Le co-créateur de Better Call Saul, Peter Gould, avait promis un troisième épisode déchirant. Cette confidence prend tout son sens après le visionnage de Rock and Hard Place, qui marque une rupture définitive. Fini le temps de l’insouciance. Fini le temps de l’innocence. Finie l’époque où la série arrivait à nous décrocher un rire. Ces quarante-cinq minutes furent parmi les plus sombres qui nous aient été donné de voir dans cet univers.
Entre l’enclume et le marteau
Le titre de cet épisode, "Rock and Hard Place", n’est pas anodin. L’expression anglaise "between a rock and a hard place" est équivalente à l’expression française « entre l’enclume et le marteau », qui désigne le fait de se trouver dans une situation dangereuse entre deux camps opposés. Or, dans cet épisode, tous les protagonistes sans exception se trouvent dans ce cas de figure.
À commencer par Nacho qui est poursuivi par les Salamanca et Gus. Les quinze premières minutes sont un concentré de tension avec comme point culminant la partie de cache-cache dans le camion-citerne. Jimmy McGill, lui aussi, a une épée de Damoclès au-dessus de la tête : la procureure Suzanne Ericsen le soupçonne de connaître l’identité de Lalo et de collaborer avec le Cartel (dans le 6.01, Saul avait par inadvertance appelé Lalo par son vrai prénom au lieu de sa fausse identité de Jorge de Guzman).
Kim et Mike ne sont pas en reste. Kim est confrontée à ses propres incohérences. Elle qui se targue d’avoir un code moral, est celle qui désormais pousse avec elle Jimmy sur le mauvais chemin. Quant à Mike, celui-ci doit suivre les ordres de Gus même si cela va à l’encontre de la sympathie et du respect qu’il a pour Nacho.
Cet épisode aura confronté les protagonistes face à des forces contraires, que ce soit l’adversité d’autres personnages, l’inéluctabilité du destin, ou eux-mêmes. Et, pour traduire ces antagonismes, les créateurs ont utilisé deux outils : le symbolisme et la réflexivité.
Symbolique biblique
La scène d’ouverture montre une fleur bleue à côté du tesson de verre qui a servi à Nacho pour se libérer. Ce moment prend sens à la fin de l’épisode, une fois que l’on découvre le pot aux roses. Nacho s’est donné la mort !! La fleur bleue, une campanule, est associée à l’humilité et la gratitude ; en effet, Nacho est resté jusqu’au bout fidèle à sa parole et il meurt en restant fidèle à ses principes. Les scénaristes nous avaient déjà habitués à ce procédé de foreshadowing (préfiguration), mais son application reste assez scolaire par rapport à Breaking Bad (souvenez-vous de la peluche rose).
Le symbolisme prend une autre dimension lorsqu’on s’amuse à chercher des références bibliques dans cet épisode. Ainsi, le bain de pétrole de Nacho pourrait être interprété comme un baptême par lequel il se laverait de ses péchés. Il y a aussi la scène où le garagiste offre à Nacho une serviette pour s’essuyer comme Sainte Véronique, poussée par la compassion, qui aurait donné son voile à Jésus-Christ. Ou bien encore cette scène où Nacho savoure son dernier repas, une partie de son visage éclairé par la lumière.
Il ne faudrait pas y voir un sous-texte religieux, car le papa de la série, Vince Gilligan, a admis par le passé ne pas être un grand croyant. Il aime à penser que toute action a une conséquence et qu’il existerait une sorte de jugement karmique. Cette imagerie biblique servirait donc à illustrer ici le concept de péchés et de rédemption. Cet épisode s’apparente à un chemin de croix pour Nacho, un dernier voyage où le personnage est confronté aux conséquences de ses choix et doit en assumer les conséquences.
En effet, en décidant de rejoindre le monde criminel, Nacho s’est enfoncé dans une spirale infernale. Il s’est retrouvé à la merci de forces supérieures (Hector d’abord qui voulait racheter le garage de son père, Gus et Lalo ensuite pour les raisons que vous connaissez). Il était difficile de prédire une autre fin pour Nacho. Dans l’univers de Breaking Bad, personne ne ressort indemne ; il faut payer son dû. D’ailleurs, il est drôle de constater que tous les personnages réunis dans le dernier quart d’heure (sorte de tribunal improvisé) sont tous morts dans la série mère, parfois de manière assez dégradante.
Néanmoins, la maigre consolation pour nous, spectateurs, c’est que Nacho réussit à sauver son père et à choisir les circonstances de sa mort (en se suicidant au lieu de se faire torturer). En ce sens, son personnage bénéficie d’un relatif allègement de sa peine.
Le temps de la réflexion
Le deuxième outil que les scénaristes utilisent dans cet épisode pour mettre l’accent sur les thématiques de moralité est la posture réflexive (la réflexivité étant la capacité à pouvoir réfléchir sur soi-même), en particulier dans l’intrigue de Jimmy et Kim. Ces derniers continuent à fomenter un complot contre Howard dans le but de récupérer l’argent lié au procès de Sandpiper Crossing (la maison de retraite).
La procureure Suzanne Ericsen et Huell les questionnent sur le bien-fondé de leurs actions, mais Jimmy et Kim n’en ont cure malgré les avertissements reçus. On retiendra la réplique de Huell qui demande à Jimmy, après lui avoir remis le double des clés de la voiture d’Howard : « Pourquoi fais-tu tout ça ? » La réponse de Jimmy ne convainc visiblement pas Huell : « Dans quelques mois, il y aura des gens dont la vie sera meilleure à cause de ça. On fait une différence. Fais-moi confiance. On accomplit l’œuvre du Seigneur. » Un autre exemple se trouve au moment où Kim demande à Jimmy s’il souhaite « être un ami du cartel ou un mouchard ».
Jimmy et Kim nagent en pleine hubris. Gordon Smith, le réalisateur et scénariste de ce troisième épisode, confirme que leurs manigances commencent à « infecter leur vie quotidienne ». Cela transparaît notamment dans le fait que le couple commence à fumer à l’intérieur de leur appartement. Ils semblent aussi plus fébriles que d’habitude. Cela n’augure rien de bon…
Des cartes rebattues
Il demeure plusieurs inconnues quant à la direction où souhaitent nous mener les scénaristes. Le choix de tuer Nacho aussi tôt pose question. D’un point de vue narratif, il aurait été possible de rallonger son intrigue de quelques épisodes. Il aurait été intéressant de voir Lalo et Nacho interagir une dernière fois, mais les créateurs en ont décidé autrement. Peter Gould avait promis que cette dernière saison serait très imprévisible.
Imprévisible, cette saison l’est. Mais, elle est déroutante à bien des égards. Le fil rouge n’est pas encore clair. Pour le moment, l’intrigue de Jimmy est indépendante de la partie Cartel. De plus, on ne connaît pas encore le détail du plan de Jimmy et Kim : on entraperçoit pendant l’épisode un tableau où ils accrochent des post-its, mais tout reste bien obscur. Gordon Smith confirme que ce choix est volontaire en citant le co-créateur Peter Gould : « Si vous voulez que le plan tourne mal, alors écoutez le plan, car c’est ainsi que vous saurez que le plan a tourné mal. Mais si le plan ne tourne pas mal, alors vous n’avez pas besoin de l’entendre. Dites-moi simplement qu’il va y avoir un plan et donnez-moi ses grandes lignes. Ensuite, c’est plus amusant de le découvrir au fur et à mesure. »
L’heure commence à tourner. Quand la transformation de Jimmy en Saul s’opérera-t-elle ? Quand est-ce que Lalo fera son apparition et viendra faire joujou avec Gus ? Y aura-t-il des épisodes consacrés à la période Breaking Bad ? Les questions s’accumulent et, pour le moment, il est encore trop tôt pour avoir un avis tranché sans avoir vu l’ensemble de la saison. Rock and Hard Place est un très bon épisode. Le rythme est soutenu ; l’intrigue avance implacablement. Les scénaristes prennent un grand risque à tuer Nacho aussi tôt (il faut réussir à meubler les dix épisodes). Il me tarde de voir la suite avec l’espoir de voir les pièces du puzzle commencer à se constituer de manière cohésive. Une chose est sûre : le reste de la saison sera encore « plus sombre », à en croire Gordon Smith…
J’ai aimé :
- Un épisode haletant sans temps mort
- Le dernier discours de Nacho qui prend aux tripes et le jeu de Michael Mando
- L’attention aux détails (le tesson de verre que trouve Nacho dans la corbeille est le verre qu’a cassé Gus dans l’épisode précédent à cause du stress, etc.)
Je n’ai pas aimé :
- La mort de Nacho survient peut-être un peu trop tôt (à voir si c’est un pari gagnant)
- Le plan de Jimmy et Kim n’est pas encore clair (mais c’est voulu par les créateurs)
Ma note : 16/20