Quelle tâche difficile que d’écrire la critique d’un final. C’est un peu comme s’il fallait commenter le pied de nez des comédiens d’une pièce avant que le rideau ne tombe. Ça n’a pas vraiment de sens sorti de son contexte, mais ça permet de mettre en perspective l’ensemble de l’œuvre.
Cela dit, ici, c’est un peu différent. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : pour moi, cet épisode mérite 20/20, tout comme les trois qui le précèdent. Une note parfaite pour un final qui me semble être en toute subjectivité le final idéal de cette série grandiose. Sans fioritures, sans flashback ni flashforward, sans prêter la moindre attention aux intrigues secondaires, ce dernier épisode pose un point final aux vies de Walter White et Jesse Pinkman, le tout à la sauce Breaking Bad. Alors je sais, ce final en a déçu certains et ce n’est certainement pas pour être réac que mes notes se sont situées bien souvent au-dessus de la moyenne… C’est surtout parce que je n’osais même pas imaginer une fin aussi juste et en adéquation avec tout le plaisir que m’a procuré cette série pendant six ans. Alors je vais juste vous expliquer pourquoi ça me semble parfait malgré les réticences que l’on peut croiser ici ou là sur le net.
Felina.
En fait, tout était dans le titre. D’ailleurs, bien souvent, les clés pour comprendre la série sont dans les titres, les noms, les éléments chimiques. Felina, Fer, Lithium et Sodium, c’est aussi simple que ça. Avec une affiche teaser et une bande annonce de l’épisode qui annonçait que tout était dans la chimie et que la chimie, c’est l’étude de la transformation…
Que pouvions-nous attendre de plus que ce que nous avons vu ? Walter a achevé sa transformation et a obtenu l’espace d’un regard de son ex complice toute la reconnaissance qu’il a toujours attendu. Jesse également et Vince Gilligan tourne enfin suffisamment la lentille de la caméra pour que nous en ayons un plan net. Ce personnage a vécu son chemin de croix et il a fini par vaincre sa propre morosité. Il a vaincu Walter White, il s’est vaincu lui-même, il n’existe plus et le téléspectateur a loisir d’imaginer ce qu’il fera de sa liberté retrouvée.
Depuis le début de cette cinquième saison, doucement mais sûrement, toutes les intrigues parallèles s’achèvent avec plus ou moins d’intensité. Les révérences de Mike et Saul, le meurtre de la copine de Jesse, la destruction méticuleuse de la vie de Walt, les disparitions du Cartel et de Gus. Comme si nous regardions une photo sur laquelle on zoome si lentement qu’on ne se rend pas compte en ce dernier épisode que l’on ne nous montre plus que deux visages. Et de cette longue et douloureuse transformation il ne reste plus rien de superflu. Au-dessus du sang, des larmes et de la Meth, il reste un homme libre, que l’on imagine dégoûté de la drogue qu’on l’a forcé à fabriquer, libéré de ses peurs d’Heisenberg, et que l’on voit hurler de bonheur en défonçant physiquement ce portail qu’il n’a jamais su ouvrir psychologiquement auparavant.
W.W
Quand j'eus entendu parler le savant astronome,
Quand les preuves, les calculs, furent alignés en colonnes devant moi,
Quand on m'eut montré les graphiques les diagrammes, pour les additions, divisions et autres mesures,
Quand de mon banc j'eus entendu le savant astronome finir sa conférence sous les applaudissements de l'auditoire,
J'éprouvai tout à coup inexplicablement une nausée, une lassitude,
Et m'éclipsant sans bruit m'en allai dehors tout seul,
Dans l'air de la nuit humide et mystérieux, et de temps à autre,
Levai les yeux dans un silence total en direction des étoiles.
Vous connaissez déjà ce poème. C’est celui de Walt Whitman qui permet à Hank de découvrir le pot aux roses. Il est en quelque sorte la trame générale de Breaking Bad, l’histoire d’une personne qui cherche plus loin que la science, plus loin que la chimie et qui entre dans un lent processus d’incandescence en regardant les étoiles, en voulant voir plus loin que les chiffres et la chimie.
Ce dernier épisode, c’est le moment où Walt s’eclipse sans bruit pour aller dehors tout seul, après avoir été pris de nausée en regardant Gretchen et Elliott. Il décide de s’accomplir en faisant ce qu’il a toujours fait. Fabriquer, élaborer, anticiper, réfléchir. Et ici, il n’y a effectivement rien de plus que de la chimie. Walt se débarrasse du camp adverse de la même manière qu’il s’est débarrassé de Gus et que Gus s’est débarrassé du Cartel avant lui. En jouant sur les faiblesses de ses adversaires. Il ne restait plus qu’à changer les mécanismes. Oncle Tio d’un côté, l’honneur de l’autre, une bombe artisanale ici, une mitrailleuse bricolée là, nous ne pouvions nous attendre à autre chose. Nous ne pouvions espérer pied de nez plus propre.
A la fin du processus de transformation Heisenberg, il reste un Walter White à la fois fort et humain. Il avoue à Skyler avoir aimé ce qu’il a fait, il reconnait à Jesse que ce qu’il demande, c’est exactement ce qu’il veut, en nous laissant libre de penser qu’il s’agit d’une ultime manipulation ou de son premier échec. Les portes se ferment sur le doute que tout ceci était déjà fomenté dès la mort de Mike, dès l’instant ou Walt confie Jesse à la famille de Todd. Walter White s’en va après nous avoir livré son âme en laissant simplement la parcelle de doute qui fait les grands personnages. Et pour tout cela, je ne vois pas comment mettre moins de 20 à cet épisode.
Freedom Bitches !
Jesse est l’antagoniste de Walter. Un personnage flou et inconsistant, mais profondément humain et sensible. Il achève également sa transformation avec l’aide de Walt, qui lui permet de prendre enfin une décision par lui-même. Il termine comme le téléspectateur, après avoir été balloté pendant ces six saisons entre humanité et avidité, entre cruauté et sentimentalisme, il sort de cette histoire libéré de toutes ses chaines, libre de reconstruire tout ce qui a été détruit.
Il représente à lui seul la seule et unique happy ending que nous pouvions espérer et en ce sens cette fin est surprenante. A l’agonie, la bête laisse transparaître une étincelle de morale dans ses yeux et c’est tout ce qui sort vainqueur de ce final. Nous pouvions nous attendre à une fin immorale qui aurait pu coller à l’histoire mais non. Walt nous rabâche depuis le début qu’il fait tout ça pour sa famille et tout faible qu’il soit, Jesse est toujours resté humain dans un monde ou seule la perfidie triomphait.
Sa vengeance sur Todd est tout ce que nous pouvions espérer. Pouvoir l’étouffer de ses chaines physiques après ce que ce dernier lui a fait vivre, c’est ce qu’il pouvait lui arriver de mieux. Un triomphe qui dure quelques secondes, certains regards, un sourire, une complicité de six années qui se résume en un regard… Du grand Art.
La cerise sur le gâteau.
Je n’ai pas vu beaucoup de final de séries, mais celui-ci est de loin le plus réussi à mes yeux. Inutile d’aller chercher de l’émotion, Ozymandias s’en était déjà chargé. Ce final n’est pas la fin de Breaking Bad au sens large, nous avons assisté chaque semaine à la fin d’un aspect de Breaking Bad sans nous en rendre compte. Ce dernier épisode est la conclusion de l’histoire de Walter White et de Jesse Pinkman. Le parti pris est celui du respect du téléspectateur comme depuis le début de la série. L’auteur nous laisse libre de façonner notre point de vue sans influencer notre jugement. La suite, ce que deviennent Skyler, Marie, Flynn, le petit garçon empoisonné, Saul, c’est nous qui l’imaginons, il n’était pas question de raconter ces histoires vu qu’elles n’étaient là que pour donner la réplique à celle qui s’est conclue dans ce dernier épisode.
De la même manière, Vince Gilligan nous épargne le flashback qui n'est là que pour nous tirer une larme. On finit l’épisode à la vitesse ou la série a commencé, pris de court en se disant que c’est fini mais avec la tête blindée de tout ce que peut être une grande série TV.
Alors parce que Monsieur Gilligan nous aura respecté jusqu’au bout, en posant cette fin comme un voile délicat sur son œuvre, pour n’en abimer aucun détail et parce qu’a mon sens, on ne pouvait faire mieux ou différent, et enfin parce que nous avons eu droit a un duel a trois final ou le bon décide de céder son pistolet chargé au truand, je mets 20/20 a cet épisode.
Merci Breaking Bad. Merci Vince, Bryan et Aaron. Merci.
Eh oui... c'est fini !
Ce que j’ai aimé :
- Breaking Bad
20/20