent prendre du plaisir, parce qu’ils n’ont pas peur de se faire du mal. Ici, le sexe est utilisé de manière intelligente. Il n’y aura d’ailleurs plus aucune autre scène de sexe entre les deux dans la série.
Une série qui n'est pas sans défaut
Jessica Jones est globalement excellente, mais elle possède tout de même son lot de défauts. Les personnages secondaires n’ont pas tous la même consistance, et c’est dommage lorsqu’une bonne partie d’un épisode se concentre sur eux.
J’ai trois personnages en tête : Hogarth, Simpson et la sœur jumelle de Ruben. Hogarth ne sert vraiment à rien. Si j’étais content de voir que le fait qu’elle soit lesbienne n’ait pas été exagéré, force est de constater que toute sa storyline est inintéressante. Cela n’a pas grand-chose à voir avec l’interprétation de Carrie Ann-Moss, qui est plutôt solide. Le problème est que tout ce que l’on voit avec son personnage a déjà été vu un milliard de fois. C’était à chaque fois des hommes qui étaient dans sa position certes, mais Hogarth a trop souvent été éloignée de l’action principale. Et lorsque l’équipe créative l’intègre enfin, elle n’arrive pas non plus à intéresser. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que l’on en voit plus sur Hogarth à partir de AKA The Kumbaya Circle Jerk, à l’exception d’un rôle anecdotique dans AKA Smile.
Passons à Simpson. Je n’ai jamais aimé le personnage, et j’ai trouvé pas terrible le fait qu’il soit propulsé love interest de Trish, en moins de temps qu’il ne faut à cette dernière pour se remettre du fait que ce même Simpson ait essayé de la tuer (!!!). Si sa transformation en vilain dans la suite de la série a donné au personnage un certain intérêt, c’est surtout ce que ce dernier représente qui se révèle extrêmement pertinent. Depuis qu’il s’est fait manipuler par Kilgrave (et donc a failli tuer Trish et se suicider), Simpson est constamment en recherche de sa masculinité perdue. Il veut être un homme, un burné certifié Ministère des Couilles. Il couche avec une belle femme – Trish –, refuse l’aide d’une autre – Jessica – tout en étant persuadé qu’il agissait pour le bien de ces deux femmes, malgré les actes de plus en plus répréhensibles qu’il commettait. Il n’est pas aussi maléfique et tordu que Kilgrave, mais les deux possèdent un paternalisme envers les femmes, qui les rendent insupportables. La seule différence, c’est que Kilgrave est fascinant ; Simpson est juste un homme en quête de sa masculinité perdue.
Et enfin, la sœur jumelle de Ruben. Je n’ai pas grand-chose à rajouter en réalité ; elle est insupportable du début jusqu’à la fin. Je ne sais pas si c’était le but, mais quoiqu’il en soit, tout ce qui a concerné ce personnage était un échec pour ma part. Seul Malcolm a su la rendre un peu moins irritante, mais ça c’est parce que Malcolm est génial. Le personnage a traversé beaucoup d’épreuves en cette première saison, et il a réellement évolué, au point de devenir l’un des meilleurs de la série. Il représente le bien dans un monde noir et corrompu, et la fin de la saison semble indiquer, si saison 2 il y a, qu’il aura un rôle plus important à jouer.
Ce qui est assez drôle, c’est que l’un des meilleurs personnages secondaires de la série se trouve être Claire Temple, que l’on ne voit seulement que dans le dernier épisode. Bien entendu, Rosario Dawson est une excellente actrice – et c’est de plus un personnage que l’on connaît déjà si on a vu Daredevil – mais c’est assez représentatif des problèmes qu’a souvent Jessica Jones pour nous intéresser à ce qui ne concernait pas vraiment Jessica. L’apparition de Claire élève instantanément la qualité d’AKA Smile, et on regrette alors de ne pas l’avoir vue avant. Mais elle sera – enfin – dans le cast principal de Luke Cage. Yeah.
Jessica, un personnage pionnier pour les prochaines héroïnes
Le momentum est extrêmement favorable aujourd’hui pour les nouvelles héroïnes dans le monde télévisuel. L’année 2015 a été extrêmement fructueuse en termes de femmes complexes, opérant dans des zones de moralité grises. You’re The Worst et Crazy Ex-Girlfriend ont su nous décrire les actions de Gretchen et Rebecca, deux femmes dépressives, de façons extrêmement différentes d’un point de vue narratif. UnReal et How to Get Away With Murder nous ont montré des portraits de femmes fortes, n’ayant pas peur de faire des choix plus que discutables, et qui n’ont pas peur d’assumer leurs dents qui rayent le parquet. Cette complexité, ce refus de présenter seulement les femmes comme les « bonnes copines » ou les « moralement inamovibles », a permis de préparer le terrain pour une série de super-héros où l’héroïne boit, jure et possède un vrai caractère de merde.
Je tiens à reconnaître mon erreur quant à Krysten Ritter. Elle est parfaite dans le rôle de Jessica Jones. C’est juste une buse au niveau des scènes d’action, mais ces dernières n’étant pas présentes en grand nombre dans la série, cela ne pose pas trop de problèmes. Jessica est fascinante ; c’est une femme avec un caractère de cochon, qui aime boire et surtout qui a des démons qui tiennent la dragée haute à ceux d’Elliot de Mr. Robot. C’est une survivante, mais elle possédait déjà un tempérament électrique avant de tomber dans les griffes de Kilgrave. Elle prend des décisions plus que discutables, elle élabore des plans honnêtement souvent assez pourris, mais elle ne baisse jamais les bras. Jessica Jones – la série cette fois – est de fait parfois frustrante, d’autres fois un peu stupide dans ses choix, mais elle suit – pour le meilleur et pour le pire – son personnage principal. Il en ressort une série complexe, au caractère bien trempé et à l’ambition affirmée. Tout comme Jessica, le show est fascinant. Même dans ses erreurs.
Jessica Jones est une femme. Une femme qui a été meurtrie pendant très longtemps par ses actes passés. Elle a choisi de lutter contre ses démons en dépassant ses peurs. Elle a trébuché dans le processus, elle s'est même quelques fois complètement écroulée et a pris des décisions plus que discutables. Mais elle a fait preuve de caractère. Et elle ne s'est pas perdue elle-même, comptant sur les gens autour d'elle lorsqu'elle en avait le plus besoin. La fin ne justifie cependant pas les moyens et la série le sait, refusant de donner à son héroïne une fin traditionnelle. Vaincre ses démons ne suffit pas, il s'agit d'apprendre à vivre sans eux. Si deuxième saison il y a, ce sera sûrement l'objet des prochaines aventures de Jessica.
Tout ce qu'il me reste à faire, c'est de remercier Netflix pour m'avoir donné la possibilité de voir un show qui n'est pas parfait, mais qui a réussi à produire une série foisonnante et aux niveaux de lecture multiples. En fin de compte cependant, c’est tout simplement l'histoire d'une femme avec un penchant pour l'alcool, un tempérament de feu... et des super-pouvoirs.