J'ai un grand respect pour Bruno Dumont.
Et pas seulement parce qu'il est né, comme moi, à Bailleul (59270, ville des Flandres, quinze mille habitants) où, il y a peu, on pouvait trouver les meilleurs sandwichs américain-fricadelle du monde.
Non, j'aime l'homme en tant qu'artiste ayant un univers bien à lui, même si ses films sont peu évidents, pas propices à la gaudriole, voire qualifiables de bien barrés et dans lesquels défilent une galerie de visages cassés et d'abrutis congénitaux, très souvent interprétés par des acteurs non-professionnels. Il y a quatre ans, le cinéaste nous avait envoyé en pleine tête une série hallucinée et hallucinante, P'tit Quinquin, où pour la première fois (il récidivera avec Ma Loute) il injectait à son cinéma une grosse dose d'humour. Un humour bizarre, foutraque et déconcertant certes, mais un humour tout de même.
Frétillant comme un gardon, je m'étais jeté sur le pilote et j'en étais ressorti emballé. Mais les trois épisodes suivants avaient torché mon enthousiasme qui s'était refroidi, tel une frite laissée trop longtemps dans l'assiette. La série s'était dégonflée, l'humour se raréfiant ou devenant grotesque (caresser un cheval durant plusieurs minutes). Et ultime pied de nez, Bruno Dumont ne résolvait pas son enquête, le duo d'inspecteurs partait en rigolant lors du dernier plan tels des sales gosses ayant fait une mauvaise blague et Dumdum ne récompensait même pas les téléspectateurs qui avaient tenu jusqu'au bout, laissant tout le monde le bec dans l'eau. J'étais déçu, déçu.
Mais voilà que quatre ans plus tard, contre toute attente, la série renaissait de ses cendres et proposait une suite des aventures de Quinquin et consort avec Coincoin et les Z'Inhumains. Et comme je ne suis pas homme à apprendre de mes erreurs, c'est plein d'espoir que je remontai à bord. Alors, hein ?
Invasion of the Body Snatchers à la sauce maroilles
Qu'est ce qui a changé par rapport au P'tit Quinquin ? Réponse nette et précise : quasiment rien.
Dès les premières minutes, on retrouve les mêmes décors, les mêmes personnages et la même ambiance. Quinquin (toujours interprété par Alane Delhaye) a grandi et se fait désormais appeler Coincoin, et il s'est rapproché d'un parti Identitaire. Le duo de gendarmes pas doués Van Der Weyden et Carpentier continuent de traîner leurs guêtres un peu partout en gueulant sur les jeunes en scooter tout en philosophant sur tout et rien. Même le curé chelou est toujours présent. Après la série de meurtres dont nous ne connaîtrons jamais l'identité du tueur, un nouveau fléau frappe la région : une mystérieuse bouse noire tombe du ciel et contamine les humains qui engendrent un double d'eux-mêmes. Les Aliens envahissent la Côte d'Opale !
Ce qui n'a, heureusement, pas changé non plus est l'extraordinaire talent de Bruno Dumont pour filmer (que dis-je sublimer), les paysages du Nord, ses champs avec ballot de pailles, ses villages quasi-déserts aux maisons de tuiles rouges, ses campagnes au profil plat ou ce ciel nuageux. Le cinéaste a vraiment du talent et Coincoin et les Z'Inhumains est beau à voir, prenant parfois l'allure d'un tableau animé de peinture naturaliste.
On retrouve aussi l'univers de la première série, ce monde de babaches, de nig'doulles, de toutoules et de nonoches, des tronches pas possible avec un intellect limité, un phrasé ou une prononciation défaillante. Cela crée vraiment une atmosphère spéciale et fascinante à la série. Et surtout cet humour foutraque est toujours présent. Car si pour vous l'équation Humour + Haut de France = Dany Boon, le comique né à Armentières (vingt-et-un kilomètre de Bailleul en passant par la nationale, ville rivale et évidemment moins belle que Bailleul), passez votre chemin. Car dans Coincoin, l'humour est biscornu et difforme, basé sur la parodie, le décalage, l'exagération, le non-sens et le grotesque. Forcément, ça passe ou ça casse.
Perso, j'aime bien et le premier épisode m'a fait marrer. J'avoue un plaisir coupable pour le Commandant Van der Weyden, le champion toutes catégories du jouer trop, des grimaces, du gonflage de joues, du fronçage de sourcils, des tics faciaux et des dialogues énormes, le duo qu'il forme avec son second me fait bien rigoler. Je comprends qu'on puisse être réfractaire voire allergique au personnage, mais je ne me lasse (presque) pas de ses mimiques et autres « C'est quoi ce bordel Carpentier ? ». Au point d'oublier à quel point ce personnage est odieux, raciste, misanthrope, homophobe, autoritaire et libidineux.
Je retrouvais donc avec plaisir ce que j'avais aimé dans la série mère, accouplé à un synopsis délirant, un démarquage des Invasions des Profanateurs de Sépultures. Mais, comme dans P'tit Quinquin, le deuxième épisode allait faire effondrer le château de cartes.
Bienvenu chez les Ch'Twin Peaks
Comme dans la première série, toute la mécanique se grippait dès le deuxième épisode. Le rythme, déjà pas folichon, chutait une nouvelle fois, le burlesque tombait à plat, le comique à répétition s'épuisait, les plaisanteries duraient au-delà du raisonnable et les scènes se voulant comiques devenaient gênantes. Une nouvelle douche froide venait de m'être jetée en pleine face. Sauf qu'en fait – je ne l'ai compris qu'à partir du troisième épisode – cette chute de tension était volontaire, Dumont avait un plan pour purger les derniers indécis.
Et d'ailleurs, si je vous dis : un auteur qui n'en fait qu'à sa tête avec un sens de l'humour qui ne fait rire que lui, un univers difficile d'accès, une pointe de fantastique, des personnages névrosés et qui poussent des cris d'animaux, un comique parfois à côté de la plaque et embarrassant, des effets spéciaux très "spéciaux", des faux raccords à foison, une histoire de doubles, des spectateurs déroutés qui se demandent si on s'est pas un peu foutu d'eux, je ne donne pas l'impression de résumer la saison 3 de Twin Peaks ? Vous savez, ce très conversé retour de la série culte l'année passée, sur lequel nos spécialistes sont encore en train de plancher pour statuer s'il s'agit d'un coup de génie ou de l'arnaque ultime de l'histoire des séries ? Vous ne trouvez pas ? Hein ?
En effet, dans l'esprit, il y a énormément de points communs entre les séries de Dumont et de Lynch, notamment le fait de vouloir constamment prendre le spectateur à contre-pied. Et Dumont est très fort aussi dans le domaine. Très rapidement, il ne cache pas qu'il se contrefout totalement de son histoire et n'hésite pas à spoiler la contamination d'un de ses personnages principaux dès le (très beau) générique. Tout comme il change les règles du jeu de l'invasion des Z'Inhumains, quand cela l'arrange et selon les besoins d'une scène, car parfois la personne clonée collabore avec son sosie tandis que d'autres fois, elle semble ignorer totalement qu'elle a un double. Il "s'amuse" aussi (entre guillemets, car c'est plus relou qu'amusant) à faire durer le moment où les gens découvrent leurs doppelgängers, tout comme David Lynch, dans Twin Peaks, prenait son pied à retarder le vrai retour de Dale Cooper.
Et pour nouvelle analogie, le dernier épisode de Twin Peaks n'avait apporté aucune des réponses attendues, mais au contraire avait renvoyé le spectateur dans de nouvelles questions, la fin de Coincoin est... difficile de trouver un mot… inattendue, pour faire dans l'euphémisme. Car comme on s'en doutait, Dumont ne résout aucun arc et termine avec une scène WTF, sans queue, ni tête, où se mêlent une farandole de carnavaleux, de majorettes, migrants, extra-terrestres, représentants des religions, morts-vivants (si, si) et un goéland. C'est sûr que beaucoup ont dû faire la gueule une fois le générique tombé et on ne pourra pas reprocher à Dumont de taper dans le happy-end prévisible et consensuel.
Mais du coup, cette volonté de faire du nawak et du troll à tout-va aboutit à une sorte d'état second. Comme Twin Peaks saison 3, je suis rentré dans une espèce de fascination où au début de chaque nouvelle scène, je me demandais ce que j'allais voir, sachant que tout et n'importe quoi pouvait arriver. Et c'était souvent le n'importe quoi qui débarquait.
Point en plus : Coincoin et les Z'Inhumains, comme Twin Peaks, amuse, perturbe, ennuie parfois et frustre, mais n'émeut que très rarement. Il est très difficile de ressentir vraiment quelque chose pour les personnages trop occupés à faire leur petit numéro. C'est pourquoi je veux mettre en lumière Alane Delhaye, l'interprète de Coincoin, qui a réussi à me toucher sur une scène ou deux, lors de son amourette avec Jenny où il parvient à laisser subrepticement exprimer toute la solitude de ce grand dadais en manque d'affection et de tendresse. Chapeau Coincoin.
Plan 59 62 from outer country
Donc une fois que j'ai avalé l'idée que Dumont s'amusait à filmer le plus grand bordel possible, j'ai pris mon pied, m'amusant à noter les clins d'œil disséminés. Ici les Oiseaux d'Hitchcock. Ces extra-terrestres qui ressuscitent les morts, ce n'est pas une référence au Plan 9 from Outer Space d'Ed Wood ? Et le "brin" alien, cela pourrait faire écho à l'huile noire de X-Files. Et ainsi de suite. Mais il y a tout un pan de Coincoin et les Z'Inhumains qui ne m'a pas fait rire et m'a rendu perplexe : il s'agit de tout ce qui a trait aux migrants.
En effet, l'action se passe près de Calais et très régulièrement, la série nous montre des groupes de réfugiés (terme que je préfère à celui de migrants, trop discriminatoire selon moi) errant par groupe sur les routes de campagne. J'avais lu dans l'interview dans les Inrocks de Bruno Dumont que celui-ci refusait de donner un message sur le sujet, que ce n'était pas son rôle d'artiste (en substance car j'ai lu l'article vite fait, dans un kiosque à journaux, entre deux trains (bonjour le professionnalisme)). Et si c'est vraiment ce qu'il a dit, je trouve que c'est une mauvaise chose, selon moi, car du coup, le message n'est pas clair et il y a vraiment ambiguïté sur le propos.
Même si on nous dit à la fin qu'un des premiers signes de l'Apocalypse qui s'abat sur la Terre est la présence de ces réfugiés, l'explication manque de précision. Est-ce parce que l'Humanité n'est plus capable de solidarité et n'aide plus des gens en détresse ou parce que la Flandre profonde est "envahie" de groupes de Blacks ? En donnant un rôle plutôt sympathique au Bloc Identitaire (en tout cas jamais antipathique), en faisant parfois un drôle de parallèle entre l'huile noire qui tombe du ciel et les groupes de réfugiés (le "Après les Extraterrestres, voilà les trous noirs" de Van der Weyden), Coincoin joue avec le feu. Et comme en plus, jamais la parole n'est donnée à ces délocalisés, cela les déshumanise et ils apparaissent comme une incongruité. Les seules fois où ils s'expriment, c'est pour... chanter des chansons africaines ! Gloups.
Honnêtement, je suis persuadé que Dumont n'est pas raciste, mais en ne prenant pas parti, il laisse la liberté aux gens d'interpréter (mal) ce qu'il illustre. Là où je ne le défends pas est lorsqu'il se sert aussi des gens de couleur comme ressort comique. Ainsi, lors de la découverte de l'obélisque recouvert de glu, parmi le groupe, quand arrive l'Iman, on sent qu'il est là juste parce ce qu'il y aura un gag derrière. En effet, nos deux gendarmes lui mettront un vent. Je peux citer le gros plan sur le seul enfant de chœur noir et la réflexion raciste de Carpentier. Mais là où la série touche le fond et provoque un trouble malaisant est lorsque Van der Weyder est "blackfacé" par la substance noire et que les réfugiés se mettent autour de lui pour chanter une chanson tribale. Malaise, malaise. On dirait un gag sorti du plus profond et nauséabond film des années 80, ces films franchouillards au racisme décomplexé où se sont perdus les Paul Préboist, Michel Galabru, les Charlots (quand ils n'étaient plus que trois) et tutti quanti.
Bref, dès que les migrants apparaissent à l'écran, j'ai ressenti une vraie gêne. Peut-être est-ce la volonté du réalisateur de vouloir choquer ou de provoquer du malaise, mais je trouve qu'il y a trop de flou dans les propos et une drôle d'odeur nauséabonde dans le fond.
Coincoin et les Z'inhumains est un véritable OVNI, terme souvent galvaudé, mais qui trouve tout son sens ce coup-ci, une série que je ne conseillerai pas forcément, mais dont il faut saluer le caractère atypique. C'est comme manger une tarte aux maroilles au petit déjeuner, ça dégage une odeur forte, c'est fort en bouche, cela ne va pas plaire à tout le monde, mais l'expérience aura ses fans, notamment parmi les blasés des séries formatées et sans surprise qui pullulent sur Netflix, par exemple.
J'ai aimé :
- Le duo Van der Weyder & Carpentier, des personnages bigger than life comme je les kiffe.
- Des dialogues surréalistes et énormes. Mon préféré : « ma main à coup que ce goéland n'a rien d'humain ».
- Parce qu'on beau dire, on a beau faire, Coincoin est une série unique, originale, à l'atmosphère inédite.
- La mise en scène élégante.
Je n'ai pas aimé :
- Toute la partie migrants, très maladroite pour ne pas dire autre chose.
- Cette deuxième série est davantage un copier-coller de P'tit Quinquin, il n'y a pas de vraie nouveauté ou d'évolution.
- Eve déjà plus en retrait par rapport à la saison 2 et qui disparaît au fur et à mesure de la saison.
- Leuleu et son double qui jouent à cache-cache.
- Le curé, vraiment trop creepy.
- La fin où trop de nawak tue le nawak.
Ma note : 15/20 (mais uniquement parce que je suis un peu maso)
Le Coin du Fan (de Bailleul) :
- Bailleul en Belgique se dit Belle. C'est pas la classe ça ?
- C'est tout pour le Coin du Fan.
Bonus : Le Coin du Fan-art
Signé Soupe.