Critique : Bomb Girls 1.04

Le 07 février 2012 à 17:34  |  ~ 9 minutes de lecture
Un épisode mélodramatique élégant qui propose un récit assez prenant sur le thème de l'intégrité et du rapport complexe des femmes à l'image.
Par sephja

Critique : Bomb Girls 1.04

~ 9 minutes de lecture
Un épisode mélodramatique élégant qui propose un récit assez prenant sur le thème de l'intégrité et du rapport complexe des femmes à l'image.
Par sephja

Le langage complexe de l'apparence

Une équipe de tournage se présente à l'usine pour filmer la fabrication de la millionième munition conçue par le groupe d'ouvrières de Lorna. Le réalisateur propose de tourner un petit prolongement centré sur la vie d'une de ses ouvrières, jetant son dévolu sur Gladys pour l'occasion. Seulement, celle-ci refuse, voulant avant tout garder son activité au sein de l'usine secrète, l'esprit trop occupé par ses soupçons d'infidélité envers son fiancé. 

 

Résumé de la critique

Un épisode intéressant que l'on peut détailler ainsi : 

  •  un thème du rapport à l'image passionnant 
  •  un désir d'être féminisé pour ces ouvrières 
  •  le besoin de reconnaissance par le travail
  •  le cinéma, Hitchcock et l'idéal féminin

 

 

Le cinéma et l'image 

Pour cet épisode, Bomb Girls raconte l'arrivée d'une équipe de tournage dans l'usine et le lent processus de création d'un mensonge pour un film d'actualité à la gloire de l'effort de guerre. Il est donc question d'image, de cinéma et d'incarnation au travers de l'aventure de la conception de ce film de propagande, seule source d'information à une époque où les médias sont loin d'être indépendants. Très sensible à leur image, les ouvrières se démènent pour réaliser la millionième munition à destination d'une guerre dont ils entendent parler qu'au travers de ces actualités et de la radio. 

Pour incarner les travailleuses, le réalisateur cherche à embaucher Gladys, mais son rang social ne l'autorise pas à participer à ce type d'oeuvre, ses parents ignorant encore qu'elle travaille en tant qu'ouvrière à l'usine. Mais surtout, les jeunes femmes voudraient une personne représentative qui incarne le mieux leur corps de métier, optant pour Betty qui se retrouve à jouer les premiers rôles de cinéma. Ali Liebert est simplement exceptionnelle dans ce rôle difficile, celle d'une femme incapable de mentir et qui se retrouve trahie par sa propre image.

L'image est, pour ces travailleuses, une source de souci, consciente que leur statut d'ouvrière n'est pas compatible avec la féminité qui devrait être la leur. La performance de la comédienne est de montrer comment le cinéma va se servir de son apparence pour véhiculer un mensonge, celle d'une équipe de femmes qui, certes, travaillent, mais restent des mères avant tout. Une vision machiste de la réalité pour ces ouvrières qui, en lieu et place d'une vraie reconnaissance, ne reçoivent qu'une preuve supplémentaire du mépris d'un monde accroché à de vieilles valeurs bientôt dépassées. 

Ali Liebert est superbe dans la scène de projection, multipliant les expressions complexes lors de la diffusion du film achevée, moment terrible où celle-ci voit son image détournée pour défendre des valeurs à l'opposée des siennes. Un instant grandiose, où s'exprime une souffrance terrible face à son refus d'incarner une mère de classe moyenne, elle qui est obligée de travailler pour survivre dans des conditions de fortune. La féminité et sa remise en cause politique, voilà le thème majeur soulevé par cet épisode particulièrement réussi et ambitieux

 

La révolution de la féminité

L'histoire se déroule durant la seconde guerre mondiale et l'image de la femme est loin des standards actuels, cet épisode nous rappelant combien elle était restrictive à l'époque. L'épouse est alors mère par devoir et non par désir, incarnant un idéal très bourgeois centré autour de la famille et ses valeurs. Surtout l'icône féminine est charmante sans être séduisante, mais conserve une froideur en apparence que le film Gilda de Charles Vidor s'apprête à bouleverser avec l'arrivée d'icônes glamours comme Rita Hayworth. Au même moment, le loup de Tex Avery siffle les chanteuses de cabaret dans les cartoons et l'image des femmes comme à prendre une dimension érotique nouvelle, imposant un pouvoir de fascination sur les hommes. 

Gladys est furieuse contre son petit-ami qui a une liaison avec une des femmes de l'usine, justifiant cette passade par le besoin de ne pas être puceau le jour du mariage. Une vision ringarde de la virilité où l'homme se devait d'être plus expérimenté pour prendre l'ascendant lors des rapports sexuels et dans la vie de couple. Une conception qui prête à sourire, mais témoigne d'un monde où le désir est vécu comme une faiblesse et le couple comme le premier pas vers une famille avec au centre une figure masculine forte qui écrase la famille sous son autorité. 

La volonté de Gladys d'être désirée par son futur-mari et de ne pas se voir placée sur un piédestal est touchante, revendiquant son droit à la séduction. En s'affirmant dans leur travail et en gagnant leur indépendance, ces femmes découvrent un besoin d'exister hors du cadre habituel, abandonnant l'image classique et bourgeoise de la mère au profit de la création de quelque chose de nouveau. Infidèle elle aussi, le personnage de Gladys souffre non pas de l'infidélité de son fiancée, mais de son refus de celui-ci de la voir pour ce qu'elle est, projetant sur elle le fantasme impersonnel de l'épouse idéal. 

 

 

La fierté du travail accompli 

Jamais politique ou lénifiant, Bomb Girls est un mélodrame très classique avec des héroïnes qui, plus qu'un destin, essayent d'exprimer la fierté de leur travail, marquée par ce millionième obus produit. Habituellement réduit à attendre passivement la fin du conflit à distance, elles se prouvent qu'elles sont capables de bien plus que cela, revalorisant un idéal féminin mis à mal par une société ouvertement machiste dans ses valeurs. Pourtant, les hommes ne sont pas du tout diabolisés, le couple entre Lorna et Bob étant particulièrement équilibré et touchant, son mari cherchant à marquer son affection malgré son handicap et une fierté mise à mal. 

En fait, plutôt que de blâmer les hommes, la série essaie de montrer combien ses femmes sont juste fières leur apport à la cause d'une guerre dont la cruauté leur échappe totalement, refusant d'envisager la mort éventuel de leur proche. Avec un patriotisme évident, elles fabriquent les munitions indispensables à la victoire pour mieux oublier la douleur de l'impuissance. Elles deviennent alors des forces vives et ressentent une certaine fierté devant ce chiffre symbolique d'un million, se découvrant une destinée collective hors de l'univers confiné de la famille. 

Bomb Girls n'est pas un pamphlet, juste un mélodrame intéressant sur un groupe de femmes qui apprennent à vivre seules et à s'assumer dans un monde encore marqué par la crise de 1929. La preuve que les grandes révolutions sociales sont toujours opportunistes et que le féminisme est avant tout une affaire de fierté pour des femmes qui désiraient avoir la chance d'exister en tant qu'individu et d'affirmer leur soif d'afficher leur féminité. 

 

"Soupçons" et l'héroïne Hitchcockienne 

Cité comme référence le film du grand Hitchcock est assez ingénieux, histoire d'une femme manipulée par l'homme qu'elle aime jusqu'à une mort tragique qui définit totalement l'héroïne mélodramatique. A l'image de Grace Kelly dans Fenêtre sur Cour, les femmes d'Hitchcock prennent part à l'action devant des hommes réduits à l'impuissance. De même, l'image de la mère castratrice est présentée comme un poison dans Psychose, opposant le caractère aventureux et volontairement érotisé de Vivien Leigh au fantôme de Mme Bates. 

La libération des femmes et le cinéma d'Hitchcock est un thème passionnant, fausse victime qui fait le choix de la passion contre la raison dans Vertigo, ses héroïnes sont par nature imprévisibles et fascinantes. Et Marnie n'est que l'incarnation d'un idéal féminin devenu impossible à cerner pour Sean Connery, détruisant des hommes qui deviennent incapables de percer le mystère du pourquoi et de donner du sens à leur désir. Cinéaste qui a conçu les icônes féminines modernes, Hitchcock est une référence brillante, offrant aux auteurs de Bomb Girls l'occasion de proposer des héroïnes mélodramatiques dynamiques et attachantes.

Au final, un épisode réussi, porté par une Ali Liebert absolument remarquable et d'autres comédiennes très convaincantes, donnant une histoire plaisante et agréable à suivre. Dommage par contre que la storyline de Kate soit un ton en dessous du reste, intrigue singulière qui peine à s'intégrer à l'histoire principale, laissant quelques regrets au vu de la qualité de l'ensemble.

 

J'aime :

  •  la référence Hitchcockienne 
  •  Ali Liebert extraordinaire 
  •  les autres comédiennes très justes aussi 
  •  la scène finale bien pensée 

 

Je n'aime pas : 

  •  la storyline de Kate qui s'intègre très mal au reste malgré le talent des interprètes

 

Note : 14 / 20 

Un épisode satisfaisant, transformant Gladys en héroïne mélodramatique touchante et offrant à Ali Liebert une storyline sur le cinéma et le mensonge particulièrement brillante. La comédienne est remarquable, permettant d'oublier quelques errements d'un scénario un peu trop morcelé pour convaincre vraiment. 

L'auteur

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