Maintenant que presque la totalité des intrigues de Better Call Saul dans la chronologie du présent s’est conclue, il est devenu impossible de prédire avec certitude où se dirigent les quatre derniers épisodes. Allons-nous nous attarder davantage sur la transition de Jimmy à Saul ? Reverrons-nous Kim ? C’était avec une excitation non dissimulée que votre cher serviteur a lancé mardi soir Netflix pour découvrir la réponse à ces questions.
Un épisode qui divise
Ce dixième épisode intitulé Nippy a divisé les téléspectateurs en deux camps : d’un côté, ceux qui n’y trouvent pas grand intérêt, et de l'autre ceux qui saluent l’initiative et l’audace des scénaristes. En effet, le précédent épisode avait laissé en suspens les deux questions principales de la série : comment Jimmy se transforme-t-il en Saul et que devient Kim ? Il y a bien sûr d’autres questions sous-jacentes : reste-t-il une partie de Jimmy en Saul ? Ce personnage de Saul qu’il s’est créé (grand bouffon calculateur, pleutre et sexiste avec sa secrétaire) ne serait-il finalement pas un masque ?
Cet épisode ne répondra guère à ces interrogations légitimes et fondamentales et c’est ce que pourront lui reprocher certains. À quelques épisodes de la fin, pourquoi ne pas s’attaquer au sujet, maintenant, tout de suite ? L’autre camp rétorquera à juste titre aussi que Nippy n’est pas sans intérêt et est loin de faire office de remplissage. En effet, l’éclairage qu’il nous donne sur le personnage de Gene est très intéressant et annonciateur de choses à venir.
Vous avez dit « inutile » ?
En avril, Peter Gould, le co-créateur de la série, avait donné dans un entretien quelques indices qui commencent à prendre sens désormais à propos de Jimmy : « C’est quelqu’un qui a eu de nombreuses identités : Slippin’ Jimmy, Jimmy McGill, Saul Goodman, Gene… Quand on porte autant de masques et qu’on n’arrête pas d’en changer, qu’est-ce qu’il reste au fond ? Qui est-il vraiment ? On le découvrira en même temps que lui. C’est un personnage tellement fascinant, toujours poussé dans la mauvaise direction par un puissant sentiment d’insécurité. »
Ce dixième épisode nous donne des clés de compréhension. Et c’est Slippin' Jimmy ("Jimmy la Glisse", surnom qui était donné à Jimmy jeune en raison de ses fourberies) qui vole la vedette ! Première spécificité de Nippy : ces cinquante minutes sont consacrées exclusivement à Gene dans la chronologie du futur, qui cherche à neutraliser la menace de Jeff, le chauffeur de taxi qui l’avait reconnu, au travers d’une manœuvre très élaborée qui rappelle ses manigances dans la première saison.
D’ailleurs, cette transformation de Gene à Slippin’ Jimmy est matérialisée par la scène où Gene met la bague héritée de Marco (ami avec lequel il commettait ces arnaques lors de sa jeunesse et qui est mort dans la saison 1). Et tout le reste du plan du cambriolage (visant à pousser Jeff à commettre un crime pour rétablir un rapport de force) renoue avec le Jimmy du début de la série : fougueux, extrêmement créatif et beau parleur. Tous ces talents sont mis à disposition, surtout à la toute fin où Jeff tombe sur la tête et que Jimmy doit trouver un moyen de distraire le garde. Il fait alors ce qu’il sait faire de mieux : utiliser ses émotions, son passé, afin d’émouvoir ses interlocuteurs (technique déjà utilisée à la fin de la saison 4 pour retrouver sa licence d’avocat).
Un trésor de références
Ce qu’il y a toujours de paradoxal c’est que Gene verse des larmes de crocodile, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a une part de vérité dans ce qu’il dit, une émotion cachée. « Je n’ai personne. Mes parents sont morts. Mon frère… Mon frère est mort. Je... n’ai pas de femme... pas d’enfants, pas d’amis. » On peut lire entre les lignes quelques points très éclairants. En particulier, vous noterez la pause que prend Gene en évoquant son frère et sa femme (ou ex-femme), Kim. Dans ce futur, il ne reste plus grand-chose du Jimmy que nous connaissions ; il a perdu tous ceux sur qui il comptait.
Un autre élément croustillant est la fin de l’épisode où Jimmy essaie une chemise et une cravate qui rappellent ce que Saul portait, avant de les suspendre sur le présentoir de vêtements à la vue de tous. À la question de savoir si cette scène peut être interprétée comme une envie de redevenir ce qu’il était ou un adieu à cette partie de lui-même, la scénariste de cet épisode, Alison Tatlock, n’exclut aucune des interprétations. « Cela reste à voir. Mais, pour moi, ce moment de nostalgie est semblable au souvenir d’un amant perdu. J’aime votre idée qu’il laisse les vêtements accrochés pour que les autres le voient. C’est presque comme un acteur laissant derrière lui son costume, ou même le fantôme de quelque chose. Il ne peut pas le posséder entièrement. »
Les références aussi à Breaking Bad fusent. On notera qu’en termes de chronologie, à en croire la date du journal que lit Gene, l’histoire se déroule en octobre 2010, soit deux mois avant la mort de Walt. Par ailleurs, ce n’est pas sans un petit pincement au cœur que l’on entend Gene mentionner à Jeff avoir aidé Walt dans son ascension dans le monde criminel. Enfin, dernier élément notable : le générique montre cette fois-ci un écran bleu, confirmant la théorie selon laquelle c’est Gene qui regarde ad nauseam la même cassette rappelant ses anciens exploits et que c’est pour cette raison que l’image et le son se détériorent de saison en saison...
Un épisode plaisant ?
Vous devinez maintenant de quel camp fait partie l’auteur de cette critique. J’ai adoré cet épisode. Il y a un aspect un peu expérimental que de filmer en noir et blanc l’entièreté des scènes et un charme indéniable à cette atmosphère qui rappelle celle des films noirs. Mais le manque de couleurs n’empêche pas les protagonistes d’être eux hauts en couleur. La musique (notamment celle jouée quand Jeff sort du magasin après avoir réussi le cambriolage), les montages de plus en plus fous (pour montrer que Saul se rapproche des gardes) et le jeu d’acteurs rendent cet épisode spécial et particulièrement délicieux pour peu qu’on adhère au principe de départ.
D’ailleurs, Peter Gould affirmera que c’est son épisode préféré de toute la série. J’ai lu une analyse très intéressante qui affirmait que Nippy aurait été conçu comme une sorte de court-métrage qui pouvait être enseigné en école de cinéma. L’épisode en lui-même est très classique dans sa structure et ses procédés (la manière de construire le suspense et de détourner les attentes), mais fichtrement efficace.
Pour conclure, Nippy est un épisode qui divisera. Son placement dans la saison ne plaira pas à tout le monde. Mais je pense qu’il faut saluer la proposition. Cet épisode est un pur concentré de ce qui fait le charme de Better Call Saul avec son humour parfois absurde et les plans loufoques fomentés par Jimmy. Par ailleurs, ces cinquante minutes nous instruisent beaucoup sur ce que devient Gene. Slippin’ Jimmy n’est pas mort... Il est aussi presque certain que ce n’est pas la dernière fois qu’on verra Jeff et sa mère Marion (campée par la célèbre Carol Burnett) qui donne l’impression d’en savoir plus qu’elle ne le montre. Bien sûr, il n’aura échappé à personne qu’il reste beaucoup de questions en suspens sur la transition de Jimmy à Saul et on attend des réponses de pied ferme. Vite la suite !
J’ai aimé :
- Une réussite technique
- Une proposition rafraîchissante
Je n’ai pas aimé :
- Un placement dans la saison qui pourra interroger
- On veut revoir Saul et Kim !
Ma note : 16/20