Attention, mesdames et messieurs, prenez place, le combat va bientôt commencer.
- Dans le coin droit, affichant 8 épisodes, venant des Etats Unis, True Deteeective !
- Son challenger, à ma gauche, 8 épisodes à la pesée, originaire de grande Bretagne, voici Broadchurch !
Bon, vous êtes prêt ? Pas de coup bas, nous sommes entre gentlemen. Il s’agit de savoir des deux laquelle est la plus réussie dans le genre meurtre et deux flics totalement différents qui enquêtent ensemble. Prêt ?
Présentation des challengers :
Ces deux séries sont apparues sur nos écrans à peu prêt à la même période :
- True Detective, une série de 8 épisodes écrite par Nic Pizzolato et diffusée par HBO. L’histoire : un matin, en 1995, le corps d’une femme est découvert dans une plaine, nue, portant des cornes sur la tête et visiblement victime d’un rituel satanique. Deux flics radicalement opposés prennent l’affaire en main.
- Broadchurch est une série de 8 épisodes diffusé par ITV. L'histoire : un matin, le corps d’un enfant est retrouvé sur une plage, en bas des falaises, étranglé. Deux flics radicalement opposé prennent l’affaire en main.
Olala, vous vous dites : « Il n’y a pas genre un point commun entre les deux séries ? Ce ne serait pas possible de faire un article mettant en parallèle les deux séries » suggérez-vous ? Tout à fait. Bien vu. Et d’ailleurs, je m’y colle.
La forme :
Là forcement, dès les premières minutes, True Detective se montre plus impressionnant que son adversaire. Le générique claquant et stylisé qui directement nous plonge dans l’atmosphère si particulière de la Louisiane, poussiéreuse, écrasée de soleil et entourée de marécages. L’aspect oppressant de cette région suinte littéralement l'écran et envahi le spectateur le plongeant dans une atmosphère de sonna humide et torride. Il suffit de dix minutes pour être happé.
Broadchurch amène ses spectateurs le long d’une plage anglaise pluvieuse et froide. Même si l’atmosphère indentifiable de l’Angleterre est toujours sympathique et visuellement reconnaissable des le début, on ne peut constater que cela est déjà vu. En plus, ce qui plombe littéralement le pilote (après ça se calme) c’est l’accumulation des ralentis, ces horribles balises scénaristiques qui permettent aux spectateurs devant sa télé de ressentir les émotions voulues (une image ralentie + une musique triste = tu dois être triste).
Pour achever le tout si Broadchurch utilise la notion temps à mauvaise escient (un ralenti propose plus d’images à la seconde), True Detective se fait fort de proposer un développement de son intrigue sur deux (puis trois) strates de temps. En effet, l’histoire se plait à jouer au yoyo entre plusieurs périodes (1995, 2012 puis 2002).
Pour ce premier round, TD impressionne et gagne le premier point. Plus beau, plus ambitieux, plus original.
Les piétinements :
Comme on ne peut résoudre une enquête policière en cinquante minutes, pub comprises (qui peut ça ? Who ?), l’enquête piétine des deux cotés. C’est un passage obligé par ces séries qui ne veulent pas se la jouer stand alone. Comment alors s’en sortent-elles ?
Broadchurch se lance dans une série de fausses pistes mais le spectateur, pas con (enfin pas tous) sait très bien que la série joue la montre. Il sait qu’elle ne va surement pas tout dévoiler dès les premiers épisodes. Du coup, le spectateur a du mal à s’intéresser à fond sur les fausses pistes un peu forcés, pas très inspirés, très vite balayée (la cocaïne, la suspicion du père puis du marchand de journaux) et s’ennuie gentiment.
True Detective décide lui aussi de prendre son temps mais, d’une manière plus maitrisée. Les enquêteurs font fausse piste, mais il s’agit pour eux surtout de commencer à déblayer les pièces du puzzle inutiles. La série est tellement sûre de sa force qu’elle n’a pas besoin de subterfuges pour retenir le spectateur. Et les cliffs des fins d’épisodes relancent parfaitement l’intérêt. L’atmosphère formelle de la série fait que tout passe comme du petit lait, et nous autres spectateurs nous délectons.
True detective prend son 2ème point.
Le duo de True Detective ravi de faire la course en tête.
Les personnages :
Tout les deux magnifiquement interprétés (Matthew Mc Conaughey et David Tennant) , les personnages de Rust Cohle et Alec Hardy ont beaucoup en commun : il s’agit de deux loups solitaires, imbus de leurs personnes, détestés de leurs collègues, intuitifs et pugnaces. Ce sont tous les deux des êtres meurtris par la vie (Rust a perdu sa fille, Alec ne voit plus sa fille et reste sur un échec professionnel). Mais au fur à mesure des épisodes, des différences entre les deux apparaissent. Si Rust n’évoluera pas de son schéma (sauf à la fin, mais j’y reviendrai), Alec se détache un peu de son personnage cliché. Il se dévoile en un être sensible, maladroit avec les autres (voir sa scène de drague avec l’hôtelière) et finit par devenir plus touchant que le monolithe Rust.
Dans True Detective, Rust forme un duo avec Martin Hart (Woody Harrelson ). Il a été beaucoup écrit ici et là que Rust est le personnage bordeline du duo tandis que Martin son pilier sain et solide. Bah, je ne suis pas d’accord. Rust semble au final beaucoup plus équilibré que ce sexe sur pattes, alcoolique, menteur et incapable de maitriser ses émotions qu’est Martin. Avec ces flics alcooliques, un peu dépravés mais prêts à tout pour leur travail, certains ont pu juger les personnages caricaturaux. J’émets un bémol. Depuis le temps que la culture moderne utilise des personnages de flics (film, série, livre, BD et j'en passe), on se retrouve forcément face à des caractères qui finissent par se ressembler. C’est en laissant vivre les personnages que, sur la durée, ceux-ci évoluent et s’éloignent du schéma de base. Manque de chance dans True Detective, c’est l’affrontement entre les deux titans qui fait des étincelles (les doigts d’honneur, les long périodes de silences en voiture puis les discutions métaphysiques où explosent leurs différences), mais on ne peut constater que ceux-ci restent arc-boutés sur leurs archétypes. Les deux flics restent un peu coincés dans leurs rôles. Ils sont plus proches d’une idée de personnages que de vraies personnalités faites de chair et de sang.
Par contre si on veut plus d’inédit, il y a le lieutenant Ellie Miller dans Broadchurch. Partenaire d’Alec, Miller est déjà aux antipodes des canons de beauté standard des autres shows. Flic de campagne, mère et épouse aimante et aimée, le personnage se dégage facilement et passionne. S’étant faite piqué la place par Alec. Elle se retrouve un peu dépassée par ce meurtre dans sa ville, ayant du mal à imaginer qu’un meurtrier puisse se trouver parmi ses voisins. (il y a aussi, le contre exemple, le personnage caricatural par excellence qu’est la journaliste, copie conforme de Gale Weathers dans Scream). Ainsi à ses rares exceptions, Broadchurch arrive à donner de l’espace et de l’air à ses protagonistes.
Pour Miller et Hardy, Broadchurch gagne son premier point.
L’épisode clé :
Il ya dans les deux cas, un épisode clé, un épisode qui fait évoluer de manière irréversible la série, une sorte de point de non retour.
- Pour True Detective, il s’agit de l’épisode 4 où soudain, la série se fait action avec un fantastique plan séquence plein de tension de presque 10 minutes.
- Pour Broadchurch, c'est l’épisode 6 où les fils de l’intrigue commence à se resserrer autour des vrais suspects et que la série prend l’option de s’éloigner du meurtre initial pour aborder des thèmes annexes, de manières très réussis comme le difficile retour à une vie normale de la famille endeuillé.
Par son tour de force, True Detective prend un troisième point. Mais, il s’agit en fait du chant du signe de la série qui commencera dès lors à rentrer dans une norme un peu formaté, un peu chloroformé tandis que Broadchurch jettera ses dernières amarres pour un aller sans retour vers un brouillard de noirceur.
Le dénouement :
Avant ce final, il faut rappeler que les deux séries ont un traitement totalement différent. True Detective suit deux flics. Ils sont les seuls véritables personnages du show. Les personnages secondaires y compris la femme de Marty ne sont là que pour les faire évoluer. Il est donc logique qu’au final, l’identité du tueur importe peu. Par contre, Broadchurch est une aventure plus collégiale : on découvre les habitants d’une petite ville dont une majorité possède des secrets.
Je le dis tout net, inutile de faire durer le suspense : Tue Detective se prend méchamment les pieds dans sa dernière partie. Car comme un peu Breaking Bad, True Detective se montre glauque et sans rémission possible durant tout le show mais freine des deux pieds sur sa dernière ligne droite et propose un final décevant, sans saveur. Pas de twist, pas de révélation. Ce refus du spectaculaire pourrait passer pour un choix assumant son coté réaliste, si on avait évité cette fin à la Rush Hours où les deux flics, devenus les meilleurs potes du monde se racontent des blagues sous un ciel étoilé. Il y a de quoi un peu loucher.
Broadchurch par contre va jusqu’au bout de la noirceur. Aucun pardon possible, le meurtre d’un enfant a ravagé la vie sociale d’une ville et a détruit des vies et des familles, marquant au fer rouge le vernis de la tranquillité de la bourgade. Broadchurch devient une plaie qui déverse son pus, invariablement et écrasant sur les personnages. Personne ne sortira indemne de cette partie.
Pour cette fin pessimiste et sans lumière (qu’une telle série est d'ailleurs connue une diffusion sur France 2 est un miracle) Broadchurch prend un deuxième point, amplement mérité.
D’une courte tête, True Detective semble parti pour emporter le combat.
Sauf que….
Dieu m’a donné la foi :
Pour tout vous dire, ce n’est pas seulement le dénouement de True Detective qui m’ait vraiment gonflé mais surtout la dernière conversation entre Rust et Martin. Celle-ci détruit en effet tout ce qui a été entrepris depuis le début et ruine la série. Rust, gravement blessé connait une NDE (expérience de vie après la mort) et il prend conscience l’existence de Dieu. Et oui. Rust, ce personnage nihiliste, sans attache, finit par rencontrer Dieu. On est alors pleinement conscient d’être devant une fin typiquement américaine. Au final, True Detective n’échappe pas à sa nature conservatrice et protestantisme américaine. Pour la majorité des américains, l’athéisme est vu comme une tare, une aberration et nullement comme un choix réfléchi. L’athée est forcément un personne ayant connu un drame et qui devient une épave, alcoolique, fume clope sur clope, une sorte de mort vivant en sursis. Seule la foi en Dieu peut le sauver. Alors au final, c’est ça rue Detective : juste l’histoire d’un mec perdu qui redécouvre Dieu.
L’idée de la foi est également effleurée dans Broadchurch. La série finit aussi sur une scène de propagation du feu de la foi. Selon moi, True Detective fait pire en nous faisant la promesse d’une chose radicale pour finir pour nous assommer avec un conventionnel prêchi prêcha religieux. Ça vous laisse un drôle de goût en bouche.
Alors pour ça, True Detective mérite un point en moins !
Résultat :
Kling, kling, kling. Fin du match. Gong final. Deux partout. Comme à l’école des fans : égalité et pas de perdant. Quelque part c’est logique. Les deux séries ont en effet des trajectoires de qualité qui se croisent : True detective qui ne tient pas ses belles promesses et Broachurch en démarrage mode diesel avant d’éteindre toutes les sources de lumières et laisser l’obscurité nous envahir). Les deux séries méritent réellement de s’y attarder. Rien que pour récompenser leurs ambitions d’élever les niveaux de séries au dessus des CSI et autres clones.
Voilà, bonne soirée à tous, et surtout une bonne nuit…