Flatline est à plus d’un titre un épisode assez emmerdant pour ce qui est de mon format de critiques habituelles pour la série. Tout d’abord, parce que j’aime bien dans l’introduction revenir sur l’auteur du jour et ses contributions précédentes dans l’histoire de la série. Or, cette fois-ci, je n’ai pas grand-chose à en dire, puisque Jamie Mathieson est le petit nouveau de la série cette saison avec Peter Harness et Frank Cottrell Boyce, et que sa plus vieille contribution pour la série date tout juste de la semaine dernière avec le très bon Mummy on the Orient Express. Un a priori plutôt bon s’en dégageait donc, puisque le gars a prouvé la semaine dernière qu’il pouvait écrire correctement des choses intéressantes. Toutefois, Flatline s’annonçant particulièrement différent de son prédécesseur, il n’était pas non plus garanti qu’on ait le droit à quelque chose d’aussi réussi et que son auteur serait aussi efficace que la semaine passée sur un terrain totalement différent.
Et le teasing de l’épisode en lui-même avait de quoi en faire douter plus d’un. Etant resté très longtemps dans l’ombre en étant l’épisode de la saison sur laquelle on avait clairement le moins d’informations, l’épisode a commencé à ne vraiment se révéler qu’à une semaine de la diffusion, là où d’autres infos avaient filtré plus vite pour tous les autres épisodes de la saison (y compris ceux qui vont suivre celui-là). Et ce qui s’est révélé à nous n’était pas spécialement des plus enthousiasmants, le teasing ayant mis l’accent sur l’absence relative du Docteur et la mise en avant de Clara face à une menace liée au street art qui restait vraiment très obscure …
Bref : on ne savait pas trop sur quel pied danser avec cet épisode. Cela lui laissait donc toutes les chances de nous surprendre, positivement comme négativement. Fort heureusement, c’est la première option qu’il a choisi.
Ah, et vous vous souvenez quand je vous disais que l’épisode était, dans mon cas et pour plusieurs causes, emmerdant à critiquer ? (mais si, c’était il y a à peine 3 paragraphes) ? Eh bien, en voici la seconde raison : cet épisode est un immense coup de cœur personnel, aisément mon préféré de la saison avec le majestueux Listen. Tout comme ce dernier, j’en ai adoré absolument chaque seconde et chaque aspect au point d’en arriver au rare cas où je n’ai absolument rien à redire de l’épisode. Ainsi, si vous cherchez en cette critique un peu spéciale quelque chose qui fasse le tri entre les bons et mauvais points de l’épisode, je préfère vous prévenir d’emblée que vous en serez déçu, car ce ne sera pas le cas de cet article aujourd’hui. En revanche, je tâcherais de bien expliquer en quoi je trouve cet épisode absolument fabuleux.
Doctor Who vs. Street Art. In 3D.
Vous vous souvenez de Fear Her ? C’était un épisode de la fin de la première saison de David Tennant. Mais si, vous voyez de quoi je parle, ce truc immonde patriotico-con coincé entre l’épisode Doctor-lite de la saison et le final de Rose, avec les JO de 2012 en toile de fond, un scénario absolument navrant et une réalisation dégueulasse ! Aisément l’un des (si ce n’est le) pires épisodes du 10ème Docteur dont il n’y avait rien à sauver …
Il y avait pourtant une idée très sympa dedans, bien que totalement inexploitée et mal réalisée dans l’épisode en question, mais que j’ai toujours trouvé dommage de l’avoir saccagée de la sorte : ces dessins mobiles. Il y avait tant à faire d’un tel point de base, aussi bien en matière d’ennemis et d’élément de scénario que de visuel.
Ce que nous propose Flatline comme antagonistes, ça se rapproche un peu de ce qu’aurait pu donner Fear Her s’il avait été réussi. Et que le résultat est excellent …
Les Boneless sont les ennemis les plus intéressants, efficaces, géniaux et mémorables qu’on ait eu depuis très longtemps dans la série. Si on met de côté les entités invisibles de Midnight et Listen (pour ce dernier, si tant est qu’il y ait vraiment quelque chose), il s’agit certainement des monstres m’ayant personnellement le plus marqué depuis les Silents, voire les Weeping Angels. On ne connait pas leurs véritables intentions, on ne sait pas non plus vraiment comment ils fonctionnent (on apprend du Docteur ce qu’ils font et ce qu’ils cherchent à obtenir de leurs actions, mais ne connaissant pas leur motivation profonde, on ne sait pas dans quelle optique ils le font). Ils mutent / évoluent / s’adaptent au fil de leurs intervention (mine de rien c’est pas si courant dans la série), ils sont quasiment invisibles pour nous et ont une rapidité d'action impressionante… Tout ce qu’on sait vraiment, c’est l’étendue de leurs pouvoirs, et c’est probablement ce qui les rend aussi flippants. Ils ont également un design parfait, qui, à l’image des anges, est à la fois horrible et magnifique.
Un mot qui convient à merveille à l’épisode tant il le décrit bien. Il s’agit sans aucun doute de l’épisode de Doctor Who le plus audacieux et réussi sur un plan visuel et esthétique depuis, là encore, un paquet de temps. Tout y est sublime, de la gestion des décors, de la photographie et des éléments de street art à celle des designs, de l’éclairage lors des scènes de tunnel et de CGI de toute beauté. Une merveille visuelle digne des plus grands épisodes de la série à ce niveau-là.
Si le scénario reprend globalement la formule classique du survival, il est enrichi par une structure narrative au contraire elle plutôt inhabituelle (la phase d’exposition et l’acte 1 sont fusionnées, mettant nos héros de suite en action tout en prenant connaissance de la situation, ce qui dynamise dès le départ l’épisode). Le scénario fonctionne par révélation progressive des données de l’intrigue qui lui permet de rester intéressant, là où s’il s’était contenté d’être un simple survival l’ennui aurait risqué de pointer son nez. Une formule efficace donc, disposant d’un dynamisme parfait et qui a l’intelligence de ne jamais rester figé dans le marbre en modifiant constamment la situation. Le scénario est intelligent et capable de se réinventer très vite tout en gardant une cohérence parfaite. Mais c’est avant tout une bonne dose d’audace (notamment le fait de sacrifier quasiment tous les travailleurs et de laisser le gros connard antipathique à souhait survivre, fallait oser) ainsi qu’une ribambelle d’idées absolument géniales qui sortent pile au bon moment et sont exploitées à la perfection, que ce soit au niveau de ses antagonistes, des évènements qu’ils réalisent, du TARDIS qui en voit de toutes les couleurs ou encore de ce qui se fait de Clara et du Docteur, qui le font briller. Mais j’y reviendrais plus tard …
L’épisode est en plus très original dans ce qu’il nous montre, car le rapprochement distant avec cet aspect de Fear Her et l’idée de jouer avec les dimensions du TARDIS dans l’ancienne série (et encore, ils ne l’avaient jamais fait comme ça) mis à part, on n’a jamais eu rien de tel auparavant. L’épisode en dégage une fraîcheur indéniable qui fait beaucoup de bien au sein de cette saison certes excellente mais qui aura souvent eu tendance à faire écho au passé. Et il offre enfin à Capaldi la scène iconique qui lui faisait défaut, dans un passage très prenant et mémorable.
L’épisode distille également un humour absolument excellent tout du long, calibré juste ce qu’il faut pour n’être ni lourd ni trop envahissant au détriment de la menace de l’épisode, principalement par le biais des échanges Clara / Docteur et de références bien placées (le coup de la Famille Adams, c’est du pur génie). Accompagné en plus de guest stars certes pas les plus mémorables qu’on ait eu, mais sympathiques et attachantes (et jouant parfaitement leur rôle quand elles ne le sont pas … pas souvenir d’avoir vu un personnage aussi [volontairement, car sinon il y a Angie] insupportable que ce papy dans Doctor Who), l’épisode est aisément, avec tous ces bons points, absolument excellent dans sa fonction de divertissement. Et cerise sur le gâteau : on en apprend limite plus sur le fonctionnement du TARDIS que dans Journey to the Centre of the TARDIS (non, je ne le lâcherais pas celui-là) alors que le propos n’était pas là ...
Bref, que du bon à se mettre sous la dent cette semaine. Et pourtant, dieu sait que je n’étais pas enthousiaste quand j’ai appris que l’épisode serait centré sur Clara … Le résultat dépasse allègrement toutes mes espérances.
D’autant que je trouve que rarement un stand alone n’aura été à ce point en phase dans ce qu’il met en scène avec ce dont il traite, parce qu’il s’agit bien de brouillage des dimensions à tous les niveaux auquel on a droit dans Flatline, que ce soit au sens littéral avec les Boneless, leurs victimes et le TARDIS, comme sur un plan plus moral notamment entre Rigsy et Fenton (alias Papy Grognon), et, comme nous allons le voir à présent, là où l’épisode est le plus intéressant, entre le Docteur et sa compagne.
Doctor Oswald
Car le point d’orgue de l’épisode, il est clairement là, dans cette inversion des rôles entre le Docteur et Clara. C'est d’ailleurs la première fois de l’histoire de la série qu’un épisode se risque vraiment à complètement renverser les rôles, tout en étudiant minutieusement ce renversement tout du long. Car outre l’humour mordant et même parfois l’émotion (voir le Docteur dans une telle position de faiblesse dans la seconde moitié de l’épisode a quelque chose d’étrangement touchant) que procurent le fait de voir le Docteur dans le rôle de l’assistant et Clara dans celui de la femme d’action, à l’instar de ces créatures qui dissèquent, explorent, tentent de comprendre les humains et l’environnement pour pouvoir évoluer en fonction d’eux, l’épisode se livre à une fine analyse et à une interrogation poussée de la frontière entre le Docteur et ses compagnons et de la définition de ces deux statuts. Il y a en effet une véritable plongée dans la psyché du Docteur, son processus de réflexion et ses méthodes, rendue possible grâce à cette inversion et au fait qu’il se retrouve pour une fois face à quelque chose qu’il ne connait absolument pas et face auquel il ne sait pas comment réagir. Tout ce processus, qui se fait habituellement off-screen et qui est parfois même déjà fait de la part du personnage dès le lancement de l’épisode du jour quand il affronte une menace qu’il connait déjà, est extériorisé vraiment pour la première fois dans son intégralité. Avec, en prime, la réaction du Docteur face aux menaces qu’il ne peut finalement pas comprendre.
Tout cela, couplé au moment précis où l’épisode intervient dans la saison et à ce stade-là de la relation qui existe entre les deux figures qui incarnent aujourd’hui les statuts précités. Car cet épisode, c’est non seulement celui qui donne raison à ceux qui ont accusé le show d’être globalement devenu Clara Who cette saison, mais aussi celui qui justifie pleinement les raisons de cette orientation et tout ce qu’on a pu en tirer de bon.
Car honnêtement, arrivé à ce stade de la saison et de l’histoire du personnage, qu’est-ce qui différencie dorénavant Clara du Docteur ? Elle connait désormais ses méthodes et les a toutes adoptées, les bonnes comme les mauvaises. Elle connait son histoire plus que tout autre compagnon et y a même contribué à plusieurs reprises sur certains des moments les plus cruciaux de son existence. Elle qui tenait à ce point à garder un contact avec la vie terrestre et sédentaire préfère dorénavant sacrifier son petit ami pour toujours plus d’aventures… Tout au plus ce qui les différencie dorénavant ne sont qu’une histoire de connaissances personnelles sur lesquelles le Docteur a une naturelle longueur d’avance, et peut être deux ou trois points de personnalité, mais ça reste des broutilles tant ces personnages autrefois si opposés se sont autant rapprochés au point d’inquiéter sérieusement le Docteur. Celle à qui on reprochait parfois d’être trop semblable au Docteur en saison 7 (alors qu’il s’agissait uniquement d’une proximité de caractère avec le 11ème Docteur plutôt qu’une vraie ressemblance de ces deux archétypes) au point d’élaborer en ces temps-là des théories selon lesquelles elle serait en fait une future incarnation du Docteur, a fini par plus ou moins vraiment le devenir au bout du compte.
Et il me semble que jamais auparavant une compagne n’est devenue à ce point aussi proche du Docteur. Cela permet de relancer brillamment l’intérêt de leur relation, qui est dans le fond le vrai fil rouge de cette huitième saison (j’ai en effet du mal à voir plus que du pur teasing pour le final de toute cette histoire de paradis), qui semblait être arrivé à une conclusion naturelle lors de l’épisode précédent, en relançant une piste qu’avait laissé ce dernier : après les divergences de points de vue entre les deux personnages lors des 7 premiers épisodes, on explore désormais les conséquences de l’influence du Docteur sur ses compagnons une fois que ceux-ci ont fini par totalement embrasser son style de vie.
Je n’ai absolument aucune idée du fondement des rumeurs de départ de Jenna Louise Coleman à la fin de saison où au Christmas Special qui trainent depuis quelques temps déjà, mais après cet épisode, j’espère qu’elles sont vraies. Pas parce que je n’aime pas le personnage, qui a plus que compensé l’impression négative qu’elle m’avait laissé en saison 7 par une embellie et un regain d'intérêt quasi constant en cette saison 8, mais tout simplement car on semble être arrivé de toute évidence à la phase finale du voyage de cette compagne. Flatline est l’épisode qui pose la pierre finale de sa transformation en Docteur. Maintenant, il est temps de voir quelles vont en être les conséquences. Et à mon avis, malheureusement pour elle, elles ne seront satisfaisantes pour nous que si cela se termine mal…
Tout cela montre en faveur de l’épisode qu’en plus d’être purement génial dans ce qu’il propose, il est absolument parfait dans son positionnement même vis-à-vis de la saison et de l’histoire de la compagne. Flatline ne marcherait pas s’il était survenu 3 semaines après l’arrivée de Clara dans le TARDIS, ni même en milieu de run du personnage. C’est clairement un épisode de fin de cycle pour un compagnon (et j’espère qu’ils ont pris la bonne décision en conséquence pour la suite de la série). Celui qui achève le développement de ce dernier et qui ouvre grand les portes du TARDIS vers la sortie…
Du pur génie qu'on vous dit ...
Le coin du fan
- La miniaturisation du TARDIS est une idée récurrente depuis l'épisode de 1964, Planet of Giants (diffusé quasiment 50 ans auparavant) où le TARDIS et ses occupants ont changé de taille. En 1965 dans The Time Meddler, le Docteur trafique le TARDIS du Moine en rendant sa salle de contrôle plus petite à l'intérieur qu'à l'extérieur. Enfin, en 1981 dans Logopolis, le 4eme Docteur se retrouvait piégé dans un TARDIS qui a rétréci. On peut d’ailleurs entendre la cloche du cloître du TARDIS, lorsque ce dernier est sur le point de se faire rouler dessus, qui fut introduite dans ce même épisode.
- Clara tente de se faire passer comme une travailleuse du ministère de la santé et de la sécurité, comme le Docteur et Donna dans Partners in Crime.
- Le mode "siège" du TARDIS ressemble quelque peu à la Pandorica et aux hypercubes qui permettent aux Time Lords de communiquer entre eux, vus pour la 1ère fois dans l’épisode de la série classique The War Games et réapparus dans la nouvelle série il y a quelques années dans The Doctor’s Wife.
Flatline est divertissant. Flatline est intelligent. Flatline est pêchu. Flatline est beau. Flatline est drôle. Flatline est frais. Flatline est audacieux. Flatline est prenant. Flatline est émouvant. Flatline est génial. Alors oui, à quoi bon verser dans la retenue quand on a à ce point adoré tout ce qu’on vient de voir : pour moi, Flatline est un très grand épisode, parmi mes tous préférés de cette excellente saison et même de la série dans sa globalité. Et si tout le monde n’aura bien évidemment pas le même coup de cœur que moi pour cet épisode, il y a fort à parier qu’il saura néanmoins satisfaire plus ou moins chacun en lui proposant au moins quelque chose qui lui plaira, tant il y a à boire et à manger à ce niveau-là dans cette somptueuse pépite ! Une chose est sûre cependant : le nom de Jamie Mathieson, véritable révélation de cette saison, a déjà su trouver sa place au sein du panthéon de Doctor Who et sera dorénavant synonyme de grande excitation à l’annonce de ses prochaines contributions.
J’ai aimé :
- Une définiton du Docteur, du compagnon et de leur interconnexion de toute beauté rendue possible par un renversement des rôles extrêmement bien mené.
- L’esthétique visuelle de l’épisode, la plus audacieuse et réussie depuis un bout de temps.
- Les Boneless. Pour moi, les meilleurs ennemis visibles depuis les Anges Pleureurs.
- Le TARDIS est particulièrement intéressant dans cet épisode.
- Le 12ème Docteur a enfin sa scène « Je pose mes couilles sur la table ».
- La relation Clara / Twelve. Définitivement la plus grande force de la saison.
- Capaldi portait une chemise blanche dans cet épisode. Je trouve que ça fait mieux ressortir son costume dans ces cas-là.
- Arriver à faire un chef d’œuvre absolu dès son deuxième script, je crois que seul Steven Moffat et John Lucarotti y étaient arrivés de toute l’histoire de Doctor Who. Bon, certes, Neil Gaiman et Phil Ford y étaient arrivés du premier coup, mais c'est franchement bien joué Jaime !
- On peut avoir des iPad gratos au paradis …
Je n’ai pas aimé :
- … ce qui implique qu’Apple ne nous lâchera jamais la grappe, même dans l’au-delà !
- Devoir chercher en vain des excuses bidon pour remplir cette rubrique.
- Je sais qu’il ne faut pas juger un livre sur sa couverture. Reste que le « Next Time » qu’on a eu cette fois ci est le pire qu’on ait eu depuis un bout de temps et semble augurer un épisode absolument à chier. Espérons que pour sa première participation à la série, Frank Cottrell Boyce saura nous prouver le contraire…
Ma Note : 19/20