Critique : Doctor Who (2005) 9.09

Le 21 novembre 2015 à 13:54  |  ~ 29 minutes de lecture
Quand le professeur Rassmussen révolutionne l'industrie avec une machine nous épargnant le besoin de sommeil, il doit en payer les conséquences...
Par Galax

Critique : Doctor Who (2005) 9.09

~ 29 minutes de lecture
Quand le professeur Rassmussen révolutionne l'industrie avec une machine nous épargnant le besoin de sommeil, il doit en payer les conséquences...
Par Galax

Quiconque a lu deux ou trois de mes avis sur Doctor Who sait que je suis très loin d'être un fan de Mark Gatiss. Scénariste de longue date pour la série, il a produit quelques-uns des plus mauvais épisodes de la série, en plus d'un bon paquet de très médiocres. Tous ses épisodes manquent d'originalité, ou quand ils en ont, ratent le coche souvent à cause d'un scénario grotesque. Le plus énervant, c'est qu'il était coincé dans son petit confort, avec des épisodes se déroulant quasiment tous dans le passé, tourné vers l'horreur ou l'histoire, mais échouant quasiment toujours dans ces domaines. Sleep No More annonçait quelque chose de très différent. Situé dans un futur lointain, dans une station spatiale en orbite autour de la planète Neptune, cet épisode semblait enfin permettre à Gatiss de prouver qu'il sait écrire la science-fiction, et il l'a fait en le racontant à travers un format original : les images d'archives.

S'annonçant donc comme un épisode unique, autant pour le scénariste, que pour la saison – il s'agit du seul standalone – et que pour la série, Sleep No More prend un tournant très original sur une histoire classique et s'impose comme le meilleur épisode de Mark Gatiss à ce jour.

 

Poster Sleep No More

Clara : "Do you ever get the feeling like you're being watched?"

 

~~~

 

"Everything you're about to see is from their individual viewpoints, or taken from the station itself - the only footage available."

 

La grande particularité de l'épisode, c'est bien sûr sa narration en "point-of-view", façon caméra intégrée aux yeux des personnages. Chaque plan mobile nous met à la place d'un personnage en particulier, bien qu'il existe également certains plans d'ensemble fixes provenant de caméras de surveillance. Cela nous donne l'impression de faire partie intégrante de la mission. Pour la première fois dans l'histoire de la série, l'épisode ne comporte pas de générique, juste un simple écran de chiffres et de lettres informatiques laissant apparaître un "Doctor Who" en guise de séquence d'introduction. Cela permet de nous plonger véritablement dans l'ambiance de l'histoire, en plus d'être cohérent avec la fin de l'épisode, sur laquelle j'aurai tout le temps de revenir...

De ce format en découle une jolie façon de jouer avec les perspectives. La façon dont on introduit Clara et le Docteur dans l'histoire par exemple, était un très bon moment. Les monstres, plutôt classiques autant dans leur look (tout de même assez réussi) que dans leurs gestes, prennent une dimension assez effrayante lorsqu'ils sont vus furtivement de loin et que l'on est pris dans le feu de l'action. La réalisation est somme toute très propre et très soignée, en plus d'être hyper immersive. Moi qui avais peur d'avoir un mal de crâne ou que les scènes soient confuses, je dois dire que je suis agréablement surpris, car à part quelques couacs d'éclairage à certains moments, l'épisode se tient extrêmement bien. Je dirais même que c'est l'un des mieux filmés de la saison. C'est fou de se dire que les épisodes avec le plus bas budget donnent toujours le plus beau rendu (Listen, Blink, Midnight). Le format "found footage" permet de montrer une nouvelle façon de raconter la traditionnelle histoire de monstres dans une base en mode huis-clos, connu sous le nom de "base-under siege". Le concept d'images d'archives ou "found footage" pour créer un film n'a, certes, absolument rien de nouveau dans la fiction et dans le cinéma, mais c'est très rarement vu dans l'univers des séries TV, et jamais vu dans Doctor Who (ou presque). Il est bon de voir que le show continue de tenter des choses nouvelles, quand on sait que ce sont ces épisodes innovants, dits "experimental episodes" qui sont souvent retenus ensuite comme les meilleurs du show (bon, pas Sleep No More visiblement, vu sa réception extrêmement mauvaise).

 

Sleep No More - vue à la première personne

On se croirait parfois dans un jeu vidéo, particulièrement quand la caméra est posée près du fusil.


Cela aurait pu n'être qu'un gadget, une simple nouvelle façon de filmer un huis-clos "base-under siege". Sauf que l'épisode va beaucoup plus loin que ça ; il place cette façon particulière de filmer au centre même de tout son scénario. Souvent, le found-footage est un gimmick et ne tient jamais la distance. Apparaissent alors des points de vue qu'on ne devrait pas avoir, ou des faux-raccords gênants. Sleep No More va prendre volontairement ces erreurs pour les justifier par la suite. Le fait que le point de vue de Clara apparaît après qu'elle soit rentrée dans Morpheus (chose subtile que le spectateur devra remarquer par lui-même – seul un plan sur le visage du Docteur interloqué agit comme indice) aura son explication, puisqu'il nous prouve que c'est bien Morpheus qui est la cause des problèmes. Le fait qu'on ne voit jamais le point de vue de Chopra qui a refusé d'utiliser la machine agit de la même façon. Le fait que l'on continue de voir le point de vue de Nagata alors qu'elle fait tomber son casque nous met sur la piste que quelque chose se trame sur la façon dont c'est filmé (c'est personnellement à ce moment que je me suis dit que les faux-raccords et erreurs n'en étaient pas et que je me suis douté que le professeur Rassmussen, celui qui a assemblé les images, nous cachait quelque chose). Même les grésillements de l'écran entre les transitions sont expliqués ! Tout ce qui aurait pu constituer des clichés ou des défauts dans un épisode en images reconstituées, défauts que contiennent beaucoup d'œuvres exploitant ce procédé, devient partie intégrante du scénario et est vraiment justifié dans celui-ci. En clair, ce qui apparaît comme des invraissemblances est en fait de nombreux indices disséminés, qui permettent au Docteur comme au téléspectateur d'avancer. Je trouve ça absolument fantastique d'avoir à ce point exploité le format particulier de l'épisode.

L'histoire est, du coup, bourrée de foreshadowing. Tous les détails ne se voient pas forcément, c'est réellement un épisode à revoir une fois que l'on a eu connaissance de la fin, pour pouvoir apprécier comment il est construit. L'épisode, la première fois qu'on le voit, est hyper bizarre. Vraiment, un des épisodes les plus étranges de la série. C'est dans un premier temps difficile à expliquer, mais il est perturbant, et dérangeant. Il y a plein de petites choses qui interpellent, dont celles que j'ai citées plus haut. Bien sûr, tout cela prend son sens au fur et à mesure de l'histoire.

 

Sleep No More - une image dans une image...

La scène où le Docteur aborde le fait que le point de vue de Clara est utilisé pour filmer, est particulièrement réussie.

 

Ce n'est donc pas juste une histoire classique et banale, qu'on filme à la première personne pour dire "voilà, on a fait une histoire originale" ! Non, tout l'épisode est construit et pensé autour de ce principe d'images récupérées, et exploite la gêne du téléspectateur pour ses rebondissements. J'ai entendu des remarques comme "l'histoire aurait mieux fonctionné sans le format d'images récupérées"... mais sans ce format, il n'y a PAS d'épisode ! Le jeu avec le téléspectateur autour de l'image et des points de vue est fascinant et n'aurait jamais pu être appliqué bêtement à un autre épisode de la série.

 

 

"Congratulations, professor. You've conquered nature !.. You've also created an abomination."

 

J'ai donc adoré tout cet aspect found-footage. Mais, sans être anodin et loin d'être secondaire dans l'histoire, cela reste tout de même une partie seulement de l'épisode. Ce dernier repose sur beaucoup d'autres éléments.

Le concept en lui-même de l'épisode est fantastique. Steven Moffat l'avait qualifié de "simplement la meilleure idée jamais eue dans Doctor Who", et honnêtement, pour un standalone, je crois qu'on n'en est pas loin. Tout part d'une machine, Morpheus, qui a la capacité de concentrer notre sommeil pour, disons, un mois, en l'espace de cinq minutes. De là découlent bien évidemment quelques piques sur le modèle de travail capitaliste, et la façon dont les hommes vivent (l'expression "Time is money" n'a jamais été aussi sinistre) est un dilemme moral au centre. Certains acceptent et trouvent cela génial, d'autres, incluant Clara et Chopra, trouvent ça révoltant. L'épisode pose tout un contexte concernant Neptune, le 38ème siècle, ou la fusion de l'Inde et du Japon. Tout ça, l'épisode le mentionne mais passe vite dessus, ce que beaucoup semblent critiquer... mais Sleep No More fait le choix d'un épisode centré autour de monstres et d'un scénario complexe plutôt que de partir sur des thèmes politiques, et pourquoi pas ? Ce n'est pas comme si c'était une première dans l'histoire de la série, la fiction et l'horreur privilégiées à la politique.

Certains épisodes font de leur contexte futuriste leur message (The Beast Below, Gridlock), mais beaucoup se contentent de lancer quelques idées (le two-parter des Anges et l'armée, Jack Harkness et les mœurs du 51ème siècle, The Waters on Mars et la crise du pétrole...) et d'ordinaire, les fans trouvent que cela rajoute un plus à l'histoire, au lieu de trouver cela inutile. Mark Gatiss avait expliqué créer ce contexte de fusion Indo-Japonaise pour ne pas que sa base soit n'importe quelle base, et pour apporter un peu de réalisme au contexte, et je suis d'accord avec lui : c'est beaucoup plus efficace de cette façon. Et puis, ça fait du bien de voir qu'il n'y a pas que des Anglais et Américains blancs qui ont un futur dans le Whoniverse, accessoirement. De plus, ce n'est pas comme si l'épisode ne fait jamais mention de son contexte. Il y a des rappels subtils même après la scène de la présentation de Morpheus, principalement dans le comportement des personnages, sur lequel je reviendrai, et des détails comme la phrase "May the Gods look favourably upon you" qui sous-entendent largement la dystopie au 38ème siècle. Tout cela ajoute du contenu à l'épisode. Bref, si l'épisode fait finalement le choix du genre de la base-under siege, c'est sans doute car c'est beaucoup plus en raccord avec le format found-footage qui est généralement associé au genre de l'horreur. Vous imaginez, un format found-footage pour Kill the Moon ou The Zygon Inversion ? Voir trois personnages débattre autour d'une bombe pendant quinze minutes avec seulement trois plans de caméra possibles ? Ce serait le summum de la chiantise.

 

Sleep No More - vue de Clara

Les moments de rupture du quatrième mur sont subtils et bien choisis.


Le concept de Morpheus est excellent donc, et se suffit amplement à lui-même, mais qu'en est-il des Sandmen ? Je dois avouer avoir été extrêmement dubitatif au moment de la révélation de leur origine – la petite croûte du matin dans nos yeux qui se transforme en monstre carnivore, hem... J'avais en fait lu cette théorie sur les forums quelques jours avant la diffusion, balancée comme une blague. Quelle fut donc ma surprise de voir que c'est bien l'explication retenue... C'est original et plutôt étonnant comme approche. Sur le papier, c'est aussi assez stupide. Remarque, au moins, on sort du concept des monstres "Don't XXXX !"... Finalement, on regarde de la science-fiction, non ? On ne fait pas non plus toute une fanfarre autour de cette révélation, elle est correctement justifiée dans l'histoire et ne constitue ni le principal enjeu de l'épisode, ni la principale caractéristique des monstres. On aurait tout aussi bien pu ne jamais savoir comment la machine transforme les monstres (qui dit d'ailleurs que ce n'est pas qu'une théorie du Docteur ?). Bien d'autres rebondissements sur ces derniers arrivent ensuite. La révélation sur le fait que les Sandmen sont aveugles est très sympathique, par exemple. On explique plus tard que leur vision a été transférée dans les grains de poussières partout dans la station (expliquant donc tous les plans étranges de l'épisode), ce qui fait le lien très intelligemment entre les monstres et l'aspect found-footage de l'épisode. Au final, je trouve que c'est un élément absurde qui passe plutôt bien, stupide dans le concept, mais brillant dans l'exécution (et il vaut mieux avoir ça que l'inverse, comme les précédents scripts de Mark Gatiss nous l'ont prouvé). Après tout, à la base, les Daleks fonctionnaient à l'électricité statique... il suffit de regarder The Witch's Familiar pour voir à quel point leur background s'est étandu depuis. Les Sandmen ont beau avoir une cause stupide, ils sont les monstres les plus créatifs depuis les Dream Crabs de Last Christmas et ils ont de nombreuses caractéristiques, de quoi avoir un super potentiel pour un éventuel retour. J'aurais par contre aimé plus de moments comme la transformation de Rassmussen en Sandmen à la fin, qui exploite plus le côté horrifique de ces très bons ennemis, mais encore une fois c'est le format quarante-cinq minutes qui est à blâmer ici.

Ce n'est pas que la fin de l'épisode est expédiée, ceci-dit. On est à des années lumières de, disons, des épisodes comme The Power of Three qui nous balançaient une fin à mille à l'heure et très facile. La fin de Sleep No More est intelligente. Les résolutions pour se débarasser des monstres sont toujours ingénieuses, que ce soient le twist sur le fait qu'ils sont aveugles dans la chambre froide, la disquette "Mr. Sandman" pour détourner l'attention du monstre, ou l'utilisation de la gravité pour les détruire à la fin. Et il y a bien sûr cette excellente scène finale, sur laquelle je reviendrai à la fin de cet article.

 

 

"There are bits missing. Sorry about that. I don't fully understand what's been going on here."



Alors, la forme est géniale, le fond est génial, où est le couac ? Et bien, l'épisode est une véritable expérience.

C'est ce genre d'épisodes qui entre directement dans la case des épisodes à concept. Le scénario laisse très peu de place à une étude de personnages comme The Woman Who Lived, à des enjeux et des dilemmes moraux comme The Zygon Inversion, ou même à une simple histoire de monstres comme Under the Lake. On est face à une véritable œuvre de science-fiction, bien loin des pastiches de genre ou des historicals que nous avait offert le scénariste. L'épisode repousse les quotas obligatoires imposés par un épisode de Who. Le scénario n'est pas complet, le Docteur n'apprend rien, les personnages ne sont pas poussés à bout émotionnellement, il n'y a pas de speech fabuleux pour se sortir miraculeusement d'une situation tordue, la fin est ambigüe... On n'avait pas vu un épisode aussi différent depuis Listen et son "épisode sans monstre". Je dirais même qu'il faut remonter à Love & Monsters (un épisode qui a aussi été très mal reçu dès sa diffusion) et son genre du "Doctor-lite" (un épisode ne comportant quasiment pas nos protagnosites) pour trouver un récit aussi innovant.

Et forcément, qui dit expérience, dit réactions très vastes au sein du public, et dit aussi des limites évidentes.

L'épisode présente plusieurs faiblesses. Après une saison de two-parters où l'on a rarement eu besoin de se plaindre du manque d'approfondissement des choses, force est de constater que cette histoire sonne comme la première partie d'un two-parter et aurait peut-être mieux fonctionné avec une suite. La désagréable sensation d'avoir envie d'en voir plus que nous laisse une fin d'épisode un peu dérangeante. Mark Gatiss a prévu un séquel, cela dit, et Steven Moffat semble approuver le projet. On aura donc peut-être le fin mot de cette histoire, qui laisse beaucoup de pistes ouvertes : le Docteur a dit qu'il débarassera Clara et Nagata de la poussière dans leurs yeux, mais comment exactement ? Sauront-ils un jour ce qu'il s'est vraiment passé ? Saurons-nous si le plan de Rassmussen a été mis à exécution et si l'humanité est condamnée sur Triton, voire partout dans le système solaire ? Je ne sais pas vraiment si je désire ce séquel, car je trouve que l'épisode fonctionne extrêmement bien en restant vague et mystérieux, en restant bizarre, en laissant le Docteur sans savoir. Cela serait comme faire une suite à Midnight. Je préfère donc qu'on laisse Sleep No More rester la petite bizarrerie de la saison 9 sans trop y toucher (et je suis sûr que tous ceux ayant détesté l'épisode ne veulent pas de séquel non plus : autrement dit personne n'a envie d'un séquel, autant ne pas en faire un Mark, merci).

 

Sleep No More - vue des caméras

L'épisode possède une ambiance étouffante réussie, qu'il faut voir dans le noir pour apprécier correctement (le manque de lumière est parfois dérangeant).

 

Le plus gros défaut évident est la faiblesse du cast secondaire. On sent bien que la majeure partie d'entre eux est destinée à être de la chair à Sandmen, ce que Rassmussen nous fait d'ailleurs bien comprendre au début ("Don't get too attached"). Pourquoi alors perdre autant de temps avec eux ? Ils occupent au final une bonne dizaine de minutes de l'épisode. Si une certaine partie sert à crédibiliser la menace des monstres, du temps passé en compagnie de Deep-Ando ou Chopra aurait pu être employé à autre chose. La scène où une porte demande à Deep-Ando de chanter la chanson est lourde et traîne en longueur. Le clone 474 est probablement le pire de tous, puisqu'on prend du temps pour introduire sa fonction et ses caractéristiques sans qu'il ne serve à rien. Sa scène de mort n'est pas touchante le moins du monde. Je dois avouer par contre que ces personnages avait beau être très limités, ils apparaissaient comme de vraies personnes, des humains avec leurs qualités et leurs défauts souvent issus de leur contexte (la chef montrée comme courageuse qui adore pourtant le concept de Morpheus et qui n'hésite pas à tirer sur Rassmussen à la fin, le jeune militaire qui est révolté par la machine mais qui montre un sérieux manque de tolérance envers le clone...). Il y a des choses intéressantes chez eux, même si globalement ils ralentissent l'épisode.

Aussi, le fait d'avoir sélectionné une actrice transgenre pour jouer un rôle de clone aussi robotique la faisant passer pour masculin, je trouve ça carrément insultant pour Bethany Black. J'espère qu'il ne s'agit que d'un "hasard" et qu'elle n'a pas été castée pour cet aspect, car le rôle ne lui rend vraiment pas honneur, elle qui est fan de la série.

Malgré ces défauts, Sleep No More reste selon moi un très bon épisode et n'a aucun mal à récolter une haute note de ma part. Pourquoi donc ? Là où Sleep No More touche en plein dans le mille, c'est bien sûr dans sa scène finale. Si on avait deviné que Rassmussen était le cerveau de l'histoire, depuis plus ou moins de temps selon qu'on ait été attentif aux énigmes posées par la réalisation, je crois qu'on était tous très loin d'imaginer son plan. Un plan qui fait se transformer l'épisode en une gigantesque expérience méta pour le spectateur...

 

 

"You must not watch this."

 

La scène d'introduction posait les bases du récit et annonçait l'élément qui sera absent tout au long de cet épisode : le quatrième mur. Beaucoup d'épisodes ont abusé de la pratique de la rupture du quatrième mur dans la série, et jamais autant que cette saison qui nous a offert – entre autres – un épisode où les ennemis sont destinés à être humiliés devant tout le monde, ou encore une séquence d'intro où le Docteur brise toute cohérence narrative pour s'adresser directement au téléspectateur (je parle bien sûr de The Girl Who Died et de sa mise en abyme, ainsi que de Before the Flood et de sa scène d'intro). Les répliques méta dans Sleep No More sont nombreuses, particulièrement dans l'enregistrement du professeur Rassmussen, et l'épisode pousse le concept plus loin que jamais, grâce à son twist final.

Le dernier acte de l'épisode en général nous fait reconsidérer tout ce que l'on a vu depuis le début de l'épisode, chose que seules les plus grandes histoires possèdent. Il offre LA justification extrêmement maligne sur l'emploi du format "images enregistrées" puisque le plan de Rassmussen consiste à diffuser ces images. La fin est, de plus, extrêmement sombre, pas que dans la vision d'un Rassmussen en train d'être enseveli par la poussière, qui était déjà bien glauque en soi, mais également dans le simple fait que le Docteur n'a pas trouvé la réponse et qu'il ne gagne tout simplement pas. À quand remonte la dernière fois que le Docteur a perdu la bataille et que l'ennemi a triomphé ? Je peine à voir une seule fin négative dans la série depuis The Waters of Mars (The Angels Take Manhattan, si on veut). Cette fin laisse certes un peu trop d'éléments inexpliqués que j'ai cités un peu plus haut, mais à l'instar de l'épisode, elle est tellement originale et risquée que je ne peux m'empêcher d'être fan.

 

Sleep No More - quelque chose dans notre oeil...

"Something in the corner of your eye" prend soudain tout un autre sens que la réplique métaphorique employée par Moffat dans ses épisodes cultes...

 

Cette toute dernière scène, ce dernier enregistrement de Rassmussen, est ce qui donne tout son sens à l'histoire. Cette dimension "tout l'épisode n'est qu'une expérience méta" commence à nous apparaître vers la fin, quand nos personnages voient les images de l'enregistrement de Rassmussen (que le spectateur a vu plus tôt dans l'épisode) affichées sur un écran (la mise en abyme de The Girl Who Died peut aller se rhabiller). C'est suivi par une énième rupture du quatrième mur, quand le Docteur réalise que l'histoire est insensée, trop parfaite, trop jolie, trop divertissante... "It doesn't make any sense !", il manque quelque chose, une pièce du puzzle... ce que le spectateur pensait tout au long de l'épisode, en fait. L'épisode vient juste de donner une justification à tous les gimmicks utilisés dans les base-under siege dont il a eu recours (la course poursuite, la solution ingénieuse pour se sortir in-extremis des griffes du monstre). Plus généralement, tout ce qui sert à faire du drama habituellement, ces petites incohérences qu'on ne remarque plus à force de regarder des séries, est justifié dans l'histoire : pourquoi les Sandmen attaquaient-ils nos personnages alors qu'ils consument habituellement de l'intérieur ? Pourquoi avoir fait chuter l'anti-gravité pour donner du temps à nos héros de s'enfuir ? La scène est suivie par un regard du Docteur en pleine caméra qui anéanti complètement toute barrière entre la réalité et le récit.

 

"It's like this is all for effect... like a story."

 

Comme une histoire, ça y est, le mot est lâché, Mark Gatiss vient à ce moment de créer l'ultime histoire méta pour Doctor Who, quand les quanrante-cinq minutes que l'on vient de visionner ont en fait été orchestrées par un personnage du récit comme un épisode qui est directement destiné au téléspectateur, ce qui constitue en fait tout le but de son plan.

La scène finale nous révèle que Rassmussen a tout fait pour monter un spectacle divertissant afin de détourner notre attention des impulsions électriques contenues dans l'enregistrement (ai-je déjà dit à quel point le found-footage et ses caractéristiques sont brillament intégrés au récit ? Je le redis !). Petit à petit, depuis le début de l'épisode, le fait de regarder les images conditionnait notre cerveau pour que l'on se transforme en Sandmen. Le Docteur et Clara ont participé à cette mascarade sans s'en rendre compte. C'est juste brillant ! Il y a un petit peu de Mummy on the Orient Express dans cette fin, ainsi qu'un petit peu de Blink et du concept des Anges Pleureurs dans la façon de transformer l'écran en danger. Il y a aussi un petit peu de The Girl Who Died dans la façon de dire "c'est une histoire" donc, mais c'est tout en plus poussé. Dans cet épisode, Rassmussen est un scénariste (on peut même dire qu'il représente Mark Gatiss lui-même, ce n'est pas pour rien que ce dernier a choisi son ami Reece Shearsmith pour jouer ce rôle), Clara et le Docteur sont des acteurs (involontaires), les Sandmen sont les monstres méchants pas beaux, et les images sont un vrai épisode : c'est l'ultime mise en abyme de la série. Et la fin nous laisse sur une des images les plus terrifiantes et glauques de l'histoire.

Il faut un peu de temps pour comprendre toute l'ampleur de cette révélation finale et de cette histoire. Une fois que je l'ai comprise, l'épisode a pris un autre sens pour moi. Bien sûr, certaines choses apparaissent directement après avoir fini l'épisode, comme la première phrase "You must not watch this" qui prend évidemment une signification bien plus ironique. Mais il y a également des détails plus précis dans l'épisode qui s'expliquent uniquement par la scène de fin, et que seul un revisionnage de l'épisode permet de voir.

Sincèrement, il faut donner à Sleep No More sa chance, car je suis certain qu'avec le temps, l'épisode sera plus apprécié. Je suis aussi certain que si ce n'était pas un standalone found-footage experimental écrit par Mark Gatiss juste avant le triple-final d'une saison de two-parters, mais, disons, un standalone experimental au début d'une saison de loners écrit par Steven Moffat et précédé par un épisode médiocre, il aurait eu plus d'attention. Je ne suis pas en train de dire que Sleep No More est meilleur que Listen, loin de là, mais peut-être que le contexte et les a priori ont pesé dans la balance. Il faut pourtant encourager ce genre d'épisodes, c'est quoiqu'il arrive toujours préférable à des anciens épisodes de Gatiss, médiocres, qui n'innovent pas du tout et que tout le monde oubliera bien vite. Comme on dit, même si on a détesté un épisode, au moins on s'en souvient... Cela ne lui retire pas ses quelques défauts, concernant ses personnages secondaires ou ses scènes superflues. Simplement, de se dire qu'il était déjà suffisamment original de par son format, qu'il tire carrément parti de son originalité pour nous retourner le cerveau à la fin avec une révélation finale absolument géniale, donnant un sens à toute l'histoire et rendant le tout encore plus original...

... juste chapeau, Mark !.. et voilà une phrase que je ne pensais pas, il y a encore une semaine, dire un jour dans ma vie...

~~~

Sleep No More est un des épisodes les plus atypiques que la série nous ait jamais offert. Que l'on ait aimé ou pas l'expérience, il faut saluer l'inventité dont a fait preuve Mark Gatiss, qui s'est enfin sorti de sa zone de confiance pour nous livrer cette histoire complexe et brillante. Le Docteur, tout comme le téléspectateur, a été pris de court et a, sans le savoir, contribué à leur victoire. Les monstres ont gagné... pour cette fois-ci...


J'ai aimé :

 

  • L'utilisation du format permettant une histoire base-under-siege très immersive
  • Le concept de Morpheus et les Sandmen
  • Le scénario malin rempli de rebondissements pour nous tenir en haleine
  • Le contexte de l'épisode enfin différent des autres scripts de Gatiss, et judicieusement distillé dans l'histoire
  • La fin qui ne se finit pas bien et qui invite à tout revoir
  • Tout le format found-footage est expliqué et justifié, au centre de l'histoire
  • L'ultime épisode méta où l'ensemble des événements est orchestré spécialement pour le téléspectateur
  • Juste l'originalité de l'histoire

 

Je n'ai pas aimé :

 

  • Des personnages secondaires peu mémorables malgré Nagata et Chopra qui sortent du lot
  • Un rythme un peu faiblard vers le milieu de l'épisode, surtout car on perd du temps sur les personnages secondaires en question

 

Le Coin du Fan :

 

  • Deuxième épisode d'affilée qui fait peu de références au passé de la série ! L'épisode fait tout de même mention d'un épisode classique, The Space Pirates.
  • Le Docteur fait référence aux Siluriens dans le passage où lui et Clara cherchent à trouver un nom pour les ennemis de l'épisode.
  • On se demandait toujours si le Docteur dormait ; il aurait été un sacrilège de ne pas répondre dans un épisode intitulé Sleep No More ! Selon le Docteur, oui, même lui dort, simplement quand Clara ne le regarde pas. Bien sûr, en considérant que Clara représente le téléspectateur (ce que le format found-footage appuie beaucoup puisqu'il parle directement à la caméra en disant "when you're not looking"), cela veut tout bêtement dire qu'il dort entre les épisodes, car le regarder dormir pendant quarante-cinq minutes ne serait pas très palpitant ! L'épisode est d'ailleurs bourré d'humour bien plus fin que les épisodes de Gatiss habituels, ce qui est appréciable.
  • Fun fact : la station "Le Verrier" est nommée d'après un astronome français qui a été le premier à prouver l'existence de Neptune. Une touche sympathique à l'histoire.

 

Ma Note : 16/20.


Next Time : Rigsy revient et Clara va devoir affronter le Corbeau... Face the Raven n'a pas l'air très prometteur mais on n'est pas à l'abri de bonnes surprises.

L'auteur

Commentaires

Avatar dewey
dewey
Excellente critique que je rejoins en tout points. Un épisode brillant et cruellement sous-estimé. Pour une fois que Gatiss nous proposait quelque chose d'original en plus ...

Avatar Galax
Galax
Merci pour ton commentaire, et oui, moi aussi je suis vraiment attristé de voir que c'est bien parti pour être le moins apprécié de Gatiss, j'ai peur que cela ne le freine dans ses histoires et que l'on se retape un historical à la con en saison 10...

Avatar MembreSupprime2
MembreSupprime2
Excellente critique ! Tu m'as fait gagner ma note d'un point ! :)

Avatar Galax
Galax
Ravi de l'entendre ! :D

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