Critique : Better Call Saul 6.11

Le 05 août 2022 à 11:43  |  ~ 9 minutes de lecture
Enfin ! Oui ! Oui !
Par Hopper

Critique : Better Call Saul 6.11

~ 9 minutes de lecture
Enfin ! Oui ! Oui !
Par Hopper

 

Enfin ! Oui ! Oui ! Ce onzième épisode intitulé Breaking Bad réalise un tour de force inédit dans l’histoire télévisuelle. Et tous ceux qui se sont pleinement investis dans cet univers, certains depuis quinze années, seront infiniment récompensés par le cadeau offert par les scénaristes. Mesdames, Messieurs, c’est le moment où les poils se hérissent dans votre nuque et qu’un petit frisson vous traverse l’échine...

 

L’heure de la récompense

 

Gene pensif

 

Dans ma critique de l’épisode Lantern de 2017, j’avais écrit : « Loin de moi l’idée de cracher sur l’héritage laissé par Breaking Bad, l’une des meilleures séries de tous les temps, mais ce que Better Call Saul perd en termes de rythme et d’action, elle le gagne en réflexions philosophiques et en fond, bref, en réflexivité. Le résultat sera sûrement au-delà des attentes de la plupart des spectateurs ; à l’inverse il ne correspondra peut-être pas à ce que d’autres espéraient, mais la moindre des choses est d’aller jusqu’au bout pour se faire sa propre opinion. Car j’ai l’intime conviction que Better Call Saul tient le bon bout et qu’il y a cette étincelle prête à jaillir. La série touche du doigt quelque chose d’authentique en rapport avec la condition humaine qui vaut la peine d’y investir du temps. »

Et aujourd’hui, je me réjouis que cette intuition ait trouvé un écho dans ce que la série nous propose dans cet épisode. Débarrassés des intrigues du présent dont la conclusion était actée dès le départ (la défaite de Lalo ou la survie de tel ou tel personnage) et le défi de la continuité narrative, les créateurs ont carte blanche pour nous raconter le reste de leur histoire. Ils en profitent pour faire voler en éclat toutes nos prédictions.

 

Rendez-vous à 15 h

 

Saul manipulant une fiole.

 

Un de mes doux rêves inexaucés par l’inégal El Camino était d’en apprendre plus sur ce qu'il advient des autres personnages de Breaking Bad comme Skyler White. L’idée de continuer à développer la mythologie de l’univers de Breaking Bad et de nous offrir de nouvelles grilles de lecture semblait terriblement excitante. Ce onzième épisode remplit cette fonction magistralement. Souvenez-vous, l’un des grands mystères de Better Call Saul était le rendez-vous téléphonique que Saul donne à sa secrétaire Francesca avant de fuir Albuquerque, dans l’épisode 5 de la saison 4. Il était convenu le 12 novembre à 15 h, soit la date d’anniversaire de Jimmy. Beaucoup avaient spéculé que l’appel allait venir de Kim qui aurait été en cavale ou en prison.

Connaissant cela, il était impossible de ne pas trépigner d’impatience en voyant Francesca se faire suivre par une voiture inconnue. La scène rappelle la célèbre scène en voiture de Psychose. Le suspense atteint son paroxysme quand l’on voit l’horloge passer à 15 h 01 et que Francesca est sur le point de quitter le lieu de rendez-vous. C’est ce genre de détails qui prennent sens chez le spectateur attentif et qui lui permettront de saisir les enjeux de ce qu’il voit, de vivre pleinement le moment.

 

L’art du suspens

 

Buddy, le nouveau partenaire de Gene.

 

Mais finalement, la résolution de cette énigme est moins sensationnelle : Jimmy a fixé ce rendez-vous pour savoir s’il était toujours dans le viseur de la police et pour être tenu au courant des dernières nouvelles. Francesca n’a pas grand-chose de réjouissant à lui raconter. Toutefois, comme prise par un peu de pitié, elle se résigne à lui révéler que Kim l’a appelée et qu’elle lui a demandé si Saul était toujours vivant. Ce qui est intéressant, c’est que cette dernière précision ne laisse pas Gene indifférent ; il y voit même une opportunité pour reprendre contact avec elle. On apprend qu’elle travaille désormais pour une entreprise d’arrosage en Floride.

Sauf que les scénaristes décident qu’on en a appris beaucoup trop et le reste de la discussion, qui semble tourner au vinaigre, est inaudible. Cet épisode se joue si bien de nos attentes en nous privant d’informations capitales comme ici, ou en les retardant (le moment où Francesca part chercher l’argent avant d’écouter ce que Gene a à lui dire).

 

Quand le passé dicte le futur...

 

Le caméo de Walt et Jesse.

 

Ces effets stylistiques et ces décisions de mise en scène prennent une autre ampleur quand il s’agit d’analyser les scènes de l’ère Breaking Bad que le réalisateur juxtapose avec les scènes de Gene. Jamais le futur (l’ère de Gene) ne s’est autant conjugué au présent (l’ère Breaking Bad). Les deux époques nous racontent comment Jimmy tombe dans un engrenage qui rapidement le dépassera. Dans la première époque, il décide de travailler avec Walt et Jesse contre l’avis de Mike ; dans le futur, Gene décide de se lancer dans une nouvelle entreprise criminelle.

Légitimement, certains pourront remettre en question l’intérêt des scènes montrées dans Breaking Bad. Est-ce seulement du fan service ? De mon point de vue, ce parallèle a un but thématique et sert surtout à donner plus de poids et de tragique à la décision de Jimmy de continuer son arnaque malgré le risque. Justement, on peut supposer que c’est ce qui le mènera à sa chute à l’instar de Breaking Bad. Surtout que des soupçons s’éveillent chez Marion, la mère de Jeff.

 

L’amour... du crime

 

Saul allongé dans son bureau

 

Le scénariste et réalisateur de cet épisode, Thomas Schnauz, confirme dans une interview qu’il le fait non pas par appât du gain (n’oublions pas qu’il possède toujours les diamants), mais pour une raison plus profonde : « Il ne fait pas ça pour l’argent du tout. Il le fait parce que quelque chose dans ce coup de fil a fait remonter beaucoup de douleur et de souffrance. […] L’argent est vraiment secondaire. Je veux dire, ça fait partie du jeu. C’est comme ça que l’on compte les points. La quantité d’argent que vous gagnez pendant ces escroqueries est un moyen de comptabiliser votre réussite. C’est la seule raison pour laquelle il s’intéresse à l’argent. C’est comme, “Combien de points ai-je marqués aujourd’hui ?” »

On remarquera les transitions soignées pour passer d’une époque à l’autre. Par exemple, on passe de Gene qui claque la porte du taxi de Jeff avant de s’introduire chez sa prochaine victime (ironiquement atteint d’un cancer) à Saul qui ferme la porte de sa voiture avant d’aller à la rencontre de Walt au lycée. Une autre transition ingénieuse est le fondu enchaîné qui donne l’impression que Gene (dans le futur) est au fond du trou qu’ont creusé Walt et Jesse pour le forcer à coopérer dans Breaking Bad.

Dès lors, à quoi s’attendre dans le prochain épisode intitulé Waterworks (que l’on pourrait traduire par "jet d’eau" ou au sens figuré "larmes") ? Ainsi, plusieurs lectures sont possibles : peut-être que le titre fait référence à l’entreprise d’arrosage où travaille Kim, Palm Coast Sprinklers, ou bien au jeu Monopoly (l’une des dernières cases avant d’aller en prison est la compagnie de distribution des eaux soit "Waterworks" ce qui pourrait faire allusion à une possible arrestation de Gene). Rhea Seehorn, l’interprète de Kim, a décrit les derniers épisodes comme étant « psychologiquement perturbants » et a évoqué l’effet Rashōmon. Dans ce film japonais de 1950, un meurtre est décrit de manières différentes par quatre témoins. Peut-être qu’une partie de l'avant-dernier épisode sera centrée sur le point de vue Kim concernant les évènements qui se déroulent dans Breaking Bad.

 

L’antépénultième épisode rebat les cartes du possible. Toutes nos convictions volent en éclat. Et si, finalement, Jimmy était irrécupérable ? Tout semble laisser penser que la série se dirige vers une fin tragique. La maîtrise technique et la nouvelle lecture qui nous est offerte des évènements de Breaking Bad permettent à cette heure de télévision de tutoyer les étoiles. Il reste aussi à résoudre l’énigme Kim. Un excitant programme en perspective !

 

J’ai aimé :

  • Une réussite technique
  • L’art de se jouer de nos attentes
  • La manière dont les évènements de Breaking Bad nous éclairent sur le futur de Gene

Je n’ai pas aimé :

  • Attendre la suite

Ma note : 18/20

 

Francesca narguant ses locataires.

L'auteur

Commentaires

Avatar Gizmo
Gizmo

Très belle critique, j'avais totalement oublié cette histoire d'appel téléphonique à 15h ainsi que le fait que les événements de cet épisode se passent le jour de l'anniversaire de Jimmy/Saul/Gene, exactement la même journée que voit Walter basculer dans le pilot de Breaking Bad.

Le titre de l'épisode gagne encore en profondeur !

2 réponses
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Avatar nicknackpadiwak
nicknackpadiwak

Tiens, c'est vrai, tout le monde se contrefout de Skyler et personne n'est hypé par la possibilité d'une apparition dans BCS....

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