C’est fou comme le regard du public peut se métamorphoser en un claquement de doigts. Il y a encore quelques semaines, Game of Thrones débutait sa saison sans génie, mais avec assurance. Cependant, au fil des semaines, quelque chose s’est brisé. Les faiblesses d'écriture sont devenues de plus en plus évidentes, et bon nombre de fans se sont engouffrés dans cette brèche, à tort ou à raison, rendant aux yeux de certains la série quasiment infréquentable. Le Mur que les fans s'étaient créé, ce ciment fait d'espoir et de foi aveugle envers les showrunners David Benioff et D. B. Weiss (aka Chapi et Chapô), s'est écroulé. Et j'ai enfin mené cette poussive métaphore à terme. Bref, la saison est terminée et l'hiver est enfin arrivé (mais surtout la rentrée pour pas mal d'entre nous). À la croisée des chemin, The Dragon and the Wolf doit-il nous rassurer sur la conclusion prochaine de Game of Thrones ?
Tyrion attendant la critique de cet épisode depuis dimanche.
On s'était dit rendez-vous en saison 7...
Après avoir passé une saison à faire le ménage dans la série en supprimant les personnages les moins essentiels à l'avancée du récit, The Dragon and the Wolf nous présente les joueurs en lice pour la grande finale du Royaume des Sept Couronnes. La réunion au sommet proposée par cet épisode permet de faire le point sur les dynamiques créées et les perspectives qui peuvent désormais être envisagées. C'est aussi l'occasion de récompenser les fans en leur offrant les désormais traditionnelles retrouvailles tant attendues dont cette septième saison a été si friande.
Bien évidemment, comme évoqué dans les précédentes critiques, il s’agit d’une étape nécessaire à ce stade de la série. Les acteurs apportent un soin tout particulier à ces séquences, et le spectateur est partagé entre le petit plaisir de retrouver cette joyeuse bande enfin réunie et la crainte que quelque chose de terrible n'arrive au cœur de la fosse aux dragons. Contre toute attente, ce n'est pas l'angle adopté par cette scène, la tension étant rapidement désamorcée avec l'arrivée de Daenerys sur son dragon et une Cersei qui lui balance une punchline à laquelle ne manquait que les rires enregistrés. Ce parti-pris est amusant, mais révèle aussi le manque d'audace d'une saison qui aura clairement échoué à mettre ses personnages principaux en danger.
Dany, prête à développer sa plateforme Uber dans tout le Royaume.
Le plaisir de cette réunion au sommet est toutefois évidente, que ce soit du côté des spectateurs ou de celui des acteurs qui portent admirablement le poids des années de leurs personnages. Chacun se jauge, se (re)découvre, observe le chemin parcouru et les possibles séparations à venir. Si les dialogues de ces retrouvailles sont parfois maladroits, coups de coude aux fans (Tyrion/Podrick/Bronn) ou teasing un peu facile et hors-propos (le Limier qui prend le temps de se donner en spectacle devant les plus grands chefs de guerre du Royaume), d’autres sont véritablement porteurs de sens, confrontant les personnages sur leur choix et leurs conflits avec intelligence et retenue.
Bien évidemment, il est ici question de l’échange poignant entre Cersei et Tyrion, mais aussi de la courte interaction entre Brienne et Jaime ou bien de ce dialogue doux-amer dans lequel Jon aide Théon à se reconstruire en tant que Greyjoy (avant que celui-ci ne terrasse son oncle dans une scène d'une rare nanardise). Avec soixante-quinze minutes à son compteur, l’épisode joue la carte de la lenteur, et le fait admirablement, laissant le temps à ses personnages de respirer. Ce final parvient donc à échapper, le temps de quelques dialogues, à la nécessité d’une écriture purement fonctionnelle qui a trop souvent cette saison négligé la cohérence de ses personnages au profit du récit et de ses incongruités.
Adieu au langage
Paradoxalement, si cet épisode prend enfin le temps de développer par moments de beaux dialogues, il met aussi en scène l’échec total des mots et de ceux qui les portent. Jon Snow, incapable de mentir et de développer un argumentaire en sa faveur, ne parvient pas à convaincre son auditoire. Lord Baelish, autrefois si prompt à manier les mots, se retrouve démuni, pris à son propre piège par les sœurs Stark. Tyrion, persuadé d’avoir une fois encore opté pour la bonne stratégie en confrontant directement Cersei, n’a pas conscience qu’il est totalement dupe des intentions de sa sœur.
Quand Bae comprend que c'est cuit pour lui.
Longtemps la guerre était menée avec les mots dans Game of Thrones. Ceux qui étaient autrefois les garants de cette parole performative n’ont désormais plus voix au chapitre. Tyrion, Littlefinger ou Varys, personnages partis de rien qui ne s’étaient hissés au sommet que par leur esprit et leur sens de la formule sont désormais des êtres faillibles, accessoires dans la conquête du pouvoir. Comme nous l’a prouvé cette saison, le temps n’est plus aux messes basses et aux secrets d’alcôve ; Game of Thrones est entrée dans l’ère du spectaculaire, de l’instantané.
Plus besoin de représenter ces longs voyages durant lesquels les alliances se nouaient et se dénouaient, les personnages peuvent désormais traverser la carte selon les besoins de l’intrigue. Les scénaristes veulent offrir un dragon à l’armée des White Walkers ? Le chemin pour y arriver est semé d’incohérences, mais allons-y gaiement ! Étrangement cette saison, Game of Thrones semble vouloir nous dire qu’elle n’a plus de temps à perdre avec un des éléments qui faisait son charme et sa particularité. En atteste cette tentative boiteuse de nous offrir une fois de plus un subtil jeu de manipulations entre Lord Baelish, Sansa et Arya, qui n’aura jamais semblé très crédible ni cohérent.
Mesdames et messieurs, le Code Konami de Westeros !
Chapi et Chapô tout entiers à leur proie attachée
Mais il n’y a pas tromperie sur la marchandise dans ce final. Comme nous l’indique le titre de l’épisode, il est ici question de l’union charnelle entre Jon Snow et Daenerys, non pas de la stratégie qui sera adoptée pour mettre fin au conflit contre Cersei ou les White Walkers. Cette saison aura finalement un peu été à l'image de Jon Snow et Dany. Une saison insouciante, où l'honnêteté prime sur la roublardise, ou le danger n'est jamais qu'un obstacle/une étape sur la route de cet amour naissant et ou l'ennemi s'incarne dans l'altérité, dans cette monstruosité qui n'a rien d'humain. Cette saison, c'était le printemps de nos tourtereaux. Mais passée la chaleur des ébats, l'amour semble déjà condamné.
« Mauvaise nouvelle, Cersei, nous ne sommes plus les incestueux les plus tichous de la télévision... »
Le montage parallèle entre la première nuit du couple et la révélation du lien familial qui les unit pose enfin les bases d’un potentiel renouveau qui serait salvateur pour la fin de la série. Cette saison a souvent traîné les pieds, brossant les fans dans le sens du poil, alternant décisions stupides et rebondissements prévisibles. Mais à présent, les bases sont posées. Non, le couple au cœur de la série n’est pas un pur plaisir de fan, ni une mièvrerie de scénaristes ayant complètement perdu le contrôle de leur écriture. C’est le cheminement logique de la série vers la tragédie, dans le sens le plus noble du terme, celle d’un amour interdit et pourtant inévitable qui risque de précipiter tous les personnages avec lui. En commettant un amour inévitable mais pourtant interdit, le « plus abominable des crimes » comme l'énonce la Phèdre de Racine, la série se donne enfin les armes pour précipiter son duo principal, et tous les personnages qui l'entourent dans les ténèbres d'un hiver fatal. Il ne reste qu'à espérer que les scénaristes auront le talent et l'audace suffisante pour donner corps à cette tragédie.
Game of Thrones aura clairement eu du mal à gérer cette septième saison, mais ce final, encore bancal sur de nombreux points, amorce la possibilité d'un renouveau. En revoyant leur copie, Chapi et Chapô apprendront peut-être de leurs erreurs. Certes, l'heure est au spectaculaire et aux grands dénouements, mais cela ne doit jamais être fait au détriment des personnages. Regarder la série comme un pur divertissement n'est pas déplaisant, mais elle dispose de suffisamment d'atouts pour prétendre à bien plus que cela. The Dragon and the Wolf peut toutefois nous donner de l'espoir, tant il parvient à gommer certaines erreurs de la saison et amorce de nouvelles pistes prometteuses. Espérons que la longue absence de la série lui sera bénéfique. Réponse en 2019...
J'ai aimé :
- Un final solide pour une saison bancale.
- De beaux passages dialogués portés par des acteurs habités.
- Un épisode plus lent qui prend le temps de traiter ses personnages avec justesse.
Je n'ai pas aimé :
- Théon l'eunuque qui fait de son absence de balls une force.
- Une longue intrigue poussive et peu intéressante à Winterfell.
- Une saison trop prévisible et peu audacieuse qui empêche ce final d'être totalement convaincant.
Ma note : 15/20.
Le Coin du Fan :
- Littlefinger et les corbeaux. Un utilisateur de reddit pointe le fait qu’à chaque fois que Littlefinger a pris la parole dans la saison 7, on pouvait entendre des corbeaux en arrière son. Cela signifiait que Bran écoutait Petit Doigt tout le temps.
- Si l’enchaînement entre la scène nerveuse entre Ayra et Sansa de l’épisode précédent et celle de l’alliance entre les deux sœurs lors du présent épisode, vous semble un peu rude, il y a une explication à cela. En effet, une scène cruciale a été coupé au montage, comme l’a expliqué Isaac Hempstead Wright (qui interprète Bran) au magazine américain Variety : « Nous avons tourné une scène où Sansa frappe à la porte de Bran et lui dit "J’ai besoin de ton aide" ou quelque chose du genre. Donc, ce que nous savons, c'est que Sansa a soudainement réalisé qu'elle avait un réseau de surveillance à sa disposition et que ça serait une bonne idée de le consulter avant de tuer sa propre sœur. Elle va voir Bran, qui lui dit tout ce qu'elle a besoin de savoir et elle dit "Oh, m.…" ».
- « Un dragon n’est pas un esclave ». Cette phrase prononcée par Daenerys à Jon avait déjà été prononcée dans la saison 3 aux esclavagistes d’Astropor.
- Bran est-il le Night King ? Beaucoup de théories sur le sujet existent. Une dernière pièce pourrait apporter de l’eau au moulin. Bran et le Roi de la Nuit portent le même pendentif (voir photo ci-dessous). Le collier de Bran lui ayant été donné par les Enfants de la Nuit.
Merci à Clément pour cette découverte.
Bonus :
Merci également à MarieLouise et à Blip pour leurs précieuses relectures cette année.
À dans quelques semaines pour le bilan de cette avant-dernière saison avec l’ensemble des rédacteurs !