Il y a un truc qui m'a toujours fasciné avec les œuvres (d'art), c'est le souvenir qu'on en garde. Aussi élaborées et complexes soient-elles, on n'en garde en mémoire qu'un détail, qu'une partie de l’œuvre globale. Souvent les détails les plus marquants. Tout le monde connaît le sourire de la Joconde mais pas grand monde n'est capable de dire quelle est la position de ses mains. Tout le monde sait que Ned Stark meurt dans le neuvième épisode de la première saison de la présente série, mais personne ne se souvient de ce qui se passe avant. Un épisode de Game of Thrones dure une heure. Un épisode de drama classique, 42 minutes et une sitcom fait une vingtaine de minutes. Depuis lundi, tout le monde parle des dix dernières minutes de ce sixième épisode mais personne ne détaille ce qui se passe avant. En aucun cas, on ne peut mesurer la qualité d'un épisode à ce qui constitue seulement un sixième de son contenu. Et c'est valable pour beaucoup de séries, souvent construites autour d'un événement marquant qui peine à masquer la misère du reste (oui, c'est bien à toi que je pense Breaking Bad).
Game of Not King's Landing
L'épisode agit comme un double miroir. A la fois double du second épisode de cette saison dans sa construction (ouverture sur les événements hors de King's Landing, puis recentrage sur le mariage / procès), mais aussi jumeau de procès du sixième épisode (tiens, tiens...) de la première saison. Un découpage en deux parties classiques, dont la première permet de souligner les trois principales failles de la série :
- L’absence de propos politique. À Braavos, Stannis et Davos tentent de plaider leur cause face à un Tycho Nestoris impassible. Grande fût ma joie de voir Mark Gatiss (scénariste de plusieurs épisodes de Doctor Who et co-showrunner de Sherlock) arriver dans l'univers de Game of Thrones. Sa seule présence (l'acteur a vraiment l'air de kiffer d'être là) suffit à rendre la séquence agréable. Le problème, c'est qu'elle manque cruellement de fond. J'aurais aimé savoir les tenants et aboutissants de cette institution puissante que semble être la banque de Fer. J'aurais aimé connaître le rôle précis de ses banquiers dans la guerre de Cinq-Rois. De tout cela, on n'a rien eu. Cela arrivera sûrement si on est amené à revoir Braavos (ce qui n'est pas sûr). En attendant, je suis resté sur ma faim.
- La linéarité de certaines intrigues. Oui, c'est à toi que je pense Daenerys. C'est fou à quel point on dirait que son intrigue cette saison a été écrite par un enfant de cinq ans : « Houlala, je suis super forte et je remporte toutes mes batailles. Pif-pouf, je rencontre des problèmes et tout va mal ». C'est le B.A.-BA scénaristique du « Rise and Fall ». Ce que je critique, c'est l'aspect trop soudain des choses. Pourquoi la mother of dragons n'a-t-elle eu aucun problème quand elle a conquis Qarth et Astapor ? Qu'est-ce qui a changé ? Rien. Juste un scénariste qui ne sait pas écrire un personnage autrement que par la caricature.
- L'inutilité d'autres intrigues. Est-ce que quelqu'un dans le monde ou sur Internet sait à quoi sert l'intrigue de Théon ? Est-ce que quelqu'un sait pourquoi les producteurs ont-ils jugé bon d'inclure le personnage de Yara cette saison ? 90 % des apparitions de Théon à l'écran (100 % si on retire sa magnifique scène de baptême en saison 2) n'ont servi à rien, sauf à préparer un futur événement qui jamais n'arrive (c'est fou à quel point cette série est une série de préparations sans fin). Cerise sur le gâteau, personne ne croit au changement de caractère de Théon qui apparaît comme beaucoup trop brusque. Je continue de penser que ce personnage aurait dû disparaître pendant une ou deux saisons. L'ellipse aurait ainsi permis au spectateur d'imaginer tout ce qui avait pu arriver à Théron pendant son absence et l'effet de surprise n'en aurait été que bien plus grand.
Game of King's Landing
Plus que jamais, Game of Thrones, cette saison, donne l'impression d'être Game of King's Landing. King's Landing est le véritable film et le reste, les bonus DVD. À part de rares fulgurances (Stannis-Davos et quelques scènes au Nord), tout ce qui nous intéresse dans cette série, c'est King's Landing. Ce fait existant depuis le milieu de la saison 1 renforce encore davantage l'impression que la série passe à coté de son sujet. Game of Thrones a tout à fait le potentiel, la matière et les outils pour traiter de politique. C'est juste qu'elle ne le fait pas. À la place, qu'est-ce qu'on a ? Des sous-intrigues de cour et Varys qui nous parle de sa castration. Su-per...
Comme dans tout bon happy-end, pile au moment où je commençais à dépérir, Peter Dinklage est arrivé pour nous livrer ce qui va lui garantir un futur Emmy Award. Il faut ici souligner la qualité du découpage de cette seconde partie d'une vingtaine de minutes. Comme dans le second épisode, les mini-scénettes s’enchaînent très bien et nous donnent à voir le « côté coulisse » du procès. C'est Varys qui sait reconnaître une cause désespérée. C'est Pycelle qui se venge. C'est Oberyn qui se marre et c'est surtout Tywin qui gagne. La scène entre lui et Jaime montre toute la puissance de ce personnage qui donne, plus que jamais, l'impression d'avoir 36 coups d'avance sur tout le monde. Lui seul semble être le maitre de Game of Thrones et sa position sur le trône de fer est tout sauf anodine. Je me doute bien de la présence d'une autre force, inconnue de nous jusqu'à présent, agissant dans l'ombre, mais pour l'instant Tywin a toutes les cartes en main et joue divinement bien.
Game of Tyrion Lannister
Dans une scène du second épisode de la série, Jon Snow et Tyrion ont le dialogue suivant :
Jon : Why do you read so much ?
Tyrion : Look at me and tell me what you see.
Jon : This is a trick ?
Tyrion : What you see is a dwarf. If I had been born a peasant, they might have left me out in the woods to die. Alas, I was born a Lannister of Casterly Rock. Things are expected of me. My father was the Hand of the King for twenty years.
Jon : Until your brother killed that king.
Tyrion : ...Yes. Until my brother killed him. Life is full of these little ironies. My sister married the new king, and my repulsive nephew will be king after him. I must do my part for the honor of my house; wouldn't you agree? But how? Well, my brother has his sword, and I have my mind. And a mind needs books like a sword needs a whetstone. That's why I read so much, Jon Snow.
C'est sans doute la première scène marquante de la série pour ce personnage, désormais aimé de beaucoup. C'est en tout cas la seule fois où Tyrion se définit par ce qu'il est : un nain. La force du monologue du présent épisode tient précisément en cela. Tyrion nous balance à la gueule l'ensemble des non-dits qui sous-tendent depuis le début le développement de ce personnage (« I'm guilty of being a dwarf »). Tout le monde semblait traiter d'égal à égal le fils de Tywin Lannister, avec respect et dévérance. Mais en réalité, derrière les apparences et les mondanités, il n'en était rien (« I'm being on trial for that my entire life »). Débarrassé de son vernis social, Tyrion souligne, avec brio, le racisme général de la société de Westeros et nous renvoie implicitement à la figure le fonctionnement de notre propre société. Tout simplement brillant.
Sans doute un épisode qui fera date... dans la carrière de Peter Dinklage. Car pour le reste, Game of Thrones continue de ne pas changer ses mauvaises habitudes, au risque de nous perdre définitivement. Fais attention Game of Thrones, tu n'auras pas toujours Peter Dinklage pour te sauver.
J'ai aimé :
- Peter Dinklage qui survole tout le monde.
- Le retour des pronostics. Se dirige-t-on vers un duel entre Bronn et Meryn Trant ou un duel entre ce dernier et Jaime ? Faites vos jeux !
- Le surprenant volte-face de Shae, bien géré et crédible.
- Mark Gatiss. What else ?
Je n'ai pas aimé :
- Théon and co. Je t'aime bien Alfie Allen, mais là, ce n'est plus possible.
- Free boobs... Once again...
- Cersei qui se moque de la puissance militaire de Daenerys. C'est pas un peu complètement « out of character » ça ?
- On est toujours sans nouvelles de Sir Bondisseur.
Ma note : 14/20.
Bonus :
1) Sir Bondisseur - Lawyer Edition
2) Une fin alternative au procès de Tyrion :