Pour le dernier épisode de la saison, Steve Thompson adapte The Final Problem, nouvelle à part dans l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle. En effet, ce dernier, lassé de son personnage, a décidé de le supprimer, non sans lui avoir au préalable offert un adversaire de taille, un génie du crime nommé Moriarty (on notera d’ailleurs qu’à l’instar d’Irene Adler, c’est l’unique apparition du personnage dans l’œuvre de Doyle). Et c’était donc en tentant de stopper ce dernier que Holmes chute avec lui des chutes de Reichenbach, causant ainsi la mort des deux hommes. Doyle fera finalement revivre son personnage une dizaine d’années plus tard sous la pression des fans via une pirouette d’écrivain assez douteuse, Holmes ayant simulé sa mort pour mieux capturer le second de Moriarty.
Partant de ce constat, le lectorat de Doyle risquait d’être « spoiler » sur le final de l’épisode : en sachant que ce dernier était adapté de The Final Problem, on savait que Holmes allait se confronter à Moriarty (la conclusion de l’épisode précédent le laissant deviner) et que Holmes allait mourir, tout du moins simuler sa mort. L’ouverture de l’épisode prend donc à revers ces spectateurs (moi compris) : on annonce directement la couleur via la confession de Watson, tout le monde est donc sur un même pied d’égalité, qu’il ait lu ou non la nouvelle.
Et c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup dans cette série, ce sérieux avec lequel les scénaristes construisent leurs histoires, cette envie de ne pas prendre le téléspectateur pour un con. Ils savent que certaines personnes ont lu les histoires et, plutôt que de les transposer naïvement, ils s’en servent comme une base pour une nouvelle intrigue tout en multipliant les références à l’original. C’est ainsi l’occasion pour eux d’à la fois faire découvrir ces histoires aux nouveaux venus mais en même temps de satisfaire les personnes ayant déjà lu les nouvelles en réussissant à les surprendre dans un univers qu’ils connaissent pourtant bien.
Maintenant que ça, c’est dit, passons à la suite. L’épisode débute donc trois mois plus tôt et force est de constater que Sherlock gagne en popularité. Il est de plus en plus sollicité et ses résultats exceptionnels lui valent la première page des journaux. Une célébrité et un renforcement du mythe Holmes que les créateurs de la série avaient commencé à mettre en avant depuis le début de la saison, la casquette que l’on retrouve d’épisodes en épisodes en étant une preuve.
Entre alors en scène Moriarty qui nous offre le casse du siècle : à partir d’un téléphone portable, il parvient à faire tomber la sécurité de London Tower, de la banque d’Angleterre ainsi que de la prison de Pentoville. À ce moment-là, je me suis dit que ça y était, les scénaristes commencent à tomber dans la facilité et vont nous sortir des éléments dignes de 24. Parce que oui, un code secret qui ouvre toutes les portes, c’est bon pour 24 mais pour Sherlock, c’est un peu prendre les téléspectateurs pour des idiots (je m’excuse par avance auprès de ceux qui y ont cru, il est vrai que côtoyant le monde de l’informatique quotidiennement, ce genre de choses me fait plutôt sourire mais peuvent surement paraître crédibles aux non-initiés). Fort heureusement, le scénario nous offre par la suite une explication beaucoup plus satisfaisante, prouvant une fois de plus la maîtrise dans l’épisode.
Donc, Moriarty se laisse capturer puis juger sans broncher. Et là, je me suis posé la question : pourquoi ? Pourquoi ce tour de force si c’est pour se laisser avoir ensuite ? Deux possibilités me sont alors venues en tête :
- Il est déclaré coupable : il veut se faire enfermer en prison. Mais dans quel but ? La seule idée possible qui me venait en tête était qu’il avait posé un piège quelque part, une énigme retorse à destination de Sherlock et qu’il souhaitait le voir échouer dessus. Mais dès lors, pourquoi se faire enfermer ? Pour mieux montrer sa puissance et ainsi discréditer les capacités de Sherlock : bien qu’il soit enfermé, il est toujours capable du pire. Cela se tient.
- Il est déclaré innocent : là encore, il montre sa supériorité à tous et surtout sa supériorité face à Sherlock qui n’a pas réussi à convaincre le jury de le condamner. Là encore, l’idée est toujours de discréditer Sherlock.
Cette idée de discréditer s’avérait de plus en plus plausible au vue du début de l’épisode qui insistait énormément sur le gain de popularité de Holmes. Voilà, donc au bout d’à peine 15 minutes je savais vers quoi la série allait s’orienter au moins dans la demi-heure suivante, voir pour le reste de l’épisode : un peu décevant.
Il n’empêche que malgré cela j’ai pris un réel plaisir à suivre toute cette tranche de l’histoire, l’intérêt étant ici de surtout voir comment Moriarty allait discréditer Sherlock plutôt que de chercher à savoir ce que Moriarty voulait faire. Le tout est assez bien rythmé et ce fut un réel plaisir de voir Holmes assister impuissant à la mise en place du piège diabolique qui doit le conduire à sa perte. Celui-ci est bien huilé, tout s’emboite parfaitement et bien que je me doutais fortement de la finalité, le coup du Moriarty acteur m’a quand même surpris, montrant que même si la trame générale peut se comprendre aisément, le scénariste n’en a pas moins laissé de petites surprises fortement agréables.
Une première partie intéressante donc, qui change là encore des autres épisodes et, même si l’on peut se douter de la finalité, n’en reste pas moins très plaisante et maîtrisé. Toujours truffée de références à différentes œuvres de Doyle, elle prend le temps à la fois de nous poser des énigmes tout en ne sacrifiant pas la psychologie des personnages, fait assez rare pour le noter.
Et tout ceci nous conduit bien évidemment à l’inévitable et tant attendu face à face entre Moriarty et Holmes sur le toit de St Barts pour la résolution du problème final. Mais avant de revenir dessus, attardons nous un peu sur la réalisation.
En effet, Toby Haynes, déjà réalisateur de quelques épisodes de Doctor Who, succède à Paul McGuigan derrière la caméra. C’est la première incursion du réalisateur dans la série et il a la dure tâche de de coller au style de la série, pas forcément simple.
Et pourtant, il y arrive très bien. Il s’est en effet approprié aisément les différents codes de cette dernière, comme l’analyse détaillée des personnes ou encore l’apparition des sms à l’écran. On en voit également de nouveau comme la succession des une des magazines (qui est peut-être un peu too much) ou encore la représentation des données que Sherlock traite pour retrouver le lieu de détention des enfants, nettement moins flashy et ridicule que le palais mental du précédent épisode.
Certaines scènes sont par ailleurs assez marquantes, à l’instar du casse de Moriarty que j’ai trouvé bien mis en scène, mélangeant habilement les plans de différents protagonistes, le tout sur de la musique classique qui collait parfaitement à l’action. Et même si d’autres passages sonnent légèrement décalés (le Sinner Man de Nina Simone, bien que j’adore l’écouter, ne colle pas trop avec les images), le tout reste cohérent et agréable, ce qui est bien là l’essentiel.
Comme toujours, l’interprétation est impeccable, Cumberbatch et Freeman maîtrisent toujours à la perfection leur rôle, tant et si bien qu’il me sera difficile de voir d’autres adaptations de Sherlock Holmes avec des acteurs différents. Le personnage de Watson, plus particulièrement, alterne entre séquences humoristiques et séquences graves et Martin Freeman gère à la perfection ces changements, sans que cela ne paraisse trop décalé. J’aime vraiment sa composition pour ce personnage tout aussi important que Sherlock et qui se trouve bien au-delà des habituels compagnons que l’on peut trouver sur ce genre de série.
Quant au Némésis de Holmes, Andrew Scott campe cette fois un Moriarty beaucoup moins erratique que ce que l’on a pu voir. L’acteur maîtrise mieux son personnage et même si certaines de ses mimiques peuvent agacer, celles-ci vont très bien avec le personnage et permettent de rendre crédible son duel avec le détective. Les seconds rôles (parce que je crois ne pas en avoir encore parlé) sont eux aussi très bien, même si l’on préférerait parfois qu’ils soient un peu plus mis en avant.
Bref, au niveau de la forme, c’est pratiquement un sans-faute et c’est tant mieux tant il aurait été dommage de gâcher le face à face avec une réalisation aléatoire.
Et justement, parlons-en de ce face à face. Après une première partie dans laquelle Moriarty tend son piège à Sherlock, tous deux se retrouvent pour l’affrontement final sur le toit de St Barts. Et ce dernier est à la hauteur de l’attente et rehausse grandement la qualité de l’épisode. Tout au long de ce dernier, la tension est palpable et les acteurs s’en donnent à cœur joie pour dérouter le spectateur.
Tout à tour, on passe d’une idée à l’autre, d’un sentiment à l’autre sans vraiment savoir se poser, sans savoir vers quoi se tourner, ce qu’il va se produire. Tantôt on doute de Sherlock, tantôt on voit la folie de Moriarty. Sherlock ira-t-il sauter ou va-t-il trouver une parade ? Moriarty est-il aussi fou qu’il y paraît ou au contraire est-ce son plan ? Autant la première moitié de l’épisode je savais à peu près où il voulait en venir, autant là c’est beaucoup plus flou, malgré la révélation du début. On est pendant pratiquement 10 minutes à retenir son souffle, dans l’attente du dénouement du duel entre les deux hommes.
Et ce qu’il y a de formidable, c’est qu’à chaque fois que l’on pense que l’un d’eux prend le dessus sur l’autre, une pirouette scénaristique remet tout le monde à égalité. Ainsi, alors que l’on pensait que Sherlock avait le code et qu’il allait pouvoir s’en servir pour se sortir de ce mauvais pas, tout est mis à la poubelle lorsque Moriarty lui apprend qu’il s’est joué de lui. Et finalement, ce sont pleins de petits détails anodins que l’on avait vu dans la première partie de l’épisode qui nous sont montrés sous un jour nouveau et rendent l’affrontement encore plus intéressant.
Et finalement il y a ce geste de Moriarty. Alors est-il réellement mort ? Oui, je pense. Dans la nouvelle dont est adapté l’épisode, le personnage disparaît bel et bien et je pense que Moffat et Gatiss, en bons fans qu’ils sont, vont respecter cette part du récit, comme ils ont pu le faire avec Irene Adler. Pourquoi ce geste ? Difficile de l’expliquer tant le personnage est proche de la folie. Est-ce parce qu’il comprend que Sherlock va le battre, que Sherlock ne pourra vivre sans avoir un adversaire à sa hauteur ? Aucune réelle certitude et c’est tant mieux, le personnage garde, même dans sa mort, une part de mystère et d’incompréhension qui restera ainsi par la suite, je l’espère. Ce geste offre toutefois une conclusion aussi surprenante qu’inattendue à ce duel, complètement dans l’esprit de la série.
Quant à ce qui s’est passé ensuite, difficile de le commenter tant que toutes les pièces du puzzle ne seront pas connues. Néanmoins, je dois dire que la séquence d’adieu de Sherlock à Watson était émouvante et là encore très crédible, l’amitié entre les deux personnages ayant été bien mise en avant cette fois-ci. Les séquences qui suivent le saut sont quant à elle parfaitement millimétrées, suffisamment pour nous montrer ce que l’on doit voir sans pour autant nous en montrer trop ; on ne voit jamais le visage de Sherlock à terre par exemple, cela reste toujours flou.
J’apprécie également que le suspense quant à la mort du détective soit cassé en fin d’épisode : c’est bête mais le fait de savoir qu’il y aura une saison 3, ça casse un peu le tout. De même, vu comment l’épisode était construit et connaissant la suite de la nouvelle dans l’œuvre de Doyle, il aurait été stupide de laisser planer le doute sur la mort. Au contraire, le fait de savoir qu’il est vivant permet de lancer de nombreuses théories quant à la façon dont le détective s’en est sorti, ce qui est bien plus passionnant et captivant que le simple fait de savoir s’il est réellement mort ou non, suspense qui tomberait à l’eau dès la reprise de la série. Un season final différent du précédent donc, plus calme et posé mais pas moins passionnant.
Au final, ce dernier épisode est intéressant et il sera difficile de le juger pleinement tant que l’on n’aura pas eu la suite. Malgré quelques défauts, il n’en reste pas moins très plaisant à suivre et nous offre une confrontation entre Sherlock et Moriarty à la hauteur des attentes. La fin pourra rebuter mais elle a au moins le mérite de faire parler d’elle et de nous laisser pas mal de questions en suspens, questions qui, je l’espère, seront résolues convenablement par la suite.
J’ai aimé
- L’intrigue, assez bien ficelée
- Le face à face Moriarty/Sherlock
- Le final
- Les acteurs, comme d’habitude
J’ai moins aimé
- Avoir deviné le plan de Moriarty beaucoup trop tôt
- Certaines séquences un peu too much au niveau de la réalisation
15/20