Elle n’est pas terrible cette saison 10, hein ? Du genre, pire que la saison 7. Voire même du genre la pire jusqu'à maintenant de toute l’histoire de Doctor Who après la saison 24 de la série classique… Entre Moffat qui, en plus d’un showrunning toujours aussi déplorable, nous a offert jusqu’à présent une prestation pitoyable en tant que scénariste cette année, que ce soit quand il tente autre chose ou qu’il aille en grande hâte sur son terrain de prédilection… Gatiss qui s’est vengé de ceux qui ont dit fuck à Sleep No More… Harness et Whithouse sacrifiés au profit d’une trilogie minable qui aura coulé la saison… Ou encore Franky Cotrell et Sarah Dollard qui ont été trop timides vis-à-vis des intrigues de leurs scripts… On ne peut pas vraiment dire qu’on ait eu grand-chose de positivement mémorable à se mettre sous la dent cette année. Même Jamie Mathieson, le petit prodige de l’ère Moffat, nous a offert un opus certes correct vis-à-vis du reste de la saison, mais en deçà de son niveau habituel.
Peut-être est-ce aussi dû à un lot de scénaristes qui peinent à se renouveler, d’autant que l’on a eu deux nouveaux noms seulement cette année pour venir insuffler un peu de vie et d’énergie à ces dinosaures fatigués : Mike Bartlett, ainsi que la scénariste de l’épisode qui nous intéresse ce jour, Rona Munro.
S’ils sont tous les deux totalement nouveaux en ce qui concerne la nouvelle série, il est toutefois intéressant de noter que Rona a déjà participé à l’écriture d’un épisode de Doctor Who, sur la série classique. Et pas des moindres puisqu’il s’agit tout bonnement de l’ultime épisode de cette dernière (bien qu’elle ne l’ait pas su au moment de l’écrire). Ce qui fait d’elle la toute première, et pour l’instant unique, scénariste « classique » à avoir écrit pour les deux séries.
Moffat a donc choisi pour apporter un peu d’air frais dans la salle des scénaristes un jeune premier et quelqu’un de la vieille école. Le jeune premier s’étant lamentablement planté avec l’insipide Knock Knock en début de saison, peut-on espérer voir au moins, pour le dernier stand alone de la saison, la vieille soupe réussir là où le sang neuf a échoué ?
Rona Munro, une auteure Whovian
Une des choses qui frappe le plus quand on a vu le précédent épisode de Rona Munro, c’est à quel point malgré deux trames de fond relativement différentes, ses épisodes possèdent plein de similitudes qui donnent à ses histoire une vraie patte d’auteur bien marquée, comme peu de scénaristes dans Doctor Who (en particulier dans la série classique) ont pu en avoir.
Pour en parler brièvement, Survival mettait en scène le Septième Docteur qui ramenait enfin son (excellente, une de mes préférées) compagne Ace dans sa ville natale de Perivale comme il le lui avait promis lors de leur première rencontre. En effet, la jeune femme énergique et pyromane issue de ce petit village des années 80 l’avait rencontré dans un très lointain futur et sur une toute autre planète que la Terre dans l’épisode Dragonfire, parce qu’elle avait « ouvert une brèche dans l’espace-temps en faisant exploser des trucs » (oui, on appelle aussi ça les joies de la saison 24 dans le jargon).
Une fois sur place, le duo découvrait que quelque chose ne tournait pas rond, la plupart des amis et voisins d’Ace ayant disparus, et un mystérieux chat noir rode. Le caractère inhabituel de ce dernier intrigue le Docteur et il ne lui faudra pas longtemps pour comprendre qu’il est contrôlé par un étrange personnage d’une autre dimension qui voit les scènes terrestres à travers les yeux du chat et choisit ainsi quel humains capturer dans sa dimension et lesquels chasser, en envoyant la race des Cheetah, une race alien d’hommes-guépards.
Survival, dernier épisode de la série classique et première contribution de Rona Munro au Whoniverse
Rien que ce synopsis présente déjà des éléments communs avec The Eaters of Light : les dimensions parallèles, des disparitions inexpliquées, une race de monstres plus motivée par ses instincts de survie et animaliers que par une vraie volonté de nuisance, des animaux au comportement inhabituels…
Et enfin, le Maître (car il s’agit de ce petit coquin derrière l’identité de « l’étrange personnage d’une autre dimension ») même si la comparaison est pour le coup un peu faussée, ce dernier jouant un rôle actif dans l’intrigue de Survival là où Missy n’en a aucun dans celle de notre épisode. Toutefois, les deux histoires ont en commun le fait de mettre en scène le célèbre Time Lord renégat de manière inhabituelle.
De plus, on se rend compte après visionnage que les deux épisodes partagent aussi une atmosphère de tension palpable, une ambiance mystique particulière, une musique marquante et qu’ils délivrent par moment des instants poétiques de toute beauté. Dans Survival, ça se retrouve quelque peu, malgré le kitch des effets spéciaux, dans l’ultime confrontation Docteur/Maître, mais surtout dans la scène finale, avec ce célèbre monologue rajouté à la dernière minute après qu’ils aient appris que cet épisode serait le dernier, qui réussit le tour de force de résumer l’âme du show en moins de 30 secondes de manière magnifique.
Pourtant ces éléments ne donnent absolument pas une impression de recyclage ou de plagiat de la part de son auteure, mais semblent bien constituer des éléments de l’écriture de cette dernière, du moins pour son travail sur Doctor Who. Car les deux épisodes, malgré leurs points communs, ont une identité clairement propre et détachée l’une de l’autre.
Mine de rien qu’on y adhère ou pas, Rona Munro est parvenue en deux épisodes seulement à poser une vraie patte et un vrai style dans la manière d’écrire un épisode de Doctor Who.
Mais est-ce que cela sera suffisant pour réinjecter de l’énergie à cette saison décrépie ?
Un classicisme efficace à défaut de mieux
Et bien pas tout à fait. Sans grande surprise d’ailleurs dans une saison où les stand-alones n’auront jamais été autant sans importance pour la suite où retconés immédiatement s’ils pouvaient en avoir une… Et pourtant, sur le plan scénaristique, The Eaters of Light est un des rares épisodes de la saison à avoir des conséquences pour la suite, sur le plan de la relation Docteur/Missy.
Le style de Rona se heurte à un truc tout con mais assez significatif : la différence de format entre la série classique et la série actuelle. En effet pour ceux qui ne le sauraient pas, dans la série classique, les épisodes étaient divisés en plusieurs parties de 25 minutes. Ce qui fait qu’un épisode moyen de la nouvelle série équivaut en moyenne à un tout petit peu moins de deux parties d’épisode de la série classique. A titre de comparaison, Rona Munro avait bénéficié d’une histoire en trois parties pour Survival, soit 75 minutes d’épisodes (et trois parties, c’est en-dessous de la moyenne d’un épisode de la série classique qui en avait généralement au moins une de plus).
Et si la formule de Rona semble optimale pour un épisode de la série classique, lui laissant tout le temps nécessaire pour développer comme elle le souhaite son univers et ses personnages, le format New Who semble lui en revanche la contraindre à devoir un peu plus tasser les choses, d’autant plus quand Moffat lui subtilise ses cinq dernières minutes pour préparer le final de saison. Elle a presque deux fois moins de temps qu’avant pour s’exprimer dans l’écriture de son histoire et si elle est plutôt bien parvenue à s’adapter au nouveau format, on ressent clairement une distorsion de rythme dans l’épisode, avec un début très posé et progressif, sans doute un poil trop pour du New Who, et au contraire une fin qui fait un peu rushée où tout s’enchaîne un peu trop rapidement. On reste loin cela dit des pires problèmes de rythme d’une saison qui en aura eu pas mal (Smile/Knock Knock/Extremis/Pyramid/Lie of the Land, bonjour !), mais ça explique sans doute pourquoi son nouvel épisode est un peu moins réussi que son aîné de la série classique.
De même, The Eaters of Light pâtit sans doute un peu de sa position dans la saison vis-à-vis des thèmes abordés. La saison 10 a eu un vrai problème de renouvellement de ses sous-textes globalement parlant. On a eu quatre épisodes abordant ("effleurant" voire "mentionnant" serait plus exact pour la plupart de ces thèmes, en fait) le sujet de l’importance du dialogue entre les peuples pour maintenir la paix (Smile, The Pyramid at the End of the World, Empress of Mars et The Eaters of Light donc), quatre épisodes sur l’homosexualité (The Pilot, Extremis, Pyramid et Eaters), trois épisodes sur les dérives engendrées par le capitalisme (Thin Ice, Knock Knock et Oxygen, trois qui se suivent directement pour le coup), trois épisodes sur la manipulation d’informations (Extremis, The Pyramid at the End of the World et The Lie of the Land, alias « la trilogie de la purge »), deux épisodes sur le courage et sur le dictat sociétal (The Lie of the Land et The Eaters of Light)…
D’où un effet de lassitude totalement compréhensible qui risque de pointer le bout de son nez pour certains. Cela dit c’est pour moi plus imputable au showrunning de la saison qu’à l’épisode en lui-même. En particulier quand ce dernier est clairement celui qui s’en tire le mieux avec l’exploitation de ses sujets (quand bien même à l’échelle de la série, on a eu bien au-dessus). Oh, rien de bien nouveau sous le soleil sur ce qu’il en fait, reste qu’ils sont, même si très basiquement, développés, explorés et traités. Et c’est triste à dire, mais rien que ça c’est déjà plus que la quasi-totalité des autres épisodes de la saison …
Ah oui, et sinon les bisexuels sont de toute façon beaucoup trop sous-représentés (avant même d’être mal représentés) tout média confondu pour ne pas saluer la simple initiative de les faire apparaître dans l’épisode. D’autant que ça correspond à une réalité historique certaine. Oui, les Romains étaient plus ouverts que nous aux autres formes de sexualité. N’importe quel ouvrage d’histoire un tant soit peu détaillé sur le sujet le confirmera. Il serait donc appréciable que les gens qui font de ce point de détail scénaristique l’une des critiques à l’encontre de l’épisode (ce qui est quand même assez hallucinant) assument que leur vrai problème c’est de voir des bisexuels à l’écran. Car contrairement à Moffat avec Benoit IX dans Extremis, non, Rona Munro n’a pas déformé la réalité historique pour faire du progressisme.
Au-delà de ça, l’épisode est porté par de somptueux décors écossais, des personnages attachants, un Capaldi plus en forme que sur les quatre derniers épisodes et un Nardole très efficacement employé, faisant régulièrement mouche sans jamais être lourd, en faisant donc sans problème une de ses meilleures utilisations de la saison.
On regrettera toutefois une Bill toujours trop en retrait, bien que cela reste sans doute l’un des épisodes où elle a malgré tout été la plus active (sic) et surtout, davantage sur un plan de showrunning, l’intégration de l’arc de rédemption de Missy à cette saison. Alors certes dans cet épisode ce n’est pas trop mal fait, mais à l’échelle de la saison c’est vraiment du gâchis. L’idée en soi de la rédemption du Maître aurait fait une excellente idée d’arc, mais il est intervenu beaucoup trop tard dans la saison et sera resté beaucoup trop secondaire sur son plan scénaristique pour pouvoir être crédible à mes yeux. L’évolution beaucoup trop soudaine du personnage semble incompréhensible car rien ne l’étaye et du coup sa probable trahison dans le prochain épisode sera sans surprise aucune si jamais elle intervient…
The Eaters of Light est tout compte fait un épisode classique, à l’image de la série dont est issue son auteur, sans éclats de génie particulier mais qui fait le job on-ne-peut-plus efficacement, réussissant pour peu qu’on s’attache à son intrigue et à ses protagonistes, la mission principale d’un épisode de Doctor Who lambda : dépayser et divertir dans une intrigue prenante et envoûtante, en donnant l’impression d’avoir fait le voyage avec le Doc.
Là où ça risque de jouer en sa faveur à l’heure des bilans saisonniers en revanche, c’est qu’au contraire du très réussi et meilleur Survival qui était peut-être bien le moins bon épisode d’une saison excellentissime (on appelle ça les joies de la saison 26, possiblement la meilleure de la série classique), The Eaters of Light se positionne sans la moindre peine dans le top de cette saison catastrophique, tant la plupart de ses épisodes ont échoué à n’offrir ne serait-ce que ce peu, et même moins encore…
J’ai aimé :
- La patte Rona Munro
- Une ambiance prenante et des personnages attachants à défaut d’être mémorables
- Des décors somptueux et un monstre au design intéressant
- Une poésie enivrante
- Un récit classique mais maîtrisé
- Les corbeaux me redeviennent agréables après 2 ans de haine justifiée
- Death by Scotland. Meilleure réplique de la saison, et easy
- Nardole en pyjama. Je n’étais pas prêt…
Je n’ai pas aimé :
- Un rythme pas tout à fait maîtrisé, en particulier sur la fin
- L’arc de rédemption de Missy trop tardivement intégré pour être crédible
- Bill… je t’aime. Mais que je hais le fait que les scénaristes de cette saison t’aient reléguée au rang de plante verte
- C’est juste un bon épisode. Et on n’aura peut-être pas mieux que ça cette saison…
Ma note : 13,5/20.