Ce qu’il y a de chiant avec la mode actuelle des séries et du binch watching, c’est que tout le monde a un avis sur tout : à peine le temps de découvrir une petite pépite sur Cinémax que tout le monde l’a déjà vue ! Internet a totalement détruit le plaisir de la nouveauté et la joie de garder une série au chaud rien que pour soi.
Maintenant, pour être orignal, il faut s’attaquer aux séries australiennes ou connaître sur le bout des doigts les secondes parties de soirée de STV1, la chaîne suédoise. La mondialisation culturelle a ceci de très gênant qu’elle uniformise les goûts : tout le monde a un avis sur le final de Lost, tout le monde connait le véritable métier de Chandler et personne ne sait qui est la mère. Et c'est bien peu de dire que je déteste ça ! J’avais fini par me résigner face à cette destruction rampante de mon univers sériel lorsque j’ai découvert… Community.
Alors oui, à l’époque (en fin de saison 2), Community était déjà connue : diffusée sur une chaîne que tout le monde déteste depuis 15 ans, portée par des personnages et une ambiance réussie, la série était effectivement très attachante. Mais au bout d’une saison, en picorant divers avis par-ci par-là, je m'étais rendu compte d’un truc fondamental : presque personne ne comprenait Community comme je la comprenais.
Depuis l’épisode 3 de la saison 1 et ce petit film de Abed qui fait pleurer son père, la sitcom s’était détachée de son statut pour en rejoindre un autre : celui de la dramédie. Et en trois ans, la série a pour moi largement confirmé qu’elle avait tout pour être l’équivalent de shows comme The Big C ou encore l’excellent Enlightened. Les gags auront beau s’accumuler au fil des épisodes, ils peineront toujours à masquer l’immense tristesse qui se dégage du show. Une tristesse directement imputable à un seul homme : Dan Harmon.
Co-créateur du Sarah Silverman Show, Darmon s’engueule avec la comédienne, jure qu’on ne l’y reprendra plus à la télévision US et s’inscrit dans un Community College (la légende raconte que c’était pour suivre sa petite amie de l’époque). De là nait l’idée d’un show axé sur l’arrière-banc des facs américaines, les recalés de ce système inégalitaire : de là nait Community.
Pour bien appréhender cette série, il est vital de comprendre qui est son créateur. Dan Harmon est un connard. Il se définit lui-même comme un agoraphobe, inapte à toute relation sociale, bipolaire et incapable de communiquer. Il suffit de lire son (excellent) tumblr pour se rendre compte que le gars est complètement neurasthénique et souffre d’un léger syndrome d’Asperger (mais on y reviendra). Community est donc, à l'image de son fondateur, un show profondément dépressif, et nullement une sitcom enchaînant les rires pré-enregistrés avec un vague vernis geek pour faire joli (avouons-le, c'est pour ça que je regarde The Big Bang Theory). Le générique s'inscrit d'ailleurs totalement dans cette logique :
« Laisse-moi un peu plus de temps dans mon rêve
Donne-moi l'espoir de m’essouffler
Quelqu'un a dit que nous pourrions être encordés, ligotés, morts dans un an »
Pas vraiment réjouissante, la chanson peut être interprétée comme une ultime course avant la mort. En outre, le générique dévoile le nom de l’interprète d’Abed (Danny Pudi) dans un dessin de pendu : pas franchement enthousiasmant non plus pour une sitcom diffusée sur NBC. Et ainsi, dès le début, Harmon se retrouva en conflit avec sa propre chaine.
Dan Harmon a, par la suite, très largement expliqué qu’il avait conçu son show comme un long métrage (six seasons and a movie) en établissant l’ensemble des axes de son récit à l’avance. Disciple déclaré du professeur en mythologie comparée, le docteur Joseph Campbell, et de son concept de monomythe (oui oui, celui-là même qui a inspiré Lucas pour l’écriture de Star Wars), Harmon a dès le début dans l’idée d’axer son récit vers une construction psychologique forte de ses personnages et de leurs interactions. NBC, de son côté, cherche juste à rajeunir sa grille en débauchant un p'tit gars qui a fait ses premières armes sur internet. Ambiance…
C’est tout le conflit entre la saison 1 et les deux autres. La saison 1, c’est celle de NBC, avec Harmon s’effaçant (presque) totalement pour construire un show grand public. Les deux autres saisons, ce sont celles d’Harmon, laissé libre aux commandes alors que la série était menacée d’annulation et que la chaine n’en avait (presque) plus rien à foutre.
On trouve encore aujourd'hui cette opposition dans les débats entre internautes, où s’affrontent sans fin les tenants d’un « C’était plus drôle en saison 1 ! » contre les partisans du « Community n’a pas toujours été pertinente : souvenez-vous de la saison 1 ! ». Sauf que ces deux aspects, ce sont les deux faces janussiennes d’une même pièce : Community. En vérité, la saison 1 de Community n’est pas mauvaise : le show introduit ses personnages, pose son récit et nous montre sa perception d'une sitcom classique. Jeff Winger, moteur du récit, répond parfaitement aux règles établies par Campbell lui-même selon l’ordre suivant :
- Introduction du héros
- Défi à relever (obtenir un diplôme)
- A chaque épreuve, le héros découvre un nouveau savoir
- Utilisation du savoir pour enrichir le monde et le groupe
- Reprise de la quête
Chacun des épisodes de la saison 1 peut se lire selon ce schéma qu’Harmon aurait pu multiplier à l’infini s’il en avait eu envie. Sauf que devant le peu de soutien apporté par la chaine au show, il décida d’en faire autre chose…. Autre chose de beaucoup plus intéressant.
Cette chose, c’est Abed. Disons-le tout de suite : Abed, c’est Dan Harmon, ou mieux encore Dan Harmon est Abed. On le comprend à partir du chef-d’œuvre qu’est « Abed Incontrolable Christmas », Abed souffre du syndrome d’Asperger. Comme Dan Harmon. Le syndrome d’Asperger (du nom du pédiatre l'ayant découvert, Hans Asperger) se caractérise par « des difficultés dans les interactions sociales associées à des intérêts restreints et des comportements répétés » : inadapté socialement, Abed n’aurait eu aucune chance de se faire des amis dans le monde réel. C’est bien là tout le mensonge (et la magie) de la série puisqu’Abed y est ami avec Troy, ex-quarterback en disgrâce qu’il transforme puis intègre dans son monde. Community, c’est la victoire totale de la culture bis sur le bien pensant des facultés américaines.
Pourtant, à de très nombreuses reprises, on nous rappelle que cette joyeuse communauté délurée n’a aucune chance de survivre dans le monde du dehors (Annie le dit d’ailleurs joliment dans ce premier épisode de la saison 4) et qu’Abed finira sans doute seul (ou se suicidera). Après avoir compris cela, je ne cesse depuis de voir le traditionnel joli happy-end de chaque épisode du show comme un mensonge. Je ne regarde pas Community parce que c’est drôle (ou supposé l’être), je regarde Community parce que c’est la vision humaniste d’un homme attachant et profondément désabusé sur le monde qui l’entoure.
C’est là qu’on en vient à la saison 4. A force de faire ce qu’il voulait en éloignant de plus en plus son propos du projet de base (l’injustement décrié « Critical Film Studies » en est le plus parfait exemple), l’énergique barbu a fini par se faire virer par Sony. Ressuscité d’entre les morts et déjà détesté par les fans, c’est ainsi que se présente à nous le Community nouveau : History 101.
History 101 souffre d’un énorme problème : Dan Harmon. Même avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de regarder cet épisode en faisant abstraction de ce qui s’est passé. L’absence de l’ancien showrunner est l'élément le plus visible à l’écran puisqu’on passe son temps à se demander - pour reprendre les mots de mon cher camarade MoolFreet -, « What would Dan Harmon have done ? ». On ne peut s’empêcher de voir l’ombre d’Harmon derrière chaque décision que prennent les nouveaux showrunners. Peut-être, d’ailleurs, qu’Harmon n’aurait pas fait mieux fait que ce qui nous est offert ici.
Et c’est bien ça le pire dans toute cette histoire : on n’en sait foutrement rien ! C’est pour cela que la décision de NBC et de Sony est absurde : disjoindre Community et Harmon, c’est comme continuer Mad Men sans Matthew Weine, The Wire sans David Simon ou Arrested Development sans Mitchell Hurwitz, ça n'a aucun sens ! A la limite j’aurais préféré qu’ils arrêtent le show totalement ; je les en aurais même remerciés ! Car de Star Wars à Lost (et en attendant Game of Thrones), on en a déjà suffisamment, des exemples d'oeuvres sabordées par leurs propres créateurs.
En attendant, l’épisode va grossièrement mettre bout à bout toute une chiée d'« harmonismes » narratifs dans un fatras indescriptible. Rien que l’idée (pas mauvaise en tant que telle) d’un Abed-TV Show aurait pu faire l’objet d’un épisode sous Harmon : là, coincé entre une inutile parodie d’Hunger Games et les vannes de Pierce, l’élément n’a plus grand sens. Du coup, tout est déconnecté et tout sonne faux. Le pire, c’est Pierce : à force de le repousser dans le coin de la caméra et de le remplacer par un autre acteur dans la fausse sitcom (ooouuuh c’est su-per méta), on se surprend à avoir pitié de Chevy Chase (alors que c’est objectivement un gros connard). J’ose espérer que cet étalage lourdingue « à la manière » d’Harmon, n’est qu’un moyen de ce débarrasser du pesant héritage.
Alors oui, pour être honnête, j’ai encore la foi, et j’espère que David Guarascio et Moses Port (nouveaux showrunners) se rendent compte que le show (qui est en très bonne voix de renouvellement pour une 5ème saison) ne peut rester viable s’il continue à porter la patte ostensible de Dan Harmon. Il s’agira alors d’ouvrir de nouvelles voies et d’imposer la leur à la série : venant des deux types qui ont créé Aliens in America, on est bien en droit d'en attendre autant !
J’ai aimé :
- Chevy Chase
Je n’ai pas aimé :
- Le trop bon copié-collé
Ma note : 10/20.