Il fallait que Better Call Saul frappe fort pour clore cette mi-saison placée sous le signe de l’anticipation. Les scénaristes ont-ils réussi leur coup ? Sans plus de suspense, j’ai envie de répondre un grand oui, car cataclysmique aura été ce dernier épisode intitulé Plan and Execution. Nous voilà désormais pris au piège dans l’engrenage de la tragédie dans tout ce qu’elle a de plus noir, de plus lugubre, de plus révulsant...
Un cliffhanger réussi ?
Le co-créateur de la série Peter Gould promettait un cliffhanger de taille dans la grande tradition sérielle, même s’il n’était pas prévu initialement de diviser cette ultime saison en deux parties. Pourtant, les retards qui s’enchaînent, dus au Covid, et l’incident cardiaque de Bob Odenkirk en ont retardé la sortie. On imagine également la pression de la chaîne AMC qui souhaite capitaliser un maximum sur sa poule aux œufs d’or, sachant que ce nouveau calendrier permettra à la série de concourir deux années de suite aux Emmy Awards.
Au-delà de toutes ces considérations, le cliffhanger de mi-saison (même non conçu comme tel) est de taille. Il signe désormais la rencontre consommée entre l’univers criminel et l’entre-soi de Jimmy et Kim, un vrai point de non-retour. La mort d’Howard est cruelle ; alors qu’il vient confronter Jimmy et Kim face à l’immoralité de leurs actes, il devient une victime collatérale du courroux aveugle de Lalo. Le meurtre est filmé de manière assez crue : le sang gicle, sa tête cogne contre la table, rien ne nous est épargné.
Une réalisation dantesque
Il est intéressant de noter la différence du choix de mise en scène comparée à l’épisode Long Term Parking de la série Les Soprano, dans lequel trépasse aussi un personnage chéri par les téléspectateurs. Mais, contrairement à Plan and Execution, la caméra se détourne, ne captant pas l’acte, préférant filmer le ciel ; l’explication donnée par le scénariste était qu’il ne souhaitait pas faire endurer ce spectacle à lui-même et au public.
Il y a donc clairement une volonté assumée des créateurs de Better Call Saul de choquer. La réalisation est d’ailleurs magistrale dans sa capacité à retranscrire la tension vécue par les protagonistes. En particulier, on retiendra l’image de la flamme vacillante (comme annonçant l’arrivée d’un esprit, ce qui est dramatiquement ironique sachant que Jimmy croit vraiment à la mort de Lalo) et le ralenti qui montre la silhouette de Lalo apparaître derrière Howard.
Comme un goût d’inachevé
Si l’exécution de l’idée de tuer Howard est réussie, en est-il autant de l’idée elle-même ? Rétrospectivement, on comprend un peu mieux la volonté d’humaniser Howard en s’attardant parfois autant sur le personnage dans ses moments les plus vulnérables (comme sa situation conjugale). On a l’impression que les scénaristes ont cherché à le rendre le plus empathique possible pour renforcer la tragédie de sa disparition. Cependant, certains pourront reprocher aux scénaristes d’avoir choisi la solution de facilité. Il est en effet dommage qu’Howard ait toujours été cantonné au rôle de victime et il aurait été intéressant de le voir se battre griffes et ongles contre Kim et Jimmy, maintenant qu’il a percé le mystère de leurs manigances.
Mais, d’un autre côté, le plan de Kim et Jimmy ayant réussi, leur victoire ne pouvait être totale dans l’univers de Vince Gilligan dans lequel aucune action ne reste sans conséquence. Tous les choix entrepris jusque-là (la fameuse "route du mauvais choix") se devaient de se retourner contre le couple McGill, eux qui ont ruiné la carrière d’un innocent par pur appât du gain ou plutôt par pur sadisme (comme le suggère Howard, « c’était pour vous amuser »). Le fameux effet papillon est de sortie. En ce sens, cette fin d’épisode fait sens dans la trajectoire entreprise par Kim et Jimmy.
Nouvelle lecture
Et si l’un des objectifs non avoués (le génie, diront certains) de cette mi-saison n’était pas finalement de changer notre perspective sur les personnages ? Nous qui soutenions Jimmy et Kim dans leurs manigances au cours des saisons précédentes, ne devient-il pas difficile pour nous de justifier leurs actions ? Ils ont franchi la ligne rouge depuis le début de saison au point de devenir méconnaissables. Où est passée la Kim empreinte de justice et de bonnes intentions ? Où est passé le Jimmy maladroit, mais au bon cœur ? Et si Howard disait la vérité quand il traite Jimmy et Kim de sociopathes ?
Avec cette lecture, le visionnage de tout l’épisode devient à la limite du soutenable. À mesure que les pièces du puzzle s’agencent, on espère qu’Howard s’en sortira, que le plan de Jimmy et Kim ne fonctionnera pas comme prévu. Mais c’est peine perdue : Howard passe pour un illuminé auprès de ses confrères. L’intelligence ou le machiavélisme du plan de Kim et de Jimmy, c’est de faire en sorte qu’Howard les soupçonne, mais sans qu’il puisse le prouver. En particulier, la révélation que le détective privé était depuis tout ce temps de mèche avec les deux tourtereaux rajoute une compréhension nouvelle.
Des reproches légitimes
Mais certains pourront pester à juste titre sur l’intérêt de s’être autant attardé sur la préparation du plan pendant six épisodes et pourront exprimer leur déception quant à la révélation finale. Certains pourront même se sentir perdus devant cette sixième saison qui redéfinit nos rapports et notre compréhension des personnages. Et ce ne serait pas surprenant, car les scénaristes ont fait des choix audacieux qui ne laisseront personne indifférent (par exemple, tuer Nacho aussi tôt, faire passer Kim et Jimmy dans le côté obscur, ne rien dévoiler de leur plan...). Et honnêtement, je les comprends.
Cette mi-saison n’aura pas été sans défauts (notamment sa lenteur parfois excessive). Mais, pour peu que l’on s’en rappelle, depuis 2015, la série aura toujours été portée par ce bagout qui parfois vire à la prétention, qui d’autres fois engendre des fulgurances : l’on sent que les scénaristes font fi de toutes contraintes sérielles, qu’ils prennent un plaisir fou et prennent leur temps.
Que prédire pour la suite ?
Sauf que désormais, il ne reste plus que six épisodes. Six épisodes pour conclure la partie avec Lalo, faire le pont avec Breaking Bad et clôturer l’intrigue dans le futur avec Gene. Il est fort probable que la mort attendue de Lalo ait lieu dans les deux prochains épisodes, sauf si les créateurs essaient de rallonger artificiellement les choses (ce qui serait surprenant tant il reste d’éléments à résoudre). Mais pour raconter quoi ensuite ? C’est là que tout est possible en termes de format et de chronologie et cela risque d’être, je l’espère, terriblement excitant.
En attendant, le co-créateur Peter Gould nous donne matière à réfléchir : « Quelle leçon retiennent-ils [Jimmy et Kim] de cet horrible incident qui s’est produit dans leur salon ? C’est vraiment le moteur de tout ce qui se passe ensuite et je ne pourrais en être plus fier. Je pense que c’est très humain et réel, mais je pense que, pour moi en tout cas, c’est très imprévisible. Il y a une dimension de cette saison que vous n’avez pas vue... Vous n’avez pas vu beaucoup de choses dont nous avons parlé lorsque nous avons commencé à planifier cette saison. »
Pris individuellement, Plan and Execution est donc un très bon épisode qui met un gros coup d’accélérateur à l’intrigue et qui arrive à mêler humour, tension et tragique. Néanmoins, d’un point de vue global, cette première moitié de saison laisse pour l’instant un goût doux-amer ; elle a été déconcertante par moments, parfois trop confiante en ses effets (avec l’impression que c’est n’est qu’une longue mise en bouche). La seconde partie de saison saura-t-elle rectifier le tir ? Rendez-vous le 11 juillet pour le découvrir.
J’ai aimé :
- Pas de temps mort
- La première partie qui renoue avec les débuts de Better Call Saul
- Les dernières minutes déchirantes
Je n’ai pas aimé :
- Peut-être le potentiel gâché d’Howard
- Attendre la suite
Ma note : 17/20