Le "Jump the shark" est passé sous ma plume, le même sort a été réservé au "Crossover". Désormais, c’est au tour du "Pilote" d’être décortiqué par moi-même et pour vous, voraces sériephiles.
Alors, je tiens déjà à préciser que non, je ne parlerai pas de Lost dans ce volet. Ne vous laissez pas avoir par l’image, qui n’est que le fruit de mon humour douteux et des talents de graphiste de ce cher Galax. Je vais vous laisser quelques minutes pour vous remettre de cette intense déception, en vous racontant l’histoire du pilote.
Tout comme de nombreuses khôlles, que je passais en prépa, commencées par une (ou deux) pinte(s) de bière, une série se doit bien de débuter quelque part. Si le processus de création remonte à bien avant le pilote (casting, négociations, tout le tralala), c’est à travers ce dernier que s’inaugure réellement la vie d’une série. Le pilote est la première chose à laquelle nous, spectateurs, pouvons nous identifier ; c’est notre premier contact avec ce qui pourra se révéler être une bouse intersidérale (Truth Be Told, never forget), ou de la bombe interplanétaire (Banshee et Justified).
Néanmoins, le pilote ne représente qu’une simple étape dans le développement d’une série ; cette dernière peut tout simplement ne pas être commandée alors que le casting peut changer entre le premier et le deuxième épisode (exemple de Lucifer cette année).
Toutefois, cette étape est essentielle, parce qu’elle se doit de présenter au network les personnages, les idées de base, l’univers... Bref, ce qui représentera le fil directeur de la série, que les créateurs espèrent vendre. Après, je me fie d’habitude beaucoup plus au deuxième épisode pour juger de la qualité d’une série : le pilote demande beaucoup d’argent, énormément d’exposition et de mise en place, ce qui rend l’expérience quelquefois peu excitante.
Pour commander un pilote, il existe plusieurs façons de faire. Tout d’abord, il y a la "saison des pilotes" débutant en janvier. Tout ce qui a été acheté par les networks rentre en production, et une fois que tout est filmé et terminé, on procède à des screenings avec un public, pour déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Par la suite, tout ce qui est officiellement demandé est révélé lors de la période des upfronts (dont mes camarades MembreSupprime2 et Arnoglas vous présentent ici, ici et là, la version 2016-2017).
Après, il existe également ce que l’on appelle des backdoor pilots. Généralement, ce sont des épisodes diffusés dans une série-mère pour présenter une série dérivée. Pour vous donner un exemple concret, c’est ce qui va se passer lors de l’épisode 21 de The Blacklist, cette saison. Ce moyen permet de présenter au public sa nouvelle série et ses nouveaux personnages, tout en bénéficiant de l’audience de la série-mère. C’est également ce qu’il s’est passé pour The Flash, introduite avec le double épisode 2.08 et 2.09 d'Arrow.
Parce que le but est également de montrer des images en en limitant le coût, les créateurs de séries envoient des démos (des portions de trente minutes de l’épisode en question), de façon à donner aux chaînes un aperçu déjà plus détaillé du produit qu’elles vont peut-être acheter. Dans le procédé coûts/avantages, il y a encore pire (ou mieux, si vous êtes un affreux néolibéral) : les pilot presentations. Comme vous avez déjà dû le faire dans votre vie, cette méthode consiste à présenter les grandes idées de l’épisode en seulement quelques minutes. Le procédé peut d’ailleurs se répéter plusieurs fois, si jamais le pilote se révèle complexe à expliquer en si peu de temps.
Ceux qui déprimaient sur la non-présence de Lost dans cet article ont eu le temps de reprendre leurs esprits ; on passe donc à cinq de mes pilotes préférés, chacun représentant une qualité que j’attends d’un épisode introductif.
Le pilote qui te fait sentir que l’histoire vient juste de débuter : Continuum
Une des qualités d’un bon pilote est de nous fournir d’entrée une mythologie intéressante, de manière à nous inciter à continuer l’aventure, sachant que celle-ci a à peine commencé. Évidemment, cette caractéristique est plus à même de s’appliquer aux séries de genre, mais cela reste un bon moyen pour les scénaristes d’intriguer et de donner envie de revenir. J’aurais pu parler, par exemple, de Mr. Robot, mais la série reprend cet été, et on aura tout le loisir de vous en fournir des critiques en temps venu. À la place, je vais vous parler d’une série qui s’est malheureusement terminée cette année : Continuum.
Le pilote de Continuum est un très bon épisode de science-fiction : on a des décors futuristes, un futur dystopique au possible, et surtout une mythologie qui s’installe très vite. Les aventures de Kiera Cameron (Rachel Nichols… je t’aime), policière de 2077 qui se retrouve dans le Vancouver de 2012, vont très vite dépasser le simple cadre du procedural classique. Dès le pilote, la menace est posée : Liber8, un groupe d’anarchistes eux-aussi originaires de 2077, veulent empêcher le monde de se transformer en la dystopie qu’ils ont auparavant essayé de détruire. Beaucoup d’autres mystères sont posés dès le premier épisode, et les scénaristes prendront le temps pour les résoudre, délivrant quatre saisons de qualité.
Pilote qui aurait pu être développé à la place : Mr. Robot.
Le pilote qui n’oublie pas ses personnages secondaires : Chuck
Alors, j’aurais pu bien évidemment mettre celui d’American Crime Story, mais j’ai déjà écrit un article dessus, donc cela ne servirait pas à grand-chose de me répéter. Une des qualités de ce pilote avait été de nous présenter directement tous les personnages secondaires, en passant un peu de temps avec eux. Cela donnait une belle vision d’ensemble à la série, prouvant que cette dernière ne se limitait pas à O.J. Simpson – bien que je vénère Cuba Gooding Jr.
J’ai néanmoins dit que j’allais parler d’une autre série, et dans ma logique de grand écart intellectuel, je vais vous parler de Chuck. L’histoire du mec normal avec une grosse quantité de lose attitude sur les bords a été contée mille et une fois, mais la série de Josh Schwartz a réussi à développer un univers aussi loufoque qu’attachant, et cela a commencé dès le premier épisode. Quand de nombreux pilotes passent à peine sur les personnages secondaires, Chuck Versus the Intersect s’est au contraire reposé sur eux pour nous prouver qu’il y aurait bien deux parties dans chaque épisode : l’espionnage, et le Buy More. Lester, Jeff, Ana, Big Mike et Harry Tang (avant que celui-ci ne parte faire le gros lourd dans Dexter) représentaient la partie "normale" de la vie de Chuck, et qu’est-ce que j’ai pu rire avec eux lors de ce premier épisode ! Très vite, les scénaristes ont su doter leurs personnages secondaires d’une personnalité, les rendant ainsi tout de suite appréciables – et surtout très drôles. De plus, le pilote n’a pas du tout souffert du temps d’écran accordé au Buy More ; une raison de plus pour les scénaristes en herbe : présentez vos personnages secondaires dès le début, ça ne pourra que servir votre histoire plus tard. Parce que la procrastination finit toujours par vous revenir en pleine figure !
Pilote qui aurait pu être développé à la place : American Crime Story.
Le pilote qui se suffit à lui-même : Justified
Parfois, je regarde un pilote en me disant : « Et si c’était le seul épisode de la série ? ». Bien évidemment, cela ne fonctionne presque jamais comme ça, mais j’aime bien regarder un premier épisode en me disant qu’il pourrait se suffire à lui-même. Je ne vais pas mentir, cela ne m’est pas arrivé souvent. À l’exception du pilote de Justified.
Basé sur la nouvelle Fire in the Hole d’Elmore Leonard – producteur exécutif du show –, le pilote aurait très bien pu être une simple histoire fermée, nous contant les tribulations du U.S. Marshal un peu trop enthousiaste à l’idée de tuer des gens, Raylan Givens, interprété par un Timothy Olyphant au sommet de la sexitude. Il y a de tout dans ce pilote : des personnages secondaires hauts en couleur, des dialogues superbement écrits, un univers qui s’impose rapidement et des performances d’acteurs au top. L’histoire de la rivalité entre Raylan et son ancien ami Boyd Crowder (Walton Goggins… j’ai pas de mots pour définir le génie de cet homme) incarne donc le thème principal de l’épisode, les scénaristes mettant l’accent sur les liens unissant les deux hommes et ce que cela implique dans le déroulement de l’intrigue. Fire in the Hole s’impose donc comme un pilote qui pourrait se suffire à lui-même, parce qu’il délivre une intrigue fermée de qualité. Néanmoins, et c’est là l’une des ses grandes forces, Justified a réussi à garder tous les ingrédients de son pilote, tout en agrandissant son univers de saison en saison. Et puis, bon, je pourrais regarder une série entière avec Timothy Olyphant et Walton Goggins mangeant des glaces en parlant de leur passé.
Pilote qui aurait pu être développé à la place : Comme dit dans cette sous-partie, je n'ai pas eu l'occasion d'assister à un pilote aussi bien bouclé que celui-ci. Je ne demande qu'à être à nouveau surpris.
Le pilote qui te met direct dans l’ambiance : Friday Night Lights
Le pilote représente notre première introduction à l’univers de la série, il faut donc qu’il en pose les bases, et notamment celles de son univers. Cela permet d’accrocher le spectateur, s’il aime ce qu’on lui propose. À ce petit jeu, Friday Night Lights – une de mes séries préférées all time – est très, très forte.
Son pilote nous plonge en effet directement dans la ville (fictive) de Dillon, au Texas. Celle-ci possède une particularité : elle vit du football américain, par le football américain et pour le football américain. Cela rythme toutes les semaines, qui s’organisent autour de la rencontre de leur équipe du lycée. Pour coacher cette dernière, arrive l’un des tous meilleurs personnages du monde des séries : le coach Eric Taylor. Il a une femme et une fille adolescente ; il va devoir s’occuper des jeunes joueurs du lycée de Dillon, considérés très vite comme les favoris incontestables du championnat. On rencontre les personnages un à un : Smash la tête brûlée, Jason Street le quarterback posé, Riggins le bad boy alcoolique et Matt, le discret quaterback remplaçant. On rencontre leurs proches, leurs familles. On se retrouve happé par la ferveur et la pression qui les entourent, et le rythme s’intensifie lorsque le match commence.
J’adore le sport et les moments qu’il permet d’expérimenter ; c’est peut-être pour cela que j’ai été aussi affecté par ce pilote. L’émotion brute, la douleur, l’envie de se battre : j’ai vibré durant toutes les scènes concernant ce match de football américain, j’ai souffert au moment dramatique de l’épisode, j’ai applaudi des deux mains la conclusion. Bref, j’étais rentré dans l’ambiance de Friday Night Lights, et jamais je ne l’ai quittée.
Pilote qui aurait pu être développé à la place : Jessica Jones.
Le pilote pas forcément irréprochable, mais qui te donne tout de même envie de revenir la semaine suivante : Mozart in the Jungle
Enfin, de façon très pragmatique, un pilote doit donner envie de revenir la semaine d’après. Il peut le faire en développant un des quatre thèmes cités au-dessus, ou même combiner les quatre – ce qui est notamment le cas de Justified –, te donnant une envie immédiate de continuer la série. Après, il en existe certains qui ne sont pas forcément irréprochables, où tu vois à des kilomètres les problèmes qui viendront éventuellement pourrir la série quelques épisodes plus loin, mais qui te donnent quand même une furieuse envie de revenir la semaine suivante.
L’adjectif "furieuse" n’est pas réellement adapté à Mozart in the Jungle, je dois bien le reconnaître. Néanmoins, le pilote de la dramédie musicale d’Amazon se révèle extrêmement sympathique. Cela ne l’empêche tout de même pas d’être imparfait, présentant notamment des storylines peu intéressantes qui nuiront à la première saison dans son ensemble – je te regarde, histoire d’amour entre Thomas et Cynthia. Pour autant, il propose une histoire cohérente, se reposant beaucoup sur les performances de ses acteurs, tous plus irréprochables les uns que les autres. Développant, en outre, une sympathique réflexion sur le monde de la musique classique, et nous offrant également de très beaux moments musicaux, il possède ainsi un gros capital sympathie. Qui donne donc furieusement envie de voir la suite !
Pilote qui aurait pu être développé à la place : Lucifer.
Et vous, chers lecteurs, quels sont vos pilotes préférés ?