Après une première partie de saison un peu molle dans sa construction dramatique, la suite avait relevé le niveau en dynamisant à la fois l'intrigue et la mise en scène. Encore fallait-il ne pas rater sa sortie, d'autant plus que le final du dixième épisode était aussi terrible qu'alléchant pour la suite. Eh bien non, encore une fois, Boardwalk Empire nous montre qu'elle sait mettre le paquet quand il le faut. Et brillamment.
Un rythme inhabituel
Depuis ses débuts, la série de Terence Winter nous a habitué à un rythme assez lent, contemplatif, pour mieux nous surprendre par sa violence passagère. Violence, qui, dans le onzième épisode, explose dès la première séquence, effectuant ainsi un contrepoint à la construction dramatique habituelle des épisodes. Dès le départ, Nucky est donc en danger : il en est surpris, et le spectateur avec lui.
La construction narrative qui en découle est également originale pour la série. En effet, au lieu d'une lutte de pouvoir à distance, la majorité du onzième épisode suit un Nucky en fuite qui tente de sauver sa peau et de trouver des alliés le plus rapidement possible. Sans cesse menacé par les hommes de Rosetti et Masseria, la tension est permanente, que ce soit lorsque le danger est hors champ quand Nucky se cache ou lorsqu'il est imprévisible pendant les nombreux face-à-face.
Si sa construction narrative est relativement semblable à ce que fait la série en général, le douzième épisode démarre pourtant avec ce même esprit de contrepoint. Alors qu'on s'attend à voir les négociations entre Nucky, Chalky et Capone et l'élaboration de leur plan, l'épisode démarre à la manière d'un film de gangster en effectuant un montage alterné des affrontements entre mafieux et le maire d'Atlantic City qui se fait interroger par des journalistes à ce propos. Ponctué par une musique presque militaire et des effets très esthétiques tels un ralenti et plusieurs fondus, la séquence semble tout droit sortie des Incorruptibles (Brian De Palma, 1987), qui se déroule dix ans plus tard.
Le maire d'Atlantic City : un vrai déconneur
Même si ce n'est pas la première fois dans la série (cela avait été fait dans le deuxième épisode de cette troisième saison, par exemple), ces effets de montage assez cinématographiques sont d'ailleurs assez rares dans Boardwalk Empire, la série préférant généralement magnifier son image par le cadrage et la lumière.
Des confrontations jouissives
Au-delà de ce changement de rythmes, ce qui m'a vraiment extasié (oui, à ce point) dans cette fin de saison sont les nombreux face-à-face entre les divers personnages. Du genre qui font monter la pression, qui montrent toute la violence qui se cache derrière le fantasme du monde mafieux des années 20, ou encore qui réunissent pour la première fois plusieurs personnages dont on suit les péripéties parallèles depuis le début de la série.
Les confrontations les plus directes (et les moin sauvages) se trouvent dans l'épisode 11, avec la recherche de Nucky par Rosetti, qui se heurte alors aux hommes de Charlky White. Il n'y a pas de coups de feu, pourtant la tension est énorme lorsque les deux personnages s'échangent des menaces à peine déguisées. Les scénaristes nous prouvent alors une nouvelle fois la réussite du personnage de Gyp Rosetti : par son imprévisibilité, l'issue typique de ce genre de confrontation devient incertaine et on se demande si un nouvel élan de folie de va pas le frapper soudainement. Malheureusement, le même procédé est à nouveau utilisé dans l'épisode lorsque Nucky est transporté dans une sorte de charrette : le passage n'est pas dénué de tension, mais on se doute bien qu'une nouvelle fois les hommes de Chalky vont le défendre.
Mais le point culminant de cet épisode reste sa dernière scène, qui exauce un des fantasmes du spectateur de Boardwalk Empire que je suis (et je ne suis pas le seul, j'en suis certain) : la réunion de Nucky, Eli, Chalky White et Al Capone dans le même clan pour lutter contre Rosetti et Masseria. Jusque là, Al Capone n'était encore qu'un petit mafieux qui tentait de prendre de l'importance sous l'aile de Johnny Torrio. Cette situation était frustrante pour le spectateur, mais la jubilation de voir enfin sa transformation n'en est que plus importante.
Al Capone IS born
Cette alliance ne se sera pas soldée dans l'épisode suivant par beaucoup de duels à l'arme à feu comme on aurait pu le prévoir (mis à part la première séquence, donc). C'est sans doute un peu dommage d'autant plus que les bagarres entre italiens et noirs, même si elles montrent que l'alliance mafieuse n'empêche pas les clivages sociaux et raciaux de l'époque, ne servent dramatiquement pas à grand chose. Mais cela laisse finalement plus de place à l'humain pour le season finale, et il y aura malgré tout une grosse fusillade vers la fin de l'épisode contre les derniers hommes de Rosetti.
En revanche, mon deuxième fantasme sera réalisé dans ce season finale, lorsque Richard prend d'assaut la maison close de Gillian occupée par Rosetti. La séquence rappelle celle qui concluait quasiment le film Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) à la différence près que contrairement au personnage du film, Richard n'a pas rien à perdre : le fils de Jimmy est à l'intérieur. Il réussit son opération sans égratinures, en laissant derrière lui Gillian (une scène entre les deux aurait d'ailleurs pu être intéressante). L'affrontement est certes un peu surréaliste, mais le plaisir ressenti à voir Richard enfin sortir de ses gonds en vaut largement la chandelle. Et puis, après la mort de Jimmy à la fin de la deuxième saison, les scénaristes ne pouvaient pas se permettre de perdre à nouveau un des personnages les plus charismatiques de la série (et je ne vais pas m'en plaindre).
Back to half a gangster
Car qu'on se le dise, le meilleur personnage de Boardwalk Empire n'est pas Nucky Thompson, malgré l'interprétation impeccable de Steve Buscemi. Pourtant, cette saison aura montré une évolution très intéressante du personnage, dont les deux derniers épisodes en représentent le point d'orgue.
Au début de la saison, Nucky s'était endurci et se montrait impitoyable, que ce soit avec ses ennemis ou même avec son frère. Puis, les épisodes suivants n'arrêtaient pas de le rendre un peu plus humain à chaque fois, alors que Gyp apparaissait de plus en plus comme une bête. Ainsi, après la mort de Billie Kent, puis celle d'Owen, la grave blessure de son majordome au début du onzième épisode continue sa remise en question. C'est notamment le cas lorsqu'il s'aperçoit qu'il ne connaît rien de sa vie alors que ce dernier l'accompagne depuis de nombreuses années, et surtout que dans ce monde rempli d'hypocrites c'est peut-être le seul qui ne l'a jamais trahi. Il finit même par prendre le risque de se faire repérer par Gyp pour avoir une chance de le sauver.
Nucky Thomson... humain malgré tout ?
Le temps où Nucky tuait de sang froid un gamin qui l'avait volé semble désormais bien loin, et c'est pourtant à ce moment-là qu'il était le plus dangereux. Mais le pouvoir a un prix : il nécessite d'être un gangster à part entière, et de peu à peu laisser son humanité derrière soi. C'est d'ailleurs aussi ce qui arrive à Walter White dans la cinquième saison de Breaking Bad. Ce n'est qu'à partir du moment où Nucky devient faible et non plus le prédateur mais la proie, qu'il retrouve sa part d'humanité.
Il paraît donc logique qu'en parallèle à l'organisation de la chute de Gyp Rosetti, il cherche à se procurer une porte de sortie. Cette sortie, il la trouve grâce à un dernier stratagème qui lui permet de se débarrasser à la fois des menaces du FBI et d'Arnold Rothstein, qui risque d'avoir de sérieux ennuis. Tour à tour pendant l'épisode, les deux camps mafieux se livrent ainsi une véritable partie de dames (les métaphores sur les échecs sont déjà prises par Scarch, alors j'innove), mais Nucky sacrifie son pion majeur, sa distillerie, pour s'en sortir indemne.
Indemne ? Pas tout à fait, car si cette guerre des gangs lui aura permis de se rapprocher de son frère et de se faire des alliés précieux, il aura perdu Margaret et son prestige. Après être passé du petit mafieux au grand patron d'Atlantic City à la fin de la saison 2, cette troisième saison aura finalement été son retour à la case départ. Comme il le disait lui-même à la fin de la première saison de la série, chacun doit décider de la quantité de pêchés avec lesquels il peut vivre («We all have to decide for ourselves how much Sin we can live with»). D'ailleurs, la dernière scène de la saison l'illustre magnifiquement, en reprenant quasiment à l'identique certains cadrages du générique de la série. Sauf qu'à la fin, au lieu de se diriger seul et majestueusement vers la ville, un travelling final le confond dans la foule. Le pharaon qui contrôlait jadis la ville, en devient maintenant un membre anonyme, tel un fantôme errant sur son empire déchu.
IV Conclusions et redistributions des cartes : quelles pistes pour la suite ?
Avec cette fin de saison qui conclut la plupart de ses intrigues, difficile de prévoir ce qu'il se passera dans la saison 4. A coup sûr, on n'en a pas fini avec l'aspect mafieux de Nucky, même si ce sera probablement davantage des problèmes qui lui tomberont dessus plutôt qu'une initiative de lui-même. Gillian ? Je ne suis même pas certain de son sort. Richard ? Depuis le début de la série, son seul but est d'être heureux. J'aimerais le revoir avec Julia, mais vu leur dernier échange cela m'étonnerait. Le voir élever seul le fils de Jimmy sera intéressant, mais j'espère tout de même qu'il sera relié à une autre intrigue de la saison.
Non, finalement, avec la prise au piège de Rothstein, cette quatrième saison sera peut-être celle de l'asciension des nouveaux gangsters, dont notamment Al Capone, mais également Lucky Luciano qui pourrait ne pas rester très longtemps en prison. Et avec Van Halden en plus dans l'équation, ce serait vraiment cool.
Comme quoi, Boardwalk Empire reste toujours autant imprévisible. Et pour une série basée sur une époque ayant déjà existée, c'est plutôt pas mal.
J'ai aimé :
- La tuerie de Richard
- L'arrivée d'Al Capone à la fin de l'épisode 11
- Le plan échafaudé par Nucky tout au long du season finale
- La dernière scène de la saison
- Et puis pas mal d'autres choses
J'ai moins aimé :
- La mort de Rosetti, pas mauvaise mais qui aurait gagné à être plus théâtrale étant donné le personnage
- Quoique très bon, le rythme dramatique de l'épisode 11 est un poil redondant
- L'absence de Van Alden
Ma note pour le 3.11 : 17/20.
Ma note pour le 3.12 : 17/20.
Je met la même note pour les deux épisodes, car même si l'équilibre entre excitation et réussite objective est différent, au final j'ai autant adoré l'un que l'autre.