Partir et laisser une empreinte. À tout artiste à la fin d'un cycle, la même question revient : comment conclus-je mon œuvre ? Au bout du bout, après avoir tant créé, tant cherché d'idées, que dois-je raconter ? Quel message laisser derrière moi ?
Au fil des années, les réponses furent diverses. Certains vont faire une synthèse de leur vie sous forme de bilan rétrospectif. D'autres préfèrent n'en faire qu'à leur tête et tout envoyer paître dans un geste radical. Mais bien d'autres manières de partir existent encore. Le particularisme de Doctor Who est que, comme les héros de la bande dessinée franco-belge, du manga, ou les supers héros de Marvel ou de DC, il s'agit d'un personnage plus vieux que son scénariste actuel et qui lui survivra sans doute. Le Docteur est plus important que le Moffat, même si on a eu un peu tendance à l'oublier ces dernières années. C'est même l'essence de la série : savoir toujours et encore se réinventer pour avancer, et aller chercher toujours plus loin de nouvelles histoires à raconter.
Finalement, Steven Moffat n'est que la personne qui aura écrit Doctor Who de 2010 à 2017. Malgré ses nombreuses innovations, il n'est que le tributaire d'une histoire qui le dépasse. À partir de là, la question de la finalité devient vitale. On a vu par le passé des runs d'auteurs formidables se conclure par d'épouvantables fours. Alors entre dernier coup de génie et désastre, quelle voie a pris le bon Steven ?
Aucune des deux, et c'est peut-être ça le pire.
La fin du bilan
Tout était pourtant parfaitement en place. Après avoir montré l'enfance du Docteur, sa découverte du TARDIS, son mariage, sa mort, son Baptême et sa Bar Mitzvah, il ne restait plus qu'à Moffat à combler la dernière partie manquante (voir le Coin du Fan).
Sur le papier, l'idée est géniale. Non seulement, Steven Moffat vient remplir un vide comme il l'avait fait avec la régénération de Eight en War Docteur (puis de celui-ci en Nine), mais il confronte également la première incarnation à sa dernière. À la base, le set de vie était de treize. Si on prend en compte The War Docteur, Twelve est bien la dernière vie du Docteur. L’arrivée d'une femme comme Docteur confirme d’ailleurs le lancement d’une nouvelle ère.
J'étais terriblement excité par ce final, ultra prometteur. Le dernier mot de Moffat sur l'œuvre de sa vie.
J'avais juste oublié une chose : l'auteur qui avait des choses à dire est mort après les 50 ans de la série. Depuis maintenant trois saisons, le showrunner écossais est en roue libre, fonctionnant par demi-concepts ou punchlines creuses (le fameux « I'm an idiot ! » de la saison 8). Demandez à un fan de Moffat de vous expliquer clairement la cohérence de Twelve sur les saisons 8, 9 et 10. Il n'en sera pas capable, sans omettre involontairement ou volontairement des points que Steven Moffat a lui-même oubliés. Grosso modo, le showrunner était parti sur le concept d'un Docteur effacé au profit de sa compagne, véritable leader du duo. En saison 9, la situation s'inverse et le Docteur s'affirme comme tel, un Docteur plus calme, moins excentrique que les précédents. Vient alors la saison 10 et cette dynamique enclenchée est stoppée nette. D'élève avec Clara, il devient professeur au sein d’une université. C'est à lui d'enseigner son savoir. Malheureusement, cette promesse intéressante est, comme beaucoup d'autres, laissée sur le bas-côté de la route.
Arrivant après une saison 10 assez creuse, l'épisode final n'arrive pas à renverser la vapeur. Moffat s'amuse à dépeindre un One misogyne, tributaire de l'époque où il a été créé. Ce trait de caractère est souligné pas moins de quatre fois dans l'épisode, comme un running gag qui n'aboutit nulle part. La situation dépeinte est caricaturale : le personnage de One était certes très paternaliste, mais possédait bien plus de nuances que Steven ne désire le montrer, qui confond ici l'acteur et le personnage.
Le duo fonctionne plutôt comme un Janus méta : les deux facettes de Moffat. D'un côté, celui qui dépeint le même type de femme excentrique (River, Missy, Tasha Lem), le showrunner qui a refusé une femme Docteur pour d'aberrantes raisons. Et de l'autre, celui qui le premier a fait du Maître une femme, a introduit une femme Docteur et a même donné toute une saison à la compagne la plus complexe depuis 2005. Il s'agit donc quasiment d'un dialogue avec lui-même. Un scénariste introspectif qui porte un regard sur son travail. Tout pile le genre de chose qui aurait pu être un bon fil rouge. Mais Steven Moffat n'est pas Dan Harmon et au-delà de la simple boutade, il se garde bien de dire ce qu'il pense vraiment de son travail. Il y aurait sans doute des choses intéressantes : ses relations avec la BBC, avec les autres scénaristes... C'est bien dommage car le début de l'épisode et la confrontation entre Mark Gatiss dans le rôle du soldat anglais et Toby Whithouse dans le rôle du soldat allemand (soit deux scénaristes qui ont travaillé pour Moffat) était prometteuse.
Le bilan de la fin
L'épisode ne sort en réalité jamais de l'anecdotique. Les dialogues One et Twelve tombent à plat et il faut attendre Bill pour avoir un semblant de réveil chez One. Ce dernier lui explique en effet qu'il voyage parce qu'il voyage. Pure pirouette amusante à la Moffat qui ne veut pas dire grand-chose, mais au moins l'alchimie entre les deux acteurs fonctionnent.
Le milieu de l'épisode est un ventre mou où les personnages ne cessent de se déplacer d'un point A vers un point B (TARDIS, la planète où se trouve les Daleks, la tour, etc.) pour combler un vide, un peu comme dans les épisodes classiques où les personnages ne cessaient de courir dans des couloirs. Le faible budget accordé à l'épisode renforce cette malheureuse dynamique, même si Rachel Talalay fait vraiment du mieux qu'elle peut à la réalisation. Au final, seule l'apparition de Rusty réveille d'un ennui morne.
On sent tout le long un Steven Moffat en cruel manque d'inspiration. Il avait probablement l'idée de base et la fin (forcément). Au milieu, il a fallu remplir. Avec un ennemi qui, encore une fois, intervient au moment de la mort des humains (procédé scénaristique utilisé pas moins de vingt-trois fois par l'écossais). Avec Bill qui débite des dialogues creux et avec toujours plus de punchlines. Un pur Moffat en roue libre, qui a largement dépassé son crédit créatif depuis des années. Sur Doctor Who, c'est d'autant plus flagrant puisqu'il a déjà offert trois conclusions à son run : en définissant une bonne fois pour toute la relation entre le Docteur et l'enfance, entre le Docteur et lui-même, et en offrant enfin une fin à son personnage le plus emblématique.
Les adieux de la fin
De manière traditionnelle, les derniers instant du Docteur ont pour habitude de reflèter sa personnalité : le départ sec et brusque de Nine, le « I don't want to go ! » de Tennant et le « I'll always remember when the Doctor was me » de Matt Smith. Rien de ça ici, puisque l'épisode déjà bien moyen s'enfonce dans une relative médiocrité. Le discours de Twelve reste assez révélateur de la fin de Steven Moffat : un exercice convenu déroulé en automatique. Sur le fond, le monologue de Capaldi s'apparente à la complexité d'un discours des Miss France : « La haine, c'est pas bien ! Aimez l'amour et les gentils ! Et ne mangez pas des poires ! ». Comme une sorte d'aveu d'un créateur arrivé au bout de son processus créatif. Cela aurait d'ailleurs été une piste intéressante : de faire un parallèle entre un docteur fatigué qui refuse de quitter son poste et un showrunner qui en fait tout autant. Là aussi, Steven Moffat avait probablement une piste intéressante qu'il n'a malheureusement pas explorée (à part le très léger : « Doctor, I let you go » de la fin). Une de plus.
Pire qu'un mauvais épisode, Steven Moffat livre un épisode anecdotique qui, loin de donner sa dernière vision d'artiste sur le personnage de sa vie, nous donne pour la première et dernière fois l'impression que le scénariste écossais n'est finalement qu'un passager (un peu perdu) parmi tant et tant d'autres, à bord du TARDIS. Elle est peut-être là au fond, la morale de ce pénible final.
J'ai aimé :
- Rachel Talalay. Faites que Chris Chibnall la garde.
- Capaldi, plutôt solide dans son interprétation.
- Steven Moffat qui vient combler la dernière pièce manquante de la série. Puzzlefat.
- Pas de cameo de Missy !
- Adieu Steven Moffat.
- La première scène prometteuse de Thirteen.
- Nardole, délicieusement inutile.
Je n'ai pas aimé :
- Clara, totalement inutile.
- Mark Gatiss qui disparaît pendant la bonne moitié de l'épisode et qui semble se demander ce qu'il fout là.
- L'énorme potentiel de One absolument pas exploité.
- Le discours final, exercice inratable, raté. « Never eat pears ! »
- Les enfants sont les seuls à pouvoir entendre le vrai nom du Docteur. Une plutôt bonne idée lancée n'importe comment et qui n'aboutit nulle part.
- Les FX très laids d'un méchant en mousse. Terminator 2 est sorti en 1991 et c'était mieux fait.
Ma note : 12/20.
Le Coin du Fan :
par Galax
Hormis quelques références assez faciles à voir (Rusty le Dalek gentil d'Into the Dalek, la référence à la "Nouvelle Terre" des saisons 1 et 2, les nombreux clips montrés par Testimony dans son vaisseau ou encore les caméos finaux), la référence la plus intéressante est de très loin l'usage de clips de l'ancienne série de One issus de la dernière partie de son dernier épisode, The Tenth Planet, où le Docteur régénère après avoir affronté les Cybermen.
Problème : il s'agit de l'un des épisodes perdus par la BBC, dont les bobines originales ont été effacées pour d'autres émissions et qui n'existent donc plus aujourd'hui sous forme audiovisuelle. Sauf pour un clip : la toute fin. Soit le plus important : la régénération de One vers Two, que l'épisode reprend également sur la fin. Tout le pitch de l'épisode est donc de compléter un trou dans la série, une histoire à la fois alternative mais aussi complémentaire de l'épisode perdu.
Le top 5 des blagues les plus gênantes de Steven Moffat :
par Gizmo
- Les tétons de Nardole
- One qui donne la fessée à Bill
- River post-regen full sexism dans Let's Kill Hitler
- Le Maître a une érection devant Missy
- Nardole a chié une grosse brique dans le TARDIS
À la prochaine à bord du nouveau TARDIS !