Le problème avec les œuvres créatrices ou fictionnelles qui durent longtemps, c’est qu’elles risquent un jour ou l’autre de décevoir leur public d’origine. Même Emile Zola, en publiant son quinzième tome des Rougon-Macquart, La Terre. se prit une jolie volée de bois vert (voir la controverse du Manifeste des Cinq). Un auteur a des idées limitées dans le temps et, à force de publications, finit souvent par aborder les mêmes thèmes.
J’ai déjà et à plusieurs reprises crié tout l’amour que j’ai pour Steven Moffat. J’aime profondément le travail de cet homme en tant que scénariste de Doctor Who, mais aussi comme co-adapteur brillant de l’œuvre de Conan Doyle et comme showrunner d’une parfaite sitcom anglais méconnue. Cette année, il me faut reconnaitre que l’Ecossais n’y est plus. Cette année, Doctor Who ne nous livre pas une saison de qualité. Cette année, je traine des pieds avant de regarder chaque épisode.
Pourtant, avec celui de cette semaine, j’avais de l’espoir. La seule présence de Neil Gaiman au scénario garantissait à coup sûr une écriture fine et un épisode de qualité. Alors, je vais stopper tout suspense et vous avouez la triste vérité : je déteste cet épisode. Non, je hais cet épisode qui représente – selon moi – le symbole absolu de l’échec créatif de cette saison.
Steven Moffat aux abonnés absents
Steven Moffat n’aime visiblement pas être showrunner de Doctor Who. Ou plutôt si, il aime bien l’être juste pour pouvoir apposer sa touche personnelle dans l’univers vaste de la série. Pour tout le reste (relecture des scénarios des autres, construction d’une intrigue globale et uniformisation autour d’un ou plusieurs thèmes), il ne répond pas présent. Alors non, je ne crois pas que Moffat soit un égoïste/incapable de communiquer. C'est juste quelqu'un qui ne souhaite pas travailler en équipe, soit par pudeur ou par peur de bouleverser ses co-scénaristes, soit parce que l'envie ne lui prend pas. Et on ne peut pas vraiment lui en vouloir car il a toujours travaillé comme cela : sur Sherlock, lui et Mark Gatiss se gardent 80% des épisodes clefs, sur Jekyll c'est plus simple, il scénarise l'ensemble des six épisodes, et sur Coupling, c'est encore mieux puisqu'il est le scénariste unique des 28 épisodes du show. Moffat, c'est un auteur de comics qui commence un run avec une idée précise et qui la développe seul sur la longueur. Au final, nous saurons quoi penser de son véritable travail sur Doctor Who (non pas en tant que showrunner, mais en tant que scénariste) lors de la 8ème saison qui devrait boucler toutes les intrigues (et il y en a un paquet).
La construction de cette « saison » 7 est donc pour lui une solution rêvée. Il donne un pitch (résumable en une ligne) à chacun des scénaristes, deux – trois idées directrices de ce qu’il veut faire cette saison. Puis il se barre. Neil Gaiman, dans une interview donnée avant la diffusion de cet épisode, explique le processus de travail entre l’Ecossais et lui, l’Anglais : Steven Moffat l’a informé de la façon dont « Clara s’exprimait » et c’est tout. Rien sur son rôle. Rien sur la relation entre elle et le Docteur.
Neil Gaiman aux abonnés absents
Dans l’épisode, on voit tout de suite le problème : tout sonne faux. Clara a encore moins de substance qu’elle en a eu les épisodes précédents (seul Neil Cross arrive à lui en donner dans « Hide »), Matt Smith joue n’importe comment (à sa décharge la performance qu’on lui demande d’accomplir est très ardue), les guests ne savent pas quoi faire et surtout l’épisode entier est bourré de failles scénaristes assez hallucinantes. Pêle-mêle, on peut citer : le Docteur qui évoque des personnes disparues dans le parc d’attractions sans que jamais il n’y ait été fait mention auparavant et Porridge qui risque la vie d’un tas de soldats, de deux enfants et du Docteur et de sa compagne parce qu’il avait peur des responsabilités (WTF !). L’épisode est presque un jeu de piste constituant à reconstituer ce qui a été coupé au montage par rapport au scénario originel. Neil Gaiman admet lui-même sur Twitter que le nombre de scènes coupées est très élevé.
Et il est bien là le problème avec cet épisode. Installez-vous tranquillement sur votre canapé que je vous explique le tout en une phrase : on n’embauche pas un scénariste de renom pour ne lui donner aucune consigne en pré-production, lui laisser écrire son scénario sans rien y corriger, filmer le dit-scénario pour ensuite massacrer son travail en post-production. Car au final, tu obtiens deux choses :
- Jamais plus ton scénariste ne retravaillera avec toi.
- L’œuvre projetée aura autant de cohérence que la première fin de Blade Runner.
Disney Who ?
On en vient directement à ce qui me gêne vraiment avec cette saison et que cet épisode nous résume en une seule image :
Voilà, tout y est : deux enfants. Qui sautent. Devant un Drapeau. L’Amérique. Le scénario de Gaiman fait encore plus fort en proposant au groupe des gentils de protéger un parc d’attractions, puis un château de princesse face à une armée de méchants. Je sais bien que j’ai la surinterprétation facile, mais il est assez aisé de voir dans le parc d’attractions une métaphore de Disneyland. Je ne pense que cela soit vraiment volontaire de la part de Gaiman, mais il est pourtant amusant de voir dans cet épisode une défense de l’américanisation du show anglais (la BBC semble beaucoup tenir à la diffusion de la série sur BBC America qui engrange beaucoup d’audience) face à une horde de fans défendant une certaine mécanique d’origine de la série.
Après, je n’ai pas grand chose d’autre à dire sur cet épisode qui cumule tout ce que je déteste dans Doctor Who : des mauvais acteurs (la fille), une approche « familiale » du show, des effets-spéciaux faits par-dessus la jambe, un montage affreux (il y a même des plans qui se répètent – amusez-vous à les trouver -), une absence de fil rouge, une écriture sans fond, un scénario incohérent et profondément stupide. Mais cela je l’ai déjà dit je crois.
« The Nightmare in Silver » est un cauchemar absolu de fan et se place au firmament des plus grosses daubes produites par le show. Plus qu’une déception, une confirmation que la série de Steven Moffat est en train de prendre une très mauvaise voie.
J’aime :
- La bande annonce en fin d’épisode de « The Name of Doctor » (et encore, elle n’était pas si terrible que cela)
Je n’aime pas :
- L’intégralité de l’épisode
Ma note : 05/20.