Plus de deux ans nous séparent de la fin de la saison 5 de Better Call Saul. L’attente aura été à la limite du soutenable pour nous, pauvres spectateurs, qui avions été laissés dans le plus grand flou quant au sort des personnages : Kim passant du côté obscur à la surprise de Jimmy, Nacho causant le courroux de Lalo et tutti quanti. Il est temps désormais pour la série de rentrer dans sa dernière ligne droite. Les scénaristes, qui avaient par moment joué la montre, pourront cette fois-ci difficilement justifier cet écueil. Le co-créateur Peter Gould promettait d’ailleurs récemment un début sur les chapeaux de roue pour cette ultime saison. À nous maintenant d’en juger !
Le début de la fin
AMC nous fait cadeau de deux épisodes de près d’une heure. La première impression qui ressort après le visionnage est... un sentiment étrange de surmenage, résultat des efforts de concentration requis. Après une si longue période de sevrage, il est un peu difficile de retrouver ses marques tant l’intrigue ne laisse aucun répit et les détails et autres références fusent. Peter Gould n’avait finalement pas tort : le rythme est effréné. Son acolyte Vince Gilligan avait même avoué qu’après l’avant-première des deux premiers épisodes (réservée à la presse), quelques spectateurs s’étaient sentis un peu perdus, certains ayant même eu du mal à reconnaître des personnages (sans doute les Kettleman).
Et pour cause : le rythme de ces deux épisodes est plus soutenu comparé à d’habitude. Les évènements s’enchaînent avec la sensation que les scénaristes sont obligés de mettre un gros coup d’accélérateur, sans quoi ils ne pourront traiter toutes les questions en suspens et faire le pont avec Breaking Bad. Ils n’hésitent donc pas à recourir à des ellipses, et ce, sans jamais adopter un ton didactique, si bien que certains moments pourront créer la confusion.
Par exemple, il n’est expliqué nulle part explicitement que, depuis tout ce temps, Lalo a un sosie qu’il garde au chaud et qu’il se sert de celui-ci pour feindre sa mort. Même chose pour le plan de Gus qui n’est pas immédiatement clair : faire croire au Cartel que Nacho est le commanditaire du meurtre de Lalo et s’en débarrasser en déclenchant une fusillade avec les Salamanca. Le même constat s’applique aussi sur le plan de Jimmy et Kim pour saper la carrière d’Howard : ils font croire aux Kettleman qu’Howard est un consommateur de drogue et qu’il les aurait mal conseillés dans leur affaire de blanchiment d’argent qui remonte à la saison 1. Nous avons l’impression que les personnages planifient cinq coups à chaque tour dans ce jeu d’échecs, et en saisir toutes les nuances devient de plus en plus complexe.
Le chemin ou la destination ?
Ainsi, ce manque de didactisme est à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction, car les scénaristes nous placent dans le feu de l’action sans fioritures, allant à l’essentiel. Une malédiction, car cet empressement laisse planer le doute ou la confusion sur certaines actions des protagonistes. Comment Lalo fait-il pour déplacer le corps de son double en si peu de temps avant l’arrivée de la police ? De même, l’évolution de Kim peut sembler un peu trop abrupte.
En effet, la grosse question de la fin de la saison 5 concerne le personnage de Kim (qui avait été jusque-là présentée comme un personnage moral malgré sa participation aux malversations de son mari). Or, en ce début de saison, elle devient très sûre d’elle et n’hésite pas à aller plus loin que Jimmy pour arriver à ses fins (préférant le bâton à la carotte). Ce parti pris est déconcertant, là où les scénaristes avaient l’habitude de faire des zigzags avant d’entériner l’évolution d’un personnage. Le risque serait que, par manque de temps, les créateurs commettent l’erreur de la précipitation, surtout que Better Call Saul est une série qui se concentre plus sur le chemin que la destination, ou plutôt ses ramifications.
Le flou artistique
Toujours est-il que les scénaristes arrivent à maintenir un flou artistique sur leurs intentions. Le teaser du premier épisode lève le voile sur la demeure de Saul Goodman pendant Breaking Bad et la surprise est de taille : ce lieu est l’illustration de sa mégalomanie. La scène fascinante rappelle le début des films Sunset Boulevard et Citizen Kane. On ne voit pas Saul, mais il en habite les murs : l’endroit est parsemé de totems issus des précédentes saisons (la photographie liée à Mesa Verde obtenue dans la saison 5, le bouchon de la bouteille Zafiro Añejo issu de la première escroquerie de Kim et Jimmy en saison 2...). La scène est poignante dans le sens où nous savons que la chute de Saul Goodman est inéluctable. Mais les créateurs arrivent à nous surprendre.
À en croire cette scène d’ouverture à contre-pied de l’habituelle scène en noir et blanc avec Gene post-Breaking Bad, il semblerait que Saul Goodman soit bien plus qu’un masque, qu’une identité inventée de toute pièce pour ses affaires d’avocat véreux. Jimmy est devenu Saul et de là naît le tragique de la situation. Le fait qu’il ait gardé ces totems qui sont les souvenirs d’une époque révolue ne signifie-t-il pas qu’il y a toujours une part de Jimmy en lui ? Bien sûr, on notera qu’il n’y a aucun objet chez lui qui soit lié de près ou de loin à son frère Chuck, comme s’il avait compartimenté cette partie de sa vie pourtant fondatrice dans sa transformation. Une autre question qui se pose est le symbolisme du bouchon de la bouteille Zafiro Añejo que nous voyons tomber sur la route à la fin de la scène. Le fantôme de Kim est toujours présent dans Breaking Bad, au moins mentalement. Mais, qu’est-elle devenue ? Est-elle toujours associée à Saul ? L’a-t-elle quitté ? Ce grand flou est terriblement excitant, car tant d’issues sont possibles.
Un travail d’orfèvre
Bien sûr, il faudra attendre les prochains épisodes pour savoir où nous dirige la série. Mais, une chose est sûre : le chemin emprunté risque d’être sinueux et tragique. Peter Gould a même promis un troisième épisode « déchirant ». Ce serait un sacrilège de ne pas féliciter encore une fois la réalisation aux petits oignons de la série. La photographie adopte des tons plus froids, comme pour s’adapter au changement de ton opéré dans ce début de cette saison. Les moments de tension sont magnifiés par les mouvements de caméra, la musique dissonante de Dave Porter et la dilatation du temps façon western spaghetti : on pensera notamment à l’incroyable scène où Nacho est confronté aux Cousins dans le motel.
Le jeu des acteurs n’est pas en reste. Tous sont très convaincants ; quel plaisir de les retrouver ! Celui qui se démarque selon moi dans ces deux premiers épisodes est l’acteur qui incarne Lalo. Il joue si subtilement la colère et l’esprit de revanche qu’il en devient effrayant. Résultat des courses : tout concourt à nous transporter au cœur de l’action.
Conclusion : ces deux épisodes intitulés sobrement Wine and Roses et Carrot and Stick sont une entrée en matière réussie pour cette ultime saison de Better Call Saul. Le rythme est très pêchu, ce qui est une bonne chose, même si on a l’impression parfois que les scénaristes sont dans une course contre la montre et doivent aller droit au but. Ainsi, il faudra être très attentif pour ne pas rater un élément de l’intrigue ou une référence, surtout quand ils sont amenés implicitement. Pour l’instant, il n’y a pas de thème qui ressort clairement : nous assistons à la suite directe des évènements de la fin de la saison 5. Hâte de voir la suite. Tout cela est très prometteur !
J’ai aimé :
- Une entrée en matière réussie
- La scène d’ouverture poignante
- Un rythme frénétique très bienvenu
- L’imprévisibilité de la série (tout peut se passer...)
- Une réalisation magnifique
Je n’ai pas aimé :
- Le plan de Gus pour se débarrasser de Nacho est un peu alambiqué
- La transformation de Kim est amenée un peu trop rapidement (j’attends la suite avant de me prononcer)
Ma note : 15/20