Et voici que Doctor Who fait ce qu'il n'a jamais fait en 50 ans : un épisode de transition. A mi-parcours de sa saison 8, qui a définitivement très bien démarré, Doctor Who fait ses comptes : un épisode introductif, un épisode Dalek, un épisode bon-enfant, un chef d'oeuvre dans le genre horror, un pur Science-Fiction. Il manquait encore un épisode comique pour compléter ce tableau. Se rendant compte des défauts évidents de The Lodger et de son petit frère Closing Time, Gareth Roberts et Steven Moffat ont retenté l'expérience en misant gros : voici le premier épisode de l'histoire... qui n'a pas de scénario. Tenez-vous bien car en plus : c'était réussi. Voyons comment...
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De la transition des choses...
Autant commencer tout de suite par ce qui ne va pas : le scénario n'existe pas. Le Skovox Blitzer, bien qu'extrêmement bien réalisé et mis en scène, n'a aucun background, aucune personnalité, juste un robot de plus dans la pile des monstres de cette année. Le scénario tient en trois phases : le Docteur arrive dans l'école, le Docteur repousse le monstre au lendemain, le Docteur affronte le monstre à la fin. Point. Cela doit bien être la chose la moins importante et qui laissera le moins son empreinte dans l'histoire de Doctor Who. On avait déjà eu par le passé des épisodes qui ne développaient pas immédiatement de scénario (The Rings of Akhaten), ou bien qui n'avaient plus vraiment de scénario à la fin (Vincent and the Doctor, les épisodes de Gatiss...) mais The Caretaker frappe fort, très fort. Au moins, on peut dire que c'est assumé.
Il y également le fil rouge, qui fait une apparition totalement inattendue sur la fin et qui dénote toujours autant du reste de l'épisode (comme dans Into the Dalek). Mais c'est vraisemblablement voulu. A mi-chemin de la saison, Moffat a reproduit le même schéma qu'en saison 5 en nous balançant noir sur blanc une chose jusque là évidente sur le mystère principal : la Terre Promise, ou la Nethersphere représenterait donc bien un lieu de vie après la mort. Du coup, Moffat écrase toutes les théories et prouve donc qu'il y a quelque chose de bien plus fouillé derrière. Il redistribue les cartes, en somme, et comme pour la faille de la saison 5, on est juste tout simplement paumé. Je n'ai pas l'once d'une seule théorie, peut-être la vague idée d'un "monde virtuel", mais quoi ? Qu'est-ce que la Nethersphere ?! Mystère.
Hormis l'apparition surprise du fil rouge donc, nous avons une menace en carton qui a le droit à trois scènes à tout casser. Un simple robot qui bouge dans tous les sens sans véritable but : en clair, on s'en fout, ce sont les personnages qui comptent, voilà le message. Tout l'intérêt ne réside que dans le fait de confronter les personnages et leurs trois points de vue sur la situation. Sur ce plan-là, que c'était bien fait ! Trois personnages, trois problèmes, trois regards...
I) I'm a Caretaker now. Look, I've got a brush.
« Ah, yes, there has been a spillage. »
Bien évidemment avant toute chose, c'est un épisode sur le nouveau gardien, le Docteur en "deep cover" comme il l'appelle. L'occasion de montrer toutes les facettes de Twelve. Et c'est la confirmation de ce que l'on pensait : maladroit, dur dans ses propos, il fait pourtant tout son possible pour aider les humains et ne comprend pas le si peu de reconnaissance de la part de cette espèce primitive à ses yeux. Délicieusement cynique ou involontairement drôle, pas qu'un brin prétentieux, en décalage total avec la race humaine, il est au fond ce qui devrait être le premier terme nous venant à l'esprit quand il s'agit de le définir : alien.
Clara - Doctor, is there an alien in this school?Doctor - Yes. Me !
Encore plus fort que Eleven dans The Lodger, Twelve agit ici comme la figure parfaite du gardien : discret, agissant dans l'ombre, beaucoup plus important qu'on ne le pense, il vit dans sa petite cabane à l'abri des regards. Et surtout : il ne veut pas être dérangé. Même pas par Clara ou par n'importe quel autre humain. C'est un solitaire, un génie incompris, qui pense même comprendre les humains mais qui n'y arrive pas. En clair, il se trouve à la limite de l'autisme.
Doctor - You've made a boyfriend error.
Cela n'aurait en soi rien de nouveau et l'épisode aurait été intéressant "seulement" pour Clara et Danny si cela s'arrêtait là. Mais la vraie bonne idée de l'épisode pour faire quelque chose d'original avec le Docteur, c'est Courtney. Courtney Woods, la petite tête à claque qu'on a aperçu à deux reprises au début de la saison et qui semble faire tourner en bourrique ses professeurs. Courtney, celle que tout le monde appréhendait - soyons clair, moi-même je m'attendais et je redoutais l'arrivée d'une Angie Bis dans la série. Et on est tellement loin de ça ! Car la dynamique entre Courtney et le Docteur est du jamais-vu et est juste incroyable.
Doctor - The door. It says : "Keep Out."Courtney - No, it says : "Go Away Humans."
Leur relation est absolument surréaliste : ces deux incompris se parlent sans s'écouter et bien qu'ils soient diamétralement opposés, leurs personnalités les rapprochent naturellement. C'est comme si elle se foutait de trouver une boîte magique dans la cabane d'un homme d'entretien et c'est comme s'il se foutait de la montrer à la première venue. C'est juste magique de voir à quel point les deux sont naturels ensemble. Cela même quand on ne sait rien d'elle et qu'on appréhende comment lui aurait pu réagir ! Les deux semblent déjà être parfaitement complémentaires et avoir trouvé quelqu'un qui comprend l'autre.
Courtney - You're weird.Doctor - Yes, I am. What about you?
Courtney - I'm a disruptive influence.
Doctor - Good to meet you.
Courtney - And you !
Doctor - Now get lost.
Courtney - OK.
Je n'ai qu'une hâte : voir les deux en action, ensemble, dans le TARDIS, et je suis impatient de voir comment ils vont réussir à mettre en scène ce qui pourrait bien être, en apparence, le partenaire qui manquait à Twelve.
II) Ozzie Loves the Squaddie !
« Because... it's amazing. Because... I see wonders. »
Une fois n'est pas coutume, si l'épisode tourne véritablement autour du Docteur, c'est pourtant Clara qui tient le rôle principal. Difficile d'y échapper quand tout se passe dans son école. Attendez, "son" école ?
Clara - So you're leading the thing here ? To a school ? My school ?Doctor - "MY school" ? Oh, that is telling.
La dynamique entre Clara et le Docteur est plus que jamais incroyable, l'une des meilleures qu'on ait eu dans la série et sans conteste la meilleure depuis 2005 et Ten/Donna. Les deux se sont au final très bien trouvés et ces deux caractères forts ne semblent toujours pas filer le parfait amour. Surtout avec des égos aussi gros.
Clara - Sorry. Stupid. I underestimated you.Doctor - Easily done, there's a lot to estimate.
Depuis ses débuts en 2012, Clara s'était efforcée de garder sa vie bien entre ses mains. Son obsession de vouloir tout contrôler surgissait de temps à autre mais pas de doute, c'était elle la "boss". La venue d'Angie et Artie dans le TARDIS, première interraction entre les deux vies qu'elle menait, lui avait déjà fortemment déplu. Au début de la saison 8, rien n'allait plus avec son Docteur et sa personnalité trop parfaite était brisée. Aujourd'hui, c'est sa vie parfaite qui est chamboulée. Elle avait pourtant réussi à retrouver un certain équilibre et à garder un contrôle bien distinct sur ses deux vies parallèles. Seulement voilà, à trop vouloir jouer avec le feu, elle a fini par se brûler et cet épisode sonne la fin du double-jeu trop parfait de miss Clara. Cela malgré tous ses efforts.
Clara - I can't keep doing this. I can't do it. Yes, I can, I can do it, of course I can do it. I've got it all under control.
L'épisode s'attèlera donc petit à petit à démanteler la vie trop parfaite de Clara, finissant le travail qui avait été entamé dans Deep Breath. A ce titre la scène d'introduction était parfaite, rappelant toutes les très bonnes idées de The Power of Three mais adaptées à Clara. A la fois drôles et révélatrices, toutes les actions de Clara dans la première partie de l'épisode seront tournées vers une seule chose : éloigner Twelve et Danny. Ca, c'est pour la partie "fun". Ca devient vraiment intéressant donc, une fois que Danny et le Docteur, que les deux "boys" de Clara se rencontrent. Le choc des univers !
Et ô surprise, ces deux-là ne s'aiment pas. Danny est trop intelligent, trop humain et trop émotif pour un Docteur qui est trop froid, trop prétentieux et qui a trop d'à prioris. J'aurais l'occasion d'y revenir en évoquant le point de vue de Danny. Reste que la raconte des deux, pour Clara (et donc pour nous) est un cocktail explosif donnant des scènes assez brutales, éloignant définitivement l'épisode de ce qu'on pourrait appeler un "light-hearted" comme Robot of Sherwood. C'est au contraire loin d'être léger et très sérieux ici : c'est ce qui a fait drastiquement évolué le personnage de Clara.
Danny - If he ever pushes you too far, then I want you to tell me. Because I know what that's like. You tell me if that happens, yeah ?
Clara - Yeah, it's a deal.
Danny - No. It's a promise.
Clara - Ok. I promise.
Danny - If you break that promise, Clara, we're finished.
Clara - Don't say that.
Car bien sûr tout ne doit pas péter trop brusquement et la fin de l'épisode s'achève comme celle d'Into the Dalek : une fin assez douce qui arrange parfaitement les choses pour Clara, avec pourtant une gêne évidente dans les propos énoncés. On sait d'avance qu'il y aura des répercussions. Ce "Don't say that" n'est pas là par hasard. Après avoir été au centre pendant très longtemps, la belle n'a plus aucun secret pour personne. Elle connait le Docteur parfaitement et occupe la plus grande place de libre pour un être humain dans son coeur, elle roucoule avec son boyfriend et sait déjà grâce à Orson qu'ils ont un avenir certain à deux, elle peut enfin partager les merveilles qu'elle voit avec quelqu'un. En un mot : le personnage devrait à la fin de cet épisode être sur un petit nuage. Et pourtant... Elle n'en a peut-être pas totalement conscience, mais les choses commencent à lui filer entre les doigts. Reste à voir ce que nous réserve la suite. Voyons combien de temps le masque peut tenir.
III) I'm a Maths Teacher !
« He's... your space dad ! »
En apparence, Danny c'est le nouveau love-interest de Clara, le nouveau Mickey/Rory, le beau-gosse qui va être un peu concon et se faire balader par le Docteur.
Danny - How stupid do you think I am ?Doctor - I'm willing to put a number on it.
Heureusement, on est bien à milles lieux de ça. Danny se révèle au final très intéressant. Les précédents teasings n'étaient encore une fois pas trompeurs : c'est un soldat et forcément quand il en vient à être confronté au Docteur, tout ne se passe pas exactement comme prévu. Ni pour l'un, ni pour l'autre, ni pour Clara. D'un point de vue scénaristique il relance la saison, il relance tout l'intérêt entre Clara et le Docteur. Il permet à Clara de faire le point sur sa relation avec le Docteur et sur ses aventures. A l'avenir, Clara aura moins de charges sur ses épaules et a en quelque sorte trouvé un confident quand elle a besoin de parler du Docteur. Cela va peut-être avoir un impact sur sa personnalité (on rappelle qu'elle a perdu sa mère dans l'adolescence et qu'elle comble un vide en s'occupant de tous les enfants qu'elle peut aider). Avec le Docteur, elle pensait avoir trouvé un autre grand enfant dont il faut s'occuper, mais aussi un ami en qui elle pouvait avoir confiance. Ici elle fait face à un rejet. Nul doute que Danny Pink pourra l'aider à grandir en lui apportant son point de vue. Car pour la première fois dans l'histoire de Doctor Who, une compagne se retrouve dans une situation originale où elle peut poser la simple question : "Que penses-tu du Docteur ?". Et la réponse n'annonce pas que du bon.
Danny - I know men like him. I've served under them. They push you and make you stronger, till you're doing things you never thought you could. I saw you tonight, you did exactly what he told you. You weren't even scared. And you should have been.Clara - I trust him. He has never let me down.
Danny commence donc à faire ouvrir les yeux de Clara, même si son admiration pour lui l'aveugle encore un peu. Mais Danny a aussi un impact bénéfique pour le Docteur. Plus indirectement, cette fois. Mais il permet au Docteur d'avouer à demi-mot qu'il tient fort à Clara et qu'il se soucie d'elle. Il était pas formidable leur dernier échange à trois ?
Danny - I just need to do exactly one thing for you. Doctor, am I right ?
Doctor - Yes.
Clara - What ? What one thing ?
Danny - I need to be good enough for you. That's why he's angry. Just in case I'm not.
Contrairement à ce qu'il avance, le Big Bad Time Lord est donc loin de ne jamais se "care", loin de ne jamais s'intéresser à quelqu'un. Au contraire, aurait-il un petit coeur d'artichaud ? A la vue de ses réactions en voyant Mr. Noeud pap', et grâce à Danny, sa personnalité se révèle un peu plus au grand jour. C'est qu'il veut que sa Clara se trouve un petit boyfriend pour veiller sur elle quand il n'est pas là !
Danny a donc un effet très positif et permet en fait à l'épisode de proposer quelque chose de vraiment original et de dépasser le pitch du Docteur "undercover". Tout n'était pas parfait cela dit. Un peu comme la larme dès sa première scène dans Into the Dalek, certaines choses sonnaient un peu faux pour Danny. Ou disons, certaines choses étaient clairement amenées par les scénaristes. Les ficelles sont visibles. Notamment au niveau de l'intérêt du monstre à la fin et la manière dont on s'en débarrasse, clairement amenée pour que Danny ait son moment "saves the day"...
Clara - He, er... He did just save the whole world.Doctor - Yeah, yeah. Good start.
Danny reste un très bon apport pour la série qui complexifie la dynamique entre le Docteur et sa compagne, alors qu'elle était déjà assez ambigüe. Il rend les choses encore plus intéressantes et en tant que personnage, bien que pour l'intant il peine à exister par lui-même, on est loin d'avoir une pâle copie de Mickey ou de Rory. Peut-être pourrait-on espérer une vraie venue dans le TARDIS prochainement ? Si une telle chose se passe en compagnie de Clara, nul doute qu'on aurait un autre épisode riche.
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Il a fallu revenir à la base de la série, à Coal Hill Scool, mais ça y est. Voilà comment faire un épisode sans scénario qui pourtant donne de la matière à chacun des protagonistes. Trois intrigues merveilleusement bien écrites, saupoudrées de dialogues hilarants (c'est sans conteste l'un des épisodes les plus drôles de la série). Les trois points de vue finissent par se confronter pour régler les questions laissées en suspend depuis le début de la saison tout en relançant l'intrigue pour les six épisodes suivants. Car sous les apparences trompeuses, absolument aucun personnage n'est pleinement satisfait de la situation.
C'était donc ce qu'on appelle un épisode de transition et Doctor Who se révèle absolument parfait dans le genre. The Caretaker, malgré une menace extra-terrestre très terne, mêle habilement humour et développement des personnages dans une histoire à trois degrés de lecture.
J'ai aimé :
- Des dialogues cultissimes et hilarants.
- Twelve est génial, encore.
- Clara évolue.
- Danny s'intègre au duo.
- Courtney est tout sauf une Angie Bis.
- Chaque personnage a une relation bien particulière avec chaque autre personnage. Doctor Who n'a jamais fait dans du pur-character-developpment mais ici il s'en rapproche et fait quasiment un sans-faute.
- Une caméra superbe et une esthétique convaincante.
- Une bande-son à tomber par terre (on entend A Sad Man in a Box !!)
- L'arc de la saison très intrigant et bien traité.
- La référence à River, première en date depuis le départ de Matt Smith (malheureusement l'une des seules références cette semaine, ne donnant pas assez de matière pour faire un Coin du Fan !)
- L'épisode monte en puissance, confronte tous les points de vue et calme ensuite le jeu, tout en soignant à ne laisser personne véritablement heureux à la fin, dans le but de tout faire péter dans un avenir plus ou moins proche...
Je n'ai pas aimé :
- Un scénario inexistant.
- Une menace en carton et une piètre excuse pour permettre à Danny de sauver la Terre. Ce backflip sérieux...
- L'amour de Clara pour Danny parait trop soudain et a été mal amené (quelques scènes en plus dans Time Heist n'auraient pas été de refus, on est passé de "A diner ?" à "I love him", même si c'est en partie justifié par le scénario).
Ma Note : 15/20
La semaine prochaine, Moffat a laissé la main à du sang neuf (Peter Harness) pour écrire un épisode sur la lune où des araignées et des dilemmes cruciaux menacent la Terre... Et oui, vous l'avez deviné, ça promet !