Une des grandes modes depuis quelques années, ce sont les come-back. Qu'il s'agisse de musique (Police, les Stones Roses, ou les Guns'n'Roses pour ne citer qu'eux), de films (Star Wars, Alien, ou dans un autre registre, les Bronzés et les 3 Frères) ou de séries (Dallas, Dynasty), l'heure est à la nostalgie.
Ces retours se font parfois avec plus ou moins de succès. Protagonistes vieillissants, perte de la fan base, ou concept initial dépassé, sont quelques raisons de se prendre un mur en pleine face et d'avoir perdu quelques millions d'euros au passage. Pour peu que l'œuvre de base soit elle-même un pastiche de ce qui se faisait à l'époque et qu'elle soit assez peu accessible au tout-venant, c'est peine perdue.
Sauf si on s'appelle David Lynch.
Car si on s'appelle David Lynch, on réussit complètement ce come-back. Pire encore, on le prévoit, et on l'annonce vingt-cinq ans auparavant dans une scène restée culte.
Oui, Twin Peaks saison 3 est un pari réussi. C'est même un véritable succès. J'irai jusqu'à dire qu'il est difficile pour moi d'imaginer désormais mes dimanches soirs non ponctués par un épisode de cette œuvre intelligente, subtile et hors du temps.
Mais plutôt que de me lamenter, je vous propose de revenir sur les moments marquants de cette saison 3. Cette liste est loin d'être exhaustive, et est surtout soumise à ma propre vision des choses. Dieu sait qu'avec Twin Peaks, notre libre arbitre est d'une importance capitale. Attention, article 100% spoilers.
25 ans plus tard, Dale Cooper est de retour (ou presque)
Une des grosses attentes de cette saison 3, c'était bien entendu de revoir Cooper qu'on avait laissé en bien mauvaise posture, et de savoir comment celui-ci allait s'extirper de la Black Lodge pour (sans doute) détruire son Doppelgänger.
Lors de l'épisode 3, nos vœux sont presque exaucés. Dale arrive à sortir de la Chambre Rouge, pour atterrir dans une nouvelle pièce que nous n'avions jusqu'alors jamais vue. Il n'est d'ailleurs pas tout seul, puisqu'il fait la rencontre d'une jeune femme sans yeux ne parlant qu'en poussant des cris d'animaux.
À ce moment-là, on sait que ce personnage peut avoir une importance capitale, sans trop pouvoir l'expliquer. Après visionnage complet de la saison, on comprend mieux pourquoi elle passe tant de temps à toucher le visage de Cooper et pourquoi elle souhaite l'aider. Vingt-cinq ans plus tard, Diane, piégée dans ce corps, retrouve enfin le vrai Dale et cherche sans nul doute à le protéger.
Bref, Cooper arrive à sortir de la Black Lodge en y laissant une chaussure, mais également (et c'est plus embêtant) sa personnalité. Si l'on applique le précepte "un prêté pour un rendu", on espère à ce moment que Mister C va réintégrer la Chambre Rouge. Seulement, le coquinou avait prévu le truc, et a créé le Doppelgänger du Doppelgänger (vous suivez ?) en la personne de Doogie. Et lui, personne ne l'a prévenu de ce qui pouvait se passer. Il (ré)intègre donc la Black Lodge pour y être détruit, laissant deux Cooper dans notre monde : le vrai, devenu inerte et léthargique, et Mister C, véritable entité du mal. Très honnêtement, à ce moment, on ne donne pas très cher de la peau de notre Dale préféré.
Le Bang Bang Bar
S'il y a bien un mystère qui m'a trituré le cerveau durant toute la saison, c'est ce satané Bang Bang Bar. David Lynch a pris le parti de terminer chacun de ses épisodes (ou presque) par une prestation scénique, bien souvent onirique.
Si on assiste à ces dernières scènes dans un premier temps en savourant la programmation, on commence petit à petit à se demander ce qui se cache derrière ce bar. Pratiquement que des personnages que nous ne reverrons jamais et dont le discours est complètement décousu par rapport au reste de la ville et des intrigues que nous suivons.
Et que dire de l'ambiance qui se dégage de ce lieu ? Tout semble flou, léger, mais en même temps terriblement pesant. On se croirait presque dans un rêve, leitmotiv principal de cette saison 3.
Longtemps, j'ai cru que le Bang Bang Bar était une sorte de purgatoire avant d'entrer dans la Black Lodge. Cette théorie est notamment tombée à l'eau en voyant James rentrer dans le bar puis en ressortir vivant dans Twin Peaks (satané James, même vingt-cinq ans plus tard, tu casses tout !). Pour autant, on ne m'enlèvera pas de l'idée que ce lieu est relié de près ou de loin à la Chambre Rouge, ou bien que ce que l'on voit à l'écran concerne des événements d'une autre dimension (cf. la dernière scène de l'épisode 18, ou encore la scène de fin de l'épisode 7. Car oui, je ne peux pas croire à un faux raccord de la part de Lynch. Selon moi, il s'agit d'un premier indice (mais il y'en a peut-être d'autres) que le Diner existe dans au moins deux dimensions différentes mais dans des temporalités identiques).
Top 3 des Prestations au Bang Bang Bar :
Médaille de bronze :
Je n'en démords pas, les motifs de sa robe ne sont pas un hasard.
Médaille d'argent :
Le retour du beau gosse AB Production.
Médaille d'or :
Forcément.
Le WTFest épisode 8
J'ai été déstabilisée à bien des moments durant cette saison de Twin Peaks, mais s'il y a bien un épisode entier où je suis restée la bouche ouverte en essayant de comprendre ce que j'étais en train de regarder, c'est l'épisode 8.
Avant de m'interroger sur le contenu, je me suis d'abord demandé : pourquoi maintenant ? Qu'est ce qui a poussé David Lynch a mettre l'ensemble de ses intrigues sur pause pour lui permettre de libérer une partie de sa créativité torturée ? Était-ce justement pour nous déstabiliser encore un peu plus ? Pour nous rappeler que le conventionnel n'est qu'un passage chez lui ? Ou bien encore pour prouver qu'il était capable de faire diffuser à une heure de grande écoute un OVNI télévisuel (et le mot est faible) dont lui seul a le secret ?
Passé ce moment de flottement, on se met à analyser le véritable contenu de cet épisode, que l'on pourrait synthétiser par : la naissance du mal. On assiste respectivement à la mise en lumière de Judy et de la White Lodge, à la création de BOB et de ses acolytes clochardisants, ainsi qu'à la future perversion d'une petite ado qui semble bien innocente et qui prendra les traits quelques années plus tard d'une certaine Sarah Palmer.
Finalement, outre la performance cinématographique que nous offre cet épisode, il s'agit principalement d'un magnifique prologue qui revient sur la fondation de la série. Plus encore que The Fire Walk With Me, qui peignait l'histoire de Laura Palmer avant son assassinat, on revient ici aux origines de l'histoire de Twin Peaks. Et il aura fallu vingt-cinq ans pour cela. Une preuve de plus, s'il en fallait une, que le temps est une boucle infinie.
Who is the dreamer ?
Une question de David Lynch à laquelle, vous vous en doutez, nous n'aurons jamais de réponse tangible. Tout commence d'ailleurs par un rêve de Gordon, qu'il raconte à Tammy et Albert.
Celui-ci se passe à Paris, sur la terrasse d'un café. Cole est en compagnie de Monica Bellucci (tant qu'à faire !... Alors que je suis sûre qu'Eric Zemmour était aussi dispo), qui lui indique que nous sommes tous des rêveurs, vivant à l'intérieur d'un rêve. Puis ajoute : "mais qui est le rêveur ?".
Les possibilités sont et resteront multiples :
- S'agit-il de Cole Gordon, qui est, rappelons-le, joué par David Lynch lui-même ? Lynch rêverait-il d'être un agent du FBI ? Ou bien, Gordon rêverait-il d'être un réalisateur à succès ?
- S'agit-il d'Audrey ? Elle qui semble détester sa vie, son mari, et ce qu'elle est devenue ? Elle tourne en rond, dans sa maison, dans son discours, comme dans un mauvais rêve dont elle essaierait de sortir. Oserais-je dire qu'elle y parvient à la fin de la saison ? Pour autant, sa réalité semble encore plus sombre que ses songes.
- S'agit-il de Cooper ? Il rêve de sauver Laura Palmer et de tuer le mal, incarné par BOB et Judy. Il y parvient, du moins en partie. BOB meurt, et Laura retrouve une nouvelle identité en la personne de Carrie. Pour autant, la scène finale au commissariat de Twin Peaks laisse penser que l'ensemble est fantasmé. "We live inside a dream" dira Dale en arrière plan. Cooper qui, dans une autre réalité, s'appelle Richard et n'est plus vraiment celui que nous connaissons. Finalement, notre agent du FBI préféré existe-t-il réellement ? Ou bien a-t-il rêvé être celui que nous apprécions tant ?
- S'agit-il de l'ensemble du Bang Bang Bar ? Comme indiqué plus haut, nous ne revoyons presque jamais les personnages présents (lorsque nous voyons leurs visages), et leurs propos sont parfois incohérents. Comme dans un rêve. Ce qui expliquerait qu'Audrey se réveille après avoir été dans ce lieu, que James chante en souvenir de ses jeunes années en réussissant à émouvoir celle qui lui a tapé dans l'oeil, et que Shelly retrouve ses copines comme au temps du lycée.
- S'agit-il de nous, téléspectateurs fripons, qui essayons de comprendre tant bien que mal qui est le rêveur ? Monica Bellucci parle face caméra, après tout. La télévision, dans ses plus bas instincts, nous sort de notre quotidien et de notre vie réelle, parfois au détriment de notre libre arbitre. Peut-être Lynch a-t-il voulu nous faire un clin d'œil, et éveiller en nous un début de conscience ?
La dame attend votre réponse.
"Good night, Margaret."
Un des moments les plus émouvants (si ce n'est LE plus émouvant ?) de la série. Les néophytes de Twin Peaks connaissent au moins ce personnage : the Log Lady. Une étrange bonne femme dans les saisons 1 et 2, qui délivre des messages qui le sont tout autant, souvent énigmatiques, rapportés par sa bûche.
Dans un premier temps, il est facile de s'en moquer. Encore un personnage haut en couleur dont Lynch a le secret. Pourtant, son importance se révèle de plus en plus capitale au fur et à mesure des épisodes. Le fait même qu'elle introduise le récit dans les saisons précédentes n'est pas un hasard.
J'ai appris le décès de l'actrice en même temps que tout le monde. J'ai aussi appris qu'elle avait eu l'occasion de tourner quelques scènes. Stupeur, gène et tristesse lorsqu'elle réapparaît dans la saison 3. Amaigrie et quasi chauve, elle baigne dans une atmosphère funeste, très sombre ; seule avec sa bûche. Ses interventions permettront pourtant à l'intrigue d'avancer.
Peu de temps avant la fin de la saison, elle appelle une ultime fois Hawk, son unique contact avec l'extérieur. Elle, lui et nous, spectateurs, savons que nous ne la reverrons plus. Suit une scène très digne, où l'ensemble des membres du Commissariat lui rend un dernier hommage. Tout est sobre, élégant, et profondément triste. La frontière entre la série et la réalité n'existe plus à ce moment-là. On est bouleversé par la mort de Margaret, mais également par celle de Catherine Coulson.
Bonne nuit, Log Lady.
R.I.P.
Hello... O... Oooo...
Durant cette saison 3, David Lynch a joué avec nos nerfs parfois de manière très agaçante. Il est complètement conscient des attentes des fans, et s'amuse volontairement à nous torturer. Vous pensez que j'exagère le tableau ? Repensez à l'épisode 12. Un épisode entier où nous, spectateurs, sommes dans une attente constante, telle Audrey patientant devant la conversation téléphonique de son mari.
Mais le summum a été atteint avec Cooper. Depuis sa sortie de la Black Lodge durant l'épisode 3, il a pris l'identité de Doogie. Mais vingt-cinq ans dans un autre monde, ça vous change un homme. Fini l'agent du FBI serviable, drôle et intelligent. Place à un homme-enfant qui a du mal à marcher, ne sait plus aller aux toilettes seul et ne fait que répéter les derniers mots qu'il entend. La différence entre les deux est gigantesque.
Mike suggère à Dale de se réveiller en début de saison. Nous, on n'attend que ça et chaque épisode nous livre son lot d'espoir et se termine en ascenseur émotionnel. Pourtant, on y a cru ; d'abord lorsqu'il déguste du café pour la première fois. Puis quand il mange une tarte. Des souvenirs gustatifs pourraient lui permettre de retrouver la mémoire.
Finalement, c'est le gâteau fait par Janey-E qui provoquera une lueur de lucidité à Cooper, qui le déguste en regardant la télévision. À l'écran, on évoque un certain Gordon Cole. La connexion semble enfin être faite, et sans que l'on comprenne réellement pourquoi, ce dernier provoque sa propre électrocution.
Enfin le rév... Ah non. Cooper est désormais dans le coma. Alors c'est ça ? Lynch ne le réveillera pas et sa présence dans le trailer en tant qu'agent du FBI était juste un troll ? Que nenni les enfants, Dale se réveille (avec l'aide de Mike) et semble en pleine possession de ses moyens. Joie, allégresse, pleurs de bonheur à ce moment précis.
Ce moment magique où Cooper se retourne face caméra et dit d'un air assuré "I am the FBI", sur fond du générique. Oui, c'est peut-être trop, c'est peut-être peu subtil, mais bordel, c'était tellement bon. Toute cette attente valait le coup. David Lynch savait que c'était exactement ce qu'on voulait voir, et il nous a fait le cadeau de le réaliser.
"What about the FBI ?
– I am the FBI." <3
Back to the Past of The Future (ou un truc du genre) - by Nicknackpadiwak
L’un des moments qui m’a le plus marqué se trouve à la fin de l’épisode 17, lorsque Dale Cooper retourne le soir du meurtre de Laura Palmer pour lui faire échapper à son funeste destin. Filmé au début d’un noir et blanc sublime, inspiré du mythe d’Orphée, ce télescopage entre le pilote de 1990, le film Fire Walk With Me et la dernière saison est une vraie réussite, une véritable plongée riche en émotions dans le passé de la série. Et si tout le long de cette saison, les effets spéciaux étaient assez approximatifs, ici l’illusion est parfaite. Je ne sais pas si c’est Sheryl Lee qui reprend son rôle, camouflant bien son visage, s’il s’agit d’un sosie ou une incrustation numérique, mais cela fonctionne totalement et rajoute au trouble que j’ai ressenti à la vision. Et cerise sur le gâteau, on revoit une demi-seconde la tête de fripouille de Leo Johnson (personnage monstrueux que j’aime bien, inexplicablement).
Mais le réel tour de force de cette séquence est que, soudainement, en reliant les trois époques, elle rend cohérent l’univers de Twin Peaks, pourtant réparti sur plus de vingt ans et sorti sur trois médias différents (la télévision, le cinéma et internet), et surtout elle permet de retrouver (succinctement) le parfum de l'esprit originel de la série. En effet, lors de cette troisième saison, nous sommes bien allés à Twin Peaks, mais de manière éloignée, comme des touristes. On a bien revu les personnages, cependant on ne les avait pas vraiment reconnus, ils avaient changé, ils étaient en version empruntée et vieillie (Andy et Lucy), terne (Benjamin, Shelly) ou endormie (Dale Cooper). Pire, certains étaient de nouveaux personnages (Audrey). La scène susnommée est donc réussie, car elle a réveillé plein de choses en moi, notamment l’amour que j’avais pour cette série, ses personnages, ses mystères. La troisième saison aurait pu s’arrêter là, cela aurait été quasi-parfait. Mais non, un dernier épisode allait encore plus brouiller les pistes.
L’axe Sarah Palmer / Judy / Mother - by Nicknackpadiwak
Ce qui est bien dans cette saison 3 est que comme nous n’aurons jamais, jamais les réponses, chacun est libre d’avoir sa propre vision de l’ensemble. Je peux donc avoir mon propre avis concernant la Mother ou Jowday aka Judy pour les intimes, la reine des démons responsable de la naissance de Bob et du déversement du Mal sur la Terre. On a longtemps cru que le final donnerait un peu plus d’info sur elle, mais non, on reste dans le vague. Il est tout de même plus ou moins admis par tout le monde que cette créature a pris possession du corps de Sarah Palmer, comme nous le montre la scène dans le bar de l’épisode 14 où cette dernière enlève le devant de son visage tel un masque, découvrant des ténèbres, avant de dévorer un badaud.
Sarah Palmer fait tomber le masque.
Néanmoins, il y a deux points sur lesquels je ne suis pas de l’avis général.
1- Selon moi, la possession de Sarah par la Mother est récente et donc bien après la mort de Laura. Certes, il y a la scène de l’épisode 8 où un insecte grotesque entre dans la bouche d’une petite fille et oui, le timing concorde (la scène se passe en 1945 et l‘actrice est née en 1941). Mais désolé, rien ne nous certifie qu’il s’agit de Sarah jeune. Car cela voudrait dire que Bob et la Mother aient vécu vingt ans au minimum sous le même toit, ce qui est difficile à envisager puisque manifestement le plan de Bob dans cette saison 3 est de fusionner avec Judy pour éviter de retourner dans la Black Lodge. Et entre nous, Laura a déjà suffisamment souffert durant sa vie (et même après sa mort) pour l’imaginer régentée par deux démons qui auraient pris l’apparence de ses parents. Ne lui faisons pas subir cela en plus. Merci.
2- J’y tiens mordicus : la Mother gagne à la fin de la saison 3. Avant d’argumenter, il me faut évoquer une théorie qui se répand sur le net. Il semblerait que certaines séquences de cette saison se renvoient la balle entre eux ; voir ce montage assez hallucinant qui illustre l’idée :
Et selon certains, les épisodes 17 et 18 sont construits de telle manière que plusieurs scènes de l’un répondent à d’autres du second, pour se superposer et donner une autre signification à l’ensemble. Exemple : dans l’épisode 18, Monsieur C. est téléporté au quasi-même moment que Cooper et Diane dans l’épisode 17. Ou Laura et Dale se donnent la main au même instant pour des destinations différentes dans les deux épisodes finaux. Nous concernant, la scène où Sarah casse le cadre de sa fille en geignant dans le 17 et le moment où Laura entend son prénom chuchoté dans le 18 se situent tous les deux environ à la cinquante-deuxième minute. Pour beaucoup, le cri final de Laura et l’extinction de l’électricité de la maison signifie la victoire de celle-ci sur la Mother. Pour moi, c’est l’inverse, ce final signifie qu’au contraire, Judy vient de retrouver Laura qui avait échappé à la mort et s’était cachée dans une réalité parallèle.
Oui, pour moi, le Mal l’emporte à la fin et en effet, dans notre monde actuel où les fous sont à la tête de puissances nucléaires, où les faits divers sont de plus en plus atroces, où la solidarité et la tolérance sont des valeurs qui semblent disparaître jour après jour, qui peut envisager que le Bien puisse encore triompher ? Cela serait très naïf. Non, les ténèbres nous guettent et sont prêtes à nous dévorer, où que l’on essaie de se planquer.
Alors, au final, cette saison 3, une farce ou du génie ? - by Nicknackpadiwak
La question polémique. Maintenant que la folie est retombée, que l’on s’est mangé l’intégralité dans un état second, qu’on est un plus au calme, il est légitime de prendre un peu de recul. Que vaut donc cette saison ? Ne s'est-on pas fait un peu arnaquer ? En effet, tout n’a pas été parfait, loin s’en faut, et certaines parties laissent un goût d’inachevé.
1- Déjà, les visions artistiques de David Lynch et les effets spéciaux qui en découlent sont souvent à la limite du ridicule (l'arbre à la tête de chewing-gum du pilote, Laura qui disparaît dans l’épisode 2, David Bowie transformé en théière géante, etc, etc.). Il y a aussi durant la saison deux scènes gênantes qui nous font nous demander quelle mouche a piqué les auteurs (la mort du gamin écrasé par Richard, où le regretté Harry Dean Stanton voit son âme s’envoler, séquence naïve et gênante dont le côté outrancier, le synthé en fond sonore, la réaction passive des témoins de l’accident rendent la scène embarrassante à regarder, et le combat de Bob contre Freddie qui a fait grincer nombre de dents par son aspect kitsch et cheap.)
2- Avec le recul, on réalise bien que Lynch & Frost ont tenu très mollement les rennes des intrigues secondaires et ont beaucoup avancé à vue. C’est assez flagrant lorsqu’on regarde la saison sur son intégralité. Beaucoup d’histoires s’avèrent bien dispensables ou sont stoppées en plein milieu de rien (Benjamin, Jerry, Shelly, Billy ou Red qui disparaissent soudainement de l’écran sans avoir réellement fait avancer des choses). D’autres sous-intrigues ont un peu des allures de pétards mouillés (Monsieur C. qui aurait mérité une fin plus épique, les personnages incarnés par Tim Roth et Jennifer Jason Leigh ou Duncan Todd n’ont pas apporté grand-chose rétrospectivement). Le plus incompréhensible est le retour tant attendu d’Audrey qui n’apparaît que lors d’une poignée de scènes totalement déconnectées du reste du récit pour finir dans une chambre blanche bien mystérieuse. Un autre monde parallèle comme celui du dernier épisode ? On n’en saura jamais plus.
3- Papy Lynch a, parfois, perdu un peu la main, notamment sur les scènes à vocation comique qui donnent l’impression d’avoir quarante ans de retard (la scène de la mouche à Las Vegas, ou Dougie met une cravate). De plus, la fascination de David Lynch pour les personnes de petite taille (Ike) devient vraiment alarmant.
"Ben mon cochon, que c'était moche comme combat..."
Pour expliquer ce sentiment de relâche, il faut savoir que le réalisateur tire ses idées de ses rêves ou de séances de méditation, ce qui explique qu’il est très difficile de retomber sur ses pattes et rester cohérent. Néanmoins, c’est un peu trop facile (malhonnête ?) de sa part de balancer des scènes sans souci de continuité, comme on prendrait au hasard des mots dans le dictionnaire pour écrire un récit, se disant que de toute façon, les fans chercheront d'eux-mêmes des interprétations ou des explications. Donc c’est flagrant, il y a des trous, des lacunes dans le récit et on peut se demander si on ne s’est pas fait un peu balader. On peut dès lors comprendre que certains aient crié à la mascarade ou à l'escroquerie. Seule une seconde vision permettra de révéler ce que vaut vraiment cette saison.
Et pourtant…
Et pourtant, le fait que David Lynch ne sait pas où va sa barque est au final sa force. Car cette saison de Twin Peaks devient, une fois qu’on a digéré le concept et ravalé nos attentes, un voyage total dans le surprenant, l’imprévisible, l’imprévu. S'installer devant Twin Peaks, c'est monter dans un bateau à la destination inconnue, c’est partir sans bagage ni repère dans un voyage qui ne cessera de nous étonner, de nous décontenancer, de nous prendre à revers, c’est traverser parfois des eaux calmes, trop tranquilles à s'y ennuyer puis se retrouver dans des soudaines turbulences qui secouent et font chavirer, au risque de nous faire tomber par-dessus bord. Twin Peaks saison 3, c’est se retrouver totalement perdu dans un brouillard épais et avancer dans l’obscurité totale, avec notre foi en David Lynch comme seule planche de salut. Twin Peaks, c’est le grand frisson de l’aventure télévisuelle.
Bref, Twin Peaks c'était ma dose hebdomadaire d'inconfort, de surprises, où j'étais totalement spectateur passif (mais ravi), parfois victime consentante de la vision d'un artiste sans rémission, sans compromis.
Les autres séries vont paraître bien fade, maintenant.
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Twin Peaks saison 3, c'est terminé. Objectivement, ces dix-huit épisodes ont des défauts. Mais ce n'est rien en comparaison de tout le plaisir que la série m'a procuré. Revoir l'univers de Lynch, certes, mais surtout redécouvrir Twin Peaks vingt-cinq ans après ; comme on revient sur le lieu de nos vacances de jeunesse : présent physiquement, mais absent mentalement car plongé dans notre nostalgie.
La nostalgie, il y en a eu, mais pas que. David Lynch a réussi à rendre cette saison aussi géniale que les deux précédentes, sans pour autant tomber dans le fan-service de bas étage. Je le dis et le redis : merci pour ces 18h de pur bonheur. We'll see you again, in 25 years ?