Le meilleur des mondes
Quand nous les avions laissés à la fin de la saison 1, Carrie Mathison et Nicholas Brody n'étaient pas très brillants. Elle se préparait à subir, de son propre chef, des séances d'électrochocs et venait d'être virée sans ménagements de la CIA. Quant au marine héros de guerre transformé en arme vivante, il n'avait pu mener à bien sa mission suicide -réduire en poussière le vice-président et son entourage. Pour prouver à Nazir son engagement, il avait dû tuer une deuxième fois son complice et ami Walker.
Nous les retrouvons quelques mois plus tard, et tout semble désormais pour le mieux. Carrie a renoncé à vivre intensément son rôle d'agent, et cultive son jardin et ses légumes bio tout en enseignant l'anglais à des ressortissants arabes. Brody est sur une trajectoire fulgurante qui pourrait le mener à la vice-présidence, une position d'où il serait en mesure de tenir la promesse faite à Nazir : influencer la politique américaine et changer les choses. Il incarne désormais le Rêve américain, version républicain conservateur, et même ses souvenirs ne semblent plus le torturer. Mais ces murs rose bonbon vont bien vite s'effriter. Car ni l'un ni l'autre ne vivent dans un univers fermé. Et autour d'eux, le monde continue de trembler.
« Why kill a man when you can kill an idea ? »
C'est ce que murmurait Nazir la saison dernière... Lorsqu'il était apparemment convaincu par les arguments de Brody. Oui, mais...
Oui, mais Israel a bombardé l'Irak. Oui, mais il faut riposter. Oui, mais on ne renonce pas à l'action violente aussi vite. Oui, mais lorsque l'on est un marionnettiste, il n'y a aucune raison d'affranchir ses marionnettes. Nazir reprend donc le contrôle de Brody, et prépare une frappe violente sur des civils.
A vrai dire, ce revirement m'a plutôt soulagée. Il aurait été invraisemblable de voir Nazir opter pour des solutions plus « pacifiques », et je trouve sa manipulation de Brody -le répit nécessaire à son ascension, la sérénité retrouvée, l'illusion du bonheur... puis le retour aux ordres- très cohérente. Ce qui l'est moins, c'est sans doute l'accession aux arcanes du pouvoir de l'ancien marine. Et surtout les moyens par lesquels on le contacte. Alors que depuis la première saison, on nous fait comprendre que tout le monde est un suspect potentiel, il me paraît totalement dingue que le passé d'une journaliste accréditée qui entre en contact avec les pontes de la CIA, de l'administration au pouvoir et du Parti républicain n'ait pas été passé au crible. Il me paraît tout aussi dingue que les papiers les plus importants soient gardés dans un coffre-fort classique, sans reconnaissance biométrique. Passons...
I'm so happy. Cause today I found my friends. They're in my head. I'm so ugly. But that's ok...*
Quant à Carrie, son retour -temporaire- à la CIA, légèrement tiré par les cheveux, passe beaucoup mieux. Pourquoi ? Sans doute parce qu'on la voit effrayée par son envie de revenir, d'être indispensable, d'être au cœur de l'action. Elle est plus que jamais un électron libre, un chien fou à la mémoire défaillante, et qui a perdu confiance dans l'organisation à laquelle elle appartient. La confiance, c'est justement le coeur de Homeland. A qui faire confiance ? Et sur quelle bases ? La première saison nous a démontrée que l'amitié, le corporatisme et le patriotisme n'étaient pas des piliers suffisants pour la confiance. Mais la folie ou la foi sont-elles, à l'inverse, des arguments suffisants pour la retirer à quelqu'un ? La série pose la question, et y fait répondre certains des personnages secondaires.
Certains l'ont abondamment souligné dans leurs avis, la (bonne) société américaine n'est pas spécialement tendre ou nuancée vis-à-vis de l'Islam ou du Coran. Elle a toujours les couleurs de Bush Junior, qui base ses analyses sur la peur de l'autre, l'ignorance et le besoin de revanche. Mais si cette scène de faux débat quaker -et les arguments qu'elle avance- est assez bateau, celles qui suivent, elles, sont plus intéressantes, car elle dissèquent l'intime. En prenant le parti de son père, en étant sa confidente, Dana dessine une nouvelle géographie de la famille Brody. Tout comme sa mère, dont le rejet du Coran et de la foi de Nicholas est moins fondé sur les préjugés que sur la crainte du qu'en dira-t-on. Elle n'a pas peur de la foi de son mari, elle n'a pas peur de son mari, mais elle ne comprend pas et craint pour elle. « I married a US marine. THIS can't happen ». Le musulman, c'est l'autre, c'est l'inconnu, c'est l'ennemi, point barre.
Les époux Brody étaient séparés par les traumatismes, l'adultère et les mensonges, ils le sont désormais par la vérité. Et l'on va certainement nous conduire vers un intéressant bonheur de façade, celui d'une parfaite famille américaine -en apparence- dont le croquis était déjà bien avancé en saison 1.
Expériences
C'est précisément en cela que cette saison s'annonce passionnante. On a levé le mystère autour de Brody, de ses buts, de ses missions. On a levé le voile sur la maladie et les défaillances de Carrie, et maintenant que l'on a toutes les données des personnages, on nous propose de les étudier au microscope.
Le premier comme un rat de laboratoire soumis à des injections contradictoires, privé de sa capacité de décision, mais conscient de la douleur et des conséquences de ses actes. La deuxième comme un animal sauvage auquel on a retiré sa laisse, et qui en a profité pour reprendre sa liberté. A ce titre, le gros plan final sur le sourire de Carrie, celui qui donne vraisemblablement son titre à l'épisode, celui d'une gosse ayant réussi à se tirer d'un mauvais pas, annonce quelque chose de formidable. Et il faut bien être honnête, voir ces deux personnages se débattre dans leurs camisoles sera beaucoup plus intéressant que de deviner quelle nouvelle menace plane sur les Etats-Unis.
D'autant que dans les deux cas, les acteurs sont toujours aussi justes. Damian Lewis en tête, qui ne surjoue jamais les émotions, et qui s'enfonce dans les cercles de l'enfer à coups de sourires embarrassés et de nuits d'insomnie. Et Claire Danes, plus calme en apparence que l'année dernière, mais capable, comme dans le dernier plan la concernant, de revenir à quelque chose de borderline.
* Lithium - Nirvana
Bref, cet épisode pose de bonnes bases pour la deuxième saison, et j'ai hâte de voir la suite.
14/20