Black Mirror : ce qu'il y a réellement dans le miroir

Le 07 mars 2012 à 16:11  |  ~ 13 minutes de lecture
Pour changer un peu, nous allons aujourd'hui nous intéresser au fond d'une série en laissant de coté la forme, celle-ci ayant été longuement débattu. Parce qu'il y a de quoi dire sur black mirror et que cette série pose intrinsèquement beaucoup de questions, je vous propose mon analyse personnelle en attendant d'être éventuellement contre-dit.
Par Scarch

Black Mirror : ce qu'il y a réellement dans le miroir

~ 13 minutes de lecture
Pour changer un peu, nous allons aujourd'hui nous intéresser au fond d'une série en laissant de coté la forme, celle-ci ayant été longuement débattu. Parce qu'il y a de quoi dire sur black mirror et que cette série pose intrinsèquement beaucoup de questions, je vous propose mon analyse personnelle en attendant d'être éventuellement contre-dit.
Par Scarch

Cet article étant une analyse de fond, je vous déconseille de le lire si vous n'avez pas encore eu l'occasion de regarder la série. Je vous y invite fortement : il n'y a que trois épisodes d'environ 45 minutes et au delà de son format, elle nous invite à réfléchir sur des problèmes réels dont il est utile de débattre.

Miroir sombre et sombre miroir

 

 

D'après les différentes critiques que j'ai pu lire ici et là ainsi que les réactions, allant de l'apologie au dénigrement pur, Black Mirror suscite l'intérêt et pour cause : ce miroir nous renvoie non seulement à notre société mais également à nous même et à nos peurs, celles dont on ne parle pas assez.

Il est de coutume dans une analyse, surtout de fond, d'analyser une œuvre de manière linéaire en tentant de dégager l'essence de chaque épisode. D'autant qu'avec Black Mirror, l'histoire ne suit pas de fil conducteur et le fil rouge peut être suivi dans n'importe quel sens. Le but de cet article sera d'apporter une autre manière de suivre ce fil en écartant au premier abord le premier épisode. Vous comprendrez mieux cette volonté d'aller au delà de la narration au fil de l'article. Mais commençons tout de même par résumer le contenu de l'histoire telle qu'elle est présenté et les réactions qu'elle suscite.

Tout d'abord, le premier épisode nous présente une situation en elle-même plausible. Après avoir vu l'intégralité de cette série, j'aurais volontiers mis deux ou trois points de plus à la note de cet épisode par rapport aux autres car celui-ci me semblait être le plus crédible, et celui en lequel je pouvais le mieux m'identifier moi-même dans la société qui y est dépeinte, au demeurant la notre, ce qui facilite quand même les choses.

Un « terroriste » transmet au gouvernement anglais une vidéo qu'il a préalablement mise sur youtube, montrant une princesse (Susannah) obligée par son ravisseur d'exiger une rançon très originale de la part du premier ministre anglais : si avant 16h il n'a pas forniqué avec une truie selon les règles du dogma 95 à savoir (source wiki) :

 

Vœu de chasteté

Je jure de me soumettre aux règles qui suivent telles qu'édictées et approuvées par Dogme 95

1. Le tournage doit être fait sur place. Les accessoires et décors ne doivent pas être amenés (si on a besoin d'un accessoire particulier pour l'histoire, choisir un endroit où cet accessoire est présent).

2. Le son ne doit jamais être réalisé à part des images, et inversement (aucune musique ne doit être utilisée à moins qu'elle ne soit jouée pendant que la scène est filmée).

3. La caméra doit être portée à la main. Tout mouvement, ou non-mouvement possible avec la main est autorisé. (Le film ne doit pas se dérouler là où la caméra se trouve; le tournage doit se faire là où le film se déroule).

4. Le film doit être en couleurs. Un éclairage spécial n'est pas acceptable. (S'il n'y a pas assez de lumière, la scène doit être coupée, ou une simple lampe attachée à la caméra).

5. Tout traitement optique ou filtre est interdit.

6. Le film ne doit pas contenir d'action de façon superficielle. (Les meurtres, les armes, etc. ne doivent pas apparaître).

7. Les détournements temporels et géographiques sont interdits. (C'est-à-dire que le film se déroule ici et maintenant).

8. Les films de genre ne sont pas acceptables.

9. Le format de la pellicule doit être le format académique 35mm.

10. Le réalisateur ne doit pas être crédité.

De plus je jure en tant que réalisateur de m'abstenir de tout goût personnel. Je ne suis plus un artiste. Je jure de m'abstenir de créer une « œuvre », car je vois l'instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est faire sortir la vérité de mes personnages et de mes scènes. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de mon bon goût et de toute considération esthétique.

Et ainsi je fais mon Vœu de Chasteté

Copenhague, Lundi 13 mars 1995

Au nom du Dogme 95

Lars Von Trier, Thomas Vinterberg

 

Si donc le premier ministre ne culbute pas une truie, la princesse sera exécutée. Le hacker responsable de la vidéo étant intraçable en si peu de temps, et le film étant émis directement sur internet sans passer par les médias traditionnels, il n'y a aucune possibilité pour manipuler l'information avant que le public découvre lui aussi la revendication. S'en-suit une course contre la montre à la 24 ou finalement le premier ministre devra s'exécuter.

D'après les réactions que j'ai pu lire, non seulement sur le site mais également sur le net, l'épisode est pris comme une dénonciation, un peu maladroite dans le fond car il n'y a que très peu de substance, de la dangerosité du média internet en général en montrant les effets pervers de la libre information. Je reviendrais dessus plus tard, mais cet épisode est selon moi, celui qui devrait conclure la série.

 

 

Le deuxième épisode se déroule dans un futur lointain ou la vie réelle de l'être humain dépend entièrement de sa vie virtuelle. Un jeune homme tombe amoureux d'une demoiselle et la pousse à se présenter à un télé-web-crochet pour mettre à profit ses talents de chanteuses. Celle-ci est remarquée, mais pas comme il l'attendait. On lui propose, au lieu de la carrière de chanteuse espérée, celle de star du porno. Révolté, le jeune homme décide de gagner assez d'argent pour se présenter lui aussi pour plaidoyer afin d'ouvrir les yeux du public sur la situation du monde dans lequel ils vivent : tout est faux, virtuel, hypocrite. Sa prestation sincère touche le public qui en fait au final une attraction en lui accordant sa propre émission « rebelle ».

Cette fois, les réactions à l'épisode s'attardent sur la virtualité de nos vie et à la manipulation des médias. Cet opus devrait être selon moi, le premier épisode de la série.

 

Enfin, le troisième épisode se passe dans un futur plus proche, ou chaque personne dispose d'un implant neuronale, permettant de filmer via la vue tout ce que l'on voit afin de pouvoir se repasser les bons moments (et les mauvais, au choix) quand on le souhaite, comme quand on regarde un film de vacances. Ce dispositif va amener un homme ayant des doutes sur la fidélité de sa femme à enquêter dans sa mémoire sur une éventuelle liaison. Ce qu'il découvrira sera loin de le rassurer.

Étrangement, j'ai eu beaucoup de mal à cerner ou cet épisode voulait nous amener. Il représente selon moi la pierre angulaire de la série, le second dans l'ordre pour moi. Les réactions sur internet se sont intéressés à la dénonciation de la perte de la vie privé et aux réseaux sociaux.

 

Miroir, mon beau miroir...

Maintenant que l'histoire est posée, et que j'ai expliqué mon propre ordre chronologique en proposant la vision globale du programme, j'aimerais vous soumettre ma propre analyse de la série, après moult recherches.

Comme je le disais précédemment, le deuxième épisode est celui par lequel je pense qu'il faut commencer l'histoire car il est celui qui nous montre nous, tel que nous sommes.

 

Dénonciation

Dans un monde ou tout le monde pense que « quelque chose ne va pas » en fermant les yeux pour se divertir. Dans un monde ou la publicité fait partie intégrante de nos vies et ou les médias traditionnels sont on ne peut plus manipulés, un jeune homme veut aider une jeune fille à réussir.

Est-ce futuriste ? Non. Nous le vivons tous les jours. Nous savons que nous vivons une époque où les choses vont mal mais nous n'avons pas envie d'en savoir plus. Nous pédalons au travail pour pouvoir nous procurer de quoi vivre et surtout du divertissement. Nous rêvons de sortir du rang pour « réussir » selon des règles bien précises, en nous changeant simplement de case. Des marionnettes dont certaines, celle qui ont compris un peu mieux les choses, servent à divertir celles qui pédalent dans la semoule.

Notre jeune homme amoureux finit par ouvrir les yeux et, dans son extrême solitude, découvre une faille parmi tant d'autre dans le système. Prenant son courage à deux mains et n'ayant plus rien à perdre, il décide de révéler au monde sa découverte. Cependant, dans un monde où tout est déjà convenu et réglé, les moutons ne font plus la différence entre loups et bergers. Lui, comme tant d'autres avant lui, deviendra un instrument du média, un simple divertissement que les pédaleurs considèreront avec amusement en se disant qu'il a raison, mais à quoi bon lutter.

Comme dit précédemment, cet épisode est la pierre angulaire de la série, car il est exactement notre miroir. L'art s'évertue depuis des dizaine d'années à nous montrer l'autre coté du miroir, que ce soit dans les films (Matrix pour le coté esclavagiste de notre société, Inception, pour nous montrer l'art de manipuler, les sagas comme Star Wars pour nous montrer que le vrai méchant est souvent dans l'ombre) la musique (je ne vais pas énumérer tous les artistes qui dénoncent, mais je pensais en écrivant à l'opéra rock Starmania des années 70 qui était mine de rien, sacrément visionnaire), la peinture, la littérature, la bande dessinée (V pour Vendetta, dont s'inspirent les Anonymous).

Et nous voyons, regardons, entendons tout cela en nous disant qu'ils ont sûrement raison... mais les médias en font un divertissement. Si quelqu'un se réveille et obtient assez d'influence, il finira instrumentalisé et utilisé pour amuser la galerie.

Il ne faut pas voir Black Miror comme une représentation artistique de nous même, mais comme une réflexion qu'il nous faut partager. Cet épisode est une dénonciation, qui fait suite au troisième épisode : le constat.

 

Constat

On pourrait déceler dans ce troisième épisode, intitulé « in memoriam », une dénonciation de l'atteinte à la vie privée que constitue les réseaux sociaux ou une trop grande volonté de se dévoiler.

Sincèrement, je pense qu'il n'en est rien. Il ne faut pas voir l'épisode à travers le prisme médiatique.

Que fait cet homme ? Il a un doute et cherche à connaître la vérité. Contrairement à notre poète de l'épisode précédent, celui-ci enquête pour découvrir ce qu'il avait devant les yeux depuis tant d'années, sans jamais avoir pris la peine de regarder. Cette rétrospective sans le filtre différenciant ce que l'on veut voir et ce qui est réellement finit par l'obséder car il se rend compte que la vérité est facile d'accès mais qu'elle est difficile à accepter. Notre homme finira par découvrir que ce qu'il redoutait n'est que la partie visible de l'iceberg et la découverte de la vérité sera douloureuse. Au final, il se mutilera pour continuer de voir les choses tel qu'il a envie de les voir, après maints regrets d'avoir découvert le pot aux roses.

Après la dénonciation de l'instrumentalisation de la rébellion : le constat que la vérité est très douloureuse à accepter quand on découvre que l'on est floué depuis notre naissance.

 

Solution

Mais vient le dernier épisode. Le premier dans la chronologie car les auteurs ont décidé de nous montrer la seule arme dont dispose « les moutons » pour ouvrir les yeux en premier lieu. Sûrement pour déguiser ce miroir en dénonciation, si vu à travers le prisme de notre société.

Car qui est touché dans cet épisode ? Vous ? Moi ? Non. Personne ne s'amuserait à vouloir nous voir tringler une truie vu que nous ne sommes rien. Cet épisode touche le pouvoir. Pourquoi y voir un éventuel danger ? Le pouvoir n'a-t-il déjà pas assez ? Surtout que le ridicule ne tue pas...

Ce qui est selon moi important dans cet épisode est l'utilisation du dogma 95, un cinéma sans filtre, brut, tel qu'il est. Si le premier ministre est un représentant du pouvoir, qui est représenté par la truie selon vous ? Qui regarde le pouvoir chaque jour nous enc... pardon, nous prendre d'avantage un peu plus ?

Je vous laisse réfléchir à cette question. En attendant, Internet représente le dernier média impossible pour le moment à manipuler autrement qu'en noyant l'information parmi une foultitude de propagande. Mais la vérité s'y cache.

Si vous voyez cet épisode comme une dénonciation contre Internet, demandez vous pourquoi la princesse n'est pas morte et qui souffre réellement de ce média.

 

Je vous invite à regarder à nouveau Black Mirror et à le transposer à notre société. Il y a du contenu, subtil, mais visible à qui veut ouvrir les yeux. Je remercie en tout cas les auteurs de cette série de nous montrer les choses telles qu'elles sont. Et je pense sincèrement que l'art, c'est exactement ça.

 

L'auteur

Commentaires

Avatar Taoby
Taoby
Je ne sais pas qui vous êtes Monsieur, et je vous conseil d'aller vous présenter sur le forum mais j'aime beaucoup votre analyse et la partage complètement. Bien joué Scrachtch.

Avatar Puck
Puck
Dans la veine des oeuvres prophétiques, il y a celle-ci : la mort en direct, de Bertrand Tavernier (1980). http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/I05152063/plateau-bertrand-tavernier-la-mort-en-direct.fr.html

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