Critique : Doctor Who 13.0

Le 24 avril 2022 à 11:27  |  ~ 16 minutes de lecture
Doctor Who X Pirates des studios de Cardiff.
Par Galax

Critique : Doctor Who 13.0

~ 16 minutes de lecture
Doctor Who X Pirates des studios de Cardiff.
Par Galax

 

Je suis un gros fan de pirates, autant dire que l’épisode me hypait bien pour son pitch. Du reste, on s’attendait tous à un spécial vaguement déconnecté de tout le reste, à un épisode de la fin du run de Jodie Whittaker et Chris Chibnall, sans vrais enjeux ni prise de tête, sans trop de vagues, et c’est… exactement ce qu’on a eu. À un ou deux détail près.

 

Bateau pirate Ching

 

"Come on, tell me you're impressed."

 

Tout l’épisode respire plus ou moins le plaisir que prennent les scénaristes à détourner les clichés d’une histoire de piraterie à la sauce Doctor Who. C’est presque trop classique, surtout pour l’ère en cours qui avait l’habitude d’être plus maligne que ça sur ses épisodes historiques, mais je prends tout de même un malin plaisir à suivre les contes et légendes racontées par l’épisode.

La scène d’intro nous plonge assez rapidement dans le bain là-dessus, avec un totem à protéger, une légende qui se transmet de père en fils, une reine Pirate et une statue géante d’un alien (bien connue des fans en l’occurrence, mais l’effet reste identique sans savoir cela).

Pas mal d'idées toutes entremêlées forment un mystère ma foi efficace, comme les perturbations magnétiques qui tirent la boucle d'oreille de 13 et l’empêchent de faire de beaux ricochets… à cela, on ajoute en plus un bon vieux vaisseau fantôme flottant, un trésor à consonance hispanique (el famoso "Flor de la mar"), un vaisseau du passé et un gigantesque monstre sous-marin : tant d’éléments qui font du scénario un micmac assez chargé, mais pas déplaisant. L’idée de résoudre un mystère du passé pour négocier avec Madame Ching et retrouver la piste d’un pirate de renom et d’un trésor, est un bon ton pour le début d’épisode.

L’épisode remplit son rôle de nous divertir plus ou moins, certaines pointes d’humour sont presque Marvelesque (elles viennent interrompre le sérieux de l’action), mais fonctionnent bien dans le contexte de l’épisode. J’ai pas mal ri grâce à Dan, ou lorsque le jeune pêcheur estime son âge à soixante-dix ans, par exemple.

Un autre point relativement positif à relever, est la musique meilleure qu’à son habitude, sans doute due à l’influence de sonorités asiatiques qui détachent un peu les pistes du travail habituel de Segun Akinola. À qui je souhaite tout de même bon vent à l’épisode prochain, avec un peu de chance…

 

Le TARDIS au fond des mers

 

Oui mais voilà, dès la scène d’intro, on se dit qu’il y a quand même un point qui ruine un peu l’ambiance : les scènes de combat. Les coups de sabre du Sea Devil sont filmés de façon absolument abominable, rien n’est crédible et ça enterre l’immersion. C’est dommage, car l’épisode dispose d’une jolie ambiance visuelle et de plusieurs belles idées : le ciel étoilé en mouvement, le TARDIS sous la mer, les bateaux… Oui, ça fait un peu trop "studio de tournage" à bord des vaisseaux, mais rien de trop gênant, et la lumière est belle. Même les scènes avec l’énorme monstre marin ou avec les canons sont assez bien faites. Mais dès qu’il s’agit de chorégraphier un duel, c’est un enfer, et le climax n’arrange rien – ce plan où un sabre frôle le visage de 13, que c’est mal exécuté ! La seule frame réussit est celle qu’ils ont casée dans le trailer (Yaz en joute avec un Sea Devil).

Le montage est aussi beaucoup trop sec, et l’épisode ne dure que quarante-sept minutes : il est évident qu’il a dû être charcuté. Sachant que la réalisatrice avait confirmé sur son CV que l’épisode durait soixante minutes à la base, je suis curieux du pourquoi du comment. Résultat : les transitions au début de l’épisode (notamment tout le passage où Dan part seul et se retrouve sur le bateau de Ching) ne sont pas fluides. Cela a le mérite de donner un rythme assez frénétique à l’épisode, ce qui est toujours plus appréciable que de se faire chier. Il y a par exemple ce moment un peu naze où 13, Yaz et Ji-Hun se tirent d’une mauvaise situation en hors-champ avant d’arriver sur une corde à l’abordage du vaisseau de Ching. Cela représente bien tout l’épisode : ça n’a pas vraiment de logique, mais bon, à l’abordage en criant "Geronimo !" et en faisant quelques blagues derrière, ça passe bien.

MADAME CHING: You can't be alive. That's not possible.
JI-HUN: I agree.

 

"Sea Devils ! Land Crawlers !"

 

Comme les combats sont ratés, cela dessert pas mal la cause et la menace représentée par les Sea Devils, qui signent un retour assez anecdotique. Ils ne sont pas nuls, leur redesign est superbe. Mais ils sont relativement mal employés, ou plutôt sous-employés. Il n’y a véritablement que leur chef qui est développé : que faisait leur peuple avant tout ça ? Quant à la créature marine, elle est aussi trop sous-utilisée et disparaît des enjeux. J’aurais préféré la revoir et que la Docteur s’en serve pendant le climax (par exemple en la contrôlant pour résoudre la situation), plutôt que d’utiliser un autre sacrifice humain dans un copié-collé du final de saison 12. C’est vraiment pété, cette fin, avec du bidouillage technique nul, et toujours moralement discutable pour une Docteur qui n’a jamais à traiter les conséquences elle-même. D’autant que le dernier épisode en date des Sea Devils, celui du Cinquième Docteur, termine par une des meilleures fins de toute la série absolument glauque et sombre.

Il y avait moyen de faire écho à ce moment très charnière dans l’arc du Cinquième Docteur (le préféré de Chibnall, pour rappel).

 

Sea Devils !

 

C’est dommage de n’avoir fait que si peu de liens avec les autres épisodes de ces ennemis dans l’ère classique. D’une part car ils ont très peu de background et que le champ des possibles est large : par exemple, leurs noms "Sea Devils" est celui donné par les humains, ce n’est bien sûr pas comme ça que leur espèce s’auto-identifie car c’est très péjoratif. Chibnall le reconnaît et fait même une réplique dessus : 13 interpelle le Sea Devil par ce titre, ce dernier rétorque un "parasite terrestre" (ce qui m’a fait sourire), et quand 13 veut savoir comment elle doit l’appeler, le Sea Devil passe à autre chose. Je vois là un Chibnall qui n’a pas osé, ou n’a pas eu l’envie, d’imposer plus sa patte, probablement encore traumatisé par la mauvaise réception des fans au nommage de "Homo Reptilia" des Siluriens lorsqu’ils sont revenus en saison 5 (personnellement, j’aimais bien ce parti pris).

C’est comme ça pour tout le reste de l’épisode : pas de lore. Dommage, alors qu’il s’agit ici, chronologiquement, de la première rencontre des Sea Devils avec le Docteur. 13 pose d’ailleurs une question intéressante à un moment : leur peuple étant pacifique, fait-elle face à des premiers colons rebelles, ou aux vrais ancêtres qui ont pu se développer en régnant sur les mers et en terrorisant une partie des humains ? Il y avait là un propos intéressant à développer sur la nécessité, ou pas, pour un peuple de faire la guerre pour grandir. Ou encore, pourquoi pas, un certain regard sur le colonialisme (la piraterie étant quand même vachement liée aux affaires des corsaires et donc des puissances impérialistes d’antan).

Chibnall pose ces questions mais, comme pour le nom de leur espèce, ne prend pas le temps d’y répondre. C’est curieux de voir une ère habituellement si politique et si mythologique, ignorer de telles opportunités.

 

Madame Ching et son équipage

 

Et c’est une erreur que l’épisode réitère, en pire, avec la Reine Pirate, Madame Ching. Quel dommage ! Une reine pirate qui a pris la position de son défunt mari et a régné sur les mers dans un milieu où les femmes étaient vues comme apportant le mauvais œil, qui a inspiré terreur et respect, qui a eu une vie sans doute fascinante, et qu’on réduit à… une MAMAN. Une cheffe qui considère son équipage comme sa famille, comme souligné par ce qui la motive à tout prix durant sa quête : sauver ses deux enfants. Purée génial… ce faux-pas terrible fait probablement de l’écriture de ce personnage, la plus sexiste de toute la série depuis plusieurs saisons. On ne sait finalement rien d’elle, son histoire de rançon semble trop facile, bref, rien ne va. L’actrice n’est d’ailleurs pas géniale, mais je pense qu’elle a le plus subi les cuts au montage.

C’est d’autant plus frustrant que l’ère de Chibnall, malgré toutes ses faiblesses, a excellé dans l’art de montrer des figures de l’ombre comme Noor Khan, Ada Lovelace ou Mary Seacole. Madame Ching se fait littéralement éclipser par Ji-hun, pirate fictif qui devient le coeur de l’épisode lorsqu’il se sacrifie et que 13 dit : « Vous êtes vraiment une légende » (faisant écho au titre). C’est une sorte d’effet Matilda je trouve, et c’est assez tragique.

 

"You do keep promising us a beach."

 

Là où l’épisode réussit vraiment son coup, c’est sur la relation Yaz/13.

Assez tôt dans l’épisode, quand 13 fait une remarque amusante sur un date, le malaise est immédiatement palpable entre les deux protagonistes. Cela nous rappelle que depuis le précédent épisode, leur relation est légèrement nuancée et ambiguë. Mandip Gill est assez saisissante tout du long de l’épisode pour apparaître troublée tout en continuant à jouer la "bonne compagne" en posant les questions qu’il faut de façon imperturbable. J’aime aussi beaucoup son incompréhension lorsqu’elle parle à Dan et sa peur d’avoir été outée (ce qu’elle a été, malheureusement), qui rappelle à quel point les signaux de 13 sont flous pour elle.

En vrai, le problème épineux de cette romance, c’est qu’elle arrive beaucoup trop tard, parce que 13 et Yaz n’avaient aucune alchimie en deux saisons, parce que Yaz elle-même n’existait pas vraiment non plus. La série doit donc éviter les foudres des fans qui n’aiment pas les romances dans la team TARDIS, mais aussi satisfaire l’arc de cette relation sans virer au queer-baiting, et sans bousculer les choses trop rapidement pour ne pas sonner faux. Sachant que dans tous les cas, tout prend fin dans le prochain épisode – et qu'il faudra éviter de faire trop mielleux OU trop dramatique, et ne pas reproduire un Bury Your Gays. Pour résumé : c'est une mission impossible de bien traiter cette relation... Et pourtant, l’épisode y arrive plutôt.

En fait, cette idée qui est venue trop tard dans la série, semble être admise par 13 comme étant quelque chose de trop tard également dans sa vie : elle sait que son heure approche, et n’a certainement pas envie de se lancer dans une telle relation qui n'amènera pour sûr que de la tristesse un épisode plus tard.

 

TARDIS sur la plage

 

La position prise par 13 est probablement la plus cohérente et la plus sincère car elle miroite la position du showrunner et des actrices sur la question : c’est une belle idée, mais dans les conditions actuelles, ça ne pourra rester qu’une idée. Cela la rend amère au possible – mais combien de relations idylliques n'ont jamais vu le jour pour une question de timing ou un déséquilibre insurmontable dans la relation ? C’est joliment géré à mes yeux, et ça donne pas mal de tragédie à la relation Yaz/13, qui auront été un peu toujours proches sans l’être. La mention de River Song fait d’ailleurs un bien fou à entendre et est très pertinente dans une telle situation.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Chris Chibnall reprend constamment cette imagerie de la plage dans l’épisode, faisant écho à la relation Rose/Ten et à la scène traumatisante de Doomsday. Pour le coup, le scénariste a beau avoir été timide en ramenant les Sea Devils, il gère la relation entre 13 et Yaz avec un certain soin et cela se ressent. La scène finale avec le vœu pieu de 13 est déjà empreinte d’une certaine nostalgie qui donne le ton pour le dernier épisode à venir en novembre.

Si le prochain épisode peut capitaliser sur ce sentiment posé d’atmosphère romantique douce-amère, on pourrait bien avoir une fin émouvante pour cette team TARDIS, ce que je n’aurais jamais espéré de base. Le trailer sensationnel du prochain épisode conclut d’ailleurs par une réplique paniquée de 13 pour Yaz, qui me semble déjà assez chargée en émotions.

~~~

Entre deux ou trois coups d’épée dans l’eau, Legend of the Sea Devils parvient à gérer efficacement ses inspirations à la piraterie pour donner à cette team TARDIS une dernière aventure légère, au prix d’une absence totale de propos sur le lore des Sea Devils ou sur le contexte historique, peu caractéristique de cette ère. Si le scénario bâtard et peu fidèle à l’ère qu’on s’apprête à quitter peut décevoir, la relation entre les personnages de Jodie Whittaker et Mandip Gill n’a jamais eu autant le vent en poupe, ce qui peut suffire pour préparer un pay-off émotionnel réussi dans quelques mois. Le vent leur est favorable : j’y crois !

 

J’ai aimé :

  • Yaz et 13, ça fonctionne vraiment bien
  • Un côté popcorn et plaisir coupable à regarder ces contes de pirates
  • Le rythme frénétique qui nous emporte avec lui sans négliger les dialogues plus posés
  • "No ship, Sherlock"
  • L’esthétique de l’épisode, notamment l’ambiance, les couleurs et pas mal de VFX
  • L’humour lié à Dan
  • Le trailer incroyable du prochain (dans les meilleurs trailers jamais fait, avec celui du 8.11 notamment)

Je n’ai pas aimé :

  • Un spécial qui n’a rien de spécial
  • Les Sea Devils sous-exploités par deux aspects : pas de lore et pas de propos
  • Gros moment de gêne quand tu comprends que la Reine Pirate badass est réduite à une maman qui veut sauver ses gosses
  • La résolution du climax avec un sacrifice pété et auto-plagié
  • Le montage dans les scènes d’action juste horrible
  • Trop de cuts dans l’épisode qui rend certains déplacements ou dialogues peu crédibles

Ma note : 12 = je suis un shippeur okay/20

 

Le Coin du Fan :

 

  • L’épisode a vu naître une certaine polémique sur les costumes apparemment très grossiers et pas du tout fidèles à l’époque, notamment du pirate du passé Ji-Hun. Pas de bol, même en termes de représentation, l’épisode enchaîne les bévues…

 

  • Autrement on a du Geronimo, du River Song et pas grand-chose d'autre qui n'aurait déjà été cité dans ma critique.

 

On se retrouve en novembre pour du fanservice à gogo et une fin d’ores et déjà controversée en guise d’adieux à Jodie Whittaker et toute son équipe !

L'auteur

Commentaires

Avatar nicknackpadiwak
nicknackpadiwak

Bien vu pour le traitement de Madame Ching ! Bravo.

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