La saison 2012-2013 sérielle s'est terminée depuis un mois déjà et le constat reste encore le même, année après année : les gens (et surtout les jeunes) ne regardent pas de fiction française. Pourtant, cette année on entrevoit enfin un peu d'espoir.
C'est la crise ! Cette information nous est sans cesse répétée, comme un mantra dont on ne sait plus très bien s'il doit conjurer le sort ou nourrir une peur immédiate de l'avenir. Pourtant, le citoyen lambda ne sait pas que la crise existe aussi dans le monde télévisuel. Cette maladie a un nom : c'est la crise de la fiction française !
Depuis le début des années 2000 et le retour en force des séries TV, la série télé française disparait peu à peu des écrans, dépassée dans son format, sa production et ses idées. Au milieu des années 2000, le constat est terrible : 60 % des productions de fiction diffusées sont d'origine étrangère. En 2012, la fiction française n'a réalisé que cinq des fameuses cent meilleures audiences de l'année. Cette dernière est d'ailleurs la seule dans le monde à ne pas s'exporter à l'étranger. A titre d'exemple, un épisode de Docteur House rapporte 6,9 millions d'euros en moyenne à TF1 (pour un achat groupé de 175 000 euros par épisode), tandis que la série Doc Martin lui en garantie 2,3 millions (à 700 000 € l'épisode). Soit une rentabilité de 1,6 millions pour Thierry Lhermitte contre 6,7 pour Hugh Laurie. Pour les chaînes, le calcul est très vite fait.
De la même manière que le cinéma français, par le biais du CNC (Centre Nationale de la Cinématographie et de l'image animée), se voit attribuer des quotas de production, les chaînes ont également une obligation de produire et de diffuser français. Sans cette contrainte légale, les chaines privées (M6 et TF1 en tête) seraient depuis très longtemps passés au 100% US. Sauf que cela ne marche pas.
Pourtant, les origines de cette crise ont été rapidement diagnostiquées. Il suffit pour cela de traverser la Manche, d'allumer la BBC et de tomber sur n'importe quelle fiction pour comprendre toute la différence.
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Ces deux mots en ouvertures de générique font toute la différence. La grosse erreur de la production française est d'avoir très vite considéré la série TV comme le parent pauvre du cinéma (tout comme on considère aujourd'hui le jeu vidéo comme du mauvais cinéma), alors que les deux obéissent à des mécaniques radicalement opposées, mais pas forcément contradictoires. Si le cinéma est le média de la caméra, la série est indéniablement celui de l'écrit (et il suffit d'en regarder quelques-unes pour s'en rendre compte).
Dans cette optique, le scénariste a un rôle fondamental. Dans chaque production européenne et américaine, c'est lui qui est mis en avant au travers d'un poste clef, celui de showrunner. Ce dernier est la personne responsable du travail quotidien sur une série, il veille à assurer une cohérence entre « tous les aspects généraux du programme dont il est responsable » (Wikipédia). Pour pouvoir donner un ton particulier, une patte à une série de plusieurs épisodes, de plusieurs saisons, il faut quelqu'un à sa tête, chargé d'avoir une vision à long terme de l'ensemble. Showrunner et série sont très souvent indissociables. Si on respecte souvent Mad Men, c'est indéniablement à cause de la vision de Matthew Weiner. Si on loue la cohérence de The Good Wife, c'est parce que Robert et Michelle King maîtrisent tous les fils de son intrigue.
La France a, à la fin des années 80, transformé son modèle audio télévisuel de fiction en reportant directement sur le petit écran le succès du grand écran (en plein essor à l'époque). On l'a très souvent largement oublié, mais jusqu'à la fin des années 70, l'ORTF diffusait des 5x24 minutes, semaine après semaine.
Cette volonté de conserver un public fidèle et captif a conduit directement les producteurs dans une impasse. Navaro, Julie Lescaut et Joséphine, Ange Gardien sont tout issus de cette idée : faire une suite de téléfilms d'une heure trente, sans aucun fil rouge scénaristique et entrecoupés d'une jolie coupure de publicité. De là découle une production d'épisodes en bloc (je défie quiconque de comprendre quelque chose au découpage d'Une Famille Formidable) qui sont ensuite multi-rediffusés. Alors que TOUT le monde est passé au format 52 minutes permettant un bouclage rapide des intrigues, la France est restée bloquée dans les années 80. La fidélisation d'un public autour d'un personnage « leader » que l'on suit d'année en année garantit directement à la chaine le jackpot à chaque rediffusions. Minimisation des risques, maximisation des profits.
Ce modèle a un effet assez pervers. La faible rémunération des scénaristes les pousse à prendre le moins de risques possibles dans leur écriture. Ainsi, un succès très rediffusé assure également au scénariste une manne financière constante. Dans le même ordre d'idée, les droits d'auteur en France sont versés aux scénaristes uniquement en cas de diffusion de leur oeuvre. Les commandes de séries ou de saisons, quand elles sont refusées par la chaine après coup -et qui ont pourtant nécessité à l'auteur des mois et des mois de travail- sont très faiblement rémunérées. Les auteurs sont donc soumis continuellement aux souhaits changeants des producteurs-diffuseurs. En outre, l'auteur d'une oeuvre cède de plus en plus fréquemment ces droits au producteur pour une durée définie, mais très longue. La chaine n'a donc plus qu'un seul interlocuteur pour négocier : le producteur. Du coup, « les scénaristes sont de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir renégocier les termes du contrat en cas du succès de long terme » (extrait de l'Etude Statistique du Ministère de la Culture de 2007).
On touche ici du doigt le second problème des fictions françaises : le conformisme. Combien aura-t-il fallu de temps avant de voir une fiction centrée sur autre chose qu'un juge / un avocat / un médecin / un groupe de flics ? La télévision doit être le terrain de l'innovation. Mais pas en France. En France, lorsqu'on fait un crossover entre Avocats et Associés et PJ (diffusé à la suite dans la case du vendredi soir « Une soirée de polar » sur France 2), c'est mal vu. Si la France excelle dans la short-com, c'est justement parce que ce sont des lieux où l'on peut tenter des choses et proposer des oeuvres innovantes (Bref, Kaamelott et même Caméra Café avec son système de plan fixe).
Or, le paysage audiovisuel français (le PAF pour les intimes) ne dispose que d'une seule case de diffusion pour les séries : le sacro-saint Prime-Time à 20h50. La télévision américaine découpe scrupuleusement ses grilles heure par heure (ou demi-heure, par demi-heure pour les sitcoms) tous les jours de semaine de 20h à 23h00, tandis les chaînes françaises envoient leurs nouveautés en première ligne à 20h50. Au lieu de les faire bénéficier de l'aspiration d'un lead-in, M6, TF1 et France TV lancent de longs tunnels de rediffusion : trois épisodes par soir. Ce qui est totalement énervant, c'est que la transposition du système américain en France a déjà fait ses preuves. Oui, c'est bien de la fameuse Trilogie du Samedi que je parle, elle-même adaptée du format Thrillogy de NBC. Cette triple case de diffusion a permis en France le développement populaire de séries télé comme Buffy. Cette triple case s'est pourtant arrêtée en 2008, faute d'audience, alors que M6 diffusait déjà depuis des rediffusions de NCIS depuis plus d'un an.
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Canal + a été la première chaine à réagir. Elle bénéficie d'un avantage certain : son système d'abonnés lui assure une plus grande visibilité financière que les chaînes ne dépendant que des annonceurs. Après des années de tâtonnement, la case du lundi soir semble avoir trouvé sa place dans le cœur des téléspectateurs. Les succès récents de la chaine (Borgia, les Revenants, etc) semblent lui avoir donné raison. Longtemps centrée sur deux thèmes forts, complémentaires et vendeurs (En gros : le sexe et la violence), la fiction de Canal + est aujourd'hui ouverte à d'autres genres. Le succès critique et public des Revenants montre qu'une autre voie fictionnelle est possible. Cette série est d'ailleurs emblématique de ce qu'il faut faire en terme de production. Le terme n'est jamais prononcé ni dans le générique, ni ailleurs, mais Fabrice Gobert est bien le showrunner du show.
C'est lui qui détient les ficelles et les clefs. C'est encore lui qui réalise les deux premiers épisodes, donnant ainsi à sa série une palette graphique immédiatement reconnaissable (le même système est par exemple à l'œuvre avec le pilot de Boss, réalisé par Gus Van Sant). Les réalisateurs suivants n'ont qu'à suivre cette charte pour conférer au show une unité visuelle indispensable. Pourtant, et malgré le succès de la série, Canal + est incapable de garantir une annualité pour cette série, qui ne « revenant » qu'à l'automne 2014, aura largement le temps d'être oubliée par les téléspectateurs.
Alors, pourquoi être confiant ? Parce que Plus Belle la Vie.
Non, ne riez pas. Plus Belle la Vie est probablement la meilleure chose qui soit arrivée à la fiction française depuis trente ans. PBLV pour les intimes est la première oeuvre de fiction quotidienne sur la télévision française (alors que cela existe depuis 1985 en Grande Bretagne, sur la BBC avec EastEnder). Malgré un départ extrêmement poussif (1,7 % de part de marché en moyenne le 1er mois) et alors que tout le monde la raillait à l'époque, France 3 a maintenu sa confiance dans le programme... qui cartonne aujourd'hui. Car oui, Plus Belle la Vie rapporte de l'argent, beaucoup d'argent. Dans un contexte de crise et de suppression massive des bons programmes, c'est important. Il est d'ailleurs purement aberrant que la série n'ait pas déjà eu son spin-off. A titre d'exemple, la célèbre Coronation Street (diffusé sur ITV depuis 1960) en a eu trois.
« Broadcast By »
Ce succès unique en France (et copié sans confiance, ni talent par les chaînes privés) irrigue massivement la fiction française de France Télévision. Alors pourquoi j'en parle maintenant, alors que la quotidienne est diffusée depuis presque dix ans ? Parce que France 4. A la rentrée, la 4ème chaine publique aborde un virage innovant. En proposant un access-prime time tourné vers Doctor Who diffusé en intégral chaque soir, couplé avec une diffusion quotidienne de la saison 3 d'Hero Corps étalée sur six semaines, la chaine semble enfin coller à sa mission première : « La vocation [de la chaine] est d'attirer et de fidéliser les jeunes et les jeunes adultes en exposant les nouveaux talents des scènes actuelles (musique et spectacle) [...] France 4 renforce son engagement en faveur de l'innovation et de la création par la mise à l'antenne de nouveaux formats » (extrait du décret numéro 2009-796 du 23 juin 2009).
Alors oui, mille fois oui, l'argent manque et France 4 n'a que peu de moyens (40,2 millions d'euro de budget pour la saison 2013-2014). Pour vous donner une idée, TF1 c'est aux alentours de 900 millions (ou W9, 80 Millions). Mais, l'argent ne fait pas tout ! La création l'an dernier du Studio 4.0, plateforme de webcréations associée à la chaine, est sans aucun doute le premier pas vers la fin du tunnel. Les 18-25 (et plus) le savent bien : la consommation des séries s'effectue désormais sur le net. Le Studio 4.0 propose donc de découvrir de nouveaux programmes (la qualité est variable, mais on peut tomber sur de véritables pépites) et en subventionne d'autres déjà assez bien ancrés sur internet. Le Visiteur de Futur est de ceux-là. Au vu de la quantité impressionnante de fans du show, il est assez aberrant que François Descraques, son créateur, n'ait pas été recruté plus tôt par une chaine généraliste. Dans quasiment n'importe quel autre pays, il serait déjà à la tête d'une plus grosse production.
Alors oui, et je n’ai pas peur de le dire, je pense que le Visiteur du Futur représente -en partie- le futur de la fiction française. Les choses sont d’ailleurs en train de changer. Les ados fans de séries américaines de la fin des années 90 – début 2000 ont aujourd’hui presque trente ans et arrivent aux postes décisionnels. En mars 2013, la Femis (Fondation européenne des métiers de l'image et du son), première école française de l’audiovisuelle, a mis fin à une aberration française en ouvrant un nouveau département consacré à l’écriture de série, grâce à une aide financière conséquente du CNC (250 000 euros par an). Former des jeunes scénaristes aujourd’hui (et des showrunners demain ?) est la condition première essentielle pour mettre fin à la crise.
Le succès de la création originale d’Europe du Nord (avant de diffuser Real Humans, la suédoise STV1 avait, il y a un peu moins de dix ans, un modèle quasi similaire à celui de France 2) montre que la voie est tracée. Il ne reste plus aux chaines françaises qu'à l’emprunter, avec courage et détermination.