Cette critique spoile des éléments d'El Camino.
C'est comme dans l'air du temps. Celui de la nostalgie permanente. Celui qui ne prononce jamais le mot fin. Car le spectateur, avide de contenus, cherche sans cesse l'après. Et Jon Snow, il devient quoi après la fin de Game of Thrones ? Et McNulty après The Wire ? Il meurt finalement ou pas, Vic Mackey ? Il faut que tout soit expliqué. Montré. Décortiqué. Analysé.
Pour Vince Gilligan, l'idée à l'origine était de faire une vidéo hommage pour les dix ans du début de la série. Un truc simple et court juste pour les fans. Sous pression de Netflix ou sous pression de lui-même, il en a fait autre chose. Il est d'ailleurs assez intéressant de constater que Better Call Saul a connu une genèse similaire, d'un show comique de vingt minutes centré sur les clients du célèbre avocat qui est devenu la série qu'on connaît, plus sombre et intimiste. Vince Gilligan a le souci du travail bien fait. Celui qui, construit jusqu'à l'os, est inattaquable. Ce faisant, il se rapproche de ses nombreux personnages implacables, comme Mike, Chuck ou ici Ed. Pas de compromis ou de demi-mesure, juste une application mécanique d'une logique pré-établie.
Le chemin de la résurrection
À partir de là, El Camino est un bien étrange objet. Le chemin emprunté par Jesse est en réalité une boucle. Libéré à la fin de Breaking Bad, il l'est tout autant à la fin de ce film. L'essentiel n'est pas le but du voyage, mais le voyage lui-même, dit la maxime. Elle s'applique particulièrement ici. Nous avions quitté un Jesse qui, libéré des nazis, brisait une barrière et ses chaînes dans un rire presque animal. Et de fait, animal il est. Walter White était allé tellement loin dans le mal qu'il était sorti de l'humanité en atteignant le Granite State. Les deux personnages principaux étaient d'ailleurs dans un état opposé : Jesse, réduit en servitude comme une bête au sein de la Cité. Il n'était plus rien, mais gardait en contact la société civile. Quant à Walter, il était également comme une bête, mais à l'extérieur de la Cité.
On le voit dans cet épisode, dans sa relation avec Todd (excellent Jesse Plemons) qui le traite vraiment comme un chien. Tenu en laisse. À qui il donne des ordres. Et dont il caresse les cheveux dans la voiture. L'histoire de Jesse, celle de ce film, est celle de la reconstruction d'un homme qui va passer par plusieurs étapes clefs de reconstruction. C'est Mike qui ouvre le bal de ce processus : « Toi seul peux décider ce qui est le mieux pour toi, Jesse », lui dit-il, avant de lui conseiller d'aller en Alaska. L'étape suivante est celle de l'amitié quand Jesse retrouve Badger et Skinny. Ce dernier va d'ailleurs lui rendre sa dignité d'être humain : « You're my hero and shit. » Jesse, sans se délaisser de son arme, va se laver de ses péchés. Il va alors progressivement récupérer des compétences qui sont en réalité plus celles de ses deux mentors que les siennes : la faculté de pouvoir négocier n'importe quoi pour se sortir de situations inextricables, comme Walt (toutes les scènes avec Ed) et son habilité au pistolet, de ne jamais se laisser démonter, comme Mike (la scène du duel à la fin). Walter puis Jane vont venir finalement compléter cette résurrection. Le premier lui conseille de devenir professeur (ce qui serait une ultime évolution logique, le disciple devenant le mentor) et la seconde vient reprendre le mantra d'ouverture de Mike : « Il vaut mieux choisir là où l'on va. » Il est tout à fait clair qu'en guise de message final sur Breaking Bad, cela sonne un peu creux, mais la boucle est bouclée et Jesse peut renaître alors que s'annonce le générique de fin.
Le chemin de la déception
Deux heures étaient-elles vraiment nécessaires pour raconter cette histoire ? Sans doute pas. Le film dépareille d'ailleurs particulièrement avec le rythme effréné de la cinquième saison de Breaking Bad. El Camino, c'est l'ambiance de Better Call Saul appliquée sur le monde de Breaking Bad. En termes de rythme, d'écriture et de silence, la série de l'avocat est présente en creux dans tous les plans du film. Il y a par exemple cette scène où Jesse parvient à récupérer l'arme de Todd. En tant que spectateur, on sait bien que Jesse va lui rendre son flingue. Il ne peut pas échapper à son destin, tout comme Saul ne peut pas devenir autre chose qu'un homme mauvais. Et c'est cette implacabilité qui rend cette scène particulièrement douloureuse.
La comparaison s'arrête là. À deux exceptions près (voir le Coin du Fan), Vince Gilligan n'a pas voulu reprendre des personnages de Better Call Saul, qui en réalité est plus menée par Peter Gold que lui même. Il a d'ailleurs expliqué en interview qu'il ne voulait pas interférer sur ce que Gold avait prévu pour les personnages. Une apparition de Kim ou d'Howard aurait pourtant été la bienvenue et aurait dynamisé un film parfois trop ronronnant. Le réalisateur a sans doute manqué là une belle occasion de densifier encore davantage son univers et d'interconnecter de manière définitive ses trois œuvres. Après tout, peut-être que cela sera le cas dans Les Aventures en Alaska de M. Driscoll, le bon prof de chimie qui tente de faire le bien autour de lui. Mais ça, c'est une autre histoire...
« Je l'ai fait pour les fans et seulement pour eux », a déclaré Vince Gilligan en interview. Plus qu'un chemin, c'est bien une impasse scénaristique dans laquelle s'est mis Vince Gilligan, incapable de dépasser ce pari casse-gueule, comme il l'a brillamment fait pour Better Call Saul. Une impasse pas déplaisante, peuplée de visages connus et de coins familiers, mais au bout de la route, franchement, il y a quoi ?
J'ai aimé :
- « Tu as de la chance. Tu n'as pas attendu toute ta vie pour faire quelque chose de spécial », dit Walter White à Jesse. Ce qui fonctionne doublement ; à la fois comme conseil de vie pour Jesse, et comme reprise du discours de Walt à la fin de la série : « Je l'ai fait parce que j'ai aimé ça. »
- Cette obsession de Vince Gilligan de tout expliquer jusqu'au moindre détail. Oui, Walter White est bien mort (contrairement à ce que les fans théorisaient). Oui, il a assassiné Lydia (voir le Coin du Fan). Oui, les nazis ont fait appel à une entreprise pour construire leur laboratoire, comme Gus avait fait appel à des Allemands pour construire le sien.
- Jesse Plemons dans le rôle de Todd. Il est clair que question corporel, le Todd de la fin de la saison 5 et d'El Camino ne sont pas raccord, mais Jesse Plemons est absolument incroyable dans ce rôle, entre le calme absolu (la scène où il chante dans la voiture !) et une froideur de psychopathe (il a gardé l'araignée du petit garçon). Faites-moi donc un spin-off sur lui.
- La réalisation. Parce que oui, c'était quand même bien beau. Surtout ce magnifique plan vu du dessus de la maison de Todd.
- Robert Forster dans le rôle d'Ed. Il s'agit de son dernier rôle dans un film, puisqu'il est décédé le jour de la sortie. Son personnage vient compléter un vide laissé longtemps en suspens par Breaking Bad. « I know a guy who knows a guy », disait Saul. Maintenant, on sait.
Je n'ai pas aimé :
- Le fan service oui. Le fan service pour ne pas dire grand chose, beaucoup moins. Notamment l'apparition de Krysten Ritter.
- Le goût de l'occasion manquée qui reste au fond de la bouche après ce visionnage.
- Une écriture (notamment au niveau des dialogues) en deçà de ce à quoi on était habitué.
- Le manque de lien avec Better Call Saul.
Ma note : 14/20
Le Coin du Fan (édition maxi-costaude) :
C'est le maxi best-of des retours de personnages déjà vu précédemment. Avec, dans l'ordre :
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Badger et Skinny Pete, qui vivent désormais en coloc et qui ont l'air heureux. À noter que Skinny apparaissait aussi dans le court trailer d'El Camino où il était interrogé par les flics. Cette scène n’apparaît pas dans le film :
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Mike. La scène d'ouverture d'El Camino se situe sans doute pile pendant l'épisode Buyout. À ce moment de l'intrigue, Jesse souhaite sortir du jeu, après que Todd ait tué Drew Sharp, le petit garçon avec l'araignée (qu'on voit aussi dans El Camino). Mike le convainc de rester encore un peu.
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Walter. Cette scène de dialogue se situe pendant la saison 2, probablement pendant l'épisode 4 Days Out. À ce moment de l'histoire, Walt est convaincu qu'il va mourir très bientôt du cancer et veut que ses proches (dont Jesse) s'en sortent le mieux possible. C'est probablement le Walter le plus gentil de la série qui nous est donné à voir ici. Il n’apprendra que son cancer est en rémission qu'à la fin de l'épisode. Jesse profite de ce flashback pour lâcher sa réplique iconique :
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Jane. Il s'agit d'une scène qui se place pendant son voyage avec Jesse au musée Georgia O’Keeffe (épisode Abiquiu). Dans cet épisode, cette scène est un flashback. C'est donc la dernière fois qu'on voyait Jane apparaître à l'écran.
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Le ferrailleur Old Joe fait aussi un court et rapide coucou pendant lequel il se rappelle avec nous les bons moments de la série « Magnet hahaha ! »).
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Kenny, le bras droit d'Oncle Jack, le chef des mafieux, apparaît dans El Camino dans la scène de flashback où il pousse Jesse à courir comme un animal pour briser ses chaînes.
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Les parents de Jesse Pinkman. Le frère lui n’apparaît pas, l'acteur était sans doute trop vieux pour être raccord avec la chronologie. Dommage, cela aurait fait une belle scène.
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SAC Ramey. Ce personnage apparaît à la télévision dans El Camino. Il rend compte en conférence du massacre des nazis. Il était le boss de Hank dans Breaking Bad.
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À sa droite, se trouve Suzanne Ericsen. Une assistante au procureur du district qui apparaît dans... Better Call Saul (épisodes Inflatable et Coushatta, notamment). Kim parvenait par exemple à la convaincre de réduire les charges pesant sur ce bon Huell, avant que Jimmy n'emploie contre Suzanne sa technique des cartes postales pour libérer Huell.
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Man Mountain est l'homme (il s'appelle Clarence en vrai) qui sert de chauffeur aux prostituées vers la fin du film. Il apparaissait également dans Better Call Saul, à la fois croisé par Mike (en saison 1) et embauché par Jimmy (en saison 4), comme garde du corps.
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N’apparaissent pas dans ce film : Oncle Jack, Gus, Saul, Skyler, Flynn, Holly ou encore Marie.
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Et bien sûr l'araignée :
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On croise également dans un rapide montage la localisation de Los Pollos Hermanos, qui s'appelle désormais Twisters, qui est en réalité le vrai nom du restaurant dans la vie vraie :
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Jesse entend à la radio que Walter est bel et bien mort, ce qui vient enterrer toutes les théories des fans depuis six ans.
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Il entend aussi l'information qu'il a empoisonné une femme. Il s'agit sans doute de Lydia, que Walter indique avoir empoisonnée au ricin lorsqu'elle l'appelle au téléphone.
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Jesse explique à Ed qu'il est sûr à 96 % qu'il est le type qu'il cherche. Mais d'où lui vient cette étrange statistique ?
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Il y a trois ou quatre ans sur Reddit, Aaron Paul avait imaginé une fin assez similaire à celle du film pour Jesse :
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Vince Gilligan, de son côté, avait prévu une fin très différente pour Jesse, qui devait être arrêté par la police. En prison donc, mais apaisé. Dans cette version, le film se terminait avec Jesse qui lisait la lettre qu'il envoyait à Brock (et qu'il donne à Ed). Pour Aaron Paul, il s'agissait de « La lettre la plus honnête, la plus belle et la plus attentionnée que l'on puisse imaginer. En fait, il parle avec son cœur et lui dit qu'il est désolé. »
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Parfois, les héros ne sont pas ceux que l'on croit :
Bonus :
Traduction : "Lorsque Jesse s'enfuit à la fin de Breaking Bad, il crie tellement fort que cela fait pousser sa barbe."
À l'année prochaine, avec la (peut-être) dernière saison de Better Call Saul !