Attention, cet article englobe la critique des épisodes 1 et 2 de la saison 3.
On en a parlé pendant des mois, le retour de la série culte des années 90 était attendue au sein de la rédac comme le (Lionel) Messi à Paris, donc trêve d’introduction, attaquons tout de suite la critique.
Crazy Clown Time
Je m’étais beaucoup demandé à quoi ressemblerait l’ouverture de cette troisième saison. Dans quel état serait l’Agent Dale Cooper ? David Lynch et Mark Frost joueraient-ils la carte du suspense et retarderaient-ils son entrée en jeu ? En fait pas du tout, cela commence directement par lui, toujours enfermé depuis vingt-six ans dans la Black Lodge, et on le retrouve en pleine discussion avec le Géant, ce dernier lui donnant des indices (ou peut-être ne sont-ce que des phrases sans queue ni tête, on ne sait jamais avec ces gens-là). Voilà, ça c’est fait.
Queskidi ?
On ne s’y attarde pas trop, car le récit est en marche, avec déjà des longueurs d’avance sur le spectateur. Lors de ces deux premiers épisodes, on retourne plusieurs fois à Twin Peaks, mais sans trop s’y attarder, juste histoire de prendre des nouvelles de certains habitants comme le docteur Jacoby, Ben et son frère ou le bureau de shérif. On y donne en passant une excuse pour justifier l’absence de Harry S. Truman au casting (il est malade), Michael Ontkean ayant pris sa retraite des plateaux de tournage et ayant refusé de reprendre le rôle. Ailleurs, dans le Dakota, le doppelganger (double maléfique) de Dale Cooper est devenu un criminel qui sème cadavre sur cadavre derrière lui. Comme par hasard, dans ce même état des USA, deux cadavres mutilés sont découverts, tandis qu’à New York, un étudiant est payé à regarder une mystérieuse cage en verre vide. S’ajoute une saynète à Las Vegas, et voilà présentés les enjeux de la saison à venir.
I'm deranged.
On est clairement dans la veine des grands films de David Lynch, ces films noirs et pervers sur lesquels planent une ombre de surnaturel (Mullholland Drive, Blue Velvet ou Lost Highway). Retrouver cet univers, après Inland Empire, sa dernière incursion derrière les caméras il y a onze ans déjà, fait un bien fou et est un vrai courant d’air frais dans le milieu souvent formaté des scénarios (télé ou ciné). D’ailleurs, Lynch semble prendre plaisir à son retour et s’amuse à s’auto-référencer. Le méchant Dale Cooper porte un vêtement en peau de serpent comme Sailor dans Sailor et Lula, sa première arrivée en voiture rappelle énormément le générique de Lost Highway avec l’excellente I’m Deranged du grand David Bowie. La tête du monstre de la Black Lodge ne rappelle-t-elle pas le bébé difforme d’Eraserhead ? Et cette lampe rouge, près de Margaret au téléphone, ne l’a-t-on pas déjà vue dans d’autres films de Lynch ?
Bref, le pilote réussit sa mission : ressusciter l’univers de Lynch et lancer les pistes de la saison à venir. Qui est cette créature qui a attaqué le couple ? Qui a perpétré le meurtre sauvage de Buckhorn ? (perso, j’ai une petite idée) Et comment le méchant Dale arrive à discuter au téléphone avec Phillip Jeffries aka David Bowie, l’agent du FBI mystérieusement disparu dans le film Fire Walk With Me ? On a dix-huit épisodes pour connaître les réponses, même si connaissant le loustic lynchien, on n’aura pas toutes les solutions.
Et pourquoi pas ?
Are you sure ?
À qui s’adresse ce retour ? Clairement pas à ceux qui aiment être pris par la main par une série (The Walking Dead ?) ou ceux qui aiment les grosses ficelles bien visibles et sécurisantes (The OA ?). Ceux-là resteront sur le carreau, car la série ne fait aucun cadeau et lâche ses spectateurs dans la nature sans boussole ou balise de sauvetage. Ce pilote s’adresse donc quasi exclusivement aux fans de la série mère, aux supporters inconditionnels et invétérés de l’univers de Lynch, bref aux aventuriers adeptes de bizarrerie. On a d’ailleurs durant le visionnage l’impression de voir une succession de courts-métrages du cinéaste, sans forcément de lien entre eux.
Et le soulagement est total : le réalisateur lauréat de la Palme d’or en 1990 revient en grande forme et n’a rien perdu de son talent. En effet, qui d’autre arriverait à faire monter l’angoisse avec uniquement un plan fixe d’une prison de verre vide ? Réponse : quasi personne. La scène de la découverte des cadavres de Buckhorn est un beau condensé de son savoir-faire, c’est-à-dire réussir à filmer une situation vue des milliers de fois dans d’autres films (une femme appelle la police et se plaint d’une odeur de mort dans l’appartement voisin), mais transcendée par un second degré permanent, des personnages farfelues, un peu dingues et une sensation étrange, une forme de menace sous-jacente et impalpable, comme si tout pouvait dégénérer dans quelque chose de profondément inattendu, voire d’effrayant. Comme un rêve qui deviendrait cauchemar.
Il y a quelqu'un ?
Surprendre sans cesse le spectateur est le créneau de David Lynch, au risque d’aller loin, très loin, trop loin parfois. Par exemple, dans l’épisode 2, un nouveau résident de la Black Lodge est présenté. Il s’agit d’une créature non-humaine et surnaturelle, mais David Lynch prend le contre-pied de nos prévisions, nous qui attendions un monstre grimaçant et éructant et propose….un arbuste dégarni, avec une tête en forme de chewing-gum géant, éclairé par des effets stroboscopiques. Sans équivalent. Alors s’agit-il d’une idée géniale qui deviendra une référence culte, ou un truc ridicule, kistch et WTF de chez WTF ? À l’heure actuelle, nous sommes trop la tête dans le guidon pour trancher. Mais le résultat est saisissant. Par contre, concernant la scène où Laura Palmer s’envole, on peut d’ores et déjà l’affirmer : l’effet est très moche.
Car oui, laissez les pleines cartes à David Lynch nous expose à certaines bizarreries d’un goût parfois discutable. Ceci pour confirmer que le visionnage de ces épisodes de Twin Peaks ne plaira pas à tout le monde. La lenteur du rythme, le côté illogique et n’importe quoi de la majorité des scènes va rebuter beaucoup de monde. Mais que David Lynch ait carte blanche pour pouvoir faire ce qui lui passe par la tête reste une excellente nouvelle. D’ailleurs, par rapport à la série initiale assez soft et prude, ce retour n'y va pas avec le dos de la cuillère. Les rares scène de violence sont assez frappantes, avec en point d’orgue la découverte bien crade dans un lit d’une tête coupée associée à un corps différent tronçonné au niveau du cou. Niveau nudité, on est tout de même loin de Game Of Thrones, mais on aperçoit une paire de fesses et de seins. Encourageant, car cela signifie que David a les coudées franches pour pouvoir laisser exprimer son rapport très twisted à la violence et au sexe. Cela ne peut apporter que de bonnes choses.
Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?!
These are my friend
Au final, j’ai peu parlé de la ville de Twin Peaks dans ma critique et c’est normal, car les deux épisodes y vont très peu et seulement pour des intrigues un peu secondaires ou pour une balade nocturne à l’ancienne dans ses forêts. Et surtout parce que les scènes qui se passent à Twin Peaks sont les moins efficaces de toutes, celles qui font un peu sortir du récit. Oui, oui.
J’avoue, j’ai ressenti un effet bizarre, en revoyant mes personnages chéris. Ce sont bien les mêmes, mais le passage du temps a frappé, ils sont vieillis, plus bouffis, moins alertes, j’ai un peu de mal à les remettre. En fait, c’est vraiment comme revoir une très ancienne connaissance et se dire « waouh, il a pris un sacré coup de vieux ». Si Kyle MacLachlan ou Michael Horse s’en sortent bien, j’ai eu des difficultés à reconnaître Richard Beymer (Benjamin), David Patrick Kelly (Jerry), Harry Goaz (Andy) et Kimmy Robertson (Lucy), à réaliser qu’il s’agissait bien des mêmes acteurs. Les revoir faire leurs numéros passés (Lucy qui explique le fonctionnement du standard) m’a semblé bizarre, un brin poussif, comme une mauvaise caricature de ce que j’aimais jadis. Quant à Laura Palmer (Sheryl Lee), un de mes phantasmes pré-pubères, je ne préfère pas en parler, le choc de la revoir m’a fait un choc au cœur, même si la pauvre n'y est pour rien. C'est que cela me renvoie juste à mes angoisses vis-à-vis de la dégénération irrémédiable du corps humain. Cela explique que je sois resté un peu à la porte de toutes les scènes se passant dans la Black Lodge, et que je n’aie pas totalement réussi à m’y immerger. Je pense qu’il faudra un certain nombre d’épisodes pour que cet effet étrange s’estompe entièrement (j’appréhende le retour d’Audrey Horne).
Benjamin Horne, si si.
Difficile donc de retrouver tout le monde avec quasi trente ans de plus au compteur, mais à la toute fin du deuxième épisode quelque chose se produit et ce, par le biais des Palmer. Cela commence par Leland qu’on aperçoit dans la Black Lodge, et il est rassurant de constater que ce dernier a toujours la même tête de fou. Puis il y a une séquence où Sarah regarde dans son salon, fascinée, un reportage animalier ultra violent. On comprend alors que la série se décide enfin à revenir à Twin Peaks, s’y poser un peu plus longuement. En effet, l’épisode se termine au Bang Bang Bar où se trouve Shelly Johnson à une table, buvant avec des amies, tandis qu’un James Marshall perturbé par un accident de moto traîne dans les parages. Sur la scène du boui-boui, se produit un clone de Julee Cruise qui chante une chanson planante. Il y a alors une sorte de déclic qui se produit lors de cette séquence, un sentiment de familiarité et une chaleur rassurante, sortie de l’écran.
Ça y est, on est (enfin) de retour à la maison…
La Femme ? Non, Dieu merci.
Alors qu’on pouvait craindre que David Lynch et Mark Frost aient perdu la foi et allaient revenir avec un Twin Peaks édulcoré, voire indigne de la série mère, il n’en est rien. Au contraire, cette troisième saison pousse d’entrée les manettes de l’abscons, de l’étrange et du décalé à fond, au risque de perdre ses spectateurs en route ou tomber dans le grotesque. Twin Peaks fait du Twin Peaks, ce qui est un vrai soulagement. C’est aussi ce qui était attendu et c’est pour cela qu’on ne crie pas tout de suite au génie. Car l’ensemble est pour l’instant assez froid, sans véritable accroche émotionnelle ; l’œuvre, comme toujours chez Lynch, devra attendre d’être arrivée à son terme, pour qu’on puisse la juger dans son ensemble.
En tout cas, avec ces deux épisodes fous, tout est sur les rails pour qu’on (re)devienne accro à notre dose d’étrange et de décalé hebdomadaire.
J'ai aimé :
- Le générique est revenu à la note près et de nouvelles images de fond.
- Kyle Mackaklane s’en sort bien avec les cheveux longs.
- C’est un plaisir de constater que David Lynch ne bride pas sa folie créatrice et nous livre une suite de scènes décalées ou flippantes, quasi oniriques. Tant de prise de risque fait du bien.
- Que James Marshall me soit apparu plus sympathique en une scène qu'en deux saisons de la vieille Twin Peaks.
Je n'ai pas aimé :
- Finalement, cela ne se passe quasiment jamais à Twin Peaks.
- Certaines scènes à la limite du #nawak#comiqueinvolontaire#quescequecestquecetruc.
- Quand même, c’est moche de vieillir.
Mes notes : 16/20 pour le premier épisode, 15/20 pour le deuxième.
J’aurais donné mon âme au diable pour le savoir :
- Que voit le méchant Dale Cooper dans le reflet du miroir au-dessus du lavabo lorsqu’il se lave les mains dans le motel, après son énième meurtre ?
Bonus 1
J'étais aussi très curieux de savoir comment la série allait traiter la question de Bob, l’entité démoniaque, sachant que Frank Silva, son interprète, est décédé en 1995. Allait-elle éluder la question et ne pas l’évoquer du tout ? Bah non, au contraire, Bob est cité lors d’une scène. Il est donc encore présent. Comment les auteurs vont-ils faire pour le réintroduire ? C'est une question intrigante. C’est néanmoins un bel hommage à Frank Silva que de garder ce personnage et de continuer à en faire une menace (un autre hommage lui est rendu lors du générique). Si on ajoute à cela la séquence du baiser entre Dale et Laura, qui reproduit ce qui avait été fait et annoncé il y a vingt-six ans (à un nain près), on peut être rassuré : Twin Peaks va être raccord et cohérente avec sa propre légende.
Bonus 2
Bizarre, vous avez dit bizarre ? Mais que fout Jacques Renauld dans le bar, à la fin ? N’est-il pas censé être mort, étouffé par un coussin par Leland Palmer ?
Les chansons des titres des paragraphes :