Critique : Better Call Saul 6.13

Le 19 août 2022 à 12:15  |  ~ 17 minutes de lecture
Une fin en apothéose ?
Par Hopper

Critique : Better Call Saul 6.13

~ 17 minutes de lecture
Une fin en apothéose ?
Par Hopper

 

Il n’y a pas d’exercice plus périlleux que de conclure une série télé. D’abord, ne comptez pas satisfaire tout le monde ! Quelle que soit la fin choisie, il y aura toujours des insatisfaits. Mais, si en plus de cela, il s’agit aussi de dire adieu à un univers, des personnages que nous côtoyons depuis quinze ans, la mission de ne pas décevoir devient presque impossible pour les scénaristes. Nous avons longuement attendu ce moment fatidique. L’enjeu est immense : la postérité de Better Call Saul en dépend. Si la série réussit son final, entrera-t-elle définitivement dans le panthéon des meilleurs œuvres télévisuelles modernes (voire de tous les temps) ? Dans le cas contraire, elle restera à jamais reléguée au second plan, catégorie "séries sympathiques à consommer en période de disette". Alors, verdict ?

 

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures

 

Jimmy au tribunal.

 

Ce dernier épisode intitulé Saul Gone reprend là où nous avaient laissés les scénaristes : Gene commençant sa cavale. Le rythme est pêchu ; la musique dissonante de Dave Porter renforce la tension. Les créateurs prennent un malin plaisir à empiler les obstacles sur le chemin de Gene : la patrouille qui arrive devant sa maison ; l’hélicoptère qui survole son quartier ; les diamants qu’il perd dans la benne à ordure. Jusqu’à la dernière seconde, les scénaristes nous font croire que Gene peut encore s’en sortir. Et pourtant, cette palpitante fuite aura été de courte durée : moins de dix minutes seulement avant que la police ne le retrouve... Et dans quelles conditions ?

Vince Gilligan et Peter Gould réussissent ce qu’ils savent faire de mieux : choisir le chemin le plus logique, parfois le moins surprenant, mais en arrivant à nous surprendre quand même. C’est une illustration du principe d’inévitabilité si cher à Vince Gilligan ; dans un entretien datant de 2013, il citait le compositeur Henry Mancini : « Je pense que les meilleures compositions musicales sont celles qui vous surprennent à certains moments, mais à d’autres, vous avez l’impression de savoir où vous allez, et il y a ce sentiment de satisfaction qui découle de cette inévitabilité. »

Car on se doutait bien que Gene allait probablement se retrouver derrière les barreaux. Mais qui avait prédit que nous allions revoir Marie Schrader, la veuve de Hank, versant son fiel devant Saul ? Qui avait prédit que nous aurions trois flashbacks ? Qui avait prédit que Jimmy s’infligerait à lui-même une sentence plus lourde (quatre-vint-six ans de prison contre les sept années initialement négociées) ? Comme nous l’a prouvé à maintes reprises Better Call Saul, le chemin parcouru compte plus que la destination. Cet épisode n’échappe pas à cette règle.

 

Que reste-t-il de Jimmy ?

 

Kim au tribunal.

 

Dès lors, la question de savoir ce qu’il advient du personnage de Jimmy n’est finalement pas centrale dans cet épisode (la réponse nous étant donnée dès le premier quart d’heure), mais plutôt la question de savoir ce que les choix effectués par Jimmy nous apprennent sur lui. Si bien que Saul Gone s’apparente à une dissertation de philosophie avec pour problématique : que reste-t-il du Jimmy que nous connaissions ? Une rédemption est-elle encore possible pour lui ?

Sans que nous le sachions, Peter Gould nous donnait déjà des clés de compréhension dans un entretien d’avril : « Je vais essayer de vous répondre sans trop en dire ! C’est quelqu’un qui a eu de nombreuses identités : Slippin' Jimmy, Jimmy McGill, Saul Goodman, Gene... Quand on porte autant de masques et qu’on n’arrête pas d’en changer, qu’est-ce qu’il reste au fond ? Qui est-il vraiment ? On le découvrira en même temps que lui. C’est un personnage tellement fascinant, toujours poussé dans la mauvaise direction par un puissant sentiment d’insécurité. » J’ai bien peur que tu en aies déjà trop dit, Peter...

La réponse à cette question (que reste-t-il de Jimmy ?) se trouve dans la décision qu’il prend à la fin : assumer sa part de responsabilité dans l’entreprise criminelle de Walter White, même si cela signifie pour lui une peine infiniment plus lourde. Lui qui pourtant avait réussi à compartimenter ses douleurs et ses remords (la mort de Chuck, la séparation avec Kim, le meurtre d’Howard, etc.) sans rien laisser transparaître de l’extérieur.

 

Une prise de conscience progressive

 

Jimmy et Chuck.

 

Les flashbacks servent de colonne vertébrale à cette prise de décision. Jimmy demande à Mike et Walt quel usage ils feraient d’une machine à voyager dans le temps. La réponse de Mike est sentimentale : refuser son premier pot-de-vin, lui qui était un ancien policier corrompu et dont le fils a été assassiné par ses collègues de peur que celui-ci les dénonce. La réponse de Walt est plus terre-à-terre : « Si tu veux parler de regrets, fais-le sans ces conneries de voyage dans le temps ». Selon ses dires, son remords, c’est d’avoir quitté l’entreprise co-fondée avec Gretchen et Elliot. Mais il est difficile d’imaginer que Walt soit honnête avec Saul à ce moment de l’histoire, juste quelques heures après avoir été chassé par sa famille et avoir tout perdu. La caméra s’attarde aussi sur la montre que Jesse lui avait offerte (sous-entendant un autre regret refoulé par le personnage campé par Bryan Cranston). Quand la question lui est retournée, Jimmy raconte des balivernes, interprétation confirmée par Peter Gould : « Il est à deux doigts de dire ce qu’il a en tête. Et puis il recule et commence à parler de quelque chose d’insignifiant ou de complètement fantaisiste. Jimmy a peur d’en arriver là. Et il ne le fait pas jusqu’à la fin de l’épisode. »

Le dernier flashback avec Chuck remet les pendules à l’heure. C’est là que Jimmy se rend compte que cette machine à voyager dans le temps n’est qu’une chimère et que poursuivre cette idée est illusoire. Chuck conseille à son frère : « Si tu n’aimes pas la direction que tu prends, il n’y a pas de honte à changer de voie. » Traduction : Jimmy, concentre-toi sur le présent ; tu ne pourras jamais effacer tes remords, mais tu peux changer maintenant. Ainsi, Jimmy se sépare des masques qu’il portait : ce Gene moribond et ce maudit Saul qui n’étaient qu’une façade, une carapace face aux épreuves de la vie. Jimmy redevient Jimmy. Il demande à la juge qu’on l’appelle par son vrai prénom et se présente ainsi auprès de ses codétenus dans le bus. Dans le même flashback, la caméra nous montre que le livre The Time Machine écrit par H. G. Wells appartenait en fait à Chuck ! Souvenez-vous, dans l’introduction de la saison 6, on voyait ce même livre dans le manoir de Saul pendant que les autorités lui saisissaient tous ses biens. Il était étrange de ne retrouver aucune référence à Chuck, alors que Saul collectionnait pourtant des souvenirs sur tout le monde (ce qui est un paradoxe pour quelqu’un cherchant à fuir ses remords). Le mystère est désormais totalement levé...

Le symbolisme plaira ou déplaira, sera perçu comme lourd ou subtil en fonction des sensibilités de chacun. Mais, en ce qui me concerne, le procédé est ingénieux et enrichit l’étude de personnalité de Jimmy McGill, cet antihéros aux diverses facettes, aux multiples contradictions, parfois attachant, d’autres fois exaspérant.

 

Une fin heureuse, vraiment ?

 

Jimmy dans le bus pénitentiaire.

 

De la même manière, certains pourraient qualifier la décision prise par Jimmy comme totalement irréaliste. Qui préférerait rallonger sa peine de prison de soixante-dix-neuf ans ? C’est recevable. Mais, n’oublions pas qu’après tout, Better Call Saul est une œuvre de fiction. Le sujet de la série a toujours porté sur la moralité et cette fin semble plus que logique dans la trajectoire de Jimmy. Après toutes ces années, Jimmy est-il irrécupérable ? Jimmy n’a-t-il appris aucune leçon ? En changeant de postulat, c’est la beauté poétique de cette conclusion qui ressort.

Et si, après tout, Peter Gould et Vince Gilligan nous faisaient ici un plaidoyer de l’amour, cet amour qui vainc la pire des épreuves comme dans la grande tradition littéraire ? Durant toute la série, Jimmy a toujours cherché la validation de ses pairs, à commencer par Chuck, et ce, sans jamais l’obtenir. La seule personne qui l’ait vraiment considéré pour ce qu’il est reste et restera Kim. Mais, cet amour s’étiole à mesure qu’il se transforme en Saul. Dans cette scène du tribunal, il a le choix de rester Saul ou de redevenir Jimmy ; en d’autres termes, regagner la sympathie de Kim ou la perdre à jamais ; en d’autres termes, satisfaire son besoin de validation ou ne jamais refermer cette blessure du passé liée à sa relation conflictuelle avec son frère, Chuck. Le déclic a lieu quand Jimmy apprend dans l’avion que Kim a finalement tout révélé sur les circonstances de la mort d'Howard. Il se rend alors compte que son ex-épouse a eu le courage d’affronter ce qu’il cherche à éviter le plus. Quand Saul disait en début d’épisode « Il ne faut qu’un seul juré », il ne croyait pas si bien dire ; Kim est ce juré. Le seul jugement qui compte est celui de Kim, pas celui du système judiciaire, et c'est pourquoi il s'arrange pour qu'elle soit présente à son jugement.

Il n’y a pas qu’une lecture poético-romantique possible. C’est ce qui fait le charme de cette fin qui laisse la porte ouverte à d’autres interprétations. Plutôt que de regarder le verre à moitié plein, regardons le verre à moitié vide. N’oublions pas que Jimmy risque de passer le restant de ses jours en prison et que Kim risque d’être dépossédée de tous ses biens si la veuve d'Howard se décide à l’attaquer en justice. On a connu plus gai comme épilogue. Certains pourront aussi estimer que Jimmy sacrifie son avenir pour revenir au passé, comme pour essayer de se réconcilier avec Kim. Mais, ce doux espoir peut paraître illusoire : il a certes droit à un moment d’intimité avec Kim, partageant avec elle une cigarette comme au bon vieux temps, mais cela reste éphémère (au passage, la flamme du briquet est en couleurs). Pourtant, Kim et Jimmy se retrouvent vite séparés dans l’un des derniers plans ; Jimmy reste en prison et Kim ressort à l’extérieur.

Deux versions de la fin ont été tournées ; une version où Kim retourne à Jimmy le signe du pistolet avec sa main et la version qui nous a été présentée où Kim ne le lui retourne pas son geste. Cette ambiguïté est donc bien volontaire. Après tout, rien ne nous empêche de penser que Kim faisait un dernier adieu à Jimmy et qu’elle ne retournera plus le visiter en prison. Ou bien, on pourra penser le contraire : qu’elle cherchera à le sortir au plus vite de là et que le couple se réunira à nouveau. Enfin, les plus optimistes noteront que Jimmy semble respecté au sein de la prison ; il est donc loin de vivre un total calvaire. La fin nous donne matière à réfléchir et, en cela, c’est une réussite.

 

Il est le moment de conclure. Selon moi, cette fin est donc une totale réussite, car elle est en accord avec l’esprit de la série. Oui, il n’y a pas de retournement de situation inattendu ou de prise de risque folle, et c’est normal. Je pense que cette fin est supérieure à celle de Breaking Bad qui était un peu trop complaisante. D’abord, elle reste fidèle aux personnages et conclut leurs arcs de manière cohérente. Ensuite, elle fait sens tout en nous réservant quelques surprises (la séquence de cavale, le retour de Marie Schrader et de Bill Oakley). Mieux, elle donne matière à réfléchir et enrichit la mythologie de Breaking Bad au travers des références placées ici et là. La nostalgie ressentie est palpable.

À partir de là, selon moi, Better Call Saul rentre définitivement dans le panthéon des meilleures séries de tous les temps. Cette dernière saison aura eu ses moments forts comme ses moments de faiblesse (le ventre mou de la première partie de saison, les morts précipitées de Lalo et Nacho...). Mais c’était aussi le cas des saisons précédentes : Better Call Saul a les qualités de ses défauts. Regarder la série, c’est profiter d’une vision artistique sans compromissions, et comme c’est rare dans le monde télévisuel ! Bien sûr, seules les années nous diront avec certitude si ce pronostic est juste. Après tout, nombreuses sont les œuvres de fiction, pourtant autrefois encensées, à avoir mal vieilli, à être tombées dans l’oubli. Quoiqu’il en soit, c’est avec un immense plaisir que je revisionnerai d’ici quelques années l’intégralité des épisodes.

Peu importe si mon appréciation de toi change en positif ou en négatif. Cela fait sept ans que je te suis. Que de bons moments passés au côté de Jimmy et Kim et ces souvenirs, je les chérirai ! Tu as beaucoup compté pour moi, même si tu nous auras fait subir deux longues années d’attente avant la saison finale. Tu auras adoré nous faire languir, tu auras adoré nous torturer l’esprit avec mille et une hypothèses. Mais, je te pardonne ! Maintenant, il est temps de nous quitter... Comme disait Saul à Francesca, « Well, I guess, that’s it. Quite a ride, huh? » (« Eh bien, je suppose qu’on a fini. Sacrée aventure, hein ? »)

Enfin, je réitère ce que j'avais écrit dans ma critique de l’épisode « Lantern » de 2017 : « Loin de moi l’idée de cracher sur l’héritage laissé par Breaking Bad, l’une des meilleures séries de tous les temps, mais ce que Better Call Saul perd en termes de rythme et d’action, elle le gagne en réflexions philosophiques et en fond, bref, en réflexivité. Le résultat sera sûrement au-delà des attentes de la plupart des spectateurs ; à l’inverse il ne correspondra peut-être pas à ce que d’autres espéraient, mais la moindre des choses est d’aller jusqu’au bout pour se faire sa propre opinion. Car j’ai l’intime conviction que Better Call Saul tient le bon bout et qu’il y a cette étincelle prête à jaillir. La série touche du doigt quelque chose d’authentique en rapport avec la condition humaine qui vaut la peine d’y investir du temps. Et lorsque s’achèvera la série, vous envierez ceux qui demain ou dans un mois, voire dans des années, s’immisceront à leur tour dans cet univers si particulier, habité par des personnages qui méritent qu’on s’y attache. Vous serez alors heureux, à ce moment-là, de ne pas être passé à côté. À côté de quoi ? Au pire, d'une très bonne série ; au mieux, à côté de l’une des meilleures séries modernes. »

Merci Better Call Saul. Merci Peter, Vince, Bob et Rhea. Merci.

 

J’ai aimé :

  • Une fin cohérente et maîtrisée
  • Une perfection technique
  • Des caméos bien utilisés
  • Un jeu d’acteur au sommet

Je n’ai pas aimé :

  • Dur de trouver une série aussi prenante et qualitative

Ma note : 20/20

 

Jimmy fume une cigarette avec Kim.

 

Bonus : Quelques références cachées

Source: Reddit

 

Référence cachée à Better Call Saul et Breaking Bad
Référence cachée à Better Call Saul et Breaking Bad.
Référence cachée à Better Call Saul et Breaking Bad.
Référence cachée à Better Call Saul et Breaking Bad.
Référence cachée à Better Call Saul et Breaking Bad.
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Référence cachée à Better Call Saul et Breaking Bad.
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Commentaires

Avatar ClaraOswald
ClaraOswald

Excellente critique que je partage en tout point, encore! Ça me manquera de lires les avis sur la série

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Avatar Stean
Stean

Superbe, comme toujours. Merci pour ces avis très complets tout le long de cette saison !

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Avatar Galax
Galax

Super critique, tu t'es surpassé pour la dernière. La citation de Giligan de 2013 est géniale pour expliquer la série.

Bravo et merci Hopper !

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