Message à caractère informatif : Ne surtout pas lire ce bilan sans avoir terminé la saison six. Spoilers !
Dès le début, il avait planté le décor : « Cette année, je vais me faire définitivement conspuer par tout les fans du Docteur … Et ils auront raison ». D’emblé, Steven Moffat savait parfaitement ce qu’il faisait : dé-construire le mythe « Doctor Who ». C’est pourquoi dans ce bilan je vais d’avantage m’attarder sur la relation qu’entretien Moffat avec le mythe Doctor Who, avec son propre métier de showrunner et les problèmes qui en découlent.
Au programme donc de ce grand-huit explosif : une milf borgne, des robots changeur de forme, River Song, Amy plus sexy que jamais, Rory qui meurt et ressuscite quatre fois, Nixon, du Wibbly wobbly timey wimey en veux-tu en voilà, les Silents, les Cyber-Men, les Daleks, Hitler et bien sûr le Doctor. Doctor Who ?
Steven Moffat. Scénariste de génie. Showrunner critiqué.
Après avoir suivi pas à pas le mode de fonctionnement de Russel T. Davies en saison 5, Steven Moffat décide d’imprimer pleinement son style sur le Doctor dans cette saison 6. Et cela commence dès le season premier. Big M ou Ze Moff (comme vous préférez) qui ne veut rien faire comme tout le monde découpe son premier épisode en deux parties en le transformant en un véritable season final avec un cliff d’ouverture monstrueux. La suite de la saison est d’ailleurs du même tonneau : une diffusion en deux parties de cette saison, une bonne douzaine de storylines qui s’entremêlent, des moments WTF à la pelle, une construction intelligente et des moments de bravoures absolus.
Alors, de quoi se plaignent les fans de la première heure ? De ce trop plein justement. C’est bien simple, Moffat en fait trop. Trop grandiose. Trop de feux d'artifices. Steven Moffat s’amuse comme un gamin et fait un gros cheesecake en ajoutant trop de couches de crème. Résultat : c'est indigeste. En multipliant les idées folles et les constructions dantesques, il finit par s’emmêler les pinceaux et les fils scénaristiques. Attention, je ne fais pas partie de cette clique reprochant au Moff de mélanger Lost et Doctor Who en ne répondant pas aux questions qu’il met lui-même en place. Sur ce point très précis, je me porte en faux et vous propose le listing suivant afin de démonter cette accusation éhontée. A la fin de cette sixième saison, on sait :
- Qui est dans la combinaison d’astronaute ? (Réponse : River Song)
- Qui est la petite fille ? (Réponse : River Song)
- Pourquoi se régénère-t-elle ? (Réponse : C’est une demi Time Lord)
- Qui est la milf borgne ? (Réponse : Madame Kovarian, servante des Silents)
- Qui est River Song et qui a-t-elle tué ? (Réponse : la fille d’Amy et Rory. Elle a tué le Doctor)
- Quel est le plan des Silents ? (Réponse : Tuer le Doctor au Lac Silencio à ce moment précis inscrit comme tel dans le temps)
- Qui est le propriétaire du second Tardis dans l’épisode The Lodger ? (Réponse : les Silents)
Si certains éléments restent encore flous et semble être gardés pour la saison 7 (Pourquoi les Silents veulent-ils absolument tuer le Docteur ?), toutes les réponses nous sont données pendant la saison 6. Certaines réponses nous sont par ailleurs suggérées. On comprend ainsi à la fin de « The Wedding of River Song » pourquoi cette dernière n’intervient jamais dans ses aventures avec le Docteur (notamment dans « A Good Man Goes to War ») : elle ne veut pas être sauvée ; elle préfère laisser intacte son histoire avec le Doctor telle qu’elle l’a vécue.
Non, ce n’est pas sur point que je pourrais faire des reproches à Steven Moffat. Pour moi, ce dernier pêche principalement sur ce qui faisait sa force en tant que scénariste : River Song.
River Song, you’re The Weakest Link !
Que les choses soient claires dès le début, je n’ai rien contre Alex Kingston que je trouve très bonne actrice. Je n’ai rien non plus contre son personnage, excentriquement attachant. Non, le problème ne vient pas de là. Le problème est que sur ce coup, Moffat est égoïste. Quand ce personnage est apparu, il était évident qu'il allait s’inscrire dans la durée. A la manière d’une Sarah Janes Smith, cette compagne allait survivre à plusieurs saisons, à plusieurs Docteurs et surtout à Steven Moffat. Cette théorie s’est complètement concrétisée lorsque l’on comprit que River Song était une demi Time Lord. De là, germait l’idée un peu folle, mais pas complètement irréaliste, d’une relation Doctor-River construite sur le très long terme et Moffat pouvait poser sa patte sur l’Histoire de Doctor Who.
Cette conception disparait dès l’épisode suivant : « Let’s Kill Hitler » où l’on comprend que River Song ne pourra plus jamais ressusciter. J’aimerais au passage m’arrêter sur cet épisode très précis. Il est évident que Big M l’envisageait comme le moment charnière de sa saison. Pensez-vous LE moment où River Song rencontre le Docteur pour la première fois ! Ce huitième épisode est un désastre à cause du personnage de Mels. Monter ce personnage de toute pièce afin d’expliquer que River Song est à l’origine de la rencontre de ses propres parents, franchement, mais quelle ficelle scénaristique immonde ! Si seulement encore Mels avait été introduite bien en amont, j'aurais été le premier à trouver Mof' brillant. Cette improvisation de dernière minute (pour reprendre le juste terme de mon camarade Gouloudrouioul) fait très mauvais genre dans une saison d’apparence maitrisée de bout en bout. Cette création est d’ailleurs beaucoup plus importante qu’elle n’y parait. Ainsi, par cette astuce, Moffat borne lui-même la vie de l’archéologue en décidant de son début et de sa fin. Je trouve cette décision regrettable. Plutôt que de parsemer intelligemment l’utilisation de son personnage et de le léguer aux futurs showrunner, il va trop vite et bâcle sa River Song.
On en vient à l’autre problème lié à cette compagne du Docteur : en faire la fille d’Amy et de Rory. Honnêtement, quand cette rumeur est apparue sur les forums (photos du final à l’appui), je n’y ai guère prêté attention. Encore un fantasme de fan avorté, pensais-je. Or, Moffat concrétise sur papier ce qui ne devait rester qu’un fan fiction amusant. Rétrospectivement, la pilule à encore du mal à passer. Je trouve cette idée totalement stupide, en dépit d’un enrobage sémantique alléchant (Pond = River). Ce sentiment tenace est renforcé par le sentiment de bâclage qui anime l’ensemble. Passé l’épisode huit, Rory et Amy ne semblent plus en avoir rien à foutre de leur fille. Si ce sentiment peut se comprendre à la limite (ils ne l’ont pas élevés et l’enfant est autant celui du Tardis que le leur), leur indifférence fait froid dans le dos. Là encore, Moffat fonce à tout allure et oublie l’essentiel : les sentiments. Alors qu’il aurait suffit sans doute d’une courte scène de dialogue entre Amy, Rory et le Docteur pour que le spectateur pardonne cette erreur, Ze Mof préfère se concentrer sur les twists multiples dont il ne cesse de parsemer ces plots. C’est sans doute la principale différence entre Russel T. Davies et Steven Moffat : l’adhésion du spectateur à ses personnages. Si Moffat parvient à créer un fort sentiment d’empathie sur certains (Rory, Jack et Sally Sparow), il néglige les personnages one-shot émouvants dont RTD raffolait (Il suffit de juste revoir « Midnight » pour s’en convaincre). Entre le sentimentalisme sirupeux de Davies et la démarche froide d’un prof de math de Moffat, le juste milieu reste encore à trouver pour les prochains showrunners de Doctor Who.
Et maintenant, on fait quoi ?
En établissant SA saison comme un feu d’artifice permanent, Steven Moffat semble avoir oublié de donner une cohérence à l’ensemble. On imagine aisément les réunions de travail avec les scénaristes : « Cette année, le fil conducteur sera River Song, mais je la garde pour moi. Vous devez vous débrouiller avec les thèmes de la maternité/paternité, des doubles, de la personnalité changeante et de la mort. Salut et good luck ! ». L’histoire est connue : Russel T. Davies donnait des directions très précises à son pool scénaristique et relisait (puis corrigeait) chacun de leur script. Moffat aborde de manière beaucoup plus démocratique son métier de showrunner. Il harmonise après coup les loners à l'ambiance de conte-temporel de ses saisons. De là en découle un fort sentiment de saison décousue, avec d’un coté les épisodes principaux gérés par Moffat et de l’autre, les scénaristes qui lui courent après en ramassant les miettes de ce qui reste.
J’ai l’espoir que Steven Moffat bosse sur ce point précis, mais je n’y crois moi-même guère. C’est, en effet, un problème récurrent chez lui. On retrouve le même problème sur la saison une de « Sherlock »: le seul épisode qu'il ne gère pas avec Mark Gatiss (le second) n'est pas bon, bien qu'en accord avec le ton global de la série. En outre sur Jekill, Moffat a géré TOUS les épisodes sans exceptions. Néanmoins, les cinq dernières minutes de la saison me donne espoir pour la suite. La volonté affichée de voir un Doctor plus en retrait me semble être une bonne garantie pour une grandiloquence plus mesurée. Et si l’enfant Moffat pouvait ne serait-ce que consentir à prêter ses jouets à ses petits camarades, cela serait merveilleux.
Mon Classement des épisodes de la saison six :
- The Doctor Wife
- Day of the Moon
- The Impossible Astronaut
- The Girl who Waited
- The God Complex
- A Good Man Goes to War
- The Wedding of River Song
- Night Terrors
- Let’s Kill Hilter
- Closing Times
- The Almost People
- The Rebel Flesh
- The Curse of the Black Spot
Allez, à la semaine prochaine pour la critique de l'épisode de Noel !